L’histoire de Juliette/seconde partie

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JULIETTE,

OU

LES PROSPÉRITÉS DU VICE.






Monsieur de Saint-Fond était un homme d’environ quarante ans, de l’esprit, un caractère bien faux, bien traître, bien libertin, bien féroce, infiniment d’orgueil, possédant l’art de voler la France au suprême degré, et celui de distribuer des lettres de cachet, au seul desir de ses plus légères passions ; plus de vingt mille individus de tout sexe et de tout âge, gémissaient, par ses ordres, dans les différentes forteresses royales dont la France est hérissée ; et parmi ces vingt mille êtres, me disait-il un jour plaisamment, je te jure qu’il n’en est pas un seul de coupable. D’Albert, premier président du parlement de Paris, était également du souper ; ce ne fut qu’en entrant que Noirceuil m’en prévint. Tu dois, me dit-il, les mêmes égards à ce personnage-ci qu’à l’autre, il n’y a pas douze heures qu’il était maître de ta vie, tu sers de dédommagemens aux égards qu’il a eu pour toi ; pouvais-je le mieux, acquiter ?

Quatre filles charmantes composaient, avec madame de Noirceuil et moi, le sérail offert à ces messieurs. Ces créatures, pucelles encore, étaient du choix de la Duvergier. On nommait Églée, la plus jeune, blonde, âgée de treize ans, et d’une figure enchanteresse ; Lolotte suivait, c’était la physionomie de Flore même ; on ne vit jamais tant de fraîcheur ; à peine avait-elle quinze ans : Henriette en avait seize, et réunissait à elle seule plus d’attraits que les poëtes n’en prêtèrent jamais aux trois Graces : Lindane avait dix-sept ans ; elle était faite à peindre, des yeux d’une singulière expression, et le plus beau corps qu’il fût possible de voir.

Six jeunes garçons de quinze à vingt ans, nous servaient nuds et coëffés en femmes : chacun des libertins qui composaient le souper avait, ainsi que vous le voyez par cet arrangement, quatre objets de luxure à ses ordres, deux femmes et deux garçons. Comme aucun de ces individus n’était encore dans le salon, lorsque j’y parus, d’Albert et Saint-Fond, après m’avoir embrassée, cajolée, louée pendant un quart-d’heure, me plaisantèrent sur mon aventure. C’est une charmante petite scélérate, dit Noirceuil, et qui, par la soumission la plus aveugle aux passions de ses juges, vient les remercier de la vie qu’elle leur doit. J’aurais été bien fâché de la lui ôter, dit d’Albert ; ce n’est pas pour rien que Thémis porte un bandeau ; et vous m’avouerez que quand il s’agit de juger de jolis petits êtres comme ceux-là, nous devons toujours l’avoir sur les yeux. Je lui promets pour sa vie l’impunité la plus entière, dit Saint-Fond ; elle peut faire absolument tout ce qu’elle voudra ; je lui proteste de la protéger dans tous ses écarts, et de la venger, comme elle l’exigera, de tous ceux qui voudraient troubler ses plaisirs, quelques criminels qu’ils puissent être. Je lui en jure autant, dit d’Albert ; je lui promets, de plus, de lui faire avoir demain une lettre du chancelier, qui la mettra à l’abri de toutes les poursuites qui, par tel tribunal que ce soit, pourraient être intentées contr’elle dans toute l’étendue de la France, Mais, Saint-Fond, j’exige quelque chose de plus ; tout ce que nous faisons ici n’est qu’absoudre le crime, il faut l’encourager ; je te demande donc des brevets de pensions pour elle, depuis deux mille francs jusqu’à vingt-cinq, en raison du crime qu’elle commettra. Juliette, dit Noirceuil, voilà, je crois, de puissans motifs, et pour donner à tes passions toute l’extension qu’elles peuvent avoir, et pour ne nous cacher aucun de tes écarts. Mais, il en faut convenir, messieurs, poursuivit aussitôt mon amant sans me donner le tems de répondre, vous faites là un merveilleux usage de l’autorité qui vous est confiée par les loix et par le monarque… Le meilleur possible, répondit Saint-Fond ; on n’agit jamais mieux que lorsqu’on travaille pour soi : cette autorité nous est confiée pour faire le bonheur des hommes ; n’y travaillons-nous pas en faisant le nôtre et celui de cette aimable enfant. En nous revêtant de cette autorité, dit d’Albert, on ne nous a pas dit : vous ferez le bonheur de tel ou tel individu, abstractivement de tel ou tel autre ; on nous a simplement dit : les pouvoirs que nous vous transmettons sont pour faire la félicité des hommes ; or, il est impossible de rendre tout le monde également heureux ; donc, dès qu’il en est parmi nous quelques-uns de contens, notre but est rempli. Mais, dit Noirceuil, qui ne controversait que pour mieux faire briller ses amis, vous travaillez pourtant au malheur général en sauvant le coupable et perdant l’innocent. Voilà ce que je nie, dit Saint-Fond, le vice fait beaucoup plus d’heureux que la vertu ; je sers donc bien mieux le bonheur général en protégeant le vice qu’en récompensant la vertu. Voilà des systêmes bien dignes de coquins comme vous, dit Noirceuil. Mon ami, dit d’Albert, puisqu’ils font aussi votre joie, ne vous en plaignez point. Vous avez raison, dit Noirceuil ; il me semble, au surplus, que nous devrions un peu plus agir que jaser. Voulez-vous Juliette seule un moment, avant que l’on arrive ? Non, pas moi, dit d’Albert, je ne suis nullement curieux des tête-à-têtes… je suis d’un gauche… l’extrême besoin que j’ai d’être toujours aidé dans ces choses-là, fait que j’aime autant patienter jusqu’à ce que tout le monde y soit. Je ne pense pas tout-à-fait ainsi, dit Saint-Fond, et je vais entretenir un instant Juliette au fond de ce boudoir.

À peine y fûmes-nous, que Saint-Fond m’engagea à me mettre nue ; pendant que j’obéissais, on m’a assuré, me dit-il, que vous seriez d’une complaisance aveugle à mes fantaisies ; elles répugnent un peu, je le sais, mais je compte sur votre reconnaissance ; vous savez ce que j’ai fait pour vous : je ferai plus encore, vous êtes méchante, vindicative, eh bien ! poursuivit-il, en me remettant six lettres-de-cachet en blanc qu’il ne s’agissait plus que de remplir, pour faire perdre la liberté à qui bon me semblerait, voilà pour vous amuser ; prenez de plus ce diamant de mille louis, pour payer le plaisir que j’ai de faire connaissance avec vous ce soir… Prenez, prenez, tout cela ne me coûte rien ; c’est l’argent de l’état. — En vérité, monseigneur, je suis confuse de vos bontés. — Oh ! je n’en resterai pas là ; je veux que vous me veniez voir chez moi ; j’ai besoin d’une femme qui, comme vous, soit capable de tout ; je veux vous charger de la partie des poisons. — Quoi, monseigneur ! vous vous servez de pareilles choses ? — Il le faut bien, il y a tant de gens dont nous sommes obligés de nous défaire… Point de scrupule, je me flatte. — Ah ! pas le moindre, monseigneur ; je vous jure qu’il n’est aucun crime dans le monde capable de m’effrayer et qu’il n’en est pas un seul que je ne commette avec délices… Ah ! baisez-moi ; vous êtes charmante, dit Saint-Fond, eh bien ! au moyen de ce que vous me promettez-là, je vous renouvelle le serment que je vous ai fait de vous procurer l’impunité la plus entière. Faites, pour votre compte, tout ce que bon vous semblera : je vous proteste de vous retirer de toutes les mauvaises aventures qui pourraient en survenir ; mais il faut me prouver, tout de suite, que vous êtes capable d’exercer l’emploi que je vous destine ; tenez, me dit-il, en me remettant une petite boîte ; je placerai ce soir, près de vous, au souper, celle des filles sur laquelle il m’aura plu de faire tomber l’épreuve ; caressez-la bien, la feinte est le manteau du crime, trompez-la le plus adroitement que vous pourrez, et jetez cette poudre, au dessert, dans un des verres de vin qui lui seront servis ; l’effet ne sera pas long ; je reconnaîtrai là si vous êtes digne de moi, et, dans ce cas, votre place vous attend. Oh ! monseigneur, répondis-je avec chaleur, je suis à vos ordres ; donnez, donnez, vous allez voir comme je vais me conduire. — Charmante… charmante ! Amusons-nous maintenant, mademoiselle, votre libertinage me fait bander… Permettez, cependant, que je vous mette au fait, avant tout, d’une formule dont il est essentiel que vous ne vous éloigniez point ; je vous préviens qu’il ne faut jamais vous écarter du profond respect que j’exige, et qui m’est dû à bien plus d’un titre ; je porte, sur cela, l’orgueil au dernier point ; vous ne m’entendrez jamais vous tutoyer ; imitez-moi, ne m’appelez, surtout, jamais autrement que monseigneur ; parlez à la troisième personne, tant que vous pourrez, et soyez toujours, devant moi dans l’attitude du respect ; indépendamment de la place éminente que j’occupe, ma naissance est des plus illustres, ma fortune énorme et mon crédit supérieur à celui du roi même ; il est impossible de n’avoir pas beaucoup de vanité quand on en est l’homme puissant qui, par une fausse popularité, consent à se laisser approcher de trop près, s’humilie et se ravale bientôt ; la nature a placé les grands sur la terre comme les astres au firmament ; ils doivent éclairer le monde et n’y jamais descendre ; ma fierté est telle que je voudrais n’être servi qu’à genoux, ne jamais parler que par interprète à toute cette vile canaille, que l’on appelle le peuple ; et je déteste tout ce qui n’est pas à ma hauteur. En ce cas, dis-je, monseigneur doit haïr bien du monde, car il est bien peu d’êtres ici bas qui puissent l’égaler. — Très-peu, vous avez raison, mademoiselle, aussi j’abhorre l’univers entier, excepté les deux amis que vous me voyez là, et quelques autres, je hais souverainement tout le reste. Mais, monseigneur, pris-je la liberté de dire à ce despote, les caprices de libertinage où vous vous livrez ne vous sortent-ils pas un peu de cette hauteur dans laquelle il me semble que vous devriez toujours désirer d’être ? Non, dit Saint-Fond, tout cela s’allie ; et, pour des têtes organisées comme les nôtres, l’humiliation de certains actes de libertinage sert d’aliment à l’orgueil[1]. Et comme j’étais nue : ah ! le beau cul, Juliette, me dit le paillard en se l’exposant, on m’avait bien dit qu’il était superbe, mais il surpasse sa réputation ; penchez-vous, que j’y darde ma langue… Ah Dieu ! voilà une propreté qui me désespère ; Noirceuil ne vous a donc pas dit en quel état je voulais trouver votre cul ? — Non, Monseigneur. — Je le voulais merdeux… je le voulais sale… il est d’une fraîcheur qui me désespère ; allons, réparons cela par autre chose ; tenez, Juliette, voilà le mien… il est dans l’état ou je voulais le vôtre… vous y trouverez de la merde… Mettez-vous à genoux devant lui, adorez-le, félicitez-vous de l’honneur que je vous accorde en vous permettant d’offrir à mon cul, l’hommage que voudrait lui rendre toute la terre… Que d’êtres seraient heureux à votre place ! Si les Dieux descendaient vers nous, eux-mêmes voudraient jouir de cette faveur. Sucez, sucez ; enfoncez votre langue ; point de répugnance, mon enfant… Et quelles que fussent celles que j’éprouvais, je les vainquis, mon intérêt m’en faisait une loi ; je fis tout ce que désirait ce libertin, je lui suçai les couilles, je me laissai souffletter, péter dans la bouche, chier sur la gorge, cracher et pisser sur le visage, tirailler le bout des tetons, donner des coups de pieds au cul, des croquignoles, et définitivement foutre en cul, où il ne fit que s’exciter, pour me décharger après dans la bouche, avec l’ordre positif d’avaler son sperme : je fis tout ; la plus aveugle docilité couronna toutes ses fantaisies. Divins effets de la richesse et du crédit, toutes les vertus, toutes les volontés, toutes les répugnances vont se briser devant vos désirs ; et l’espoir d’être accueillis par vous, assouplit à vos pieds tous les êtres et toutes les facultés de ces êtres ! La décharge de Saint-Fond était brillante, hardie, emportée ; c’était à très-haute voix qu’il prononçait alors les blasphêmes les plus énergiques et les plus impétueux ; sa perte était considérable, son sperme brûlant, épais et savoureux, son extase énergique, ses convulsions violentes, et son délire bien prononcé : son corps était beau, fort blanc, le plus beau cul du monde, ses couilles très-grosses, et son vit musculeux pouvait avoir sept pouces de long sur six de tour, il était surmonté d’une tête de deux pouces au moins, beaucoup plus grosse que le milieu du membre, et presque toujours décalotée ; il était grand, fort bien fait, le nez aquilin, de gros sourcils, de beaux yeux noirs, de très-belles dents et l’haleine très-pure ; il me demanda, quand il eut fini, s’il n’était pas vrai que son foutre fût excellent… De la crême, monseigneur, de la crême, répondis-je, il est impossible d’en avaler de meilleur ; je vous accorderai quelquefois l’honneur d’en manger, me dit-il, et vous avalerez aussi ma merde, quand je serai bien content de vous : allons, mettez-vous à genoux, baisez mes pieds, et remerciez-moi de toutes les faveurs que j’ai bien voulu vous laisser cueillir aujourd’hui. J’obéis et Saint-Fond m’embrassa, en jurant qu’il était enchanté de moi : un bidet et quelques parfums firent disparaître toutes les taches dont j’étais souillée. Nous sortîmes : en traversant les appartemens qui nous séparaient du salon d’assemblée, Saint-Fond me recommanda la boîte. Eh ! quoi, dis-je, l’illusion dissipée, le crime vous occupe encore ? Comment, me dit cet affreux homme, as-tu donc pris ma proposition pour une effervescence de tête ? — Je l’avais cru. — Tu te trompais ; ce sont de ces choses nécessaires dont le projet émeut nos passions, mais qui, quoique conçues dans le moment de leur délire, n’en doivent pas moins être exécutées dans le calme. — Mais, vos amis le savent-ils ? En doutes-tu ? — Cela fera scène. — Pas du tout, nous sommes accoutumés à cela. Ah ! si tous les rosiers du jardin de Noirceuil, disaient à quelle substance ils doivent leur beauté… Juliette… Juliette, il n’y aurait pas assez de bourreaux pour nous. — Soyez donc tranquille, monseigneur, je vous ai fait le serment de l’obéissance, je le tiendrai. Nous rentrâmes.

On nous attendait ; les femmes étaient arrivées ; dès que nous parûmes, d’Albert témoigna le desir de passer au boudoir avec madame de Noirceuil, Henriette, Lindame et deux gitons, et ce ne fut que ce que je vis exécuter à d’Albert après, qui me fit douter de ses goûts. Restée seule avec Lolotte, Églée, quatre gitons, le ministre et Noirceuil, on se livra à quelques scènes luxurieuses ; les deux petites filles, par des moyens à-peu-près semblables à ceux que j’avais employé, essayèrent de faire rebander Saint-Fond ; elles y réussirent ; Noirceuil, spectateur, se faisait foutre, en me baisant les fesses, Saint-Fond caressa beaucoup les jeunes gens, et eut quelques minutes d’entretien secret avec Noirceuil ; tous deux reparurent très-échauffés, et le reste de la compagnie s’étant réuni à nous ; on se mit à table.

Jugez, mes amis, quelle fut ma surprise, lorsqu’en me rappelant l’ordre secret qui m’était donné, je vis qu’avec la plus extrême affectation, c’était madame de Noirceuil qu’on plaçait près de moi : monseigneur, dis-je bas à St.-Fond, qui s’y mettait également de l’autre côté… Oh ! monseigneur, est-ce donc là la victime choisie ? Assurément, me dit le ministre, revenez de ce trouble ; il vous fait tort dans mon esprit ; encore une pareille pusillanimité, et vous perdez à jamais mon estime ; je m’assis : le souper fut aussi délicieux que libertin ; les femmes, à peine r’habillées, exposaient aux attouchemens de ces paillards, tout ce que la main des grâces leur avait distribué de charmes ; l’un touchait une gorge à peine éclose ; l’autre maniait un cul plus blanc que l’albâtre ; nos cons seuls étaient peu fêtés : ce n’est pas avec de telles gens, que de pareils appas font fortune ; persuadés que pour ressaisir la nature, il faut souvent lui faire outrage, ce n’est qu’à ceux dont le culte est, dit-on, défendu par elle, que les fripons offrent de l’encens. Les vins les plus

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exquis, les mets les plus succulens ayant échauffé les têtes, St.-Fond saisit madame de Noirceuil ; le scélérat bandait du crime atroce que sa perfide imagination machinait contre cette infortunée ; il l’emporte sur un canapé, au bout du salon, et l’encule, en m’ordonnant de venir lui chier dans la bouche, ; quatre jeunes garçons se placent de manière qu’il en branle un de chaque main, qu’un troisième enconne madame de Noirceuil, et que le quatrième, élevé au-dessus de moi, me fait sucer son vit ; un cinquième encule St.-Fond : ah ! sacredieu, s’écrie Noirceuil ! ce grouppe est enchanteur ; je ne connais rien de si joli, que de voir ainsi foutre sa femme ; ne la ménagez pas, St.-Fond, je vous en conjure, et plaçant les fesses d’Églé à hauteur de sa bouche, il y fait chier cette petite fille, pendant qu’il sodomise Lindane, et que le sixième garçon l’encule. D’Albert se joignant au tableau, vient en remplir la partie gauche ; il sodomise Henriette, en baisant le cul du garçon qui fout le ministre, et manie, de droite et de gauche, tout ce que ses mains peuvent atteindre.

