Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Pont

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PONT, s. m. (punz, ponz). Nous diviserons cet article en plusieurs parties : il y a les ponts de pierre ou de bois fixes, les ponts torneïs (mobiles), les ponts levis et les ponts de bateaux, flottants, de charrettes.

Les Romains ont été grands constructeurs de ponts, soit de pierre, soit de charpenterie, et dans les Gaules on se servit longtemps des ponts qu’ils avaient établis sur les rivières.

Grégoire de Tours rapporte que le roi Gontran « envoya une ambassade à Childebert, son neveu, pour lui demander la paix, et le prier de venir le voir. Childebert vint le trouver avec ses grands, et tous deux, s’étant réunis près du pont appelé le Pont de pierre, se saluèrent et s’embrassèrent[1]. » Ce pont était un pont bâti par les Romains. Toutefois ceux-ci, en raison de l’abondance des bois dans les Gaules, durent établir un grand nombre de ponts de charpente qui subsistaient encore pendant les premiers siècles du moyen âge, car les ponts de pierre bâtis par les Romains, encore apparents, sont rares ; s’ils eussent été nombreux, on en trouverait les traces sur nos rivières.

Les Romains établissaient presque toujours des arcs ou portes monumentales, soit aux extrémités des ponts, soit au milieu de leur longueur. Ces arcs étaient devenus, pendant les siècles de paix qui suivirent la conquête définitive du sol des Gaules, plutôt des motifs de décoration que des défenses. Mais dès les premières invasions, ces portes furent munies de crénelages, et peuvent être considérées comme le point de départ de ces châtelets ou forteresses qui garnissaient toujours les ponts du moyen âge, qu’ils fussent de pierre ou de bois.

Il ne nous reste pas de ponts de pierre du moyen âge antérieurs au XIIe siècle[2] ; mais à cette époque on en construisit un assez grand nombre et dans des conditions extrêmement difficiles. Un des plus beaux et des plus considérables est le pont de Saint-Bénezet, à Avignon. La légende prétend qu’un jeune berger, nommé Petit Benoît, né en 1165 dans le Vivarais, inspiré d’en haut, s’en vint à Avignon, en 1178, et fut l’instigateur et l’architecte du pont qui traversait le Rhône à la hauteur du rocher des Doms. De ce pont, il reste encore quatre arches et quelques piles d’une très-remarquable structure. Commencé en 1178, il était achevé en 1188 ; sa longueur est de 900 mètres, et la largeur de son tablier de 4 mètres 90 centimètres, compris l’épaisseur des parapets. Pour résister au courant du Rhône et aux débâcles des glaces, les piles ont 30 mètres d’une extrémité à l’autre, et se terminent en amont comme en aval par un éperon très-aigu. Il faut observer que sur ce point le Rhône est très-rapide et se divise en deux bras : l’un beaucoup plus large que l’autre ; le plus étroit, qui côtoie le rocher des Doms, est d’une assez grande profondeur. Les difficultés d’établissement de ce pont étaient donc considérables, d’autant qu’au moins une fois l’an, les crues du Rhône atteignent en moyenne 5 mètres au-dessus de l’étiage. Sans discuter sur le plus ou moins de réalité de la légende relative au berger Petit Benoît, il paraît certain que ce personnage fut le chef de la confrérie des Hospitaliers pontifes qui entreprit la construction du pont d’Avignon. Cette confrérie, au XIIe siècle, était instituée pour bâtir des ponts, établir des bacs, et donner assistance aux voyageurs sur les bords des rivières[3]. Quoi qu’il en soit, le pont de Saint-Bénezet, savamment construit, existerait encore, n’étaient les guerres et l’incurie des gens d’Avignon.

Clément VI en fit reconstruire quatre arches. Les Catalans et les Aragonais le coupèrent en 1395, pendant le siège du palais des Papes.

En 1418, les Avignonnais firent rétablir l’arche coupée ; mais soit que l’ouvrage ait été mal fait, soit que les autres parties du pont ne fussent pas entretenues, une arche s’affaissa et entraîna la chute de trois autres en 1602. En 1633, il en tomba deux autres, et pendant l’hiver de 1670, sur le grand bras, on constate encore la chute de deux arches[4]. Ces arches furent tant bien que mal réparées par des ouvrages de charpenterie, mais depuis plus d’un siècle ce beau monument est réduit aux quatre arches qui tiennent au châtelet du côté de la ville. Ce pont était la seule voie permanente de communication qui existât entre le territoire papal d’Avignon et le territoire français du Languedoc. Dans des temps reculés, la ville avait étendu sa juridiction dans les îles du Rhône et en face de son territoire, sur tout le littoral de la rive droite du fleuve. Ses justiciers avaient fait dresser leurs fourches patibulaires, les unes devant la fontaine de Montaud, les autres sur le rocher, au nord du lieu des Angles, qu’on appelle encore la Justice. Tant que les rois de France possédèrent la ville d’Avignon indivisément avec les comtes de Provence, ils n’apportèrent aucun obstacle à cette extension de la juridiction de la cité ; mais lorsqu’au mois de septembre 1290, Philippe le Bel, par suite du mariage de Charles, son cousin, avec Marguerite, fille du roi de Sicile, comte de Provence, lui eut cédé les droits de suzeraineté qu’il avait sur Avignon, il prétendit faire respecter dans l’avenir ses limites territoriales ; en conséquence, ses officiers firent jeter, en 1307, les fondations de la tour de Villeneuve, qui ferme le pont du côté de la rive droite. Charles II, roi de Sicile, se plaignit de cet acte qu’il considérait comme un empiétement sur des droits consacrés par l’usage, en alléguant que le territoire d’Avignon s’étendait au littoral de la rive droite du Rhône. Le roi de France commit son sénéchal de Beaucaire pour faire une enquête au sujet de cette réclamation ; celui-ci se transporta sur les lieux, et se disposait à entendre des témoins, lorsque les magistrats d’Avignon intervinrent, disant : Que le sénéchal ne pouvait agir au nom du roi de France dans un lieu qui était du domaine de la juridiction du roi de Sicile, comte de Provence. Rodolphe de Meruel, architecte de la tour de Villeneuve, n’en poussa qu’avec plus d’activité la construction de cette défense, et il ne paraît pas que le roi de France, une fois bien assis sur ce point, ait toléré sur la rive droite du fleuve l’exercice de la juridiction avignonnaise. Cette juridiction fut exercée néanmoins pendant quelque temps dans les îles ; mais après avoir si bien établi ce qu’ils considéraient comme un droit, les officiers du roi de France n’eurent garde de s’arrêter en si beau chemin, et s’opposèrent à tout acte de juridiction dans les îles[5]. Si nous avons rapporté tout au long cette histoire du pont d’Avignon et des bâtiments qui le fermaient du côté de la France, c’est afin de faire connaître que les difficultés opposées par la nature n’étaient pas les seules qu’il y avait à surmonter dans les temps féodaux, s’il s’agissait de bâtir un pont. En effet, les fleuves, et souvent même de minces rivières, formaient la limite entre des territoires appartenant à divers seigneurs, et l’établissement d’un pont détruisait cette limite ; chacun alors cherchait à fermer cette communication d’un territoire à l’autre par un châtelet, ou bien s’opposait simplement à son établissement. La division féodale, bien plus encore que l’impuissance des constructeurs ; devenait un obstacle à l’établissement des ponts.

On ne pouvait établir des forteresses sur les ponts que sur l’autorisation des fondateurs ; mais il faut croire que la nécessité fit souvent enfreindre cette condition, car nous ne connaissons pas de pont important du moyen âge qui ne soit défendu. On ne pouvait non plus y établir des péages que du consentement des fondateurs[6]. Guillaume le Grand, duc d’Aquitaine, par une charte de 998, défend pour toujours de percevoir des péages au passage du Pont royal. « Eudes, comte de Chartres, de Tours et de Blois, fit une défense analogue en 1036. Il déclara qu’ayant fait bâtir un pont à Tours dans le seul but de faire une action méritoire pour le salut de son âme, il ne voulait pas qu’il y fût perçu des droits d’aucune espèce[7]. » Il n’entrait vraisemblablement pas dans la pensée des fondateurs du pont d’Avignon d’y établir des défenses, au moins du côté de la rive droite, et cependant nous voyons qu’un siècle après sa construction, le roi de France plante sur cette rive une forteresse qui en défend l’entrée ou la sortie, et que les papes, cinquante ans après, bâtissent un châtelet sur la rive gauche. Ainsi ce pont, d’utilité publique s’il en fut, vit ses deux issues fermées par les deux seigneurs qui occupaient chacune des rives.

