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282 SERMON DU RABBIN AKIB.

Que pourriez-vous répondre si je vous disais : Votre Dieu était de notre religion ? Il naquit Juif, il fut circoncis comme tous les autres Juifs ; il reçut, de votre aveu, le baptême du Juif Jean, lequel était une antique cérémonie juive, une ablution en usage, une cérémonie à laquelle nous soumettons nos néophytes ; il accomplit tous les devoirs de notre antique loi ; il vécut Juif, mourut Juif, et vous nous brûlez, parce que nous sommes Juifs.

J'en atteste vos livres mêmes : Jésus a-t-il dit dans un seul endroit que la loi de Moïse était ou mauvaise ou fausse ? L' a-t-il abrogée? Ses premiers disciples ne furent-ils pas circoncis? Pierre ne s'abstenait-il pas des viandes défendues par notre loi, lorsqu'il mangeait avec les Israélites? Paul, étant apôtre, ne cir- concit-il pas lui-même quelques-uns de ses disciples ? ce Paul n'alla-t-il pas sacrifier dans notre temple, selon vos propres écrits? Qu'étiez-vous autre chose dans le commencement qu'une partie de nous-mêmes, qui s'en est séparée avec le temps ?

Enfants dénaturés, nous sommes vos pères, nous sommes les pères des musulmans. Une mère respectable et malheureuse a eu deux filles, et ces deux filles l'ont chassée de la maison ; et vous nous reprochez de ne plus habiter cette maison détruite ! vous nous faites un crime de notre infortune, vous nous en punissez ! Mais ces parsis, ces mages, plus anciens que nous, ces premiers Persans, qui furent autrefois nos vainqueurs et nos maîtres, et qui nous apprirent à lire et à écrire, ne sont-ils pas dispersés comme nous sur la terre ? Les banians, plus anciens que les par- sis, ne sont-ils pas épars sur les frontières des Indes, de la Perse, de la Tartarie, sans jamais se confondre avec aucune nation, sans épouser jamais de femmes étrangères ? Que dis-je ? vos chré- tiens, gens vivant paisiblement sous le joug du grand padicha des terres, épousent-ils jamais des musulmanes ou des filles du rite latin? Quels avantages prétendez-vous donc tirer de ce que nous vivons parmi les nations sans nous incorporer à elles ?

Votre démence va jusqu'à dire que nous ne sommes dispersés que parce que nos pères condamnèrent au supplice celui que vous adorez. Ignorants que vous êtes ! pouviez-vous ne pas voir qu'il ne fut condamné que par les Romains ? Nous n'avions point alors le droit de glaive; nous étions gouvernés alors par Quirinus, par Varus, par Pilatus; car. Dieu merci, nous avons presque toujours été esclaves. Le supplice de la croix était inusité chez nous. Vous ne trouverez pas dans nos histoires un seul exemple d'un homme crucifié, ni la moindre trace de ce chàti-

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