Ah ! qu’un graveur eût été nécessaire ici, pour transmettre à la postérité ce voluptueux et divin tableau ; mais la luxure couronnant trop vite nos acteurs, n’eût peut-être pas donné à l’artiste le tems de les saisir. Il n’est pas aisé à l’art qui n’a point de mouvement, de réaliser une action dont le mouvement fait toute l’ame, et voilà ce qui fait à-la-fois de la gravure, l’art le plus difficile et le plus ingrat.

On se remet à table. J’ai demain, dit le ministre, une lettre de cachet à expédier, pour un homme coupable d’un égarement assez singulier. C’est un libertin qui, comme vous, Noirceuil, a la manie de faire foutre femme par un étranger ; cette épouse, qui vous paraîtra sans doute fort extraordinaire, a eu la bêtise de se plaindre d’une fantaisie qui ferait le bonheur de beaucoup d’autres. Les familles s’en sont mêlées, et définitivement on veut que je fasse enfermer le mari. Cette punition est beaucoup trop dure, dit Noirceuil ; et moi je la trouve trop douce, dit d’Albert ; il y a tout plein de pays où l’on ferait périr un homme comme cela… Oh ! voilà comme vous êtes, messieurs les robins, dit Noirceuil ; heureux quand le sang coule. Les échafauds de Thémis sont des boudoirs pour vous ; vous bandez, en prononçant un arrêt de mort, et déchargez souvent en le faisant exécuter… Oui, cela m’est arrivé quelquefois, dit d’Albert ; mais quel inconvénient y a-t-il à se faire des plaisirs de ses devoirs. Aucun, sans doute, dit Saint-Fond ; mais pour en revenir à l’histoire de notre homme, vous conviendrez qu’il y a des femmes bien ridicules dans le monde. C’est qu’il y en a tout plein, dit Noirceuil, qui croient avoir rempli leurs devoirs envers, leurs maris, quand elles ont respecté leur honneur, et qui leur font acheter cette très-médiocre vertu, par de l’aigreur et de la dévotion, et sur-tout par des refus constans de tout ce qui s’écarte des plaisirs permis ; sans cesse à cheval sur leur vertu, des putains de cette espèce s’imaginent qu’on ne saurait trop les respecter, et que d’après cela, le bégueulisme le plus outré peut leur être permis sans reproche : qui n’aimerait pas mieux une femme aussi garce que vous voudrez la supposer, mais déguisant ses vices, par une complaisance sans bornes, par une soumission entière à toutes les fantaisies de son mari ? Eh ! foutez, mesdames, foutez tant qu’il vous plaira, c’est pour nous la chose du monde la plus indifférente ; mais, prévenez nos désirs, satisfaites-les tous, sans aucun scrupule ; métamorphosez-vous pour nous plaire, jouez à-la-fois tous les sexes, redevenez enfans même, afin de donner à vos époux l’extrême plaisir de vous fouetter, et soyez sûres qu’avec de tels égards, ils fermeront les yeux sur tout le reste ; voilà les seuls procédés qui puissent tempérer, selon moi, l’horreur du lien conjugal, le plus affreux, le plus détestable de tous ceux par lequel les hommes ont eu la folie de se captiver. Ah ! Noirceuil, vous n’êtes pas galant, dit St.-Fond, en pressant un peu fortement les tetons de la femme de son ami, oubliez-vous donc que votre épouse est là ? Pas pour long-tems j’espère, répondit méchamment Noirceuil. Comment donc, dit d’Albert, en jetant sur la pauvre femme un regard aussi faux que sournois. — Nous allons nous séparer. — Quelle cruauté, dit St.-Fond, qu’enflammaient extraordinairement toutes ces méchancetés, et qui, branlant un giton de sa main droite, continuait de pressurer avec la gauche, les jolis tetons de madame de Noirceuil… Quoi ! vous allez rompre vos nœuds… des liens si doux ? — Mais, n’y a-t-il pas assez long-tems qu’ils durent ?… Eh bien, dit St.-Fond, toujours branlant… toujours vexant ; si tu quittes ta femme, je la prends ; moi j’ai toujours aimé dans elle cet air de douceur et d’humanité… Baisez-moi, friponne : et comme elle était en larmes, en raison des maux que depuis un quart-d’heure, lui faisait éprouver St-Fond, ce sont ses pleurs que le libertin dévore, et que sa langue essuie ; puis poursuivant : en vérité, Noirceuil, se séparer d’une femme aussi belle, (et il la mordait) aussi sensible, (et il la pinçait)… Je vous le dis, mon ami, c’est un meurtre… Un meurtre, dit d’Albert… Oui effectivement ; je crois que c’est par un meurtre que Noirceuil va briser ses liens : oh ! quelle horreur, dit St.-Fond, qui ayant fait lever la malheureuse épouse, commençait à lui molester cruellement le derrière, en lui faisant empoigner son vit ; tenez, je vois, mes amis, qu’il faut que je l’encule encore une fois, pour lui faire oublier son chagrin : oui, dit d’Albert, en venant la saisir par-devant, et moi je vais l’enconner pendant ce tems-là. Mettons-la vîte entre nous deux ; j’aime étonnamment cette manière de foutre son prochain. Et que ferai-je donc moi, dit Noirceuil ? vous tiendrez la chandelle, et vous complotterez, dit le ministre. Je veux mieux employer mon tems, dit le barbare époux ; n’occupez point la tête de ma douce compagne ; je veux jouir de sa figure en larmes, la nazarder de tems en tems, pendant que j’enculerai la petite Églée, que deux bardaches se relayeront dans mon cul, que j’épilerai les cons d’Henriette et de Lolotte, et que Lindane et Juliette foutront sous nos yeux, l’une en cul, l’autre en con, avec les jeunes gens qui restent. La séance fut aussi longue, que les tableaux en étaient recherchés ; les trois libertins déchargèrent, et la pauvre Noirceuil ne se tira de leurs mains, que meurtrie de coups. D’Albert, en perdant son foutre, lui avait tellement mordu un teton, qu’elle était couverte de sang. Imitatrice de mes maîtres, et parfaitement foutue par deux des gitons, j’avoue que j’avais de même étonnamment déchargé ; rouge, échevelée comme une bacchante, je leur parus délicieuse au sortir de là ; Saint-Fond sur-tout, ne cessait de m’accabler de carresses… Comme elle est bien ainsi, disait-il, comme le crime l’embellit, et il me suçait indistinctement sur toutes les parties de mon corps.

On continua de boire, mais sans se remettre à table, cette manière est infiniment agréable, et l’on se grise beaucoup plutôt en l’employant. Les têtes s’embrasèrent donc de manière à faire frémir les femmes. Je vis bien qu’on ne jetait sur elles que des yeux foudroyans, et qu’on ne leur adressait plus que des paroles pleines de menaces et d’invectives. Deux choses cependant s’appercevaient avec facilité : on voyait que je n’étais nullement comprise dans la conjuration, et qu’elle se dirigeait presqu’entièrement sur madame de Noirceuil ; ce que je savais d’ailleurs ne contribuait pas peu à me rassurer.

Passant tour-à-tour des mains de St.-Fond, dans celles de son mari, et de celles-ci dans celles de d’Albert, l’infortunée Noirceuil était déjà fort mal menée ; ses tetons, ses bras, ses cuisses, ses fesses, et généralement toutes les parties charnues de son corps commençaient à porter des marques sensibles de la férocité de ces scélérats ; lorsque Saint-Fond qui bandait beaucoup, la saisit, et lui ayant au préalable appliqué douze claques à tour de bras sur le derrière, et six soufflets d’égale force, il la fixa droite au milieu de la salle à manger, dans un très-grand écartement, les pieds attachés à terre, et les mains arrêtées au plafond : on lui mit, dès qu’elle fut dans cette attitude, douze bougies allumées entre les cuisses, en telle sorte que les flammes pénétrant d’une part dans l’intérieur du vagin, ou sur les parois de l’anus, et calcinant de l’autre la motte et les fesses, contournassent par leur vive impression les muscles du joli visage de cette femme, et les déterminassent aux voluptueuses angoisses de la douleur. St-Fond, armé d’une autre bougie, la considérait attentivement pendant cette crise, en se faisant sucer le vit par Lindane, et le trou du cul par Lolotte ; près de là, Noirceuil se faisant foutre en mordant les fesses d’Henriette, annonçait à sa femme qu’il allait la laisser mourir ainsi, pendant que d’Albert enculant un giton, et maniant le cul d’Eglé, encourageait Noirceuil à traiter encore bien plus mal cette malheureuse compagne de son sort. Chargée de servir et soigner le total, je m’apperçus que les bouts de bougies étaient trop courts pour faire éprouver à la victime le degré de douleur que l’on lui souhaitait, je levai les flambeaux sur un tabouret ; les cris de la Noirceuil qui devinrent insupportables, me valurent, de la part de ses bourreaux, les plus grands applaudissemens. Ce fut alors que St.-Fond, qui perdait la tête, se permit une atrocité ; le scélérat portant une bougie qu’il tenait, sous le nez de la patiente) lui brûla les paupières, et presqu’un œil entier ; d’Albert s’emparant de même d’une bougie, lui en calcina le bout d’un teton, et son mari lui brûla les cheveux.

Singulièrement échauffée de ce spectacle, j’encourageais les acteurs, et les déterminais à changer de supplice. Par mon conseil on la frotte d’esprit de vin, on y met le feu ; elle a l’air un instant de ne former qu’une flamme, et quand la matière s’éteint, son épiderme entièrement brûlé la rend horrible à regarder. On n’imagine pas les louanges que cette cruelle idée me valut. St.-Fond, qu’échauffe étonnament cette scélératesse, quitte la bouche de Lindane pour venir m’enculer, toujours suivi par Lolotte, qui par son ordre ne cesse de lui gamahucher le cul. Que lui ferons nous à présent, me dit St-Fond, en dévorant ma bouche de baisers, et me dardant son vit jusqu’aux entrailles ; invente, Juliette, invente donc quelque chose, ta tête est délicieuse, tout ce que tu proposes est divin ; il y a mille tourmens à lui faire encore éprouver, répondis-je, et tous plus piquans les uns que les autres ; et j’allais en proposer quelques-uns, lorsque Noirceuil s’approchant de nous, dit à Saint-Fond qu’il fallait lui faire avaler tout de suite la dose dont j’étais munie, avant que de lui ôter les forces nécessaires à nous donner les moyens de juger et de jouir des effets de ce poison ; d’Albert consulté, est pleinement de cet avis ; on détache la dame et on me la remet. Aimable infortunée, lui dis-je, après avoir mêlé la poudre dans un verre de vin d’Alicante, avalez ceci pour vous restaurer, et vous allez voir l’état de réconfortation où ce breuvage va mettre vos esprits. Notre imbécille avale avec docilité, et sitôt qu’elle a fait, Noirceuil qui n’avait pas cessé de m’enculer pendant que j’opérais, jaloux de ne perdre aucune des contorsions de cette agonie, me quitte pour venir considérer de plus près la victime. Vous allez mourir, lui dit-il, y êtes-vous bien déterminée ; madame est trop raisonnable, poursuit d’Albert, pour ne pas sentir que quand une femme a perdu l’estime et la tendresse de son époux, qu’il est dégoûté d’elle et qu’il en est las, le plus simple est de disparaître. Oh oui ! la mort… la mort, s’écria cette infortunée, c’est la dernière grace que je demande… Au nom du ciel ne me la faites point attendre… La mort que tu desires, infâme bougresse, est dans tes entrailles, lui dit Noirceuil, en se faisant branler le vit sous les yeux de sa triste épouse, par l’un des gitons, tu l’as reçue des mains de Juliette ; son attachement était tel pour toi, qu’elle nous à disputé le bonheur de t’empoisonner ; et St.-Fond, ivre de lubricité, ne sachant plus ce qu’il faisait, enculait d’Albert, qui se prêtant avec complaisance aux sodomites attaques de son ami, rendait à un beau giton tout ce qu’il recevait du ministre, dont je gamahuchais l’anus.

Un peu d’ordre à tout ceci, dit Noirceuil qui commençait à s’appercevoir aux contorsions de sa femme qu’il était bon de ne la plus perdre de vue ; il fait mettre un tapis au milieu de la chambre, sur lequel on étend la victime, et nous formons un cercle autour d’elle. St.-Fond m’encule en branlant un garçon de chaque main, d’Albert est sucé par Henriette, il suce un vit, en branlant de la main droite, et de la gauche, il moleste le cul de Lindane ; Noirceuil encule Eglée, on le fout, il suce un vit, et fait foutre Lolotte sur ses cuisses par le sixième giton. Les crises commencent ; elles sont horribles, on n’a pas d’idée des effets de ce poison ; la pauvre femme se tournait quelquefois au point de ne plus former qu’une boule, rien n’égalait ses crispations, ses hurlemens alors devenaient épouvantables ; mais nos précautions étaient prises de manière qu’il était impossible de rien entendre. Oh comme c’est délicieux, disait Saint-Fond tout en labourant mon cul, je ne sais ce que je donnerais pour la sodomiser en cet état. Rien n’est plus aisé, dit Noirceuil, essaye-le, nous te la tiendrons. La patiente vigoureusement saisie par les jeunes gens, présente, malgré ses efforts, le cul désiré par St.-Fond ; le scélérat s’y introduit ; oh foutre, s’écrie-t-il, c’est brûlant, je n’y puis tenir ; d’Albert le remplace, Noirceuil ensuite ; mais dès que sa malheureuse épouse le sent, ses efforts deviennent si terribles, qu’elle échappe à ceux qui la tiennent, et se jette en fureur sur son bourreau ; Noirceuil effrayé, se sauve, le cercle se reforme, laissons, laissons-la, dit St.-Fond qui venait de rentrer dans mon cul, il ne faut pas approcher une bête venimeuse, quand elle éprouve les crises de la mort. Cependant Noirceuil piqué, veut tirer vengeance de l’insulte ; il machine de nouveaux supplices, lorsque Saint-Fond s’y oppose, en assurant son ami que tout ce que l’on pourrait faire maintenant à la victime ne servirait qu’à troubler l’examen que l’on se proposait, des effets du venin. Eh ! messieurs, m’écriai-je, ce n’est pas tout cela qu’il faut à madame, elle n’a dans ce moment-ci besoin que d’un confesseur. Qu’elle aille au diable, la putain, dit Noirceuil que Lolotte suçait en ce moment ; oui, oui, qu’elle aille à tous les diables ; si j’ai jamais désiré un enfer, c’est dans l’espérance d’y savoir son ame, et de porter jusqu’à mon dernier soupir l’idée délicieuse que les plus vives douleurs ne sauraient avoir de fin pour elle ; cette imprécation parut décider la dernière crise ; madame de Noirceuil rendit l’ame, et nos trois coquins déchargèrent en blasphêmant comme des scélérats.

Voilà une des meilleures actions que nous ayons fait de notre vie, dit Saint-Fond, en pressant son vit pour en exprimer jusqu’à la dernière goutte de foutre ; il y avait long-tems que je desirais la fin de cette ennuyeuse bégueule ; j’en étais encore plus las que son mari. Ma foi, dit d’Albert, vous l’aviez pour le moins autant foutue que lui. Oui ! beaucoup plus, dit mon amant. Quoiqu’il en soit, dit Saint-Fond à Noirceuil, ma fille est maintenant à vous ; vous savez que je vous l’ai promise pour récompense de cette épreuve-ci. Je suis enchanté de ce poison, il est bien malheureux que nous ne puissions pas jouir ainsi du spectacle de la mort de tous ceux que nous faisons périr de cette manière… Allons, mon ami, je vous le répète, ma fille est à vous ; que le ciel bénisse une aventure où je gagne un gendre très-aimable, et la certitude de n’avoir point été trompé par la femme qui me fournit ces venins. Ici Noirceuil eut l’air de faire une question bas à Saint-Fond, qui lui répondit affirmativement. Et le ministre m’adressant ensuite la parole, Juliette, me dit-il, vous viendrez me voir demain, je vous expliquerai ce que je n’ai fait qu’effleurer aujourd’hui ; Noirceuil en se remariant, ne peut plus vous avoir chez lui ; mais les effets de mon crédit, les graces que je vais répandre sur vous, l’argent dont je vais vous couvrir, vous dédommageront bien amplement du sort que vous faisait mon ami. Je suis très-content de vous ; votre imagination est brillante votre flegme entier dans le crime, votre cul superbe, je vous crois féroce et libertine, voilà les vertus qu’il me faut. Monseigneur, répondis-je, j’accepte avec reconnaissance tout ce qu’il vous plait de m’offrir, mais je ne puis vous dissimuler que j’aime Noirceuil, je ne m’en séparerais qu’avec peine. Nous ne cesserons point de nous voir, mon enfant, me répondit l’ami de St.-Fond, gendre du ministre et son ami intime, nous passerons notre vie ensemble ; soit, répondis-je ; à ces conditions, j’accepte tout.

Les garçons et les filles à qui l’on fit entrevoir une mort sûre dans le cas de la moindre indiscrétion, jurèrent un silence éternel ; madame de Noirceuil fût enterrée dans le jardin, et l’on se sépara.