Les péages perçus au passage des ponts étaient ordinairement affectés à leur entretien ; mais on comprend que ces ressources étaient souvent détournées de leur emploi ; aussi la plupart de ces ponts étaient mal entretenus. La plupart de ceux qui nous restent accusent des dégradations profondes, et qui datent de plusieurs siècles : « En temps de guerre, le seigneur d’épée avait, dans bien des provinces de France, le droit de faire démolir les ponts, même ceux à la construction desquels il n’avait pas contribué ; mais il fallait un cas de salut commun. Cependant il était nécessaire d’obtenir une permission spéciale du seigneur d’épée pour pouvoir réédifier ce pont démoli dans un but d’utilité momentanée[8]. » C’est ainsi que beaucoup de ponts du moyen âge furent coupés, et ne furent réparés que provisoirement, ce qui contribua encore à leur ruine. Le pont de Saint-Bénezet se trouvait précisément dans ce cas. Ce qu’il en reste nous permet d’en étudier et d’en décrire la construction. Les arches avaient de 20 à 25 mètres d’ouverture, et étaient au nombre de dix-huit. Dans l’île qui sépare les deux bras du Rhône, la chaussée était percée d’arches, aussi bien que sur les deux cours d’eau. Sur le grand bras, le pont, du côté de Villeneuve, formait un angle obtus, comme pour mieux résister à l’effort du courant. Mais nous reviendrons tout à l’heure sur cette disposition générale.
Voici, figure 1, en A, le géométral d’une des arches, avec deux des piles. Il est à remarquer que sur quatre piles qui existent encore entières, il en est deux qui sont construites suivant le tracé B et deux suivant celui C. Sur l’une de celles conformes au profil C, la plus rapprochée de la ville, est bâtie la petite chapelle dédiée à Saint-Nicolas, dans laquelle étaient déposées les reliques de saint Bénezet. Le sol de cette chapelle est placé à 4m,50 au-dessous du tablier du pont, et l’on y descend par un escalier pratiqué partie en encorbellement, partie aux dépens de l’épaisseur du pont, ainsi que le fait voir le plan D[9]. Pour passer devant la chapelle, il n’était laissé au tablier en E qu’une largeur de 2 mètres, compris l’épaisseur du bahut. Par une arcade on pouvait voir du tablier l’intérieur de la chapelle, et une autre arcade en contre-bas ouvrait celle-ci vers l’aval, sur l’éperon. L’autre pile, construite de même avec des trompes, ne semble pas avoir été destinée à recevoir un autre édicule[10] ; peut-être ne formait-elle qu’une gare bien nécessaire sur un point aussi étroit et aussi long. Ces piles avec trompes alternaient probablement avec celles qui n’en possédaient pas, et qui sont conformes au profil B. Les arches ne sont pas tracées suivant un arc de cercle, mais forment une ellipse, ainsi que le montre la figure, obtenue au moyen de trois centres. C’était un moyen de donner plus de puissance aux reins des arcs, et de permettre l’établissement des trompes avec escaliers. Les piles qui possèdent des trompes étaient percées de trois arcades, au lieu d’une seule, au-dessus des éperons (la chapelle bouchant l’arcade centrale dans la pile C). Cette précaution était bien nécessaire pour donner une issue aux crues du fleuve, car les eaux s’élèvent parfois jusqu’au niveau G[11].

En H nous donnons la section d’une arche, avec le profil en travers de la pile B. Ces arches sont construites au moyen de quatre rangées de claveaux de 70 centimètres de hauteur juxtaposés. Ce sont de véritables arcs-doubleaux parfaitement appareillés, dont les lits se suivent, mais qui ne se liaisonnent point entre eux. Ils ne sont rendus solidaires que par le massif de maçonnerie qui les surmonte et les charge. Il est à croire que les maîtres pontifes avaient voulu en cela copier un monument romain assez voisin, l’aqueduc du Gard, dont les arches maîtresses sont construites suivant ce système. En K nous présentons un tracé perspectif des trompes posées en a à deux des quatre piles existantes, avec l’arrangement de l’escalier en encorbellement qui permet de descendre dans la chapelle.

Nous ne savons aujourd’hui comment le pont d’Avignon se terminait du côté de la ville, lorsqu’il fut construit à la fin du XIIe siècle. Très-élevé au-dessus du sol des rues, il aboutissait déjà probablement à une défense d’où l’on descendait dans la cité. Au XIVe siècle, les papes le terminèrent par un nouveau châtelet très-fort qui défendait l’entrée de la ville ; mais si l’on ne voulait pas entrer dans la cité, ou si les portes du châtelet se trouvaient fermées, on pouvait du tablier du pont, descendre sur le quai qui longe le rempart, par un large emmarchement placé en amont.

Du côté du Languedoc on se heurtait, en traversant le pont, contre la tour formidable de Villeneuve et ses défenses accessoires ; on entrait dans l’enceinte de la forteresse, ou bien, tournant à droite et passant par une porte, on entrait dans l’enceinte extérieure de Villeneuve.
La figure 2 présente un aspect général du pont d’Avignon, avec le coude qu’il formait vers le milieu du grand bras. Au bas de la figure est le châtelet actuel bâti par les papes. En A est l’île traversée par le pont, et souvent inondée ; à l’extrémité supérieure, la tour de Villeneuve. Toute la construction du pont, sauf les revêtements des éperons et les arches, est faite en très-petit appareil assez semblable à celui qui revêt les tympans de l’étage supérieur de l’aqueduc du Gard. Les massifs sont bien pleins et maçonnés avec soin, le mortier excellent. La pierre provient des carrières de Villeneuve et n’est pas d’une très-bonne qualité. Il est à croire que si ce pont eût été entretenu comme le pont Saint-Esprit bâti peu après, il se fût conservé jusqu’à nos jours, car il était établi dans d’excellentes conditions, et presque toutes ses piles posaient sur le roc vif ; mais, ainsi qu’on l’a vu plus haut, les hommes contribuèrent autant que les eaux terribles du Rhône à le détruire. Depuis l’époque où l’on dut renoncer à se servir de ce moyen de traverser le fleuve, on a établi en aval un pont de bois souvent endommagé par les crues du Rhône, et sur le petit bras, depuis trente ans, un pont suspendu dont la durée est fort compromise. En jetant les yeux sur notre figure 2, on observera que le pont d’Avignon ressemble assez à une passerelle de planches posée sur des bateaux. Les frères pontifes, pour résister à l’action puissante du courant du Rhône sur ce point, surtout pendant les crues, n’avaient rien imaginé de mieux que d’établir en pierre et à demeure ce que le sens vulgaire indique de faire lorsqu’on établit un pont de bateaux, et ce n’était pas trop mal imaginé.

Dans le pays de Saint-Savourin-du-Port, sur le Rhône, appartenant à l’abbaye de Cluny, un abbé de cet ordre, Jean de Tensanges, fit commencer en 1265 le pont Saint-Esprit, sur lequel on passe encore aujourd’hui. Trente années furent employées à sa construction. La largeur de son tablier est de 5 mètres, et sa longueur de 1 000 mètres environ ; le nombre de ses arches est de vingt-deux. Celles-ci sont plein cintre, et n’offrent pas la particularité dans leur tracé que l’on observe au pont de Saint-Bénezet. Elles sont cependant construites au moyen de rangs de claveaux juxtaposés. Dans les tympans, des arcades permettent aux crues du fleuve de trouver passage. Le pont Saint-Esprit fut la dernière œuvre des frères hospitaliers pontifes. Dès lors le relâchement de cet ordre contribua à sa complète décadence. Il faut dire qu’à dater du XIIIe siècle, dans les constructions civiles et religieuses, les écoles des maîtres des œuvres laïques avaient remplacé partout les corporations religieuses, les villes comme les seigneurs n’avaient plus besoin de recourir aux frères constructeurs de ponts et autres. Le pont Saint-Esprit forme un coude à l’opposite du courant sur le grand bras du Rhône, comme le pont d’Avignon. Il était encore fermé à ses deux extrémités par des portes au XVIIe siècle, et aboutissait du côté du bourg à une défense assez importante du XIVe siècle, qui, plus tard, fit corps avec la citadelle qui commandait le cours du fleuve en amont. On peut prendre une idée de ces défenses en jetant les yeux sur la gravure donnée dans la Topographie de la Gaule[12].

Parmi les ponts du XIIe siècle que nous possédons encore en France, il faut citer le vieux pont de Carcassonne, bâti par les soins de la ville en 1184. Le péage de ce pont était destiné à son entretien. Ses arches sont plein cintre, bâties par claveaux reliés, mais non juxtaposés comme ceux du pont d’Avignon. Ses éperons aigus en aval comme en amont s’élèvent jusqu’au tablier, et forment des gares fort utiles, ce tablier n’ayant pas plus de 5 mètres de largeur. Il était autrefois défendu du côté opposé à la cité (rive gauche) par une tête de pont formidable qui enveloppait à peu près tout le faubourg actuel. Une chapelle du XVe siècle est accolée à sa première culée, en amont de ce côté. Sur la rive de la cité, il se reliait aux défenses de cette forteresse par une ligne de courtines flanquées. Ce pont sert encore aujourd’hui, bien qu’il soit depuis longtemps fort mal entretenu.

Le pont vieux de Béziers date à peu près de la même époque. Les arches sont plein cintre, celle du milieu plus élevée que les autres, de sorte que le tablier forme deux pentes peu prononcées. Les tympans de ce pont sont évidés par des arcades en prévision des crues de l’Hérault, et ses piles, plates du côté d’aval, sont en éperon du côté d’amont.
Nous donnons (fig. 3) l’arche centrale de ce pont, avec son plan en A, et un détail B, indiquant la construction des avant-becs et des arches du côté d’amont. Son tablier a 5m,60 de largeur. Les tabliers des ponts d’Avignon et de Saint-Esprit sont de niveau, ce qu’explique d’ailleurs l’énorme longueur de ces ponts ; mais les ponts du moyen âge, d’une longueur ordinaire, présentent ordinairement deux pentes, l’arche centrale étant plus élevée et plus large que les arches latérales, afin de faciliter la navigation, et de laisser au milieu des rivières un débouché plus large et plus élevé aux crues. Cependant il est clair que les architectes cherchaient, autant que faire se pouvait, à éviter ces pentes, et beaucoup de leurs tabliers sont presque de niveau du moment que la situation des lieux leur permettait d’établir des quais et des culées élevés. Toutefois, alors qu’ils n’étaient pas forcés d’évider les tympans en prévision de fortes crues, ils se servaient des éperons des piles pour former des gares d’évitement, et ce programme leur a fourni de bons motifs d’architecture. Les exèdres du Pont-Neuf à Paris sont une tradition de cette disposition, qui, du reste, date de l’antiquité.

