Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4074

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 332).
4074. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
19 mars 1760.

Votre santé m’inquiète beaucoup, madame ; mais, si vous avez le bonheur d’avoir encore auprès de vous monsieur votre fils, j’attends tout de ses soins. Ce qu’on aime fait bien porter. Je prends mes mesures, autant que je le peux, pour avoir encore la consolation de passer quelques journées auprès de vous ; mais je suis devenu un si grand laboureur, un si fier maçon, que je ne sais plus quand mes bœufs et mes ouvriers pourront se passer de moi. Nous laisserons, vous et moi, madame, ce monde-ci aussi sot, aussi méchant que nous l’avons trouvé en y arrivant. Mais nous laisserons la France plus gueuse et plus vilipendée. Voilà encore ce pauvre capitaine Thurot[1] gobé, lui et son escadre et ses gens. La mer n’est pas du tout notre élément, et la terre ne l’est guère. Il est dur de payer un troisième vingtième pour être toujours battus.

On dit qu’il se forme de petits orages à la cour qui pourront bien retomber sur la tête d’une personne[2] que vous aimez, et à laquelle je suis attaché. Rien ne vous surprendra. Votre machine a donc pris une plume et de l’encre ! il y a longtemps que je suis persuadé que nous ne sommes que de pauvres machines. Mais quand je vous écris, c’est mon cœur qui prend la plume. Je m’intéresse à votre santé avec la plus vive tendresse, et j’espère vous faire ma cour dans votre jardin cet été.

  1. François Thurot, né à Nuits vers 1727, avait été tué, le 28 février 1760, dans le combat livré entre le môle de Galloway et l’île de Man. (B.)
  2. Mme de Pompadour.