Une circonstance imprévue retarda le mariage de Noirceuil, ainsi que les projets du ministre ; il ne me fut pas possible non plus de le voir le lendemain. Le roi singulièrement content de St.-Fond, venait de lui donner une marque sûre de sa confiance, en le chargeant d’un voyage secret pour lequel il fut obligé de partir sur-le-champ, et au retour duquel il eut le cordon bleu avec cent mille écus de pension. Oh ! me dis-je, en apprenant ces faveurs, comme il est vrai que le sort récompense le crime, et qu’il serait imbécille celui qui, éclairé par de tels exemples, ne parcourerait pas ardemment toute l’étendue de cette carrière.

Cependant, d’après les lettres que Noirceuil reçut du ministre, j’eus l’ordre de me monter une maison splendide ; ayant reçu l’argent nécessaire à l’exécution de ce projet, je louai tout de suite un magnifique hôtel rue du faubourg St-Honoré ; j’achetai quatre chevaux, deux voitures charmantes ; je pris trois laquais d’une taille haute, majestueuse, et d’une figure enchanteresse, un cuisinier, deux aides, une femme-de-charge, une lectrice, trois femmes-de chambres, un coëffeur, deux filles en sous ordre, et deux cochers ; des meubles délicieux ornèrent ma maison, et le ministre étant de retour, je fus me présenter aussitôt chez lui. Je venais d’atteindre ma dix-septième année, et je puis dire qu’il était à Paris, bien peu de femmes plus jolies que moi ; j’étais mise comme la déesse même des amours ; il était impossible de réunir plus d’art à plus de luxe ; cent mille francs n’eûssent pas payé les parures dont j’avais orné mes attraits, et je portais pour cent mille, écus de bijoux ou de diamans. Toutes les portes s’ouvrirent à mon aspect : Le ministre m’attendait seul. Je débutai par les félicitations les plus sincères des graces qu’il venait d’obtenir, et lui demandai la permission de baiser les marques de sa nouvelle dignité ; il y consentit, pourvu que je ne remplisse ce soin qu’à genoux, pénétrée de sa morgue, et loin de la heurter, je fis ce qu’il desirait. C’est par des bassesses que le courtisan achète le droit d’être insolent avec les autres. Vous me voyez, me dit-il, madame, au milieu de ma gloire ; le roi m’a comblé, et j’ose dire que j’ai mérité ses dons ; jamais mon crédit ne fut plus assuré, jamais ma fortune plus considérable ; si je fais refluer sur vous une partie de ces graces, il est inutile de vous dire à quelles conditions ; après ce que nous avons fait ensemble, je crois pouvoir être sûr de vous ; ma plus entière, confiance vous est acquise ; mais, avant que je n’entre dans aucun détail, jettez les yeux, madame, sur ces deux clefs ; celle-ci est celle des trésors qui vont vous couvrir, si je suis bien servi par vous, celle-là, est celle de la bastille ; une éternelle prison vous y est préparée, si vous manquez d’obéissance ou de discrétion. Entre de telles menaces et un pareil espoir, vous n’imaginez pas, sans doute, que je balance, dis-je à Saint-Fond, confiez-vous donc à votre plus soumise esclave, et soyez parfaitement sûr d’elle. Deux soins bien importans vont être remis dans vos mains, madame, asseyez-vous, et écoutez-moi ; et comme j’allais prendre un fauteuil par inadvertance, Saint-Fond me fit signe de ne me placer que sur une chaise, je me confondis en excuses, et voici comme il me parla.

Le poste que j’occupe, et dans lequel je veux me soutenir long-tems, m’oblige à sacrifier un nombre infini de victimes ; voici une cassette composée de différens poisons, vous les employerez d’après les ordres que vous recevrez de moi ; à ceux qui me desservent, seront réservés les plus cruels ; les prompts, pour ceux dont l’existence me nuit au point que je n’ai pas un moment à perdre pour les enlever de ce monde ; ces derniers que vous voyez sous l’étiquette de poisons lents, seront pour ceux dont, par de puissantes raisons de politique, je dois prolonger l’existence, afin d’éloigner de moi les soupçons ; toutes ces expéditions, suivant l’exigence des cas, se feront tantôt chez vous, tantôt chez moi, quelquefois en province, ou dans les pays étrangers.

Passons maintenant à la seconde partie de vos soins ; celle-là, sans-doute, deviendra la plus pénible pour vous, mais en même-tems la plus lucrative. Doué d’une imagination très-ardente ; blâsé depuis long-tems sur les plaisirs ordinaires ; ayant reçu de la nature un tempérament de feu, des goûts très-cruels, et de la fortune tout ce qu’il faut pour satisfaire à ces furieuses passions, je ferai chez vous, soit avec Noirceuil, soit avec quelques autres amis, deux soupers libertins par semaine, dans lesquels il faut nécessairement qu’il s’immole au moins trois victimes : en retranchant de l’année le tems des voyages où vous me suivrez seulement, sans qu’il soit question de ces orgies, vous voyez que cela fait environ deux cents filles, dont la recherche ne regarde que vous ; mais il y a des clauses difficiles au choix de ces victimes. Il faut d’abord, Juliette, que la plus laide soit au moins belle comme vous, il ne faut jamais quelles soient au-dessous de neuf ans, ni au-dessus de seize ; il faut qu’elles soient vierges, et de la meilleure naissance… toutes titrées, ou au moins d’une grande richesse… — Oh ! monseigneur, et vous immolerez tout cela ? — Assurément, madame, le meurtre est la plus douce de mes voluptés, j’aime le sang avec fureur, c’est ma plus chère passion ; et il est dans mes principes qu’il faut les satisfaire toutes, à quelque prix que ce puisse-être. Monseigneur, dis-je, en voyant que Saint Fond attendait ma réponse, ce que je vous ai fait voir de mon caractère, vous prouve, je crois, suffisamment qu’il est impossible que je vous trahisse ; mon intérêt et mes goûts vous en répondent… Oui, Monseigneur, j’ai reçu de la nature les mêmes passions que vous… les mêmes fantaisies, et celui qui se prête à tout cela par amour pour la chose même, sert assurément beaucoup mieux, que celui qui n’obéirait que par complaisance ; le lien de l’amitié, la ressemblance des goûts, voilà, soyez-en bien sûr, les nœuds qui captivent le plus sûrement une femme telle que moi. Oh ! pour celui de l’amitié, ne m’en parlez pas, Juliette, reprit vivement le ministre, je n’ai pas plus de foi à ces sentiment là qu’à celui de l’amour ; tout ce qui vient du cœur est faux, je ne crois qu’aux sens, moi, je ne crois qu’aux habitudes charnelles… qu’à l’égoïsme, qu’à l’intérêt… Oui, l’intérêt sera toujours, de tous les liens, celui auquel je croirai le plus ; je veux donc que le vôtre se trouve infiniment flatté, prodigieusement caressé dans les arrangemens que je vais prendre avec vous ; que le goût vienne ensuite cimenter l’intérêt, à la bonne heure ; mais les goûts changent avec l’âge ; il peut venir un tems où l’on ne soit même plus mené par eux, on ne cesse jamais de l’être par l’intérêt. Calculons donc votre petite fortune, madame ; Noirceuil vous fait dix mille livres de rente, je vous en ai donné trois, vous en aviez douze, voilà vingt-cinq, et vingt-cinq dont voici le contract, font cinquante ; parlons maintenant du casuel. J’allais me jetter aux pieds du ministre pour lui rendre grace de cette nouvelle faveur ; il ne s’y opposa point ; et m’ayant fait signe de me rasseoir, vous imaginez bien, Juliette, continua-t-il, que ce n’est pas avec un aussi mince revenu que vous pouvez me donner à souper deux fois la semaine, ni tenir la maison que je vous ai commandé de prendre ; je vous donne donc un million par an pour ces soupers ; mais souvenez-vous qu’ils doivent être d’une magnificence incroyable ; j’y veux toujours les mets les plus exquis, les vins les plus rares, les gibiers et les fruits les plus extraordinaires ; il faut que l’immensité accompagne la délicatesse, et fussions-nous même tête-à-tête, cinquante plats ne seraient pas suffisans ; les victimes vous seront payées vingt mille francs pièce, ce qui n’est pas trop, à cause des qualités que je leur desire. Vous aurez de plus, trente mille francs de gratification par chaque victime ministérielle immolée par vos mains ; il y en a bien cinquante par an, cet article s’élève donc à quinze cents mille francs, auxquels je joins vingt mille francs par mois pour vos appointemens ; autant que je puis voir, madame, ceci vous mettra la tête de six millions sept cents quatre-vingt-dix mille francs ; nous ajouterons deux cents dix mille livres pour vos menus plaisirs, afin de vous composer une somme ronde de sept millions par an, dont cinquante mille francs passés par acte, et qui ne peuvent vous fuir. Êtes-vous contente, Juliette ? M’efforçant ici de cacher ma joie, afin de servir encore mieux l’avarice dont j’étais dévorée, je représentai au ministre que les devoirs qu’il m’imposait étaient pour le moins aussi onéreux qu’étaient considérables les sommes dont il m’accordait la disposition ; qu’avec l’envie de le bien servir, je ne ménagerais rien, et que je voyais qu’il serait fort possible que les dépenses énormes que j’allais être obligées de faire excédassent de beaucoup les recettes, qu’au surplus… Non, voilà comme je veux qu’on me parle, me dit le ministre, vous m’avez montré de l’intérêt, Juliette, c’est ce que je veux, je suis sûr d’être bien servi, maintenant ; n’épargnez rien, madame, et vous recevrez dix millions par an : aucuns de ces supplémens ne m’effrayent, je sais où les prendre tous, sans toucher à mes revenus. Il serait bien fou l’homme d’état qui ne ferait pas payer ses plaisirs à l’état ; et que nous importe la misère des peuples, pourvu que nos passions soient satisfaites ? Si je croyais que l’or pût couler de leurs veines, je les ferais saigner tous les uns après les autres, pour me gorger de leur substance[2]. Homme adorable ! m’écriai-je, vos principes me tournent la tête ; je vous ai laissé voir de l’intérêt, croyez donc au goût, maintenant, et persuadez-vous, je vous en conjure, que ce sera plutôt mille fois par idolatrie pour vos plaisirs, que par aucun autre motif, que je les servirai avec tant de zèle. Je le crois, dit Saint-Fond, je vous ai vue à l’épreuve. Eh ! comment n’aimeriez-vous pas ; mes passions, ce sont les plus délicieuses qui puissent naître au cœur de l’homme ; et celui qui peut dire : aucun préjugé ne m’arrête, je les ai tous vaincus ; et voici, d’un côté, le crédit qui légitime toutes mes actions, et de l’autre les richesses nécessaires à les assaisonner de tous les crimes ; celui-là, dis-je, n’en doutez pas, Juliette, est le plus heureux de tous les êtres… Ah ! ceci me fait souvenir, madame, du brevet d’impunité que vous promit d’Albert, la dernière fois que nous soupâmes ensemble ; le voilà, mais c’est à moi que le chancelier vient de l’accorder ce matin, et non pas à d’Albert, qui, selon son usage, vous avait totalement oubliée.

La manière dont toutes mes passions se trouvaient flattées dans cette multitude d’événemens heureux, me tenait dans une espèce d’ivresse… d’enchantement d’où résultait une sorte de stupidité qui m’ôtait jusqu’à l’usage de la parole. Saint-Fond me sortit de cet engourdissement en m’attirant à lui… Dans combien de tems commencerons-nous, Juliette, me dit-il, en baisant ma bouche, et passant une main sur mon derrière, dans lequel il enfonça, sur-le-champ, un doigt : Monseigneur, lui dis-je ; il me faut bien au moins trois semaines pour préparer tous les différens services que votre grandeur exige de moi. — Je vous les accorde, Juliette, c’est aujourd’hui le premier du mois ; je soupe chez vous le vingt-deux. Monseigneur, poursuivis-je, en m’avouant vos goûts, vous m’avez donné quelques droits à vous confier les miens : vous m’avez reconnu ceux du meurtre, j’ai ceux du vol et de la vengeance ; je satisferai les premiers avec vous : le brevet que vous venez de me donner, m’assurant l’impunité du vol, fournissez-moi les moyens de la vengeance. Suivez-moi, répondit Saint-Fond ; nous passâmes chez un commis : Monsieur, lui dit le ministre, examinez bien cette jeune femme, je vous ordonne de lui signer et délivrer toutes les lettres-de-cachet qu’elle vous demandera, n’importe pour quelle maison ; et, repassant dans le cabinet où nous étions, voilà, poursuivit le ministre, un point accordé ; la lettre que je vous ai donné remplit l’autre : tranchez, coupez, déchirez, je vous livre la France entière ; et quel que soit le crime que vous commettiez, son étendue, sa gravité, je vous réponds qu’il ne vous en arrivera jamais rien. Je vais plus loin, et vous accorde, ainsi que je l’ai dit, trente mille francs de gratification par chacun des crimes que vous commettrez pour votre compte.

Je renonce à vous dire, mes amis, ce que toutes ces promesses, toutes ces conventions me firent éprouver : oh, ciel ! me dis-je, avec le dérèglement d’imagination que j’ai reçu de la nature, me voilà donc, d’un côté, assez riche pour satisfaire à toutes mes fantaisies, de l’autre, assez de fortune pour être certaine de l’impunité de toutes : non, il n’est point de jouissances intérieures pareilles à celles-là : aucune lubricité ne fait éprouver à l’ame un chatouillement plus excessif.

Il faut sceller le marché, madame, me dit alors le ministre. Voici d’abord le pot-de-vin, continua-t-il, en me faisant présent d’une cassette où il y avait cinq mille louis en or, et pour le double de pierreries ou de magnifiques bijoux. N’oubliez pas de faire emporter cela avec la boîte des poisons : m’attirant alors dans un cabinet secret, où le faste le plus opulent se joignait au goût le plus recherché : ici, me dit Saint-Fond, vous ne serez plus qu’une putain ; hors de là, l’une des plus grandes dames de France. Par tout, par tout votre esclave, monseigneur ; par tout votre admiratrice et l’ame de vos plus délicats plaisirs.

Je me déshabillai ; Saint-Fond, ivre du plaisir d’avoir enfin une excellente complice, fit des horreurs ; je vous ai dit ses goûts, il les rafina tous : s’il m’élevait en sortant de chez lui, il me rabaissait cruellement dans son intérieur ; c’était bien, en volupté, l’homme le plus sale…, le plus despote…, le plus cruel : il me fit adorer son vit, son cul ; il chia ; je dus faire un Dieu de son étron même ; mais par une manie bien extraordinaire, il me fit souiller ce dont il tirait ses plus puissans motifs d’orgueil ; il exigea que je chiasse sur son saint-Esprit, et me torcha le cul avec son cordon bleu. À la surprise que je lui témoignai de cette action : Juliette, me répondit-il, je veux te montrer, par-là, que tous ces chiffons, qui sont faits pour éblouir les sots, n’en imposent point au philosophe. — Et vous venez de me les faire baiser ? — Cela est vrai ; mais de même que ces joujoux motivent mon orgueil, de même, j’en mets étonnamment à les profaner ; voilà de ces bisarreries de têtes qui ne sont connues que de libertins comme moi. Saint-Fond bandait extraordinairement ; je déchargeai dans ses bras : avec une imagination comme la mienne, il ne s’agit pas de ce qui répugne, il n’est question que de ce qui est irrégulier, et tout est bon quand il est excessif. Je devinai le desir extrême qu’il avait de me faire manger sa merde : je le prévins ; je lui demandai la permission de le faire ; il était aux nues ; il dévora la mienne, en y joignant l’épisode de me gamahucher le cul à chaque bouchée. Il me montra le portrait de sa fille ; à peine avait-elle quatorze ans et ressemblait à l’amour même ; je le priai de la réunir à nous. Elle n’est pas ici, me dit-il, je ne vous aurais pas laissé former ce desir, si elle y eût été. Vous en avez donc joui, lui dis-je, avant que de la donner à Noirceuil ? Assurément, me répondit-il, je serais bien fâché d’avoir laissé prendre à d’autres d’aussi délicieuses prémices. — Et vous ne l’aimez donc plus ? — Je n’aime rien, moi, Juliette ; mous n’aimons rien, nous autres libertins. Cette enfant m’a fait beaucoup bander ; elle ne m’excite plus à présent, parce que j’en ai trop fait avec elle ; je la donne à Noirceuil, qu’elle échauffe beaucoup ; tout cela est affaire de convenance. — Mais quand Noirceuil en sera las ? — Eh bien ! tu connais le sort de ses femmes ; je lui aiderai vraisemblablement ; tout cela est bon ; tout cela est bien fort ; c’est ce que j’aime… Et il bandait extraordinairement. Monseigneur, lui dis-je, il me semble que si j’étais en place, il y aurait de certains momens où j’aimerais beaucoup à abuser de mon autorité. — En bandant, n’est-ce pas ? — Oui. — Je le pense. — Oh ! monseigneur, sacrifions quelques innocent ; cette idée me tourne la tête : je le branlais… l’un de mes doigts chatouillait le trou de son cul : tenez, me dit-il, en sortant un papier de son porte-feuille, je n’ai qu’à signer cela, et je fais mourir demain une très-jolie personne, que sa famille vient de faire enfermer par mon organe, uniquement parce qu’elle aime les femmes ; je l’ai vue ; elle est charmante ; je m’en suis amusé l’autre jour : depuis ce moment-là, j’ai si peur qu’elle ne parle, que je n’ai pas existé un instant sans le desir de m’en débarasser. — Elle jasera, monseigneur, elle jasera, soyez-en bien sûr ; votre sûreté dépend de la mort de cette fille… Signez au plutôt, je vous conjure ; et prenant le papier je l’appuyai sur mes fesses, en le suppliant de le signer là. Il le fit : je veux porter l’ordre moi-même, lui dis-je : J’y consens, me répondit Saint-Fond,… Allons, Juliette, il faut que je décharge : ne vous alarmez pas du personnage qui devient nécessaire au dénouement de cette crise : et comme il sonna, un jeune homme assez joli parut dans l’instant. Mettez-vous à genoux, Juliette, il faut que cet homme vous donne trois coups de canne sur les épaules, dont la marque reste quelques jours ; qu’ensuite il vous tienne pendant que je vous enculerai ; et le jeune homme, se déculottant lui-même, fit aussitôt baiser son derrière au ministre, qui le lécha complaisamment, J’obéissais pendant ce tems-là, et j’étais à genoux ; le jeune homme se sert de sa canne, et m’applique trois coups si serrés sur les épaules que j’en fus marquée quinze jours. Saint-Fond, bien en face de moi, m’observait pendant cette crise, avec une curiosité lubrique ; il vint examiner les meurtrissures ; il se plaignit de leur faiblesse, et ordonna au jeune homme de me tenir ; il m’encula tout en baisant les fesses de celui qui facilitait son opération : ah ! foutre, s’écria-t-il en déchargeant ; ah ! sacredieu, la putain est marquée ; l’homme se retira. Ce ne fut que long-tems après, qu’un événement, dont nous parlerons, jeta quelque jours sur celui-ci ; le ministre me raccompagna, et reprenant avec moi, dès que nous fûmes hors de ce cabinet, l’air de considération qu’il avait eu avant que d’y entrer : faites emporter ces cassettes, madame, me dit-il, et souvenez-vous que notre arrangement commence dans trois semaines. Allons, Juliette, libertinage, crime, discrétion, et vous serez heureuse. Adieu.