Il était pourvu à l’entretien des ponts, dit M. le baron de Girardot[13], « au moyen des péages appelés pontage, pontonage, pontenaye, pontonatge, enfin billette ou branchiette, à cause du billot ou de la branche d’arbre où l’on attachait la pancarte indicative des droits à payer. Le péage se percevait pour le passage en dessus, ou pour le passage en dessous. Un droit sur le sel transporté par bateaux fournissait à l’entretien coûteux du pont Saint-Esprit et des enrochements, sans cesse renouvelés, qui préservaient les piles des affouillements à redouter, à cause de la rapidité du fleuve. Les péages sur les ponts très-anciens avaient été établis de l’autorité des seigneurs ; mais, lorsque le pouvoir royal eut avancé son œuvre de centralisation, le roi seul put en établir à son profit ou à celui des engagistes du domaine, soit des cessionnaires à titre d’inféodation ou d’octroi. Les seigneurs hauts justiciers ne furent maintenus dans leur droit, à cet égard, qu’en justifiant d’une très-ancienne possession. »

Le seigneur était tenu, moyennant le péage, d’entretenir les ponts ; mais souvent le pont détruit, on continuait à percevoir le droit, sinon sur le pont, du moins sur la navigation ; de sorte que des ponts en ruine qui devenaient déjà un obstacle pour les mariniers, étaient encore pour eux une occasion de payer un droit de passage. « Dans l’origine, ajoute M. le baron de Girardot, le droit de péage emportait l’obligation d’assurer aux voyageurs la sûreté de leurs personnes et de leurs effets ; en cas de vol ou de meurtre, le seigneur était tenu d’indemniser la victime ou ses ayants droit. On cite les arrêts rendus dans ce sens contre le sire de Crèvecœur en 1254, le seigneur de Vicilon en 1269, et d’autres de cette même époque ; quelques-uns même contre le roi, pour des vols commis sur sa justice (1295). Toutefois cette responsabilité n’avait lieu que pour le jour et non pour la nuit. » Ceci explique comment tous les ponts du moyen âge sont munis de postes qui permettaient d’abord de percevoir le péage, puis de maintenir la police sur leur parcours et dans les environs. Beaucoup de ces tours et châtelets qui munissent les issues des ponts, et quelquefois leur milieu, sont donc de véritables corps de garde et bureaux de péage. Cependant, le plus habituellement, il faut voir dans ces logis de véritables défenses, si, par exemple, les ponts donnent accès dans des bourgs ou villes défendus. C’est ainsi que le vieux pont de Saintes, démoli aujourd’hui, mais que nous avons vu à peu près entier il y a vingt-cinq ans, formait, sur la Charente, un obstacle formidable, soit contre les bateaux arrivant avec une intention hostile, soit contre des partis se présentant par la rive droite. Ce pont était bâti sur des piles romaines, et présentait même encore sur l’une d’elles, vers la rive droite, une porte antique formant arc triomphal à deux ouvertures[14]. La vue, figure 4, donne une idée de la disposition générale de ce pont défendu par une suite d’ouvrages importants.
D’abord, du côté du faubourg des Dames, situé sur la rive droite de la Charente, se présentait une première porte ; puis venait l’arc romain crénelé dans sa partie supérieure pendant le moyen âge ; puis, du côté de la ville, une tour à section ovale à travers laquelle il fallait passer[15] ; puis, enfin, la porte de la ville, flanquée de tourelles. De la porte sur le faubourg des Dames à l’arc antique, le pont était construit en bois, ainsi que de la grosse tour à la porte de la ville, de sorte que le tablier de ces fragments de pont pouvant être facilement enlevé, toute communication entre la ville et le faubourg, ou la ville et la grosse tour, était interrompue. Les arches du pont reconstruit au moyen âge sur des piles romaines étaient en tiers-point, et le tablier du pont peu relevé au centre. La grosse tour, non-seulement défendait le pont, mais commandait la porte de la ville en cas qu’elle fût tombée au pouvoir d’un ennemi débarquant sur la rive gauche, et dominait le cours du fleuve. Le parapet du pont était autrefois crénelé, afin de permettre à la garnison de la tour de barrer absolument la navigation. Ces défenses ne remontaient pas au delà de la fin du XIVe siècle. Quant au pont lui-même, il datait de plusieurs époques, autant que les reprises successives faites dans les arches permettaient de le reconnaître[16]. Le pont de Saintes, bien que privé de sa grosse tour et de ses défenses vers la ville, ne laissait pas, il y a vingt ans, de présenter un véritable intérêt ; il a été démoli sans raison sérieuse et remplacé par un pont suspendu qui, bien entendu, devra bientôt être refait, la durée de ces sortes de ponts ne dépassant guère un demi-siècle.

Nos vieilles villes françaises, qui la plupart présentaient, il y a peu de temps, un caractère particulier, et qu’on aimait à visiter ainsi parées encore de leurs monuments, ont laissé détruire, sous l’influence d’un engouement passager, bien de précieux débris. Espérons que leurs conseils municipaux, mieux instruits de leurs véritables intérêts, conserveront religieusement les restes de leur ancienne splendeur, respectés par le temps, quand ces restes d’ailleurs ne peuvent en aucune façon entraver les développements de l’activité moderne, et sont un attrait pour les voyageurs. L’arc romain de Saintes, si précieux sur le pont, fait aujourd’hui sur la rive la plus étrange figure, et semble être un édifice échoué là par hasard.

La ville de Cahors n’a heureusement pas encore détruit son merveilleux pont de la Calendre, l’un des plus beaux et des plus complets que nous ait légués le XIIIe siècle. La construction du pont de la Calendre remonte à l’année 1251, et mérite une étude spéciale. Ce pont se reliait aux murailles de la ville, commandait le cours du Lot, et battait les collines qui sont situées sur la rive opposée. La ville de Cahors possédait trois ponts à peu près bâtis sur le même modèle ; le pont de la Calendre est celui des trois qui est le mieux conservé. Il se compose de six arches principales en tiers-point, fort élevées au-dessus de l’étiage.
Sur la pile centrale et les deux piles extrêmes (fig. 5), s’élèvent trois tours : celle du centre carrée et les deux extrêmes sur plan barlong. Du tablier du pont des escaliers crénelés permettent de monter au premier étage de ces tours. La ville est située en A. Sur la rive opposée en B se dressent, abruptes, des collines calcaires assez hautes. On arrivait au pont latéralement, en suivant le cours du Lot, soit en amont, soit en aval, ainsi qu’on le voit en C. Il fallait alors franchir une porte défendue par un châtelet D, qui commandait la route et les escarpements inférieurs de la colline B. Cette porte double donnait entrée à angle droit sur le tablier du pont, en avant de la première tour E. Les parapets de cette première travée étaient crénelés, et communiquaient, d’un côté, par un escalier également crénelé F, avec les défenses supérieures du châtelet. Il fallait alors franchir la tour E, bien défendue dans sa partie supérieure par des mâchicoulis, et par une porte avec mâchicoulis intérieur. La porte E franchie, on entrait sur la première moitié du pont commandée par la tour centrale G, à laquelle on montait par un escalier contenu dans un ouvrage construit sur l’un des avant-becs. Cette tour centrale était de même fermée par une porte. Celle-ci franchie, on entrait sur la seconde moitié du tablier, commandée par la troisième tour H, munie à son sommet de mâchicoulis. Du côté de la ville une dernière porte I défendait les approches de cette troisième tour, à laquelle on montait par un escalier crénelé posé sur un arc-boutant. Les avant-becs servaient de gares d’évitement, et étaient crénelés de manière à flanquer le pont et à battre la rivière. Tous ces ouvrages, sauf le châtelet D[17] et les crêtes crénelées des parapets des avant-becs, sont encore intacts, et présentent, comme on le voit, un fort bel ensemble. La construction est faite en bons matériaux ; les claveaux des arches sont extradossés, ce qui est une condition de solidité et d’élasticité. Nous observerons, à ce propos, que les ponts romains, aussi bien que ceux du moyen âge, présentent toujours des arcs extradossés, et ce n’est pas sans raison. En effet, lorsque de lourds fardeaux passent sur les arches, pour peu qu’elles aient une assez grande portée, il se produit dans les reins un mouvement sensible de trépidation : si les claveaux sont indépendants de la construction des tympans, ils conservent leur élasticité et ne peuvent répercuter au loin l’ébranlement ; mais si au contraire ces claveaux sont à crossettes ou inégaux, c’est-à-dire s’ils sont plus épais dans les reins qu’à la clef, le mouvement oscillatoire se produit sur toute la longueur du pont, et fatigue singulièrement les piles. On peut observer ce fait sur le pont Louis XV, à Paris, bâti par le célèbre ingénieur Perronnet. Lorsqu’un chariot lourdement chargé passe sur l’arche centrale, on en ressent un ébranlement sensible sur toute la longueur du pont. Pour obvier au danger de cette oscillation, l’ingénieur Perronnet avait pour habitude de cramponner en fer les queues des claveaux ; mais s’il assurait ainsi la solidarité de toutes les parties du pont, il plaçait un agent destructeur très-actif dans la maçonnerie, agent qui tôt ou tard causera des désordres notables. Les arcs extradossés, suivant la méthode romaine et du moyen âge, ont au contraire l’avantage de rendre chaque arche indépendante, d’en faire un cerceau élastique qui peut se mouvoir et osciller entre deux piles sans répercuter cette oscillation plus loin. Nos ingénieurs modernes, mieux avisés, en sont revenus à cette méthode ; mais cela prouve que les constructeurs du moyen âge avaient acquis l’expérience de ces sortes de bâtisses. On pourra leur reprocher d’avoir multiplié les piles et resserré d’autant les voies de navigation ; mais il faut considérer que si les ponts du moyen âge étaient faits pour établir des communications d’une rive d’un fleuve à l’autre, ils étaient aussi des moyens de défense, soit sur la voie de terre, soit sur la voie fluviale, et que la multiplicité de ces piles facilitait singulièrement cette défense. D’ailleurs ces ponts ne s’élevaient pas, comme les nôtres, dans l’espace de deux ou trois ans. La pénurie des ressources faisait qu’on mettait dix et vingt ans à les construire ; dès lors il ne fallait pas que la fermeture d’une arche pût renverser les piles voisines, et celles-ci devaient être assez fortes relativement et assez rapprochées, pour résister aux poussées. C’est la nécessité où l’on se trouvait de bâtir ces ponts par parties qui faisait adopter dans quelques cas la courbe en tiers-point pour les arches, cette courbe poussant moins que la courbe plein cintre.

