Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ARENBERG, Philippe-François, prince-comte D’

La bibliothèque libre.
◄  - Tome 1 Tome 2  ►




ARENBERG, Philippe-François, prince-comte D'



ARENBERG (Philippe-François, prince-comte D’), duc d’Arschot et de Croy, fils de Philippe-Charles et de Claire-Isabelle de Berlaymont, naquit à Bruxelles le 30 juillet 1625. Il était à Madrid, ainsi qu’on l’a vu, à la mort de son père ; le roi Philippe IV le nomma, malgré sa jeunesse, capitaine de sa garde des archers et chef de la compagnie d’hommes d’armes des Pays-Bas que son père avait commandée : il accompagna ce monarque dans la campagne de Catalogne de 1642. Le 9 juin 1644, l’empereur Ferdinand III érigea en duché la principauté d’Arenberg, en conférant à Philippe-François et à ses descendants le titre de duc : Philippe IV lui permit d’accepter cette grâce ; il donna des ordres au gouvernement des Pays-Bas afin que, dans les actes publics, de même qu’on l’avait appelé jusqu’alors prince d’Arenberg, il fût qualifié de duc à l’avenir[1]. Il le décora de la Toison d’or le 27 octobre 1646.

À cette époque, la cour de Madrid cherchait à renouer les négociations de paix avec les Provinces-Unies dont elle avait provoqué la rupture douze années auparavant. Elle avait compris qu’elle n’y réussirait pas, si elle ne mettait dans ses intérêts la maison d’Orange, et des engagements avaient été contractés, en son nom, envers le prince Frédéric-Henri, pour l’accomplissement desquels un traité particulier fut signé à Munster le 27 décembre 1647. Un des articles de ce traité portait que la princesse douairière d’Orange recevrait, en toute propriété, la terre de Zevenberghe, dans le Brabant septentrional, qui appartenait à la maison d’Arenberg. Le duc Philippe-François n’avait pas été consulté à cet égard : il se montra disposé toutefois, lorsque le roi lui en fit parler, à entrer en arrangement pour la cession de Zevenberghe ; mais une affaire de cette importance exigeait sa présence aux Pays-Bas, et il demanda la permission, que le roi lui accorda, de s’y rendre. Le 12 novembre 1648, il fut convenu entre lui et le gouvernement : 1° qu’il recevrait la somme de douze cent mille florins, comme prix de la terre et baronnie de Zevenberghe ; 2° qu’en garantie de ce payement, le roi lui délivrerait les terres de Hal et de Braine-le-Comte sises en Hainaut. Ces terres lui furent en effet transportées par des lettres patentes du 5 février 1649 ; et, comme le trésor ne fut jamais en état de payer les douze cent mille florins, elles lui restèrent. Elles font encore aujourd’hui partie des possessions de la maison d’Arenberg.

La signature de la convention du 12 novembre 1648 donna lieu à une difficulté qui paraîtra bien futile aujourd’hui, mais qui, à cette époque, occupa tous les corps de l’État. Le chef de la maison d’Arenberg avait signé Le duc d’Arenberg et d’Arschot ; le conseil des finances ne voulut pas admettre cette signature, soutenant que le titre belge de duc d’Arschot devait précéder le titre étranger de duc d’Arenberg. Le conseil privé et le conseil d’État délibérèrent sur cet incident. L’archiduc Léopold, frère de l’Empereur, qui gouvernait les Pays-Bas, en référa à Madrid. Philippe IV renvoya la chose au conseil privé. Le 23 avril 1649, ce conseil collatéral déclara que, « par provision et jusques à ce que, par information plus particulière, et ouïs ceux qu’il appartiendrait, en fût par lui ordonné, le titre d’Arenberg pourrait être mis, en ordre d’écriture, ès « dépêches concernant Zevenberghe, devant celui d’Arschot, à charge et condition que par ce ne serait fait aucun préjudice aux grands d’Espagne ni à qui que ce fût, et que ledit duc ne pourrait, de ce chef, prétendre aucune prérogative ou prééminence particulière : » le duc déclara de son côté que, « son intention n’étant en aucune façon contraire à celle qu’il plaisait au conseil, il en pourrait user comme il lui plairait[2]. » L’acte du 23 avril statuait pour un cas spécial. La difficulté qui s’était élevée se renouvela dans les rapports du duc avec le gouvernement des Pays-Bas ; l’archiduc Léopold refusa de recevoir des lettres que Philippe-François d’Arenberg avait signées Le duc d’Arenberg et d’Arschot. Ce dernier s’en plaignit ; il allégua que la qualification qu’il prenait et se croyait en droit de prendre ne portait de préjudice ni au roi ni à personne : « J’assure à Votre Altesse — écrivit-il à l’archiduc — que, si Dieu m’eût fait naître de la maison d’Arschot, comme il m’a fait naître de la maison d’Arenberg, j’attacherais autant de prix à conserver le nom et le » titre d’Arschot que j’en attache à conserver ceux d’Arenberg. » Il réclama aussi auprès du roi. Philippe IV, mieux disposé pour lui que ne l’était l’archiduc, n’accueillit pourtant point ses raisons : il lui fit insinuer de s’abstenir d’user, aux Pays-Bas, du titre de duc d’Arenberg, en se contentant de celui de duc d’Arschot, auquel la grandesse d’Espagne était attribuée[3].