Mon premier soin fut d’examiner l’ordre dont j’étais porteuse. Dieu ! quel fut mon étonnement, quand je vis qu’on enjoignait à la supérieure du couvent de force dont il s’agissait, d’empoisonner secrètement à qui ?… Ste.-Elme, cette charmante novice de Panthemont, que j’avais adoré pendant mon séjour dans ce couvent. Un autre que moi eut déchiré ce monument de scélératesse, mais j’avais fait trop de chemin dans la carrière du crime pour reculer ; rien ne m’arrête, je n’ai pas même le mérite de balancer ; je remets l’ordre à la supérieure, de Ste.-Pélagie, où Ste.-Elme gémissait depuis trois mois ; je demande à voir la coupable ; je la questionne, elle m’avoue que le ministre a mis sa liberté au prix de sa complaisance, et qu’elle a fait avec lui tout ce que l’on peut faire. Aucune des saletés où se livrait ce monstre de luxure, n’avait été épargnée ; bouche, cul… con, l’infâme avait tout souillé, et ce qui la consolait de ces sacrifices, était l’espoir de sa liberté. Je l’apporte, dis-je à Ste.-Elme en l’ambrassant ; elle me remercie, me rend mes baisers au double… Mon con se mouille en la trahissant… Elle était morte le lendemain.

Allons me dis-je, dès que je sus l’effet de ma scélératesse, je suis faite pour aller au grand, je le vois ; et travaillant avec promptitude aux préparatifs des projets de Saint-Fond, en trois semaines, ainsi que j’en avais pris l’engagement, je fus en état de lui donner son premier souper.

Six excellentes appareilleuses que j’avais à mes gages, in avaient procuré, pour mon début, trois jeunes sœurs, enlevées dans un couvent de Meaux, de douze, treize et quatorze ans, et de la plus céleste figure qu’il fût possible de voir.

Le ministre vint le premier jour avec un homme de soixante ans ; en arrivant il s’enferma quelques minutes avec moi, visita mes épaules, et parut mécontent de n’y plus trouver les marques qu’il m’y avait fait imprimer la dernière fois que nous nous étions vus. À peine me toucha-t-il ; mais il me recommanda le plus grand respect et la plus profonde soumission pour l’homme qu’il amenait, lequel était un des plus grands princes de la cour ; cet homme le remplaça aussitôt dans le cabinet où m’avait fait passer St.-Fond. Prévenue par mon amant, je lui fis voir mes fesses dès qu’il entra ; il s’approche, une lunette à la main ; si vous ne pètez pas, me dit-il, vous êtes mordue, et comme je ne le satisfis pas aussitôt qu’il le desirait, ses dents s’imprimèrent dans ma fesse gauche, et y laissèrent des traces profondes ; il se montre à moi, par-devant, et m’offrant un visage sévère et disgracieux, mettez votre langue dans ma bouche, me dit-il, et dès qu’elle y fut, si vous ne rotez pas, poursuivit-il, vous êtes mordue, mais voyant que je ne pouvais obéir, je me retirai assez vite pour éviter le piège ; le vieux coquin entre en fureur, il saisit une poignée de verges, et m’étrille pendant un quart-d’heure, il s’arrête et se remontrant à moi, vous voyez, me dit-il, le peu d’effet que les choses même que j’aime le mieux, produisent maintenant sur mes sens ; regardez ce vit molasse, rien ne le fait guinder, il faudrait pour cela que je vous fisse beaucoup de mal… Et cela est inutile, mon prince, lui dis-je, puisque vous allez trouver tout-à-l’heure trois objets délicieux que vous pourrez tourmenter à votre guise. — Oui… mais vous êtes belle… votre cul (il le maniait toujours) me plaît infiniment ; je voudrais bander pour lui ; il se débarasse en disant cela, de ses habits, et pose sur la cheminée, une montre à répétition enrichie de diamans, un étui, une tabatière d’or, sa bourse garnie de deux cent louis, et deux bagues superbes. Essayons, dit-il, à présent ; tenez, voilà mon cul, il faut le pincer et le mordre excessivement fort, en me branlant de toute l’élasticité de votre poignet. Bon, dit-il, dès qu’il s’apperçut d’un peu de changement dans son état ; couchez-vous maintenant à plat-ventre sur ce canapé, et laissez-moi vous piquer les fesses avec cette aiguille d’or ; je me prête ; mais poussant un cri furieux, et ayant l’air de m’évanouir à la seconde blessure, le malheureux tout étourdi, et craignant de déplaire au ministre en molestant un peu trop sa maîtresse, sort à l’instant pour me calmer. Je jette ses habits dans une autre pièce, saute sur les effets précieux, les mets dans ma poche, et me hâte de rejoindre Saint-Fond, qui me demande la cause d’un retour si leste. Ce n’est rien, lui dis-je ; mais ma promptitude à rapporter les habits de monsieur, est cause que mon boudoir s’est fermé la clef en dedans, ce sont des serrures anglaises que personne ne peut ouvrir, monsieur ayant tout ce qu’il lui faut, nous pouvons remettre à un autre tems l’entrevue qu’il desire ; et j’entraîne mes deux convives au jardin, où tout était préparé pour les recevoir ; le prince oublie ses effets, revêt l’habit que je lui présente, et ne pense plus qu’à de nouveaux plaisirs.

Il faisait une soirée délicieuse, nous étions sous un bosquet de lilas et de rose, magiquement éclairé, assis tous trois dans des trônes soutenus par des nuages desquels s’exhalaient les parfums les plus délicieux ; le centre était occupé par une montagne des fleurs les plus rares, parmi lesquels étaient les jattes du Japon, et les couverts d’or qui devaient nous servir. À peine fûmes-nous placés que le haut du bosquet s’ouvrit, et nous vîmes aussitôt paraître sur un nuage de feu, les furies tenant enchaînées avec leurs serpens les trois victimes qui devaient s’immoler à ce repas. Elles descendirent du nuage, attachèrent chacune celle qui lui était confiée, à des arbustes près de nous, et se préparent à nous être utiles. Ce repas sans ordre, ne devait être servi qu’à la volonté des convives ; on demandait ce qui passait par la tête, les furies le servaient sur-le-champ ; plus de quatre-vingt plats de diférentes espèces sont demandés sans qu’il en soit refusé un seul ; dix espèces de vins sont servies ; tout coule, tout se fournit avec profusion ; voilà un repas délicieux, dit mon amant ; j’espère, mon prince, que vous êtes satisfait du début de ma directrice. Enchanté, dit le sexagénaire, dont l’abondance des mets et des liqueurs spiritueuses avait tellement troublé la tête, qu’il ne pouvait presque plus parler. En vérité, Saint-Fond, votre Juliette est divine… mais c’est qu’elle a le plus beau cul ! Oublions-le un moment, dit Saint-Fond, pour nous occuper de ceux de ces furies ; savez-vous que je les crois superbes, et sur le simple apperçu d’un desir, ces trois déesses représentées par trois des plus belles filles qu’avaient pu me trouver, dans Paris, les appareilleuses que j’avais employées, exposent à l’instant leurs fesses aux deux libertins, qui les baisent, les lèchent, les mordent à plaisir. Oh St.-Fond, dit le prince, faisons nous fouetter par ces furies : avec des branches de rose, dit Saint-Fond ; et voilà les culs de nos paillards à l’air, cruellement fouettés, et par des faisceaux de fleurs, et par les serpens de ces harpies. Que ces écarts sont lubriques, dit Saint-Fond en se rasseyant, et montrant son vit tout en l’air ; bandez-vous, mon prince ? non, répond le malheureux perclus ; rien, de tout cela n’est assez fort pour moi ; du moment que je suis en débauche, je voudrais que les atrocités m’environnassent sans cesse ; je voudrais que tout ce qui est sacré chez les hommes, fut à l’instant troublé par moi… que leurs liens les plus sévères fussent brisés par mes mains perfides. — Vous n’aimez pas les hommes, n’est-ce pas, mon prince. — Je les abhorre. Il n’est pas d’instant dans la journée, reprit Saint-Fond, où je n’aie, de leur nuire, le dessein le plus véhément ; il n’est pas en effet une race plus épouvantable. Est-il puissant, cet homme dangereux ? Le tigre des forêts ne l’égale pas en méchanceté. Est-il malheureux ? que de bassesse, comme il est vil alors, comme il est dégoûtant ; oh ! qu’il m’arrive souvent de rougir d’être né parmi de tels êtres ; ce qui me plaît, c’est que la nature les abhorre tout autant que moi ; car elle les détruit journellement ; je voudrais avoir autant de moyens qu’elle, de les anéantir sur la terre… Mais vous, vous respectables êtres, interrompis-je ici, croyez-vous réellement que vous soyez des hommes, Eh non, non, quand on leur ressemble aussi peu, quand on les domine avec autant d’empire, il est impossible d’être de leur race. Elle a raison, dit St.-Fond ; oui, nous sommes des Dieux ; ne nous suffit-il pas comme eux, de former des désirs, pour qu’ils soient aussitôt satisfaits. Ah ! qui doute que parmi les hommes, il n’y ait une classe assez supérieure à la plus faible espèce, pour être ce que les poëtes nommaient autrefois des divinités. Pour moi je ne suis pas Hercule, je le sens, dit le prince, mais je voudrais être Pluton ; je voudrais être chargé du soin de déchirer les mortels aux enfers. Et moi, dit St.-Fond, je voudrais être la boëte de Pandor, afin que tous les maux sortis de mon sein, les détruisissent tous individuellement.

Ici quelques gémissemens se firent entendre ; ils émanaient des trois victimes enchaînées. Qu’on les délie, dit St.-Fond, et qu’elles se fassent voir à nous ; les furies les détachent et les présentent aux deux convives ; et comme il était impossible de réunir plus de grace et plus de beautés, je vous laisse à penser comme elles furent bientôt couvertes de luxures. Juliette, me dit le ministre transporté, vous êtes une charmante créature… l’on peut dire avec raison, que vos essais sont des coups de maîtres ; allons nous perdre sous ces bosquets, allons nous livrer dans l’ombre et le silence, à tout ce que l’égarement de nos têtes pourra nous dicter… As-tu fait creuser quelques fosses ? — Presqu’aux pieds de tous les endroits qui peuvent offrir des sièges à vos impuretés. — Bon, et point de lumières dans les allées. — Aucune ; l’obscurité convient au crime, et vous en jouirez dans toute son horreur ; allons, prince, égarons-nous dans ces labyrinthes ; et que là, rien n’arrête l’impétuosité de nos emportements.

Nous partîmes d’abord tous ensemble, les deux libertins, les trois victimes et moi. À l’entrée d’une route de charmille, Saint-Fond dit qu’il ne pouvait aller plus loin sans foutre ; et saisissant la plus jeune des filles, en moins de dix minutes, le vilain fit sauter les deux pucelages ; j’excitais, pendant ce tems-là, le vieux prince que rien ne pouvait faire bander. Vous ne foutrez donc pas, lui dit Saint-Fond en s’emparant de la seconde fille. Non, non ! dépucelez, dit le vieux paillard, ne me contenterai de vexations, donnez les moi à mesure qu’elles sortent de vos mains ; et dès qu’il tient la plus jeune de ces petites filles, il la tourmente de la plus cruelle manière, pendant que je le suce de toutes mes forces ; cependant Saint-Fond déflorait toujours, et ayant mis la seconde dans le même état que la première, en la rendant au prince, il saisit celle de quatorze ans. Que j’aime à foutre ainsi dans l’obscurité, disait-il, les voiles de la nuit font les aiguillons du crime, on ne les commet jamais aussi-bien que dans l’ombre ; Saint-Fond qui n’avait point encore déchargé, le fit dans le cul de l’aînée de ces filles, et demandant aussitôt au prince laquelle il voulait immoler, sur la cession que celui-ci fit de celle qui venait défaire décharger Saint-Fond, le vieux paillard, muni de tous les instrumens nécessaires aux supplices qu’il méditait, s’égara, tenant ses deux victimes, et je suivis mon amant avec celle qui devait recevoir la mort de ses mains. Dès que nous fûmes à-peu-près seuls, je lui déclarai le vol que j’avais fait ; il en rit beaucoup avec moi, et m’assura que, comme pour se mettre en train, le prince, suivant son usage, avait été au bordel avant de venir au souper ; il n’y avait rien de plus aisé que de lui faire croire qu’il avait tout perdu dans ce lieu. Êtes-vous donc des amis de cet homme, dis-je à St.-Fond ? Je ne suis l’ami de personne, me répondit le ministre ; je ménage cet original par politique, il ne laisse pas que de contribuer à ma fortune, il est fort bien avec le roi ; mais qu’il soit disgracié demain, je deviendrai le plus ardent de ceux qui l’écraseront ; il a deviné mes goûts, je ne sais comment ; il a voulu les partager, j’y ai consenti, voilà tous nos liens. Est-ce que vous ne l’aimez pas, Juliette ? — Je ne puis le souffrir. — Ma foi, sans les raisons de politique dont je viens de vous faire part, je vous le livrerais… mais je le perdrai si vous voulez, vous me plaisez au point, madame, qu’il n’est rien que je ne fasse pour vous. — Ne dites-vous pas que vous lui avez des obligations ? — Quelques-unes. — Eh bien, comment d’après vos principes, pouvez-vous l’envisager un instant ? — Laissez-moi faire, Juliette, j’arrangerai tout cela, et en même tems St.-Fond me renouvela tous ses éloges sur la manière dont j’avais conduit cette fête ; tu es, me dit-il, remplie de goût et d’esprit, et plus je te connais, plus je sens la nécessité de t’attacher à moi : c’était la première fois qu’il me tutoyais ; il me fit sentir cette faveur, en m’accordant en même tems celle d’en user de même avec lui. Je te servirai toute ma vie, si tu le veux, St Fond, répondis-je, je connais tes goûts, je les satisfairai, et si tu desires m’attacher encore davantage, tu contenteras de même les miens. — Baise-moi, ange céleste, cent mille écus te seront comptés demain matin, tu vois si je te devine.

Nous en étions là lorsqu’une vieille pauvresse nous aborde, pour nous demander l’aumône. Comment se fait-il, dit Saint-Fond surpris, qu’on ait laissé entrer cette femme ; et le ministre me voyant sourire, entendit aussitôt la plaisanterie… Ah ! friponne, me dit-il, c’est délicieux. Eh bien ! que voulez-vous, continua-t-il, en approchant cette vieille ? Hélas ! quelques charités, monseigneur, répondit l’infortunée. Venez, venez voir ma misère ; et, prenant la main du ministre, elle le conduisit dans une mauvaise petite barraque, éclairée d’une lampe qui pendait au plafond, et dans laquelle deux enfans, l’un mâle, l’autre femelle, et de huit à dix ans au plus, reposaient nuds sur un peu de paille. Vous voyez cette triste famille, nous dit la pauvresse, il y a trois jours que je n’ai un morceau de pain à leur donner ; daignez, vous que l’on dit si riche, me mettre à même de soutenir leur triste vie… Oh, monseigneur ! qui que vous soyez, connaissez-vous monsieur de Saint-Fond ? Oui, répondit le ministre. — Eh bien ! vous voyez son ouvrage : il a fait enfermer mon mari ; il nous a pris le peu de bien dont nous jouissions ; tel est l’état cruel où il nous réduit depuis plus d’un an… Et voilà, mes amis, le grand mérite que j’avais à cette scène ; c’est que tout en était exactement vrai : j’avais découvert ces tristes victimes de l’injustice et de la rapacité de Saint-Fond, et je les lui offrais réellement, pour réveiller sa méchanceté… Ah, gueuse ! s’écria le ministre, en fixant cette femme, oui, oui, je le connais, et tu dois bien me connaître aussi… Oh, Juliette, vous tenez, par cette adroite scène, mon ame dans un état… Eh bien ! qu’avez-vous à me reprocher ? J’ai fait enfermer votre époux innocent, cela est vrai ; j’ai mieux fait encore, car il n’existe plus… Vous m’avez échappé ; je voulais vous traiter de même. — Quel mal avions-nous commis ? — Celui d’avoir un bien, à ma porte, que vous ne vouliez pas me vendre ;

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en vous accablant, je l’ai eu… Vous mourez de faim, que cela me fait-il ? — Et ces malheureux enfans ? — Il y en a dix millions de trop en France ; c’est rendre service à la société, que d’élaguer tout cela : et les retournant avec son pied… la belle graine à recueillir ! Le scélérat, alors, que tout cela faisait extraordinairement bander, saisit le petit garçon et l’encule ; puis s’emparant de la petite fille, il la traite de la même manière : vieille garce, dit-il alors, montre-moi tes fesses ridées, j’ai besoin de les voir pour déterminer une décharge. La vieille pleure et résiste : j’aide les projets de Saint-Fond. Après avoir accablé d’outrages ce malheureux cul, le libertin l’enfile, ayant sous ses pieds les deux enfans, qu’il écrase en déchargeant dans le cul de leur mère, dont il brûle la cervelle au moment de sa crise ; et nous quittons cet infortuné réduit, toujours avec la petite victime de quatorze ans, dont il avait baisé les fesses pendant l’opération.