Le pont de la Calendre, à Cahors, possède des avant-becs en aval comme en amont, et par conséquent des gares flanquantes et d’évitement sur les deux côtés du tablier. C’est encore une raison de défense qui a motivé cette disposition, car partout où les ponts n’ont pas cette importance au point de vue militaire, s’il est pratiqué des avant-becs aigus en amont, les piles sont plates du côté d’aval, comme par exemple au pont de Saint-Étienne, à Limoges, décrit par M. Félix de Verneilh dans les Annales archéologiques[18]. Ce savant archéologue, auquel nous devons des travaux si précieux sur les monuments français du moyen âge, a observé aussi que dans plusieurs de ces ponts du Limousin, dont les piles sont très-épaisses relativement aux travées des arches, ces piles ne sont souvent composées que d’un parement de granit, au milieu duquel est pilonné un massif de terre. C’était là un moyen économique dont nous avons pu constater l’emploi, et qui remonte, pensons-nous, à une assez haute antiquité, car des restes de piles romaines nous ont présenté la même particularité. Les avant-becs de plusieurs ponts du Limousin donnent en section horizontale, non point un angle aigu ou droit, mais une courbe en tiers-point, ce qui avait l’avantage de permettre le glissement de l’eau courante et de donner plus de force à ces éperons ; car il est clair (fig. 6), que la section A présente une plus grande surface que la section B, par conséquent plus de poids et de résistance.

Revenons au pont de Cahors. On remarquera (fig. 5) que les escaliers extérieurs conduisant aux tours sont ouverts du côté de la ville, le long du parapet, de telle sorte que si le châtelet D était pris, fermant la porte de la tour E, les défenseurs pouvaient accabler les assaillants et recevoir des renforts de la ville. Seul l’escalier de la tour centrale G est pratiqué dans un exhaussement de l’avant-bec ; son entrée étant placée sous le passage, mais masquée, bien entendu, par la porte qui fermait ce passage. L’escalier de la dernière tour H est en communication avec le crénelage du poste I, et le poste, fermé du côté de la ville, était destiné à présenter un premier obstacle aux assaillants qui auraient pu faire une descente sur la rive de ce côté. Nous donnons (fig. 7) une vue perspective à vol d’oiseau de la tour E sur la rive opposée à la ville et de ses dépendances.
Outre le châtelet extérieur A, une défense basse formait tête de pont sur cette rive, empêchait de débarquer près de la tour, et présentait un premier obstacle sur la route B. On remarquera dans cette figure la disposition des mâchicoulis avec petits arcs plein cintre. Chacun de ces arcs est porté par une console composée de quatre assises en encorbellement qui reçoivent une languette de maçonnerie dans la hauteur du coffre, de sorte que chaque arc fait un assommoir séparé s’ouvrant par une baie dans l’étage supérieur. Au-dessus des mâchicoulis, couverts par de grandes dalles, sont percés quatre créneaux très-rapprochés, permettant le tir de l’arbalète suivant un angle plus ou moins ouvert. Le premier et le second étage sont chacun percés d’une seule archère sur chaque face. L’avant-bec que l’on voit dans notre figure indique le système adopté par le maître de l’œuvre pour élever la construction. Ces avant-becs sont percés parallèlement au tablier, à la hauteur de la naissance des arches, de passages au-dessous desquels on voit trois trous destinés à poser des sapines en travers, et un petit plancher formant passerelle. Les cintres des arches étaient eux-mêmes posés dans des trous de scellement restés apparents. Ainsi le service des maçons se faisait par cette passerelle à travers les avant-becs. Sur cette passerelle les matériaux étaient bardés, enlevés par des grues mobiles et posés sans nécessiter aucun autre échafaudage. Comme le fait observer M. Félix de Verneilh, dans la notice citée plus haut, les ponts du moyen âge étaient sujets à être coupés pendant les guerres continuelles de ces temps ; c’était là encore une raison qui obligeait les constructeurs de donner aux piles une forte épaisseur, car il ne fallait pas, si l’on était dans la nécessité de couper une arche, que les autres vinssent à fléchir. Mais aussi en prévision de cette éventualité, beaucoup de ponts de pierre avaient des travées mobiles en bois. Nous avons vu tout à l’heure que le pont de Saintes possédait deux portions de tabliers de charpente : l’un du côté du faubourg, l’autre du côté de la ville. Certains ponts de pierre étaient munis de véritables ponts-levis : tels étaient ceux de Poissy, d’Orléans, de Charenton, de la Guillotière à Lyon, de Montereau, etc. Parfois aussi les ponts ne se composaient que de piles de maçonnerie avec tabliers de charpente couverts ou découverts.

Les exemples que nous venons de donner démontrent assez l’importance des ponts pendant le moyen âge comme moyen de communication et comme défense. Certains ponts plantés au confluent de deux rivières se reliaient à de véritables forteresses : tel était, par exemple, le pont de Montereau. Vers l’an 1026, un comte de Sens avait fait construire sur l’extrémité de la langue de terre qui se trouve au confluent de l’Yonne et de la Seine un donjon carré très-fort qui servit de point d’appui à un vaste châtelet, auquel aboutissait le pont traversant les deux rivières. Ce pont était en outre fermé à ses deux extrémités par des portes fortifiées. Cet ensemble de défenses existait encore au XVIIe siècle, ainsi que le démontre la gravure de Mérian[19].

Le pont d’Orléans, sur la disposition duquel il reste de curieux documents, est, au point de vue de la défense, un exemple à consulter. Tout le monde sait de combien de faits d’armes il fut le témoin lors du siège entrepris en 1428 par les Anglais. Or voici, au moment de ce siège, quels étaient les ouvrages qui faisaient de ce pont une défense importante. Placé sur la route qui reliait le nord au midi de la France à la distance la plus rapprochée de Paris, il était essentiel de le bien munir.

À l’époque donc où les Anglais vinrent assiéger Orléans, ceux-ci, suivant la rive gauche, se présentèrent, le 12 octobre 1428, par la Sologne, devant le boulevard des Tourelles (fig. 8, situé en A). Ce boulevard n’était alors qu’un ouvrage de terre et de bois. Le 22, ils s’en emparèrent, et les habitants d’Orléans abandonnèrent le fort des Tourelles B, pour se retirer dans la bastille Saint-Antoine F, située dans l’île, après avoir eu la précaution de couper l’arche I de cette partie du pont. Les Anglais, de leur côté, coupèrent l’arche K. Les gens d’Orléans établirent à la hâte un boulevard de bois à la Belle-Croix, en C. Ce fut dans cet espace étroit qu’eurent lieu quelques-uns des faits d’armes de ce siège mémorable. La bastille Saint-Antoine F était précédée d’une chapelle D placée sous le vocable de ce saint, et d’une aumônerie E destinée à recevoir les pèlerins et voyageurs attardés. En H était la porte de la ville, et en G le châtelet. Après la levée du siége, l’ouvrage des Tourelles fut réparé, ainsi que le boulevard A. Cette fois, ce boulevard fut revêtu en pierre, ainsi que le fait connaître un plan sur parchemin dressé par un sieur Fleury, arpenteur, en 1543, et reproduit en fac-simile par M. Jollois, dans son Histoire du siège d’Orléans[20].

Un second pont-levis était pratiqué en avant de la porte H de la ville. Une vue perspective à vol d’oiseau (fig 9) présente l’entrée du pont d’Orléans, avec son boulevard sur la rive gauche, du côté de la Sologne, après les réparations faites depuis le siège de 1428.
Plus tard, en 1591 et 1592[21], on reconstruisit ce boulevard A avec casemates en forme de ravelin à doubles tenailles, ainsi que des fouilles récentes l’ont fait reconnaître. Mais alors la porte des Tourelles existait encore. Le boulevard reproduit dans notre figure 9 était entouré d’un fossé rempli par les eaux de la Loire, et muni d’un pont-levis s’abattant parallèlement à la rivière.

Un second pont-levis séparait (comme au temps du siège) le boulevard du fort des Tourelles. Ce fut en effet, en voulant défendre ce pont-levis, attaqué par les gens d’Orléans, après la prise du boulevard, que périt le capitaine anglais et quelques hommes d’armes avec lui. Jeanne Darc y fit mettre le feu au moyen d’un bateau chargé de matières combustibles. L’existence de ce pont-levis en 1428 ne saurait donc être douteuse. Ce qu’on appelait la Belle-Croix, située en C sur l’avant-bec d’une des piles du pont, était un monument de bronze, consistant en un crucifix érigé sur un piédestal orné de bas-relief représentant la sainte Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint Jacques, saint Étienne, et les évêques saint Aignan et saint Euverte. Il était en effet d’un usage général de placer une croix sur le milieu des ponts, pendant le moyen âge. En avant du boulevard des Tourelles était situé le couvent des Augustins, que les habitants d’Orleans jetèrent bas à l’arrivée des Anglais, pour débarrasser les abords du châtelet. Cependant ce monastère était lui-même entouré d’une clôture et d’un fossé, et pouvait servir de défense avancée. On n’arrivait donc devant l’entrée du pont d’Orléans, comme devant l’entrée du pont de la Calendre à Cahors, que latéralement.