Au lieu de retourner en Espagne, Philippe-François d’Arenberg demanda à servir dans l’armée royale aux Pays-Bas. Il se fit inscrire d’abord sur les contrôles d’un régiment d’infanterie espagnole ; mais, bientôt après, l’archiduc Léopold lui donna à commander un régiment de cuirassiers allemands (1651). En 1656 (17 août), il fut nommé chef et général de toutes les compagnies d’ordonnances des Pays-Bas. Il se trouva à la plupart des affaires importantes qui signalèrent les campagnes de 1651 à 1658, et y fit preuve de qualités militaires qui lui acquirent l’estime de l’armée. Au siége d’Arras (juillet 1654), il était chargé de la garde de la tranchée avec six cents chevaux. Les Français firent, le 19 juillet, une sortie, au nombre de quinze cents hommes d’infanterie et plusieurs escadrons de cavalerie ; après une heure et demie de combat, ils furent obligés à rentrer dans la place, non sans avoir laissé beaucoup des leurs sur le terrain ; dans cette rencontre, le duc d’Arenberg eut un cheval tué sous lui, et reçut un coup de fusil dans son buffle. Les journaux du temps, en rendant compte de ce fait d’armes, signalent aussi la valeur qu’y déploya le prince Charles-Eugène d’Arenberg, frère puîné de Philippe-François. Les Français ayant forcé les lignes de l’armée royale (25 août), le duc reçut l’ordre de retirer l’infanterie de la tranchée ; il s’acquitta de cette commission avec non moins d’intelligence que de bravoure ; malgré les forces supérieures auxquelles il avait à tenir tête, il amena sa troupe jusqu’aux portes de Cambrai, sans qu’elle pût être entamée. Il s’acquit aussi beaucoup d’honneur à la défaite de l’armée française devant Valenciennes, le 16 juillet 1656 : il fut l’un des premiers qui entrèrent dans les lignes ennemies, où il reçut un coup de pistolet dans son chapeau. Philippe IV, en récompense de ses services, le fit capitaine général de l’armée navale de Flandre (26 juin 1660), grand bailli de Hainaut (26 mai 1663) et gouverneur et capitaine général de la même province (4 juin 1663). Le comte de Monterey, gouverneur général des Pays-Bas, le nomma, en 1670, premier commissaire au renouvellement des lois et à l’audition des comptes des villes et châtellenies de Flandre.