Eh bien ! monseigneur, lui dis-je en sortant de là, vous allez, à présent, jouir du bien de cette famille en toute sûreté ; et vous ne le pouviez point ; ces gens-là avaient trouvé des appuis ; ils allaient faire du tapage : je sais bien que vous vous en seriez moqué, mais cela eût toujours été désagréable ; je les ai découvert ; je les ai trompé : vous en voilà défait ; et ici Saint-Fond, en me baisant, était dans une ivresse inconcevable. Ah ! comme le crime est doux et comme ses suites sont voluptueuses !… Juliette, tu ne saurais croire en quel état tient tous mes sens la divine action que tu viens de me faire commettre… Mon ange ! mon unique Dieu ! dis-moi donc ce que tu veux que je fasse pour toi ? — Je sais qu’on vous plaît en laissant parler le désir d’avoir de l’argent, vous augmenterez de quelque chose la somme promise. — N’était elle pas de cent mille écus ? — Oui — Oh, Juliette ! je t’en promets le double. Mais, qu’est ceci, dit le ministre, effrayé de deux hommes qui s’avançaient à nous, le pistolet à la main ; je frémis ; personne n’est plus poltron que moi… Messieurs, que voulez-vous ? Tu vas le voir, répond un de ces hommes, en saisissant Saint-Fond, et l’attachant au pied d’un arbre, ses culottes rabaissées sur ses talons. — Mais, que prétendez-vous ? T’apprendre, dit l’autre homme, armé d’une poignée de verges, dont il caresse déjà le fessier ministériel, oui, scélérat, t’apprendre à traiter, comme tu viens de le faire, les pauvres habitans de la masure, que tu quittes ; et quand celui-ci a donné trois ou quatre cents coups, qui n’ont servi qu’à reguinder la machine énervée de Saint-Fond, l’autre approche et perfectionne son extase, en l’enculant d’un vit énorme : dès qu’il a foutu, il fouette ; et dès qu’il a fouetté, le premier flagellateur encule ; Saint-Fond, pendant ce tems-là, manie les fesses de la jeune fille à droite, et les miennes à gauche ; on le détache ; les hommes disparaissent ; et nous errons de nouveau dans les ténèbres.

Oh, Juliette ! je ne cesserai de te le dire, tu es divine… Mais, sais-tu que j’ai eu bien peur. Il est délicieux de donner à ses nerfs cette première commotion, avant que de leur imprimer celle de la volupté : voilà de ces gradations que les sots ignorent, et qui ne devraient être connues que de gens tels que nous. La peur agit donc fortement sur toi, dis-je à Saint-Fond ? — Oh, prodigieusement, ma chère ! je suis le plus jean-foutre de tous les êtres, et je l’avoue sans la plus petite honte. La peur n’est que l’art de se conserver, et cette science est la plus nécessaire à l’homme : il est absurde d’attacher de l’honneur à ne pas craindre les dangers ; je place le mien à les redouter tous. — Ah, Saint-Fond ! si la peur fait un tel effet sur tes sens, juges de l’état où tu mets les malheureuses victimes de tes passions ? Eh ! c’est ce qui m’en plaît, dit le ministre ; j’aime à leur faire éprouver l’espèce de chose qui trouble et bouleverse le plus cruellement mon existence… Mais, ou sommes-nous ici ?… Ton jardin est d’une grandeur énorme. Nous voilà, dis-je, au bord d’une de ces fosses préparées pour les victimes… Ah ! ah ! dit Saint-Fond, en tatant avec la main : il faut que le prince ait immolé l’une des siennes ici ; je sens un cadavre. Retirons-le, dis-je, voyons qui c’est… Elle n’est pas morte ; c’est la plus jeune de ces trois sœurs : elle ne paraît qu’étouffée, et le scélérat l’enterrait toute vive ; il faut la rappeler à la vie, tu auras le plaisir d’en tuer deux. Effectivement, après quelques secours, cette malheureuse revint à elle, mais il lui fut impossible de nous dire ce que le prince lui faisait quand elle avait perdu connaissance. Les deux sœurs s’embrassent en pleurant ; et le barbare Saint-Fond leur déclare qu’il va les tuer toutes deux ; il y procède en effet : mais ayant beaucoup d’autres aventures semblables à vous raconter, j’aime mieux jetter un voile sur celle-ci, que de risquer la monotonie. Le monstre avait déchargé dans le cul de la plus jeune de ces malheureuses, en procédant à son dernier supplice : nous jetâmes un peu de terre sur le trou, et nous poursuivîmes… Oh ! quelle action voluptueuse, que celle de la destruction, me dit cet insigne libertin, je n’en connais pas qui chatouille plus délicieusement ; il n’est pas d’extase semblable à celle que l’on goûte en se livrant à cette divine infamie : si tous les hommes connaissaient ce plaisir, la terre se dépeuplerait en dix ans. Chère Juliette, j’ai bien reconnu dans ce que nous venons de faire, que tu aimes ce crime autant que moi ! Et je convainquis Saint-Fond qu’il m’irritait peut-être encore plus que lui. En disant ces mots, nous apperçûmes dans le bois, au clair de la lune qui se levait, une espèce de petit couvent. Qu’est-ce encore que ceci, dit Saint-Fond, prétends-tu donc me noyer de voluptés ? En vérité, dis-je, j’ignore où nous sommes ; frappons. Une vieille religieuse se présente. Ma très-chère mère, lui dis-je, pouvez-vous donner l’hospitalité à deux voyageurs qui s’égarent ? Entrez, dit la bonne dame, quoique ceci soit un couvent de religieuses, la vertu que vous implorez n’est point étrangère à nos cœurs, et nous la pratiquerons aussi volontiers avec vous, que nous venons de faire envers un vieux seigneur de la cour, qui nous a demandé la même chose, il est avec nos dames, qui viennent de se lever pour matines. Nous comprîmes, à ces mots, que le prince était là ; nous le joignons. Une autre religieuse et six pensionnaires de douze à seize ans l’entouraient. Le vieux coquin, tout couvert du sang de sa dernière victime, commençait déjà à perdre le respect. Monsieur, dit à Saint-Fond celle des religieuses que nous trouvâmes en haut, opposez-vous aux tentatives de cet ingrat. Ce n’est que par des insultes qu’il prétend reconnaître l’hospitalité que nous lui accordons. Madame, dit le ministre, mon ami, qui n’est guère plus moral que moi, en détestant La vertu comme je le fais, n’aime à lui accorder aucune récompense ; vos pensionnaires me paraissent extrêmement jolies, et, ou nous mettrons le feu à votre couvent, ou sacredieu nous les violerons toutes six. Et Saint-Fond, saisissant aussi-tôt la plus petite, en accablant de coups de poings les deux religieuses qui veulent la défendre, la viole à nos yeux, par devant. Que vous dirai-je, mes amis, les cinq autres eurent bientôt le même sort, à la différence que Saint-Fond, craignant de voir faiblir son outil, laissa les cons pour ne perforer que les culs. À mesure qu’elles sortaient de ses mains, le prince s’en emparait et les fustigeait jusqu’au sang, entremêlant toujours cette opération de baisers sur mes fesses, qu’il adorait, disait-il, par-dessus tout. Saint-Fond, maître de lui, n’avait pas déchargé ; il s’empare des deux religieuses, dont l’une avait plus de soixante ans, s’enferme avec elles dans une cellule voisine, et rentre seul au bout d’une demi-heure. Qu’as-tu donc fait de ces duègnes, mon ami, dis-je au ministre, en le voyant revenir très-ému. Pour rester les maîtres de la maison, nous dit-il, il fallait bien se débarasser de ces gardiennes : j’ai commencé par m’en amuser dans cette cellule ; j’aime infiniment les vieux culs : puis ayant découvert un escalier qui conduisait auprès d’un puits, je les y ai jeté pour s’y rafraîchir. Et ces poulettes, qu’en allons-nous faire ? J’espère que nous ne les laisserons pas en vie, dit le prince… De nouvelles horreurs se commirent, que je laisse encore sous le voile ; mais le couvent fut dévasté.

Les deux libertins ayant complètement déchargé dans cette scène, et voyant le jour prêt à paraître, désirèrent enfin de se retirer : un dejeûner somptueux, servi par trois femmes nues, nous attendaient dans mes cabinets secrets ; le besoin que nous en avions nous y fit faire le plus grand honneur. Le prince voulut, avec la permission de mon amant, passer quelques heures au lit avec moi ; et Saint-Fond, au milieu de deux de mes laquais se fit foutre le reste de la nuit.

Les tentatives du vieux seigneur ne firent pas courir de grands risques à ma pudeur ; après des peines infinies, il parvint à s’introduire un moment au trou de mon cul ; mais la nature trompant son espoir, l’outil plia, et le vilain, qui n’eût même pas la force de décharger, parce qu’il avait, disait-il, deux fois perdu du foutre dans toute la partie, s’endormit, le nez dans mon derrière. Dès que nous fûmes levés, Saint-Fond toujours plus enchanté de moi que jamais, me donna un bon de huit cents mille francs, à prendre sur-le-champ au trésor royal, et il emmena son ami.

L’histoire de cette première partie, fut à-peu-près celle de toutes les autres, aux épisodes près que ma fertile imagination avait soin de varier sans cesse ; Noirceuil se trouvait presque à toutes, mais je n’y avais point encore vu d’étrangers, que le prince.

Il y avait trois mois que je conduisais cette barque immense, avec tout le succès possible, lorsque Saint-Fond m’annonça que j’avais pour le lendemain un crime ministériel à commettre. Cruels effets de la plus barbare politique ! Oh, mes amis ! devineriez-vous quelle était cette victime ? Le père même de Saint-Fond, vieillard de soixante-six ans, respectable sous tous les rapports ; il le barrait dans ses travers, craignant qu’ils ne le perdissent ; il le desservait même à la cour, afin de le contraindre à laisser là le ministère, croyant, avec bien de la raison, qu’il serait plus avantageux pour ce fils scélérat de quitter lui-même, que d’être renvoyé. Cette conduite déplut à Saint-Fond, qui d’ailleurs gagnait trois cents mille livres de rente à cette mort, et l’arrêt parricide fut bientôt prononcé ; Noirceuil vint m’expliquer ce dont il s’agissait ; et comme il remarqua que ce grand crime m’effarouchait un peu, voici par quel discours il tâcha d’en faire disparaître l’atrocité qu’y supposait imbécillement ma faiblesse.

Le mal que vous croyez faire en tuant un homme, et celui dont vous croyez l’aggraver, lorsqu’il s’agit d’un parricide. Voilà, me semble, ma chère, ce que je dois combattre à vos yeux ; je n’examinerai point la question sous le premier rapport ; vous êtes au-dessus des préjugés qui supposent du crime à la destruction de son semblable[3]. Cet homicide est simple pour vous, puisqu’il n’existe aucun lien entre votre existence et celle de la victime, il n’est compliqué que pour mon ami ; vous redoutez le parricide dont il veut se souiller, ce n’est donc que sous ce point de vue que je vais envisager l’action proposée.

Le parricide est-il un crime ou non ?

Assurément. S’il est au monde une action que je croie légitime, c’est celle-là ; et quel rapport, je vous prie, peut-il exister entre celui qui m’a mis au monde et moi ? Comment voulez-vous que je me croie lié par quelque sorte de reconnaissance envers un homme, parce qu’il lui a pris fantaisie de décharger dans le con de ma mère ; rien n’est risible comme cet imbécille préjugé ; mais si je ne le connaissais pas ce père, s’il m’avait mis au monde, sans que je m’en doutasse, la voix de la nature me l’indiquerait-elle ? Ne serais-je pas aussi froid avec lui qu’avec les autres hommes ? Si ce fait est sûr, et je crois que l’on n’en peut douter, le parricide n’ajoute rien au mal supposé à l’homicide ; si je tuais l’homme qui m’aurait donné le jour sans le connaître, je n’aurais sûrement aucun remords de l’avoir tué comme père ; ce n’est donc que parce qu’on me dit qu’il m’appartient, que je m’arrête, ou que je me repens ; or, je vous prie de me dire de quel poids l’opinion peut être pour aggraver un crime ? et s’il est possible qu’elle en change la nature ? Quoi ! je puis tuer sans remords mon père, si je ne le connais pas ; et je ne le puis, si je le connais ; de manière qu’on n’a qu’à me persuader qu’un individu que je viendrai de tuer est mon père, quoiqu’il ne le soit pas, voilà des remords appliqués à une fausse notion. Or, s’ils existent, quoique la chose ne soit pas, ils ne sauraient légitimement exister, quand elle est. Si vous pouvez me tromper sur cela, mon crime est une chimère ; si la nature, ne m’indique pas d’elle-même, l’auteur de mes jours, c’est qu’elle ne veut pas que j’éprouve d’autre tendresse pour lui, que celle que m’inspire un être indifférent ; si le remords peut être appliqué après votre opinion, et que votre opinion puisse me tromper, le remords est nul ; je suis un fou de le concevoir. Les animaux connaissent-ils leur père ? le soupçonnent-ils seulement ? motiverez-vous ma reconnaissance filiale sur les soins que ce père a pris de mon enfance ? autre erreur. Il a cédé, en les prenant, aux usages de son pays… à son orgueil, à un sentiment, que lui, comme père, peut avoir eu pour son ouvrage, mais que je n’ai nul besoin, moi, de concevoir pour l’ouvrier ; car cet ouvrier iniquement occupé de son plaisir, n’a nullement pensé à moi, lorsqu’il lui a plû de procéder, avec ma mère, à l’acte de la progéniture ; il ne s’occupait que de lui ; et je ne vois pas là de quoi former des sentimens bien ardens de reconnaissance : ah ! cessons de nous faire plus long-tems illusion sur ce ridicule préjugé ; nous ne devons pas plus à celui qui nous a donné la vie, qu’à l’être le plus froid et le plus éloigné de nous. La nature ne nous indique absolument rien pour lui : je dis plus ; elle ne saurait rien nous indiquer ; l’amitié ne remonte point d’ailleurs ; il est faux qu’on aime son père ; il est faux qu’on puisse même l’aimer ; on le craint, mais on ne l’aime pas ; son existence ennuie, mais elle ne plaît point ; l’intérêt personnel, la plus sainte des loix de la nature, nous engage invinciblement à desirer la mort d’un homme dont nous attendons notre fortune ; et sous ce rapport, sans doute, non seulement il serait tout simple de le haïr, mais beaucoup plus naturel encore d’attenter à sa vie, par la grande raison qu’il faut que chacun ait son tour, et que si mon père a joui pendant quarante ans de la fortune du sien, et que je me vois vieillir, moi, sans jouir de la sienne, je dois assurément et sans aucun remords, aider à la nature qui l’oublie dans ce monde, et hâter, par toutes sortes de moyens, la jouissance des droits qu’elle me donne, et qu’elle ne retarde que par un caprice que je dois corriger en elle. Si l’intérêt est la mesure générale de toutes les actions de l’homme, il y a donc infiniment moins de mal à tuer son père, qu’un autre individu ; car les raisons personnelles que nous avons pour nous défaire de celui qui nous a donné le jour, doivent être toujours plus puissantes, que celle que nous avons de nous défaire d’un autre personnage ; il existe ici une autre considération métaphysique que nous ne devons pas perdre de vue ; la vieillesse est la route de la mort ; la nature, en vieillissant un homme, l’approche de son tombeau ; celui qui tue un vieillard, ne fait donc qu’accomplir les loix de la nature ; il ne fait que remplir ses intentions ; voilà ce qui fit chez beaucoup de peuples, une vertu du meurtre des vieillards. Inutiles à la terre qu’ils chargent de leur poids, consumant une nourriture qui manque au plus jeune, ou que celui-ci est obligé de payer plus cher, à cause du trop grand nombre des consommateurs, il est démontré que leur existence est inutile, qu’elle est dangereuse ; et que ce qu’on peut faire de mieux, est de la supprimer. Ce n’est donc point non seulement un crime de tuer son père, mais c’est une excellente action ; c’est une action méritoire envers soi-même, qu’elle sert ; méritoire envers la nature quelle décharge d’un poids onéreux ; et digne d’éloge, puisqu’elle suppose un homme assez énergique, assez philosophe pour s’être préféré lui, qui peut être utile aux hommes, à ce vieillard, qui n’en était plus qu’oublié. Vous allez donc faire une excellente action, Juliette, en détruisant l’ennemi de votre amant, qui, sans doute, sert l’état, aussi bien qu’il puisse le faire ; car, s’il se permet quelques petites prévarications, Saint-Fond n’en est pas moins un fort grand ministre ; il aime le sang, son joug est dur, il croit le meurtre utile au maintien de tout gouvernement. A-t-il tort ; Sylla, Marius, Richelieu, Mazarin, tous les grands hommes ont-ils pensé différemment ? Machiavel donna-t-il d’autres principes ? N’en doutons pas ; il faut du sang, sur-tout au soutien des gouvernemens monarchiques ; le trône des tyrans doit en être cimenté, et Saint-Fond est loin de faire répandre tout celui qui devrait couler !… Enfin, Juliette, vous vous conservez ici un homme, qui, je le pense, vous fait jouir d’un état assez florissant ; vous augmentez la fortune de celui qui fait la vôtre ; je demande si vous devez balancer.