On conçoit quelles difficultés le régime féodal devait apporter dans la construction des ponts. Ce n’était ni la science pratique, ni la hardiesse, ni même les ressources qui manquaient lorsqu’il était question d’établir un pont sur un large cours d’eau, mais bien plutôt le bon vouloir d’autorités intéressées souvent à rendre les communications d’un pays à l’autre difficiles. On reconnaît, par les exemples déjà donnés, que si les ponts réunissaient deux rives d’un fleuve, on cherchait à accumuler sur leurs parcours le plus d’obstacles possible. On possède sur la construction du pont de Montauban des documents complets et étendus qui démontrent assez quels étaient les obstacles de toute nature opposés à ces sortes d’entreprises. Dès 1144, le comte de Toulouse, Alphonse Jourdain, en donnant aux bourgeois de Montauriol l’autorisation de fonder la ville de Montauban sur les bords du Tarn, insère dans la charte de fondation cette clause : « Les habitants dudit lieu construiront un pont sur la rivière du Tarn, et, quand le pont sera bâti, le seigneur comte s’entendra avec six prudhommes, des meilleurs conseillers, habitants dudit lieu, sur les droits qu’ils devront y établir, afin que ledit pont puisse être entretenu et réparé[22] » Mais la ville naissante était trop pauvre pour pouvoir mettre à exécution une pareille entreprise. Puis vinrent les guerres des Albigeois qui réduisirent ce pays à la plus affreuse détresse. Ce n’est qu’en 1264 que les consuls de Montauban prennent des mesures financières propres à assurer la construction du pont sur le Tarn. En 1291, la ville achète l’île des Castillons ou de la Pissotte, pour y asseoir plusieurs des piles de l’édifice. C’était à l’un des rois qui ont le plus fait pour établir l’unité du pouvoir en France, qu’il était réservé de commencer définitivement cette entreprise[23]. Philippe le Bel, étant venu à Toulouse pour terminer les différends qui existaient entre le comte de Foix et les comtes d’Armagnac et de Comminges, chargea de la construction du pont de Montauban deux maîtres, Étienne de Ferrières, châtelain royal de la ville, et Mathieu de Verdun, bourgeois, en soumettant tous les étrangers passant à Montauban à un péage dont le produit devait être exclusivement réservé au payement des frais de construction, et en accordant aux consuls, aux mêmes fins, une subvention (1304). Le roi toutefois imposa comme condition de bâtir sur le pont trois bonnes et fortes tours « dont il se réservait la propriété et la garde ». Deux de ces tours devaient s’élever à chaque extrémité, la troisième au milieu[24]. Ce ne fut cependant qu’après des vicissitudes de toutes sortes que l’entreprise put être achevée ; les sommes destinées à la construction ayant été, à diverses reprises, détournées par les consuls. Les travaux furent terminés seulement vers 1335. Ce pont est entièrement bâti de brique ; sa longueur est de 250m,50 entre les deux culées. Son tablier est parfaitement horizontal et s’élève de 18 mètres au-dessus des eaux moyennes du Tarn. Il se compose de sept arches en tiers-point de 22 mètres d’ouverture en moyenne, et de six piles dont l’épaisseur est de 8m,55, munies d’avant-becs en amont comme en aval, et percées au-dessus de ces éperons de longues baies en tiers-point pour faciliter le passage des eaux pendant les crues. Les briques qui ont servi à la construction de ce pont sont d’une qualité excellente, et portent 5 centimètres d’épaisseur sur 40 centimètres de longueur et 28 centimètres de largeur[25].

La tour la plus forte était située du côté opposé à la ville ; ces tours extrêmes étaient carrées, et couronnées de plates-formes avec mâchicoulis et créneaux. La tour centrale, bâtie sur l’arrière-bec, d’aval était triangulaire, et possédait un escalier à vis descendant jusqu’à une poterne percée au niveau de la rivière du côté de la ville. Cet escalier donnait en outre accès sur l’avant-bec de la même pile, au niveau du seuil des baies ogivales posées à travers les autres piles. Là était disposée une bascule qui portait une cage de fer destinée à plonger les blasphémateurs dans le Tarn. Suivant l’usage, une chapelle avait été disposée au niveau du tablier dans la tour centrale, et était placée sous le vocable de sainte Catherine.

Nous ne ferons que citer ici un certain nombre de ponts de pierre du moyen âge qui méritent de fixer l’attention. Ce sont les ponts de Rouen, rebâti à plusieurs reprises, et démoli pendant le dernier siècle ; de l’Arche, démoli depuis peu, et qui datait de la fin du XIIIe siècle, bien qu’il eût été coupé et réparé plusieurs fois pendant les XIVe et XVe siècles ; de Poitiers, avec deux portes fort belles à chacune de ses extrémités, et dont on possède de bonnes gravures ; de Nevers, démoli il y a peu d’années ; de Tours ; d’Auxerre, qui possédait une belle tour à l’une de ses extrémités, et que l’abbé Lebeuf a encore vue ; de Blois, de Tonnerre ; de Sens, terminé du côté de la ville par une tour considérable ; de Mâcon, etc. Il est certain que le système féodal était le plus grand obstacle à l’établissement des ponts, au moins sur les larges cours d’eau, mais que le cas échéant, les maîtres du moyen âge savaient parfaitement se tirer d’affaire lorsqu’une volonté souveraine et que des ressources suffisantes les mettaient à même de construire ces édifices d’utilité publique. L’établissement des grands ponts était habituellement dû à l’intervention directe du suzerain, et c’était en effet un des moyens matériels propres à rendre effective l’autorité royale dans les provinces. Ainsi voyons-nous qu’à Montauban, le roi Philippe le Bel, en accordant des subsides pour la construction du pont, met pour condition que les trois tours demeureront en la possession de ses gens.

Bien entendu, entre toutes les villes du royaume, Paris possédait plusieurs ponts dès une époque très-reculée. Du Breul[26] nous a laissé l’histoire de ces ponts modifiés, détruits, refaits bien des fois, soit en bois, soit en pierre. Une des causes de la ruine des ponts de Paris, était ces maisons et ces moulins dont on permettait l’établissement sur les piles et les arches. Les plus anciens de ces ponts étaient le pont au Change et le Petit-Pont, le premier ayant une bastille vers la rue Saint-Denis, appelé le grand Châtelet, l’autre vers la rue Saint-Jacques, appelée le petit Châtelet. Bien que les deux châtelets existassent déjà du temps de Philippe-Auguste, puisque les comtes de Flandre et de Boulogne y furent tenus prisonniers après la bataille de Bouvines, cependant ces deux défenses avaient été rebâties en grande partie, sinon en totalité, à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe siècle, après les crues terribles de 1280 et de 1296, qui ruinèrent les deux ponts.

À la suite de ce désastre, le Petit-Pont fut refait en pierre, en 1314, au moyen d’amendes prélevées sur des juifs. Quant au pont au Change, on se contenta de le réédifier en bois. Le pont Notre-Dame, dont quelques historiens font remonter la construction vers le milieu du XIVe siècle, fut refait aux frais de la ville, en 1413. Cette reconstruction, probablement en bois, menaçait ruine en 1440, puisque, le 13 février de cette année, le parlement, par un arrêt, décida que ce pont serait entièrement rétabli. Ce projet ne fut point suivi d’exécution, et en 1498 le pont Notre-Dame s’écroula avec toutes les maisons qui le bordaient. « Ce pont de bois, dit un chroniqueur[27], contenoit dix-huit pas en largeur et estoit soutenu sur dix-sept rangées de pilotis, chacune rangée ayant trente pilliers ; l’espoisseur de chacun de ces pilliers estoit un peu plus d’un pied, et avoient en hauteur quarante-deux pieds. Ceux qui passoient pardessus ce pont, pour ne point voir d’un costé ny de l’autre la rivière, croyoient marcher sur terre ferme, et sembloient estre au milieu d’une rue de marchands, car il y avoit si grand nombre de toutes sortes de marchandises, de marchands et d’ouvriers sur ce pont, et au reste la proportion des maisons estoit tellement juste et égale en beauté, et excellence des ouvrages d’icelle, qu’on pouvoit dire avec vérité que ce pont méritoit avoir le premier lieu entre les plus rares ouvrages de France. »

À la suite du sinistre du 15 octobre 1498, le peuple de Paris accusa ses magistrats d’incurie et de malversation, et ceux-ci furent menés en prison ; après quoi la plupart furent condamnés à des amendes plus ou moins fortes. Il fallut songer à reconstruire le pont Notre-Dame. Les deux maîtres des œuvres de l’hôtel de ville, Colin de la Chesnaye pour la maçonnerie, et Gautier Hubert pour la charpente, furent chargés de l’entreprise, et on leur adjoignit Jean de Doyac, Didier de Félin, Colin Biart, André de Saint-Martin, ainsi que deux religieux, Jean d’Escullaint et Jean Joconde. Ces deux derniers étaient chargés du contrôle de la pierre de taille. Toutefois et contrairement à l’opinion de Sauval, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac avaient été commis à la superintendance de l’œuvre. « Seize hommes, pris dans les différents quartiers de la ville, travaillaient sous leurs ordres, et comme marque du pouvoir souverain qu’ils exerçaient, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac portaient un bâton blanc[28]. »

Le 28 mars 1499, les premières pierres du pont Notre-Dame furent posées par le gouverneur de Paris et les magistrats municipaux. Les travaux furent terminés au mois de septembre 1512. Deux rangs de maisons régulières d’aspect garnissaient les deux côtés de ce pont, et celles-ci ne furent démolies qu’en 1786.

Beaucoup trop de gens avaient été appelés à participer à la construction du pont Notre-Dame ; il en résulta des changements dans la direction de l’œuvre et des avis différents qui retardèrent l’entreprise. Il faut lire à ce sujet la curieuse notice publiée par M. Le Roux de Lincy, laquelle donne tout au long les avis demandés par les magistrats municipaux à diverses personnes considérées comme compétentes : les unes sont pour les pilotis, les autres les considèrent comme inutiles ; naturellement les charpentiers penchent pour les pilotis, les maçons pour les blocages. Cependant ce pont était fort bon et fort beau, il y a encore quelques années, et il ne semble pas qu’il fût très-nécessaire de le reconstruire[29].