Philippe-François d’Arenberg mourut à Bruxelles le 17 décembre 1674. Van Loon (Hist. métalliq., t. III, p. 31) cite un jeton frappé à sa mémoire : on y voit, d’un côté, un aigle déployant ses ailes ayant sur la tête une couronne, en marque de souveraineté, et regardant fixement un soleil, emblème de la faveur du roi, avec cette légende : Suo intenta soli ; au revers, les armes du défunt, sommées d’une couronne ducale et entourées du cordon de la Toison d’or, avec l’inscription : Philippus Franciscus, Dei gratiâ dux Arenbergae, dux Arschotanus. Il avait épousé, en Espagne, le 14 juillet 1642, Marie-Madeleine-Françoise de Borja, fille de François-Octave, duc de Gandia, et d’Artémise Doria-Caretto ; il en eut deux enfants qu’il perdit lorsqu’ils étaient encore en bas âge. L’auteur anonyme d’un tableau inédit et très-curieux de la cour de Bruxelles dont une copie est à la bibliothèque de Saint-Omer, fait ainsi le portrait de ce prince : « Le duc d’Arenberg et d’Arschot est d’un tempérament tellement igné que ce grand feu n’admet point de flegme du tout. Il est bien de sa personne, altier avec ses égaux et honneste avec les autres. Il a toutes les inclinations espagnoles, hormis la retenue, qu’il n’a pu acquérir, nonobstant qu’il ait esté aidé de l’éducation qu’il a prise en ce pays-là, et c’est ce qui l’a privé des grands emplois, car en ce pays-là on a de grandes aversions pour l’humeur évaporée, et n’eût esté la grande faveur du marquis de Caracena, il auroit eu peine d’avoir le gouvernement d’Hainaut. Il aime l’histoire, dont il a quelque connoissance, et les belles-lettres, qu’il possède superficiellement. Il se fait non-seulement un honneur, mais un emportement continuel de son devoir, et ne parle du service de son maistre qu’en protestant de sacrifier tout le monde et tout son bien pour le procurer… » Deux faits semblent confirmer ce que cet écrivain dit de l’humeur de Philippe-François d’Arenberg : le premier est le duel qu’il eut avec le comte d’Egmont au siége de Rocroy, en 1653, et dans lequel ce dernier fut blessé ; l’autre est rapporté par l’archiduc Léopold dans sa correspondance avec Philippe IV. Léopold n’avait pas voulu donner au frère du duc l’entrée d’une chambre du palais où étaient seuls admis les chevaliers de la Toison d’or, les généraux et les gouverneurs de provinces : il s’en montra si offensé qu’il ne parut plus à la cour ; et, lorsque l’archiduc partit pour l’ouverture de la campagne, ni lui ni son frère ne vinrent lui dire adieu, comme le firent les autres chefs de la noblesse[4].

Gachard.


  1. Voici la lettre que Philippe IV écrivit au marquis de Cartel-Rodrigo, lieutenant de don Juan d’Autriche, gouverneur général des Pays-Bas :
         Marqués de Castel-Rodrigo, etc., el duque de Arschot vie ha representado los motivos que le han obligado para pretender del Emperador, mi hermano, la merced que le ha hecho de erigir su casa y principado de Arenberg en ducado del sacro Imperio, suplicándome que, atendiendo á las causas que á Su Magestad Cesarea le movieron, sobre que el marqués de Caretto, su embaxador, me dió carta suya, le haga merced de concederte licencia para la acetation, y que juntamente os dé órden para que en essos Estados sea tratada la casa de Arenberg en esta calidad : y teniendo considerácion a lo referido, e venido á conceder al duque la licencia que pide. En cuya conformidad dispondreís que por los tribunales y demás partes adonde toca, como le llaman principe de Arenberg, le llamen duque ; que assi lo lengo por bien y procede de mi voluntad. De Çaragoça, á 15 de ottubre 1646. Voici la traduction de cette lettre :
         Marquis de Castel-Rodrigo, etc., le duc d’Arschot m’a représenté les motifs qu’il a eus de demander la faveur que l’Empereur, mon frère, lui a faite d’ériger sa maison et principauté, d’Arenberg en duché du saint-empire, me suppliant de lui accorder la permission de l’accepter, eu égard aux causes qui ont déterminé Sa Majesté Impériale (sur quoi le marquis de Caretto, ambassadeur de Sa Majesté, m’a remis une lettre d’elle), et en même temps de vous donner des ordres afin qu’aux Pays-Bas la maison d’Arenberg soit traitée sur ce pied. Prenant en considération ce qui vient d’être dit, j’ai bien voulu accorder au duc la permission qu’il sollicite. En conséquence, vous ferez les dispositions nécessaires pour que les tribunaux et tous autres que la chose concerne, de même qu’aujourd’hui ils l’appellent prince d’Arenberg, le nomment dorénavant duc : car je le trouve bon ainsi, et telle est ma volonté. De Saragosse, 15 octobre 1646.
  2. Lettre du 22 avril, adressée au conseil privé.
  3. Lettre de Philippe IV à l’archiduc Léopold, écrite de Madrid le 14 mai 1652 (Archives du royaume).
         Cela explique comment, dans les patentes des charges que le gouvernement espagnol conféra à Philippe-François d’Arenberg et à Charles-Eugène, son frère et son successeur, ils ne sont qualifiés que de ducs d’Arschot.
         Cette chicane qu’on faisait aux ducs d’Arenherg cessa à la mort de Charles II. Lorsque les Pays-Bas eurent passé sous la domination de la maison d’Autriche, les souverains de cette maison les qualifièrent, dans tous leurs actes, de ducs d’Arenberg, d’Arschot et de Croy.
  4. Lettre du 28 juillet 1650. (Archives du royaume.)