Noirceuil, dis-je effrontément, qui vous a dit que je balançais ? Un mouvement involontaire a pu m’échapper ; je suis jeune, je débute dans la carrière où vous m’entraînez ; quelques faibles retours doivent-ils donc étonner mes maîtres ? Mais ils verront bientôt, si je suis digne d’eux. Que Saint-Fond se hâte de m’envoyer son père, il est mort deux heures après son entrée chez moi. Mais, mon cher, il est trois classes de poisons dans la cassette que m’a confiée votre ami ; quel est celui dont je dois me servir ? Le plus cruel de tous, celui qui fait souffrir davantage, dit Noirceuil, c’est encore une recommandation que je suis chargé de te faire ; Saint-Fond veut qu’en mourant, son père soit puni des affreuses intrigues qu’il a employées pour le desservir, il veut que ses douleurs soient épouvantables. Je le conçois, répondis-je, dites-lui qu’il sera satisfait ; et comment la chose se passera-t-elle ? Le voici, dit Noirceuil.

En ta qualité d’amie du ministre, tu inviteras ce vieillard à venir dîner chez toi ; ton billet lui fera comprendre que c’est à dessein de tout concilier, et qu’approuvant toi-même les raisons qu’il donne pour la retraite de son fils, tu veux en causer avec lui. Le vieux St.-Fond viendra, on l’emportera malade de chez toi, son fils se charge du reste. Voici la somme convenue pour l’exécution du crime qu’il attend ; un bon de cent mille écus sur le trésor ; es-tu contente, Juliette ? Saint Fond, m’en donne autant pour une fête, dis-je, en rendant le papier, dites-lui que je le servirai pour rien. En voilà un second de même somme, dit Noirceuil, j’étais chargé de répondre à l’objection, elle ne déplait point à ton amant ; je veux qu’elle soit payée, et payée comme elle le desire, me dit-il tous les jours ; tant qu’elle me montrera de l’intérêt, et que je satisferai cet intérêt, je serai sûr de la conserver. Saint-Fond doit me connaître, répondis-je, j’aime l’argent, je ne m’en cache point ; mais je ne lui demanderai jamais plus qu’il ne sera nécessaire. Ces six cents mille francs sont pour l’exécution du projet, j’en demande autant le jour qu’expirera son père. — Tu les auras, Juliette, sois tranquille, c’est moi qui t’en réponds. Oh ! Juliette, que ta position est heureuse ! Ménages-la, jouis, et tu vas, si tu sais te conduire, devenir avant qu’il soit peu, la femme la plus riche de l’Europe ; quel ami je t’ai donné-là ! — Déjà dans tes principes, je ne t’en remercie pas, Noirceuil ; cette liaison t’a fait plaisir, tu y gagnes toi-même, il devient flatteur pour toi d’être l’ami d’une femme dont le luxe et le crédit effacent déjà celui des princesses de la cour… Je rougirais d’aller à l’opéra comme y parût hier la princesse de Nemours, aussi, n’eût-elle pas un regard, pendant que tous les yeux étaient sur moi. — Et, jouis-tu de tout cela, Juliette ? — Infiniment, mon cher ; d’abord, je roule sur l’or, ce qui est pour moi la première des jouissances. — Mais fous-tu ? — Beaucoup, il est bien peu de nuits, où ce que Paris a de mieux dans les deux sexes, ne vienne m’offrir son hommage. — Et tes crimes favoris ? — Ils vont leur train, je vole tout ce que je peux… jusqu’à un écu, comme si je mourais de faim. — Et la vengeance ? — J’y donne le plus grand essort ; la juste punition du prince de… qui fait la nouvelle du jour, est mon unique ouvrage ; cinq ou six femmes sont depuis deux mois à la bastille, pour avoir voulu être mieux mises que moi. Nous entrâmes ensuite dans quelques détails sur les fêtes que je donnais au ministre ; je ne te cacherai pas, me dit Noirceuil, que tu as l’air de te relâcher depuis quelque tems, Saint-Fond s’en est apperçu ; il n’y avait pas cinquante plats au dernier souper ; ce n’est qu’en mangeant beaucoup qu’on décharge bien, poursuivit Noirceuil, et nous autres libertins, nous tenons fort à la qualité et à la quantité du sperme ; la gourmandise flatte infiniment tous les goûts qu’il a plu à la nature de nous donner, et il semble qu’on n’a jamais le vit si roide, et le cœur si dur, que quand on vient de faire un repas somptueux. Je te recommande encore le choix des filles ; Saint-Fond, quoique ce que tu nous donnes soit très-joli, n’y trouve pas encore assez de recherches. Tu ne saurais croire à quel point il faut les porter ; nous voulons que le gibier fourni soit non seulement d’une excellente race, mais qu’il possède encore toutes les qualités morales et physiques qui peuvent rendre sa défaite intéressante. Sur cela je fis part à Noirceuil des excellens moyens que je prenais ; au lieu de six, vingt-quatre femmes travaillaient maintenant sans relâche et elles avaient sous elles un pareil nombre de femmes correspondantes qui parcouraient les provinces ; j’étais la cheville ouvrière de tout cela, et bien certainement, j’y donnais tous mes soins. Avant que de te décider pour un sujet, me répondit Noirceuil, fut-il à trente lieues, fais-les pour le voir, et n’accepte jamais que ce qui te paraîtra délicieux. Ce que vous me recommandez est fort difficile, répondis-je, car le sujet est souvent enlevé avant qu’on ne m’en parle. Eh bien, dit Noirceuil, il faut en enlever vingt, pour en avoir dix. — Et que ferai-je des réformés ? — Tu t’en amuses, tu les vends à des amis… à des maquerelles, c’est ce que dans ta place, on appelle le tour du bâton, il y a cent mille francs à gagner là par an. — Oui, si Saint-Fond me payait tous les sujets, mais il n’en paye que trois par soupers. — Je l’engagerai à les payer tous. — Il sera beaucoup mieux servi. Maintenant, Noirceuil, poursuivis-je, entrez avec moi dans quelques détails qui me sont absolument personnels ; vous connaissez ma tête : avec tant de moyens de faire le mal, vous croyez bien que je m’y livre avec outrance ; ce que je conçois, ce que j’imagine déjà, ne s’exprime point ; mais, mon ami, vos conseils me sont nécessaires. Saint-Fond ne sera-t-il pas jaloux de tous les écarts où je me livre ? Jamais, me dit Noirceuil, Saint-Fond est trop raisonnable pour ne pas sentir que tu dois donner dans beaucoup de travers ; cette seule idée l’amuse, et il me disait encore hier, je crains qu’elle ne soit pas assez gueuse. — Oh ! dans ce cas, qu’il se tranquilise, mon ami, assurez-le qu’il est difficile de porter plus loin le goût de tous les vices. J’ai quelquefois entendu demander, dit Noirceuil, si la jalousie était une manie flatteuse ou défavorable pour une femme, et j’avoue que je n’ai jamais douté, que ce mouvement n’étant que personnel, assurément les femmes n’avaient rien à gagner à l’action qu’il produit dans l’ame de leurs amans ; ce n’est point parce qu’on aime beaucoup une femme, qu’on en est jaloux, c’est parce qu’on craint l’humiliation qui naîtrait de son changement ; et la preuve qu’il n’y a rien que de purement égoïste dans cette passion, c’est qu’il n’y a pas un amant de bonne foi qui ne convienne aimer mieux voir sa maîtresse morte, qu’infidelle ; c’est donc bien plutôt son inconstance que sa perte, qui nous afflige, et c’est donc nous seuls que nous considérons dans cet évènement. D’où je conclus, qu’après l’impardonnable extravagance d’être amoureux d’une femme, la plus grande sans doute qu’on puisse faire, est d’en être jaloux. Ce sentiment est malhonnête pour elle, puisqu’il lui prouve qu’on ne l’estime pas ; il est affligeant pour soi, et toujours inutile, puisque c’est un moyen sûr de donner à une femme l’envie de nous manquer, que de lui laisser appercevoir la crainte que nous avons que cela ne lui arrive. La jalousie et la frayeur du cocuage sont deux choses qui tiennent absolument à nos préjugés, sur la jouissance des femmes ; sans cette maudite coutume de vouloir imbécillement sur cet objet, lier sans cesse le moral au physique, nous nous débarasserions aisément de ces préjugés. Eh quoi ! il n’est pas possible de coucher avec une femme sans l’aimer, et il n’est pas possible de l’aimer sans coucher avec elle ? Mais quelle nécessité y a-t-il donc, que le cœur soit de la partie où le corps seul agit ? Ce sont deux désirs… ce sont deux besoins très-différens ce me semble. Araminthe, a le plus beau corps du monde, sa figure est voluptueuse, ses grands yeux noirs et pleins de feu me promettent une ample éjaculation de son sperme, lorsque les parois de son vagin ou de son anus seront vivement électrisés du frottement de ma verge, j’en jouis, elle tient parole. Quelle nécessité y a-t-il, je vous prie, que les sentimens de mon cœur accompagnent l’acte qui me soumet le corps de cette créature ? Il me paraît encore une fois que c’est une chose très-différente que d’aimer et que de jouir, et que non-seulement il n’est pas nécessaire d’aimer pour jouir, mais qu’il suffit même de jouir pour ne pas aimer. Car les sentimens de tendresse s’accordent aux rapports d’humeur et de convenances ; mais ils ne sont nullement dus à la beauté d’une gorge, ou à la jolie tournure d’un cul ; et ces objets-ci, qui selon nos goûts peuvent vivement exciter les affections physiques, n’ont pourtant pas, ce me semble, même droit aux affections morales. Pour achever ma comparaison, Bélise est laide, elle a quarante ans, pas une grace dans toute sa personne, pas un trait régulier, pas un seul agrément, mais Bélise a de l’esprit, un caractère délicieux, un million de choses qui s’enchaînent avec mes sentimens et mes goûts ; je n’aurai aucun desir de coucher avec Bélise, mais je ne l’en aimerai pas moins à la folie ; je désirerai fortement d’avoir Araminthe, mais je la détesterai cordialement, dès que la fièvre du desir sera passée, parce que je n’ai trouvé qu’un corps en elle, et nulle des qualités morales qui pouvaient lui mériter les affections de mon cœur ; il n’est d’ailleurs nullement question de tout cela ici ; et dans les infidélités que Saint-Fond te laisse faire, il entre un sentiment de libertinage tout différent de l’explication qui vient de t’être donnée. Saint-Fond jouit de l’idée de te savoir dans les bras d’un autre, il t’y place lui-même, il bande en t’y voyant ; tu multiplieras ses jouissances, par l’extension que tu donneras aux tiennes et tu ne seras jamais plus aimée de Saint-Fond, que quand tu auras le plus fait ce qui te vaudrait la haine d’un autre. Voilà de ces écarts de tête qui ne sont connus que de nous, mais qui n’en sont pas moins délicieux pour cela… Vous me rassurez, dis-je à Noirceuil ; Saint-Fond aimera mes goûts, mon esprit, mon caractère, et ne sera point jaloux de ma personne ? Oh ! comme cette idée me console ; car je vous l’avoue, mon ami, la continence me serait impossible, mon tempérament veut être satisfait, à quelque prix que ce puisse être ; avec ce sang impétueux… avec cette imagination que vous connaissez, avec la fortune immense dont je jouis, comment résisterais-je à des passions que tout irrite, et que tout enflamme ? — Eh ! livre-toi, Juliette, livre-toi, c’est tout ce que tu peux faire de mieux, mais pour le reste des hommes, un peu d’hypocrisie, je t’y exhorte ; souviens-toi que l’hypocrisie est un vice essentiel dans le monde, à celui qui a le bonheur de posséder tous les autres ; avec de l’art et de la fausseté, on réussit à tout ce qu’on veut ; car ce n’est point de votre vertu dont le monde a besoin, c’est seulement de pouvoir vous en supposer. Pour une couple d’occasions où cette vertu vous sera nécessaire, il y en aura trente où vous n’aurez besoin que de son masque ; sachez donc le prendre, femmes débauchées, mais seulement jusqu’à l’indifférence du crime, jamais jusqu’à l’enthousiasme de la vertu, parce que le premier état laisse en paix l’amour propre des autres, et que le second l’irrite ; d’ailleurs c’est bien assez de cacher ce qu’on aime, sans être obligé de feindre ce qu’on déteste ; si tous les hommes étaient vicieux, de meilleure fois, l’hypocrisie ne serait pas nécessaire ; mais faussement persuadés que la vertu a des avantages, ils veulent absolument y tenir par quelque côté ; il faut faire comme eux, et pour se les gagner, cacher tout ce qu’on peut de ses travers, sous le manteau de cette vieille et ridicule idole, quittes à se venger de l’hommage forcé qu’on lui rend par des sacrifices de plus au rival. L’hypocrisie d’ailleurs en apprenant à tromper, facilite une infinité de crimes ; on se livre à vous parce que votre air désintéressé en impose, et vous enfoncez le poignard avec d’autant moins de peine, qu’on ne vous suppose pas même de le porter. Cette manière sourde et mystérieuse de satisfaire ainsi ses passions rend leur jouissance infiniment plus vive. Le cinisme a du piquant, je le sais, mais il ne vous amene pas… il ne vous assure pas les victimes comme l’hypocrisie ; et puis l’effronterie… les crapuleux écarts du crime ne sont réellement bons que dans les débauches. Qui empêche l’hypocrite de s’y livrer au fond de sa maison, quand il satisfait son libertinage ? Mais on avouera que loin de là le cinisme devient déplacé, il est du plus mauvais ton, et en vous écartant de la société, il vous met hors d’état de jouir d’elle. Les crimes de débauches ne sont pas les seuls qui présentent des délices, il en est tout plein d’autres très-intéressans, très-lucratifs que l’hypocrisie nous assure, et dont nous éloignerait le cinisme : y avait-il au monde une créature plus fausse, plus adroite, plus scélérate que la Brinvilliers ; c’était dans les hôpitaux qu’elle allait faire des épreuves de ses poisons, c’était sous le voile de la piété et de la bienfaisance qu’elle essayait avec impunité les délicieux moyens de ses crimes. Son père lui disait au lit de la mort où elle venait de le réduire par un breuvage empoisonné ; oh ma chère fille, je ne regrette la vie que par l’impossibilité où je suis, de te faire le bien que je voudrais ! et la réponse de la fille fut une dose de plus, dans le verre de tisanne qu’elle administrait au bon homme[4]. Il n’y avait pas au monde une créature plus fine… plus adroite ; elle jouait la dévotion, elle allait à la messe, elle faisait des aumônes sans nombre, et tout cela pour assurer ses crimes ; aussi en fit-elle long-tems sans être découverte, et peut-être ne l’eût-elle jamais été sans son imprudence, et le malheur de sort amant[5]. Que cette femme te serve d’exemple, ma chère, je ne saurais t’en offrir de meilleur. Je connais toute l’histoire de cette créature célèbre, répondis-je, et je desire sans doute en être digne. Mais mon ami, je voudrais pour modèle, une femme plus rapprochée de moi, je desirerais qu’elle fût plus âgée, qu’elle m’aimât, qu’elle eût mes goûts, mes passions, et que, quoique nous nous branlassions ensemble, elle me permit tous mes autres écarts, sans la moindre jalousie ; je voudrais néanmoins qu’elle eût une sorte d’empire, sans pourtant chercher à me dominer ; que ses conseils fussent bons, qu’elle eût infiniment de condescendance pour mes caprices, et d’expérience du libertinage ; sans religion comme sans principes ; sans mœurs comme sans vertu, infiniment de chaleur dans l’esprit, et le cœur à la glace.

J’ai ton affaire, me répondit, Noirceuil ; c’est une veuve âgée de trente ans, d’une beauté rare, scélérate au dernier degré, possédant toutes les qualités que tu exiges, et qui te sera d’un grand secours dans la carrière où tu viens d’entrer, elle me remplacera pour ton éducation ; car tu vois que séparés, comme nous le sommes, je ne pourrai plus te suivre avec la même chaleur ; Madame de Clairwil, en un mot, riche à million, connaît tout ce qu’on peut connaître, sait tout ce qu’on peut savoir, et je te réponds que c’est ce qu’il te faut. — Ah ! Noirceuil, vous êtes charmant ; mais, mon ami, ce n’est pas encore tout, je voudrais rendre les conseils que je vais recevoir, j’éprouve aussi vivement le besoin d’être instruite, que celui de faire une éducation, et je desire une élève avec autant d’ardeur qu’une institutrice. Eh ! mais…… ma femme, dit Noirceuil. Quoi, répondis-je avec enthousiasme, vous me confieriez l’éducation d’Alexandrine ? — Pourrait-elle être en meilleures mains ? Assurément je te la confierai ; Saint-Fond desire qu’elle fasse de toi sa plus intime société. — Et pourquoi ce mariage se retarde-t-il. — Mon deuil encore trop récent, une basse soumission à d’indignes préjugés que j’adopte à cause de l’usage, et que je méprise au fond de mon cœur. — Encore un mot, mon ami, n’ai-je rien à craindre, auprès du ministre, de la rivalité de la femme dont vous m’offrez la société. — Pas la moindre chose, Saint-Fond la connaît avant toi, il s’en amuse ; mais madame de Clairwil ne remplirait point tes fonctions, et il ne trouverait pas, je le sais, le même plaisir à les lui faire exécuter. Ah ! m’écriai-je, vous êtes tous les deux divins, et vos bontés pour moi seront bien chaudement acquittées par mes soins à servir vos passions ; ordonnez-moi, je me trouverai toujours trop heureuse d’être l’instrument de vos débauches, et le premier moyen de vos crimes.