Au moment de la reconstruction du pont Notre-Dame, c’est-à-dire au commencement du XVIe siècle, on prenait cette habitude, si fort en honneur aujourd’hui, de consulter quantité de gens de métier ou d’amateurs officieux en matières de travaux publics ; on accumulait ainsi des avis, des procès-verbaux qui ont certes un grand intérêt pour nous aujourd’hui, mais qui, au total, n’étaient guère profitables à l’œuvre et entraînaient souvent en des dépenses inutiles. En cela l’histoire de la construction du pont Notre-Dame rappelle passablement celle de beaucoup de nos édifices modernes. On faisait évidemment moins de bruit et l’on noircissait moins de papier autour de nos vieux ponts du moyen âge, commencés presque tous avec des ressources infimes et continués sans bruit, avec persistance, jusqu’à leur achèvement. Cependant ces ponts étaient solides et parfois très-hardis, puisque plusieurs d’entre eux, comme celui de Saint-Esprit par exemple, excitent notre admiration.

Les piles des ponts du moyen âge étaient élevées au moyen de bâtardeaux et rarement sur pilotis. On cherchait au fond du fleuve un lit solide, et l’on bâtissait dessus. Si l’on enfonçait des pilotis, c’était en amont des avant-becs, lorsque les fonds étaient sablonneux et pour éviter les affouillements. C’est ainsi que sont construites les piles du pont de la Guillotière à Lyon, qu’étaient fondées celles du Petit-Pont à Paris, du pont de l’Arche et du pont de Rouen. Quant aux arches, nous avons vu que celles des ponts Saint-Bénezet et Saint-Esprit sont composées de rangs de claveaux juxtaposés, non liaisonnés. Quelques arches de pont, d’une ouverture médiocre, notamment dans le Poitou, sont construites au moyen d’arcs-doubleaux séparés par un intervalle rempli par un épais dallage au-dessous du tablier, ainsi que l’indique la figure 10.


Ces arcs-doubleaux sont alors posés en rainure dans les piles et conservent une parfaite élasticité. Les eaux pluviales qui s’infiltrent toujours à travers le pavage passent facilement entre les joints des dalles, et ne salpêtrent pas les reins des arches, comme cela n’a que trop souvent lieu lorsque celles-ci sont pleines[30]. Ce système d’arches a encore l’avantage d’être léger, de moins charger les piles, et d’être économique, puisqu’il emploie un tiers de moins de matériaux clavés. Les tympans au-dessus de ces arcs-doubleaux sont élevés en moellon ou en pierre tendre, et peuvent être très-facilement remplacés sans qu’il soit nécessaire d’interrompre la circulation. Les exemples de ponts construits d’après ce système paraissent appartenir au commencement du XIIIe siècle, ou peut-être même à la fin du XIIe.

Pour diminuer la dépense considérable que nécessite un pont construit avec des arches de pierre, on prenait quelquefois le parti de n’élever que des piles en maçonnerie sur lesquelles on posait un tablier de bois. Tel avait été construit le pont traversant la Loire à Nantes (fig. 11).


Sur les avant-becs de ce pont s’élevaient de petites maisons louées à des marchands[31]. Entre quelques-unes des piles avaient été établis des moulins ; car il est à observer que presque tous les ponts bâtis très-proches des cités populeuses, ou compris dans leur enceinte, étaient garnis de maisons, de boutiques et de moulins. La place était rare dans les villes du moyen âge, presque toutes encloses de murs et de tours, et les ponts étant naturellement des passages très-fréquentés, c’était à qui cherchait à se placer sur ces parcours. Les ponts de Paris étaient garnis de maisons, et formaient de véritables rues traversant le fleuve. Ce fut même l’établissement de ces maisons dont la voirie, ne se préoccupait pas assez, qui contribua à la ruine de ces ponts. S’il fallait se maintenir sur l’alignement des deux côtés de la voie, sur la rivière, on posait des bâtisses en encorbellement, on creusait des caves et des réduits dans les piles, et les parois de ces ponts devaient bientôt se déverser. Lorsque la démolition des maisons qui garnissaient les ponts Notre-Dame et Saint-Michel à Paris fut effectuée, il fallut réparer les parements extérieurs et les tympans des arches jusqu’au droit des piles, chaque habitant ayant peu à peu creusé ces tympans ou altéré ces parements.

Les ponts de bois jouent un rôle important dans l’architecture du moyen âge, leur établissement étant facile et peu dispendieux. Nous trouvons encore la tradition des ponts de bois gaulois en Savoie. Dans cette contrée, pour traverser un torrent, sur les pentes escarpées qui forment son encaissement, on amasse quelques blocs de grosses pierres en manière de culées, puis (fig. 12), sur cet enrochement on pose des troncs d’arbres, alternativement perpendiculaires et parallèles à la direction du ravin, en encorbellement. On garnit les intervalles laissés vides entre ces troncs d’arbres, de pierres, de façon à former une pile lourde, homogène, présentant une résistance suffisante. D’une de ces piles à l’autre on jette deux, trois, quatre sapines, ou plus, suivant la largeur que l’on veut donner au tablier, et sur ces sapines on cloue des traverses de bois. Cette construction primitive, dont chaque jour on fait encore usage en Savoie, rappelle singulièrement ces ouvrages gaulois dont parle César, et qui se composaient de troncs d’arbres posés à angle droit par rangées, entre lesquelles on bloquait des quartiers de roches. Ce procédé, qui n’est qu’un empilage, et ne peut être considéré comme une œuvre de charpenterie, doit remonter à la plus haute antiquité ; nous le signalons ici pour faire connaître comment certaines traditions se perpétuent à travers les siècles, malgré les perfectionnements apportés par la civilisation, et combien elles doivent toujours fixer l’attention de l’archéologue.

Ces sortes d’ouvrages devaient sembler barbares aux yeux des Romains, si excellents charpentiers, et nous les voyons encore exécuter de nos jours au milieu de populations en contact avec notre civilisation. C’est que les travaux des hommes conservent toujours quelque chose de leur point de départ, et que dans l’âge mûr des peuples on peut encore retrouver la trace des premiers essais de leur enfance. C’est ainsi, par exemple, que, dans un ordre beaucoup plus élevé, nous voyons les charpentiers à Rome exécuter des charpentes considérables à l’aide de bois très-courts. C’était là une méthode adoptée par les armées romaines. Ne pouvant en campagne se procurer des engins propres à mettre au levage de très-grandes pièces de bois, ils avaient adopté des combinaisons de charpenterie qui leur permettaient de construire en peu de temps des ouvrages d’une grande hauteur ou d’un grand développement. Ces traditions romaines s’étaient encore conservées chez nous pendant les premiers siècles du moyen âge, où les difficultés de transport et de levage faisaient qu’on employait des bois courts pour exécuter des travaux de charpente, surtout en campagne. Villard de Honnecourt donne le croquis d’un pont fait avec des bois de vingt pieds[32]. « Ar chu, » écrit-il au bas de son croquis, « fait om ou pont desor one aive de fus de xx pies d lonc[33]. » Le moyen indiqué par Villard de Honnecourt est très-simple, et rappelle les ouvrages de charpenterie que nous voyons exprimés dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et de l’arc de Septime Sévère.
Villard élève deux culées en maçonnerie (fig. 13), auxquelles il scelle d’abord les chapeaux B des deux potences A. Les contre-fiches de ces potences assemblées dans les poteaux D sont roidies par les moises E. Sur les chapeaux de ces potences, il élève les poteaux G, H, maintenus dans tous les sens par des croix de Saint-André. Des seconds chapeaux K réunissent la tête de ces poteaux et sont soulagés par des contre-fiches L moisées comme celles du dessous ; puis, sur ces derniers chapeaux, il pose des pièces horizontales qui réunissent les deux encorbellements et les empêchent de donner du nez. Il suffisait de clouer des madriers sur les longrines. En ne prenant, pour exécuter cet ouvrage, comme le dit Villard, que des bois de 20 pieds, on peut avoir facilement un tablier de 50 pieds de long, parfaitement rigide. Cela paraît être pour notre auteur un ouvrage de campagne, qu’il surmonte d’une porte à chaque bout.

Quant aux ponts de bois plantés en travers de grands cours d’eau, ils se composaient de rangées de pieux, ordinairement simples, moisés et armés de fortes contre-fiches en aval et en amont. Sur ces pieux, on posait des chapeaux qui réunissaient leur tête, puis le tablier soulagé par des liens. Les piles, composées de rangs simples de pieux, avaient cet avantage de n’opposer aucun obstacle au courant. Des gardes triangulaires fichées en amont faisaient dévier les glaçons ou les corps flottants qui auraient pu entamer les piles.

Comme les armées romaines, celles du moyen âge ne se faisaient pas faute d’établir des ponts fixes sur les rivières pour passer leurs gens et leur arroi. Dans la Chanson des Saxons, Charlemagne fait faire un pont sur le Rhône : « Barons, dit-il, aux chefs assemblés :

« Trop est Rune parfonde por mener tel bustin :
N’i porroient passer palefroi ne roncin ;
Mès. i. chose esgart an mon cuer et destin,
Par coi de nostre guerre trarrons ançois à fin :
. i . pont ferons sor Rune par force et par angin,
Les estaches de chasnes, les planches de sapin ;
.xxx. toises aura au travers de chemin.
Puis passerons outre tuit ansamble à .i. brin,
Et ferons la bataille c’on le verra dou Rin,
Et conquerrons Soissoigne sor la gent Guiteclin[34]. »

C’est un poëte qui parle, et nous ne citons ses vers que comme l’expression d’un fait général, admis dans les armées du moyen âge.