Je ne revis plus mon amant jusqu’à l’exécution du forfait que je devais commettre pour lui ; la fermeté me fut de nouveau recommandée, la veille, et le bon vieillard parut. J’employai tout l’art possible, avant que de nous mettre à table, pour le raccommoder avec son fils, et fus très-étonnée de voir que la chose ne serait peut-être pas très-difficile ; tout-à-coup je changeai de batteries ; ce n’est pas le racommodement qui est maintenant nécessaire, pensai-je aussitôt ; s’il a lieu, je perds et l’occasion d’un crime qui me chatouille beaucoup, et douze cents mille francs promis pour son exécution ; cessons de négocier, agissons. J’administre la drogue avec la plus grande facilité ; le vieillard s’évanouit, on l’emporte, et j’apprends avec grand plaisir, le surlendemain, qu’il est mort dans d’horribles douleurs.

Il venait d’expirer, lorsque son fils arriva pour un des soupers qu’il faisait chez moi deux fois par semaine ; le mauvais tems nous contraignit à rester dans l’intérieur, et Noirceuil était le seul convive qu’eût admis ce jour-là Saint-Fond. Je leur avais préparé trois petites filles de quatorze à quinze ans, plus belles que tout ce qu’il est possible de voir au monde ; un couvent de la capitale me les avait fournies, et elles me coûtaient cent mille francs chacune : je ne balançais plus sur les prix, depuis que Saint-Fond payait beaucoup mieux. Voilà, dis-je, en les présentant au ministre, de quoi vous consoler de la perte que vous venez de faire. Elle m’est peu sensible, Juliette, dit Saint-Fond, en baisant ma bouche, je ferais volontiers mourir quinze scélérats comme celui-là, par jour, sans en avoir le plus petit remords. Je n’ai d’autre regret, que de ne l’avoir pas vu souffrir davantage ; c’était un drôle bien méprisable. Mais savez-vous, dis-je, qu’il n’était pas loin du racommodement. — Tu as bien fait de ne pas adopter ses vues ; que l’existence de ce coquin me pèserait, si j’étais obligé d’en soutenir encore le poids ! je lui reproche jusqu’à la sépulture que d’affreux préjugés m’ont contraint à lui accorder ; j’eus voulu voir son corps dévoré par les couleuvres dont il empoisonna mes jours ; et, comme pour s’étourdir, le libertin se mit tout de suite à l’ouvrage, mes trois pucelles furent inventoriées ; la critique la plus amère ne pouvait mordre sur celles-là ; taille, naissance, prémices, enfance, tout s’y trouvait ; mais je m’apperçus que les deux amis ne bandaient pas plus l’un que l’autre, et rien ne plait à la satiété ; je vis bien qu’ils n’étaient pas contens, et que néanmoins ils n’osaient se plaindre ; indiquez-moi donc ce qu’il vous faut, si ces objets ne vous satisfont pas, leur dis-je, car vous avouerez qu’il m’est impossible de deviner ce qui peut valoir mieux que cela. Rien de plus vrai, répondit Saint-Fond, qui se faisait inutilement manier par deux de ces petites filles ; mais Noirceuil et moi sommes épuisés, nous venons de faire des horreurs, et je ne sais ce qu’il faudrait pour nous réveiller maintenant. Ah ! si vous me racontiez vos prouesses, peut-être retrouveriez-vous dans le détail de ces infamies, les forces nécessaires à en commettre de nouvelles. Je le crois, dit Noirceuil ; eh bien, faites déshabiller, dit Saint-Fond ; que Juliette soit nue de même, et écoutez-nous. Deux des jeunes filles entourèrent Noirceuil, l’une le suçait, il langotait l’autre, et maniait les deux culs ; je suis chargée du soin de branler l’orateur, pendant qu’il claque les fesses de la troisième des pucelles ; et telles sont les atrocités que nous révéla Saint-Fond.

J’ai mené, nous dit-il, ma fille chez mon père expirant, Noirceuil était avec moi ; nous nous sommes enfermés, les portes bien défendues ; là, (et le vit du paillard dressait à cet aveu) dis-je, j’ai eu la voluptueuse barbarie d’annoncer à mon père que ses douleurs étaient mon ouvrage ; je lui ai dit que par mes ordres, ta main l’avait empoisonné, et qu’il eût promptement à songer à la mort. Puis, troussant ma fille devant lui, je la lui ai sodomisée sous les yeux. Noirceuil, qui m’adore quand je fais des infamies, me foutait pendant ce tems-là ; mais le coquin me voyant déculer Alexandrine, me remplaça bientôt dans le poste et moi, me raprochant du bonhomme, je l’obligeai à me faire décharger tout en l’étranglant. Noirceuil se pâmait, pendant ce tems, au fond des entrailles de ma fille. Quelle jouissance pour moi ! J’étais couvert de malédictions, d’imprécations, je parricidais, j’incestais, j’assassinais, je prostituais, je sodomisais ; oh ! Juliette, Juliette ! je n’ai jamais été si heureux de ma vie ; tu vois où me met le seul récit de ces voluptés, me voilà bandant comme ce matin : le paillard saisit alors une des petites filles, et pendant qu’il va la flétrir de toutes parts, il veut que Noirceuil, et moi, nous en martyrisions chacune une à ses yeux. Ce que nous inventons est horrible ; la nature, outragée dans ces jeunes filles, opère grandement chez Saint-Fond, et le coquin est prêt à perdre son foutre, lorsque, pour ménager ses forces, il se retire prudemment du cul de la novice, afin de perforer les deux autres. Assez heureux pour se contenir toujours, il se rendit maître, ce jour là, des six pucelages, ne laissant à Noirceuil que des roses épanouies. N’importe, le paillard profite du peu qu’on lui donne, et mon derrière, ainsi que celui de Saint-Fond, lui servent de perspective tout le tems qui lui reste à foutre ; il les baise, il les gamahuche tous deux, et reçoit, dans sa bouche, les pets que nous nous divertissons à lui faire.

On soupa, je fus seule admise aux honneurs du festin, mais nue ; les petites filles, établies sur la table, à plat-ventre, nous éclairaient, au moyen des bougies que nous leur avions fouré dans le cul ; et comme ces bougies se trouvaient fort courtes, et le souper fort long, la peau de leurs cuisses fut entièrement grésillée ; en les liant sur la table, on leur avait enlevé le moyen de se déranger, et en remplissant leur bouche de coton, nous leur ôtions celui de nous étourdir de leurs clameurs. Cet épisode divertit infiniment nos paillards, et les palpant souvent de l’une et l’autre de mes mains, je les trouvai, pendant tout le souper, dans le meilleur état du monde. Noirceuil, dit Saint-Fond, pendant que nos petites novices se rôtissaient, explique-nous, je t’en conjure, avec ta métaphysique ordinaire, comment il est possible d’arriver au plaisir, soit en voyant souffrir les autres, soit en souffrant soi-même ? Écoutez-moi donc, dit Noirceuil, je vais vous démontrer cela.

La douleur, en définition de logique, n’est autre chose qu’un sentiment d’aversion que l’ame conçoit, de quelques mouvemens contraires à la constitution du corps qu’elle anime. Voilà ce que nous dit Nicole, qui distinguait dans l’homme une substance aérienne, qu’il nommait ame, et qu’il différenciait de la substance matérielle que nous nommons corps. Pour moi, qui n’admets point cette définition frivole, et qui ne voit dans l’homme qu’une espèce de plante absolument matérielle, je dirai seulement que la douleur est une suite du peu de rapport des objets étrangers avec les mollécules organiques qui nous composent ; en-sorte qu’au lieu que les atômes émanés de ces objets étrangers s’acrochent avec ceux de notre fluide nerval, comme ils le font dans la commotion du plaisir, ils leur présentent ici des angles, les piquent, les repoussent, et ne s’enchaînent jamais ; cependant, quoique leurs effets soient repoussans, ce sont toujours des effets, et que ce soit le plaisir ou la douleur qui s’offre à nous, voile toujours une commotion certaine sur le fluide nerval ; or, qui empêche que cette commotion de la douleur, infiniment, plus vive et plus active que l’autre, ne parvienne à exciter dans ce fluide le même embrâsement qui s’y propage par l’acrochement des atômes émanés des objets du plaisir ; et remué pour être remué, qui empêche qu’avec de l’habitude je ne m’acoutume à me trouver aussi bien, de l’être par les atômes qui repoussent, que par ceux qui acrochent ; blâsé sur les effets de ceux qui ne produisent qu’une sensation simple, pourquoi ne m’acoutumerais-je pas à recevoir de même le plaisir par ceux dont la sensation est poignante ; l’un et l’autre coups se reçoivent au même endroit ; la seule différence qu’il y ait, c’est que l’un est violent, l’autre doux ; mais sur les gens blâsés, le premier ne vaut-il pas infiniment mieux que l’autre ? Ne voit-on pas tous les jours des gens qui ont accoutumés leur palais à une irritation qui leur plaît, à côté d’autres gens qui ne pourraient soutenir un instant cette irritation. N’est-il pas vrai maintenant, (une fois mon hipothèse admise) que l’usage de l’homme, dans ses plaisirs, est de chercher à émouvoir les objets qui servent à sa jouissance, de la même manière dont lui-même est ému, et que ces procédés sont ce qu’on appelle, dans la métaphisique de la jouissance, des effets de sa délicatesse. Que peut-il donc y avoir de singulier à ce qu’un homme, doué d’organes, tels que nous venons de les peindre, par les mêmes procédés de son adversaire, et par les mêmes principes de délicatesse, imagine d’émouvoir l’objet qui sert à sa jouissance par les moyens dont il est lui-même affecté ; il n’a pas plus de tort que l’autre, il n’a fait que ce que l’autre a fait ; les suites sont différentes, je vous l’accorde ; mais les premiers motifs sont les mêmes ; le premier n’a pas été plus cruel que le second, et aucun des deux n’a de torts ; tous deux ont employés sur l’objet de leur jouissance, les mêmes moyens dont ils se servent pour se procurer du plaisir.

Mais, répond à cela, l’être mu par une volupté brutale, cela ne me plaît pas, soit ; reste à savoir maintenant si je peux vous y contraindre ou non ; si je ne le peux, retirez-vous, et laissez-moi ; si, au contraire, mon argent, mon crédit, ou ma place me donnent, ou quelque autorité sur vous, ou quelque certitude de pouvoir anéantir vos plaintes, subissez, sans dire un mot, tout ce qu’il me plaît de vous imposer, parce qu’il faut que je jouisse, et que je ne puis jouir, qu’en vous tourmentant et qu’en voyant couler vos larmes ; mais dans aucun cas, ne vous étonnez point, ne me blâmez point, parce que je suis le mouvement que la nature a mis en moi, la direction qu’elle m’a fait prendre, et qu’en un mot, en vous contraignant à mes voluptés dures et brutales, les seules qui parviennent à me faire arriver au comble du plaisir, j’agis par les mêmes principes de délicatesse que l’amant efféminé qui ne connaît que les roses d’un sentiment dont je n’admets que les épines ; car je vous fais, en vous tourmentant… en vous déchirant, ce qui seul m’émeut, comme lui fait en enconnant tristement sa maîtresse, ce qui seul le remue agréablement ; mais cette délicatesse efféminée je la lui laisse ; parce qu’il est impossible qu’elle puisse émouvoir des organes construits aussi fortement que les miens ; oui, mes amis, poursuivit Noirceuil, soyez sûrs qu’il est impossible que l’être véritablement passionné pour les voluptés de la luxure, puisse vraiment y mêler la délicatesse, qui n’est que le poison de ces plaisirs, et qui suppose un partage impossible à qui veut bien jouir ; toute jouissance partagée s’affaiblit. C’est une vérité reconnue ; essayez de faire jouir l’objet qui sert à vos plaisirs, vous ne tarderez pas à vous appercevoir que c’est à vos dépens ; il n’y a point de passion plus égoïste, que celle de la luxure ; il n’en est point qui veuille être servi plus sévèrement ; il ne faut absolument s’occuper que de soi, quand on bande, et ne jamais considérer l’objet qui nous sert, que comme une espèce de victime, destinée à la fureur de cette passion ; toutes n’exigent-elles pas des victimes ? Eh bien ! l’objet passif, dans l’acte de la luxure, est celle de notre passion lubrique ; moins il est ménagé, mieux le but est rempli ; plus les douleurs de cet objet sont vives, plus son humiliation… sa dégradation est complète, et plus notre jouissance est entière ; ce ne sont pas des plaisirs qu’il faut faire goûter à cet objet, ce sont des impressions qu’il faut produire en lui ; et celle de la douleur étant beaucoup, plus vive que celle du plaisir, il est incontestable, qu’il vaut mieux que la commotion produite sur nos nerfs, par ce spectacle étranger, y parvienne par la douleur, plutôt que par le plaisir ; voilà ce qui explique la manie de cette foule de libertins, qui, comme nous, ne parviennent à l’érection, et à l’émission de la semence, qu’en commettant les actes de la cruauté la plus atroce… qu’en se gorgeant du sang des victimes ; il en est qui n’éprouveraient pas même l’érection la plus légère, s’ils ne considéraient, dans les angoisses de la douleur la plus violente, le triste objet vendu, à leur lubrique fureur, s’ils n’étaient pas eux-mêmes les premières causes de ces angoisses. On veut faire éprouver à ses nerfs une commotion violente ; on sent bien que celle de la douleur sera plus forte que celle du plaisir ; on l’emploie, et l’on s’en trouve bien ; mais la beauté m’objecte un imbécille, attendrit, intéresse ; elle invite à la douceur, au pardon : comment résister aux larmes d’une jolie fille, qui, les mains jointes implore son bourreau ? Eh ! vraiment, c’est ce qu’on demande, c’est de cet état même que le libertin dont il est question, tire sa plus délicieuse jouissance ; il serait bien à plaindre, s’il agissait sur un être inerte, qui ne sentit rien ; et cette objection est aussi ridicule, que le serait celle d’un homme qui m’assurerait qu’on ne doit jamais manger de mouton, parce que le mouton est un animal doux. La passion de la luxure veut être servie, elle exige, elle tyrannise, elle doit donc être satisfaite, abstraction totale de toute considération quelconque ; la beauté, la vertu, l’innocence, la candeur, l’infortune, rien, de tout cela ne doit donc servir d’abri à l’objet que nous convoitons ; au contraire, la beauté nous excite mieux, l’innocence, la vertu et la candeur embellissent l’objet, l’infortune nous le donne… nous l’assouplit ; toutes ces qualités ne doivent donc servir qu’à nous enflammer mieux, et toutes ne doivent être regardées par nous, que comme des véhicules à nos passions. Il y a d’ailleurs ici un frein de plus à rompre ; il y a l’espèce de plaisir que donne le sacrilège ou la profanation des objets offerts à notre culte ; cette belle fille est un objet d’hommage pour les sots ; en la rendant celui de mes plus vives et de mes plus dures passions, j’éprouve la double jouissance de sacrifier à cette passion, et un bel objet, et un objet digne du culte public : faut-il s’arrêter plus long-tems à cette pensée, pour en éprouver le délire ; mais on n’a pas perpétuellement sous sa main de tels objets ; cependant on s’est accoutumé à jouir par la tyrannie, et l’on voudrait jouir tous les jours : eh bien ! il faut savoir se dédommager par d’autres petits plaisirs ; la dureté d’ame envers le malheureux, le refus de les soulager, l’action de les plonger soi-même dans l’infortune, si on le peut, remplace en quelque façon, cette sublime jouissance de faire souffrir un objet de débauche ; la misère de ces infortunés est un spectacle qui prépare déjà la commotion que nous sommes accoutumés à recevoir, par l’impression de la douleur ; ils nous implorent, nous ne les soulageons pas ; voilà presque l’ébranlement donné ; un pas de plus, le feu s’allume, il naît de tout cela des crimes, et rien ne détermine plus sûrement au plaisir, comme le sel que le crime entraîne : mais j’ai rempli ma tache. Comment, m’avez-vous demandé, peut-on arriver au plaisir, soit en souffrant, soit en faisant souffrir ? Je l’ai démontré théoriquement ; convainquons-nous maintenant par la pratique, et que les supplices de ces demoiselles soient, en conséquence de la démonstration, aussi nerveux, je vous prie, qu’il nous sera possible de les inventer.