Les ponts de bois n’ayant jamais qu’une durée assez limitée, il ne nous reste aucun ouvrage de ce genre qui soit antérieur au XVIe siècle, et nous ne pouvons en prendre une idée que par des vignettes de manuscrits ou des gravures des XVIe et XVIIe siècles. Si l’on veut établir des ponts de bois, ou il faut rapprocher beaucoup les piles, afin de ne donner aux portées des travées du tablier qu’une longueur très-réduite, et éviter ainsi leur fléchissement ; ou il faut armer ces tabliers de contre-fiches assez inclinées pour résister à la flexion, et alors élever beaucoup les têtes des piles au-dessus du niveau de l’eau ; ou il faut suspendre les tabliers à un système de fermes. Ce dernier parti semble avoir été adopté fréquemment pendant le moyen âge.
Soient (fig. 14) des piles de trois rangs de pieux espacés de 12m,00 d’axe en axe ; la tête de ces pieux, ne s’élevant pas à plus de 2m,00 au-dessus du niveau de l’eau, on posait sur ces têtes de pieux des longrines, soulagées en A par les fermes B. Ces fermes, légèrement inclinées l’une vers l’autre, étaient rendues solidaires au moyen des traverses supérieures C et des croix de Saint-André D. Sur ces longrines E on posait de fortes solives F, puis les madriers formant le tablier. Ces ouvrages présentaient une grande rigidité, mais ne pouvaient subsister fort longtemps sans se détériorer, et n’étaient guère jetés que sur des cours d’eau dont les crues n’étaient pas considérables.

Du Breul[35], parlant du pont Saint-Michel à Paris, dit qu’il était de bois et avait été construit en 1384 par Hugues Aubriot, alors prévost de Paris. Ce pont était garni de plusieurs maisons. Le pont Notre-Dame, bâti en 1414, suivant le même auteur[36], d’après le rapport de Robert Gaguin « n’étoit que de bois, ayant en longueur 70 pas 4 pieds, et en largeur 18 pas : de deux costez et sur lequel estoient basties 60 maisons esgales en structure et haulteur, lequel après avoir subsisté 92 ans seulement, tumba en la rivière l’an 1499, le vendredi 25 octobre… »

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, certains ponts de pierre possédaient des travées de bois mobiles, soit pour intercepter la communication d’une rive à l’autre, soit pour laisser passer les bateaux. Ces portions de tabliers en charpente étaient relevées au moyen de châssis à contre-poids, ainsi que cela se pratique encore aujourd’hui, ou bien roulaient sur des longrines : on appelait les premiers des ponts torneïs, et les seconds des postis[37]. Les premiers étaient de véritables ponts-levis. Il est à remarquer que le pont-levis, tel qu’on l’entend aujourd’hui, adapté à une porte de ville ou de château, n’a été mis en pratique que vers le commencement du XIVe siècle, jusqu’alors les ponts torneïs étaient disposés en manière de bascule[38].

Si, vers la fin du XIIIe siècle, on établissait déjà des ponts-levis, ceux-ci étaient isolés et ne tenaient pas aux portes mêmes, ainsi que cela s’est pratiqué depuis. Ils faisaient partie des ouvrages avancés en bois, tenaient à la barrière, mais n’étaient point disposés dans la maçonnerie des portes. Cependant, dès une époque reculée, on employait souvent les ponts ou passerelles roulant sur des longrines, particulièrement dans les provinces méridionales.
Ces sortes de ponts, dont nous donnons un géométral latéral en A (fig. 15), se composaient de deux pièces de bois parallèles B, au-dessous desquelles étaient adaptés des rouleaux. Un tablier de madriers était cloué sur ces pièces de charpente. Quatre poulies C, dont les essieux étaient fortement scellés à deux murs latéraux, recevaient deux chaînes fixées à des anneaux D tenant aux poutres. Ces chaînes s’enroulaient sur un treuil E dont le pivot tournait dans des douilles fixées de même à ces murs latéraux. Sous les pièces de bois B mobiles étaient scellées deux poutres G fixes, sur lesquelles roulaient les petits rouleaux. En tournant le treuil de a en c, on faisait avancer le tablier mobile qui franchissait le fossé F, et venait s’appuyer sur la pile en H ; en le tournant de a en b, on faisait rentrer ce tablier sous le passage de la porte. La queue I du tablier servait de contre-poids, et permettait toujours de passer sur la chambre du treuil lorsque la passerelle était avancée. Un tracé perspectif P fera mieux saisir ce mécanisme très-simple. Pour le rendre plus intelligible, nous avons supposé que le mur latéral M, dans lequel sont scellées les poulies et les douilles du treuil, est démoli ; nous avons enlevé de même la maçonnerie supérieure de l’une des tours flanquantes N, entre lesquelles s’avance la passerelle. Dans la figure perspective, le tablier est supposé rentré. On établissait beaucoup de ces sortes de ponts dans les ouvrages italiens du XVe siècle, ainsi que le constate l’ouvrage si curieux de Francesco di Giorgio Martini[39], et dans nos fortifications faites au moment de l’application de l’artillerie à feu.
On reconnaît l’emploi de divers systèmes de ponts à bascule devant les portes du moyen âge. Quelquefois ces ponts sont disposés de manière à s’abaisser, d’autres fois ils se relèvent. Dans les provinces de l’Est, et sur les bords du Rhin, on adoptait fréquemment les ponts à bascule présentant la disposition indiquée dans la figure 16. Ces ponts se composaient de deux poutres principales A, reliées par des traverses et des croix de Saint-André. La partie antérieure B du tablier était garnie de madriers.
Deux rainures R ménagées dans la maçonnerie, ainsi que l’indique la figure 16 bis, permettaient à la partie postérieure des poutres A de s’abaisser au niveau du tablier de maçonnerie C pratiqué sous le passage de la porte. Alors le tablier B était horizontal, et pour le maintenir dans cette position) sous chacune des poutres étaient disposées deux solives D, glissant sur deux rouleaux E. Lorsqu’on voulait arrêter le tablier et l’empêcher de basculer, il suffisait de pousser le levier de fer F, pivotant sur un bouton en G, et dont la fourchette était engagée entre deux chevilles. Le levier amené à la ligne verticale, ainsi que notre figure l’indique, les solives D allaient s’engager dans deux entailles I pratiquées à la tête de la dernière pile. Le tracé K indique la disposition de la fourchette du levier en coupe. Si l’on voulait faire basculer le pont, en tirant sur la vingtaine L, on amenait le levier F en f. Alors la solive D quittait son entaille I, et en lâchant sur le treuil M, la pesanteur de la partie antérieure du tablier mobile faisait incliner celui-ci suivant la ligne NO ; l’extrémité P des poutres s’élevait en p, et le passage était coupé. Pour ramener le pont à la ligne horizontale, on appuyait sur le treuil M, et avec la main, en montant sur le gradin H, et en repoussant les leviers, on calait le pont. Les rainures R (voy. la figure 16 bis) étaient assez larges pour permettre aux poutres de pivoter, et pour faciliter la manœuvre des leviers. On voit encore à Bâle une porte disposée pour recevoir un pont combiné suivant ce système. Une herse S (voy. fig. 16) descendait jusqu’au tablier, soit placé horizontalement, soit incliné.

D’autres ponts basculaient en se relevant, ainsi que le fait voir la figure 17. L’extrémité A du tablier antérieur, si l’on voulait donner passage, tombait sur la dernière pile, et pour caler le pont dans cette position, une solive B, roulant sur une poutrelle scellée C, se manœuvrait au moyen du levier D. En attirant à soi le levier en d, on décalait le tablier, et en lâchant sur le treuil T, les contre-poids G faisaient basculer le pont, amenant l’extrémité B en b. Un tablier incliné fixe E conduisait au tablier mobile, lorsque celui-ci était abaissé au moyen du treuil T.

Ces ponts avaient été adoptés au moment de l’emploi de l’artillerie à feu, afin d’éviter les bras et chaînes des ponts-levis que l’assiégeant pouvait détruire avec le canon. Ils remplissaient le même office, et ne laissaient rien voir de leur mécanisme à l’extérieur. Le pont à bascule (fig. 17) se composait de deux poutres avec traverses et madriers, chacune des extrémités postérieures des deux poutres étant munies d’une chaîne s’enroulant sur un treuil. Nous avons l’occasion, dans l’article Porte, de revenir sur ces ponts mobiles, et particulièrement sur les ponts-levis adaptés à la maçonnerie.

L’usage des ponts de bateaux remonte aux premiers temps du moyen âge ; c’était là une tradition antique qui ne s’était jamais effacée. Éginhard, dans la Vie de Charles et de Karloman, raconte que le premier de ces princes avait fait établir un pont de bateaux sur le Danube pour s’en servir pendant la guerre contre les Huns[40].

Au siège du Château-Gaillard, Philippe-Auguste fit faire un pont sur la Seine, composé de pieux inclinés contre le courant, et sur lesquels on posa un tablier de charpente. Trois grands bateaux, surmontés de hautes tours, défendaient ce pont[41]. Dans sa chronique, Guillaume Guiart parle d’un pont de bateaux jeté sur la Lis et retenu par des cordages :

« A main, ne sai, droite ou esclenche,
Au plus vistement qu’il puet trenche
Les cordes à quoi l’on le hale ;
Li ponz comme foudre dévale ;
Bas descent ce qui iert deseure[42]. »

Au siége de Tarascon, le duc d’Anjou et du Guesclin firent faire un pont de bateaux sur le Rhône.

Froissart raconte comment les Flamands avaient établi un pont de nefs et de clayes sur l’Escaut, devant Audenarde[43].

Philippe de Commines dit comment le comte de Charolais et ses alliés jetèrent un pont de bateaux et de tonneaux sur la Seine, près de Moret.

« Il faisoit (le comte de Charolais) mener sept ou huit petits bateaux sur charrois, et plusieurs pippes, par pièces, en intention de faire un pont sur la rivière de Seine, pour ce que ces seigneurs n’y avoient point de passage[44]. » Plus loin le même auteur décrit ainsi la façon d’un large pont jeté par le comte de Charolais sur la Seine, près de Charenton. « Il fut conclu en un conseil, que l’on feroit un fort grand pont sus grands bateaux : et couperoit-on l’estroit du bateau, et ne s’asserroit le bois que sur le large : et au dernier couplet y auroit de grandes ancres pour jeter en terre… et fut le pont achevé, amené et dressé, sauf le dernier couplet, qui tournoit de costé, prest à dresser, et tous les bateaux arrivés[45]… » C’était là un pont de bateaux avec partie mobile, que le courant faisait dévaler au besoin, sur la rive occupée par l’ennemi.

Quand le duc de Bourgogne attaqua les Gaulois, en 1452, il fit établir un pont flottant sur l’Escaut, devant Termonde ; il fit mander « ouvriers de toutes pars pour faire un pont sur tonneaux, à cordes et à planches ; et, pour deffendre ledict pont, fit, outre l’eaue, faire un gros bolovart de bois et de terre[46]……… »

Dans son Histoire du roy Charles VII, Alain Chartier rapporte qu’un parti de Français et d’Écossais, près de la Flèche, fit sur la Loire un pont de charrettes attachées les unes aux autres, et garnies de madriers par-dessus[47].

Ces exemples suffisent pour démontrer que les ponts de bateaux ont été usités pendant le moyen âge[48], soit pour servir à poste fixe, soit pour faciliter le passage des armées. Ces sortes de ponts préoccupèrent fort les ingénieurs militaires pendant le XVIe siècle ; les ouvrages qu’ils nous ont laissés présentent quantité de moyens plus ou moins pratiques employés pour rendre l’établissement de ces ponts facile, et pour les jeter rapidement sur une rive ennemie. On cherchait alors à rendre les pontons transportables, et, à cet effet, on les composait de plusieurs caisses étanches qui s’accrochaient les unes aux autres.

  1. Lib. V, cap. XVIII. Pont-pierre, aujourd’hui Pompierre, est un village sur le Mouzon, près de la Meuse (Vosges).
  2. Dans son ouvrage sur les Droits et usages, M. A. Champollion Figeac cite un pont gothique du XIe siècle, dépendant du château des comtes de Champagne, à Troyes ; mais ce pont, comme le château dont il dépendait, est démoli depuis bien des années, et la reproduction qui en est donnée dans le Voyage archéologique de M. Arnaud est due à l’imagination de cet auteur.
  3. La confrérie religieuse des Frères hospitaliers pontifes prit naissance et s’établit d’abord à Maupas, au diocèse de Cavaillon, dès l’année 1164, d’après les Recherches historiques de l’abbé Grégoire. Petit Benoît, ou saint Bénezet, fut le chef de cette institution, et aurait commencé ses travaux à Maupas ; ce serait après cette première œuvre qu’il aurait entrepris la construction du pont d’Avignon.
  4. Dans le recueil des Plans et profils des principales villes et lieux considérables de France, par le sieur Tassin, 1652, est donnée une vue d’Avignon avec le pont Saint-Bénezet. Deux arches manquent dans l’île et trois sur le grand bras.
  5. Archives municipales d’Avignon ; procès du Rhône, t. I, p. 65. Nous devons ces renseignements au savant archiviste de la préfecture de Vaucluse, M. Achard, qui possède sur Avignon et le comtat Venaissin des notes précieuses dont il a bien voulu nous permettre de faire usage.
  6. « Une charte », dit M. A. Champollion-Figeac, dans son recueil intitulé Droits et usages (Paris, 1860), « une charte de l’empereur Frédéric, de l’année 1158, et un acte relatif à l’abbaye de Saint-Florent (coll. de Camps), de l’année 1162, pour un pont bâti sur la Loire, constatent encore ces deux faits » (la défense d’élever des forteresses sur les ponts ou d’y percevoir un péage quelconque sans autorisation des fondateurs)…
  7. Ibid., p. 125.
  8. Droits et usages. M. A. Champollion-Figeac, p. 131.
  9. Ce plan est fait à la fois, et sur le tablier, et sur la chapelle en contre-bas.
  10. Il n’est fait mention que d’une chapelle sur le pont d’Avignon dans tous les documents que nous avons pu consulter.
  11. Notamment en 1856.
  12. Édit. de Francfort, gravures de Mérian. — Deux arches du pont Saint-Esprit ont été détruites depuis peu pour être remplacées par une arche en fonte de fer, afin de faciliter le passage des bateaux. Il a fallu arracher à grand’peine la pile supprimée, dont la maçonnerie était excellente.
  13. Voyez l’article substantiel sur les ponts, publié par ce savant archéologue, dans les Annales archéologiques, t. VII, p. 17 et suiv.
  14. Cet arc de triomphe, déposé pièce à pièce, lorsque la démolition du pont fut définitivement résolue, a été remonté sur les bords mêmes du fleuve, par les soins de la commission des monuments historiques et sous la direction de M. Clerget, architecte.
  15. Cette tour, à la fin du XVIe siècle, servait de prison municipale.
  16. La grosse tour et la porte de la ville furent démolies après les guerres de religion, elles sont parfaitement indiquées dans une vue cavalière du Recueil de 1574 : Civitates orbis terr.
  17. De ce châtelet il ne reste que les parties basses.
  18. Tome XX, p. 100.
  19. Topogr. Galliæ.
  20. Histoire du siége d’Orleans, par M. Jollois, ingénieur en chef des ponts et chaussées, 1833, petit in-folio, avec la Lettre à MM. les membres de la Société des antiquaires de France, 1834.
  21. Comptes de la ville.
  22. Art. 24 de la charte de fondation de Montauban, Archives de Montauban, livre Rouge, fol. verso 105.
  23. Voyez l’excellente notice sur le pont de Montauban, donnée par M. Devals aîné, dans les Annales archéologiques, t. XVI, p. 39.
  24. Archives de Montauban, liasse D, no 16, liv. des Serments, folio 102.
  25. Nous devons ces détails à M. Olivier, architecte du département.
  26. Le Théâtre des antiquités de Paris, 1612, p. 235 et suiv.
  27. Gaguin, De gestis Francorum. Paris, 1522, in-8, folio 303, verso. C. Malingre, p. 219 des Annales générales de la ville de Paris, 1640, in-folio.
  28. Registres de l’hôtel de ville, II 1778, fol. 28, ro. (Voyez les Recherches historiques sur la chute et la reconstruction du pont Notre-Dame à Paris, par M. Le Roux de Lincy, Biblioth. de l’école des chartes, 2e série, t. II, p. 32.)
  29. S’il faut s’en rapporter à une note écrite sur la couverture du livre Rouge du Châtelet de Paris, la dépense du pont Notre-Dame à Paris se serait élevée à 205 380 livres 4 sous 4 deniers tournois. Sauval, contestant ce chiffre, sans d’ailleurs donner ses preuves, prétend que la dépense s’éleva à 1 160 684 livres.
  30. On remarquera que la plupart des vieux ponts présentent des altérations très-profondes dans les claveaux intermédiaires, tandis que ceux de tête sont intacts, parce qu’ils sont plus facilement séchés par l’air.
  31. Ce pont existait encore dans cet état vers le milieu du XVIIe siècle ; nous ne savons précisément à quelle époque il avait été élevé. (Voyez la Topographie de la Gaule, grav. de Mérian.)
  32. Album de Villard de Honnecourt, manuscrit publié en fac-simile. J. B. Lassus et A. Darcel, 1858, pl. XXXVIII.
  33. « Par ce moyen fait-on un pont par dessus une eau avec des bois de vingt pieds de long. »
  34. La chanson des Saxons, chap. CXVIII.
  35. Le Théâtre des antiquités de Paris, p. 241.
  36. Page 243.
  37. Du mot latin positus.
  38. Moult s’esforce li forsenez
    De faire fossez et tranchiées,

    Tot entor lui à sis archiées
    Fait un fossé d’eve parfont,
    Riens n’i puet entrer qui n’afont.
    Desor fu li ponz tornéiz
    Moult bien tornez toz coléiz.
    (Roman du Renart, vers 18 474 et suiv.)

    Clos fu de murs et de fossez
    Dont l’eve coroit tot entor,
    Un pont tornéiz par desor
    (Ibid., vers 21 994 et suiv.)

    Chevauchant lez une rivière
    S’an vindrent jusqu’au herberjage,
    Et an lor ot par le passage
    Un pont tornéiz avalé.
    ...............
    (Li romans de la charrette.)

    En la chaucie fu grans li féréis,
    Li quens Guillaumes moult durement le fist,
    Il s’aresta sor le pont tornéis
    Et vit Begon, moult fièrement li dist :

    (Li romans de Garin le Loherain, t. II, p. 175, édit. Techener, 1833.)

  39. Trattato di archit. civ. e milit. di Francisco di Giorgio Martini, archit. senese del secolo XV, publié pour la première fois par le chevalier Cesare Saluzzo. Turin, 1841.
  40. « Rex autem, propter bellum cum Hunis susceptum in Bajoaria sedens, pontem navalem quo in Danubio ad id bellum uteretur, ædificavit… » (Karolus, DCCXCII).
  41. Guillaume le Breton, la Philippide, chant VIIe.
  42. Branche des royaux lignages, vers 4 883 et suiv.
  43. Chronique de Froissart, livre II, chap. lviii et chap. clxx.
  44. Mém. de Ph. de Commines, liv. I, chap. vi.
  45. Ibid., liv. I, chap. x.
  46. Mém. d’Olivier de la Marche, liv. I, chap. xxv.
  47. Alain Chartier, Hist. de Charles VII, 1421.
  48. Voyez quelques-uns de ces ponts de bateaux et de barriques reproduits dans le traité De re militari, de Robertus Valturius (Paris, 1534).