On sortit de table, et les victimes, par unique rafinement, furent un instant soignées et rafraîchies. Je ne sais pourquoi Noirceuil paraissait ce soir-là, plus que jamais, amoureux de mon cul ; il ne pouvait se rassasier de le baiser, de le louer, de le gamahucher, de le foutre ; à tout moment, il m’enculait, puis il retirait brusquement son vit pour le faire sucer aux petites filles ; il revenait ensuite et me donnait, sur les fesses et sur les reins, des claques extraordinairement fortes ; il s’oublia même au point, de me branler le clitoris ; tout cela m’échauffait prodigieusement, et je dus paraître, à mes amis, d’un incroyable putanisme. Mais comment se satisfaire avec des filles excédées ou deux libertins épuisés, qui bandaient à peine ; je leur propose de me faire foutre devant eux, par mes laquais ; mais Saint-Fond, très-échauffé de vin et de férocité, s’y opposa en disant qu’il ne se sentait plus d’autre besoin que celui des tigres, et que, puisqu’il y avait là de la chair fraîche, il fallait se hâter de la dévorer ; il s’escrimait en conséquence d’une force terrible sur les trois petits culs de ces charmantes pucelles : il les pinçait, il les mordait, il les égratignait, il les déchirait ; le sang ruisselait déjà de tous côtés, lorsque se relevant comme un furieux, son vit colé contre le ventre, il se plaignit amèrement à nous de l’impossibilité où il se croyait ce jour-là de pouvoir rien trouver qui pût faire souffrir les victimes au gré de ses caprices : tout ce que j’invente aujourd’hui, nous dit-il, est au-dessous de mes désirs : imaginons donc quelque chose qui tienne ces putains trois jours dans les angoisses les plus effrayantes de la mort. Ah ! dis-je, tu déchargerais pendant cet intervalle, et l’illusion détruite tu les soulagerais bientôt. Je ne pardonne pas à Juliette, dit Saint-Fond, de me connaître aussi mal que cela ; dans quelle erreur tu es, mon ange, si tu crois que ma cruauté ne s’allume qu’au feu de mes passions. Ah ! je voudrais, ainsi qu’Hérode, prolonger mes férocités au-delà même du tombeau ; je suis barbare jusqu’à la frénésie quand je bande, et cruel de sang-froid, quand le foudre a coulé : il y a mieux, Juliette, poursuivi cet insigne scélérat, tiens, si tu veux, je vais décharger, nous ne commencerons le supplice de ces garces, que quand je n’aurai plus de foutre dans les couilles, et tu verras si je mollirai. Saint-Fond, vous bandez beaucoup, dit Noirceuil, c’est tout ce que je vois de plus clair dans ce que vous dites ; il s’agit de lancer son sperme, et si vous voulez suivre mes conseils, nous y procéderons fort vîte ; je serais d’avis que nous embrochassions tout simplement ces demoiselles, et pendant qu’elles rôtiraient toutes vives à nos yeux, Juliette nous branlerait le vit et nous ferait arroser de foutre ces trois superbes aloyaux. Oh, sacredieu ! dit Saint-Fond en frottant son vit sur le sang des fesses de la plus jeune et de la plus jolie des trois, je vous jure que celle que je tiens ici souffrira plus que vous ne dites. Eh ! que diable que feras-tu, dit Noirceuil, qui venait de se renfoncer dans mon cul. Tu vas le voir, dit ce scélérat… Et de ses mains, ressemblant à des étaux, il lui casse les doigts, lui disloque tous les membres, et la larde de plus de mille coups avec la pointe d’un stilet : Eh bien ! dit Noirceuil, toujours m’enculant, elle aurait tout autant souffert embrochée. Aussi le sera-t-elle, dit Saint-Fond ; mais le feu calcinant ses blessures, elle souffrira beaucoup plus que si vous l’eussiez embrochée toute fraîche. Allons, dit Noirceuil, j’y consens ; travaillons ces bougresses-là dans le même genre. J’en saisis une, il prend l’autre, et, toujours dans mon cul, le coquin la met dans le même état que celle qu’avait martyrisé Saint-Fond. Je l’imite, et les voilà bientôt toutes trois rôtissant devant un feu d’enfer, pendant que Noirceuil, en blasphêmant tous les Dieux du paradis, décharge dans mon derrière, et que je fais éjaculer, à coups de poignet, le foutre de Saint-Fond sur les corps calcinés de ces trois malheureuses victimes de la plus effrayante luxure. Toutes trois furent jettées dans un trou. On se remit à boire. Brûlés de nouveaux désirs, les libertins voulurent des hommes ; mes laquais parurent et s’épuisèrent toute la nuit dans leurs insatiables culs, sans venir à bout de les faire bander : leurs propos, cependant, furent affreux ; et ce fut dans cette séance, que je reconnus mieux que jamais combien il était certain que ces monstres étaient aussi cruels de sang froid, qu’au plus grand feu de leurs passions.

Un mois après cette dernière aventure, Noirceuil me présenta la femme qu’il désirait me donner pour amie. Comme son mariage avec Alexandrine fut encore retardé, à cause du deuil de Saint-Fond, et que je ne veux vous peindre cette charmante fille du ministre, que lorsque je la possédai pleinement, nous allons nous occuper de madame de Clairwil, et des arrangemens que je pris avec cette femme délicieuse, pour cimenter notre liaison.

C’était avec raison que Noirceuil m’avait fait les plus grands éloges de madame de Clairwil. Elle était grande, faite à peindre ; le feu de ses regards était tel, qu’il devenait impossible de la fixer ; mais ses yeux, grands et très-noirs, en imposaient plus qu’ils ne plaisaient, et en général, l’ensemble de cette femme était plus majestueux qu’agréable ; sa bouche, un peu ronde, était fraîche et voluptueuse, ses cheveux, noirs comme du jai, descendaient au-bas de ses cuisses ; son nez singulièrement bien coupé, son front noble et majestueux, sa gorge moulée, la plus belle peau, quoique brune, les chairs fermes, potelées ; les formes les mieux arrondies ; c’était, en un mot, la taille de Minerve, sous les agrémens de Vénus. Cependant, soit que je fusse plus jeune, soit que ma physionomie eut en grace, ce que celle-ci avait en noblesse, je plaisais davantage à tous les hommes : madame de Clairwil surprenait ; je me contentais d’enchaîner : elle contraignait l’hommage des hommes, et moi je le dérobais.

À ces graces impérieuses, madame de Clairwil joignait un esprit très-élevé ; elle était fort instruite ; singulièrement ennemie des préjugés… déracinés par elle dès l’enfance, il était difficile à une femme de porter la philosophie plus loin ; d’ailleurs beaucoup de talens, sachant parfaitement l’anglais et l’italien, jouant la comédie comme un ange, dansant comme Terpsicore, chimiste, physicienne, faisant de jolis vers, possédant bien l’histoire, le dessin, la musique, la géographie, écrivant comme Sévigné, mais poussant peut-être un peu trop loin toutes les extravagances du bel-esprit, dont les suites étaient communément un orgueil insupportable avec ceux qu’elle n’élevait pas à sa hauteur, comme moi… la seule créature, disait-elle, en qui elle, eut véritablement reconnu de l’esprit.

Il y avait cinq ans que cette belle femme était veuve, jamais elle n’avait eu d’enfans… elle les détestait ; sorte de petite dureté, qui dans une femme, prouve toujours l’insensibilité ; aussi pouvait-on assurer que celle de madame de Clairwil était à son comble. Elle se flattait de n’avoir jamais versé une larme, de ne s’être jamais attendri sur le sort des malheureux : mon ame est impassible, disait-elle ; je défie aucun sentiment de l’atteindre, excepté celui du plaisir. Je suis maîtresse des affections de cette ame, de ses désirs… de ses mouvemens ; chez moi tout est aux ordres de ma tête ; et c’est ce qu’il y a de pis, continua-t-elle, car cette tête est bien détestable ; mais je ne m’en plains pas, j’aime mes vices, j’abhorre la vertu ; je suis l’ennemi jurée de toutes les religions, de tous les Dieux, je ne crains ni les maux de la vie, ni les suites de la mort, et quand on me ressemble, on est heureux. Douée d’un tel caractère, il était facile de voir que madame de Clairwil n’avait que des adulateurs, et fort peu d’amis ; elle ne croyait pas plus à l’amitié qu’à la bien-faisance, et pas plus aux vertus qu’aux Dieux. Joignez à tout cela des richesses énormes, une très-bonne maison à Paris, une délicieuse campagne, tous les moyens du luxe… Le plus bel âge, une santé de fer. Ou il n’y a point de bonheur en ce monde, ou l’individu qui réunit tous ces agrémens, peut se flatter de le posséder.

Madame de Clairwil s’ouvrit à moi, dès le premier abord, avec une franchise qui m’étonna dans une femme, qui, comme je viens de vous le dire, avait si bien l’orgueuil de sa supériorité ; mais je dois lui rendre la justice d’avouer qu’elle n’en eut jamais avec moi. Noirceuil vous a bien peinte, me dit-elle, je vois que nous avons la même ame, le même esprit, les mêmes goûts ; nous sommes faites pour vivre ensemble, unissons-nous ; nous irons fort loin ; mais surtout bannissons tous freins, ils ne sont fait que pour les sots ; des caractères élevés, des ames fières, des esprits nerveux comme les nôtres, brisent en se jouant, toutes ces digues populaires, ils savent que le bonheur est au-delà, ils l’atteignent avec courage, en foulant aux pieds les petites loix, les froides vertus et les imbécilles religions de ces hommes de boue, qui ne semblent avoir reçu l’existence que pour déshonorer la nature.

Quelques jours après, Clairwil, dont je commençais à rafoler, vint souper tête à tête avec moi ; ce fut dans cette seconde aventure où nous épanchâmes nos cœurs… où nous nous confiâmes nos goûts, nos sentimens… Oh ! quelle ame que celle de Clairwil, je crois que si le vice même eut habité sur la terre, ce n’eût jamais été qu’au fond de cette ame perverse qu’il eût établi son empire.

Dans un moment de confiance mutuelle, avant que de nous mettre à table, Clairwil se pencha sur moi, nous étions l’une et l’autre dans une niche de glace, mollement étendues sur des carreaux, dont le duvet moëlleux soutenait nos reins vacillans ; un jour très-doux semblait appeler l’amour, et favoriser ses plaisirs. N’est-il pas vrai, mon ange, dit Clairwil, en me baisant la gorge, que c’est en se branlant que deux femmes comme nous doivent faire connaissance… et la tribade me troussant en disant cela, dardait déjà sa langue enflammée au plus profond de mon gosier… Ses doigts libertins atteignent le but ; il est là, me dit-elle, le plaisir, il sommeille sur un lit de rose, mon tendre amour veut-il que je l’éveille. Oh Juliette, me permets-tu de m’embrâser au feu des transports que je vais allumer dans toi… Friponne, ta bouche m’en répond, ta langue appelle la mienne, elle l’invite à la volupté. Ah ! rends moi ce que je te fais, et mourons de plaisir. Déshabillons-nous, dis-je à mon amie, les débauches de la volupté ne sont bonnes que quand on est nud ; je ne démêle rien dans toi, et je veux tout y voir ; débarassons-nous de ces voiles importuns, n’est-ce pas déjà trop de ceux de la nature ! Ah ! quand j’excite en toi des transports, je voudrais voir palpiter ton cœur. Quelle idée, me dit Clairwil, elle me peint ton caractère, Juliette, je t’adore ; faisons tout ce que tu voudras, et mon amie fut aussi nue que moi ; dans l’instant nous nous examinâmes d’abord plusieurs minutes en silence. Clairwil s’enflammait à la vue des beautés que m’avait prodiguées la nature. Je ne me rassasiais pas d’admirer les siennes ; jamais on ne vit une plus belle taille, jamais une gorge mieux soutenue… des fesses ! ah Dieu ! c’était le cul de la Vénus adorée des Grecs ; je n’en vis jamais de coupé plus délicieusement, je ne me lassais point de baiser tant de charmes ; et mon amie se prêtant d’abord avec complaisance, me rendait ensuite au centuple, toutes les caresses dont je l’accablais. Laisse-moi faire, me dit-elle enfin après m’a voir couché sur l’ottomane, les cuisses très-ouvertes, laisse-moi te prouver, ma chère bonne, que je sais donner du plaisir à une femme ; deux de ses doigts alors travaillèrent mon clitoris, et le trou de mon cul, pendant que sa langue enfoncée très-avant dans mon con, pompait avidement le foutre qu’excitaient ses titillations ; je n’avais jamais de ma vie été branlée de cette manière ; je déchargeai trois fois de suite dans sa bouche, avec de tels transports, que je pensai m’en évanouir. Clairwil, avide de mon foutre, changea pour la quatrième course, toutes ses manœuvres avec autant de légèreté que d’adresse. Ce fut un de ses doigts qu’elle enfonça cette fois-ci dans mon con, pendant qu’avec un autre elle frétillait sur mon clitoris, et que sa langue douce et voluptueuse pénétrait au trou de mon cul… Que d’art… que de complaisance, m’écriai-je… Ah ! Clairwil, tu me fais mourir, et de nouveaux jets de foutre furent le fruit des procédés divins de cette voluptueuse créature.

Eh bien, me dit-elle, dès que je fus remise ; crois-tu que je sache branler une femme ? je les adore, comment ne connaîtrais-je pas l’art de leur donner du plaisir ? Que veux-tu, ma chère, je suis dépravée, est-ce ma faute si la nature m’a donné des goûts contraires à ceux de tout le monde ? Je ne connais rien d’injuste comme la loi de mélanger les sexes pour se procurer une volupté pure ; et quel sexe sait mieux que le notre, l’art d’aiguilloner les plaisirs, en nous rendant ce qu’il se fait pour se délecter lui-même, en nous faisant ce qui lui est propre, ne doit-il pas mieux réussir que cet être, différent de nous, qui ne peut nous offrir que des voluptés très-éloignées de celles que notre sorte d’existence exige ? — Quoi, Clairwil, tu n’aimes pas les hommes. — Je m’en sers, parce que mon tempérament le veut, mais je les méprise et je les déteste ; je voudrais pouvoir immoler tous ceux aux regards desquels j’ai pu m’avilir. — Quelle fierté. — C’est mon caractère, Juliette ; à cette fierté je joins la franchîse, c’est le moyen d’être connue de toi tout de suite. — Ce que tu dis suppose de la cruauté ; si tu desires ce que tu viens d’exprimer, tu le ferais si tu le pouvais. — Qui te dit que je ne l’aie pas fait ? mon ame est dure, et je suis loin de croire la sensibilité préférable à l’heureuse apathie dont je jouis. Oh Juliette, poursuivit-elle en nous remettant, tu te trompes, peut-être sur cette sensibilité dangereuse, dont tant d’imbécilles s’honorent.

La sensibilité, ma chère, est le foyer de tous les vices, comme elle est celui de toutes les vertus. C’est elle qui conduisit Cartouche à l’échafaud, comme elle inscrivit en lettres d’or le nom de Titus dans les annales de la bienfaisance. C’est pour être trop sensibles que nous nous livrons aux vertus, c’est pour l’être trop que nous chérissons les forfaits ; l’individu privé de sensibilité, est une masse brute, également incapable du bien comme du mal, et qui n’a de l’homme que la figure. Cette sensibilité purement physique, dépend de la conformité de nos organes, de la délicatesse de nos sens, et plus que tout de la nature du fluide nerval, dans lequel je place généralement toutes les affections de l’homme. L’éducation, et après elle, l’habitude, exercent en tel ou tel sens cette portion de sensibilité reçue des mains de la nature ; et l’égoïsme… le soin de notre vie vient ensuite aider à l’éducation, et à l’habitude à se déterminer pour tel ou tel choix. Mais comme l’éducation nous trompe presque toujours, dès qu’elle est finie, l’inflamation causée dans le fluide électrique par le rapport des objets extérieurs, opération dont nous nommons l’effet, les passions, vient décider l’habitude au bien ou au mal. Si cette inflamation est médiocre en raison de l’épaisseur des organes qui s’oppose à une action pressée de l’objet extérieur sur le fluide nerval, ou du peu de vitesse avec laquelle le cerveau lui rapporte l’effet de cette pression, ou encore du peu de disposition de ce fluide à être mis en mouvement ; alors les effets de cette sensibilité nous déterminent à la vertu ; si au contraire les objets extérieurs agissent sur nos organes d’une manière forte, s’ils le pénètrent avec violence, s’ils donnent une action rapide aux particules du fluide nerval qui circulent dans la concavité de nos nerfs, les effets de notre sensibilité dans ce cas, nous déterminent au vice. Si l’action est encore plus forte, elle nous entraîne au crime, et définitivement aux atrocités, si la violence de l’effet est à son dernier degré d’énergie. Mais l’on voit, sous tous les rapports que la sensibilité n’est que mécanique, que c’est d’elle d’où tout naît, et que c’est elle qui nous conduit à tout. Si nous reconnaissons dans une jeune personne l’excès de cette sensibilité, tirons hardiment son horoscope, et convaincons-nous bien que cette sensibilité finira par la porter un jour au crime ; car ce n’est pas comme on pourrait le croire, le genre de la sensibilité qui conduit au crime ou à la vertu ; c’est son dernier degré ; et l’individu dans lequel son action est lente, sera disposé au bien, comme il est certain que celui dans lequel cette action fait des ravages, se portera nécessairement au mal ; le mal étant plus piquant, plus attrayant que le bien. C’est donc vers lui que doivent se diriger les effets violens, par le grand principe qui rapproche et qui réunit toujours au moral comme au physique tous les effets égaux.

Il est donc certain que le procédé nécessaire en pareil cas près d’une jeune personne qu’on formerait, serait d’émousser cette sensibilité ; car les directions sont presqu’impossibles ; vous perdrez peut-être quelques faibles vertus en émoussant, mais vous épargnerez bien des vices, et dans un gouvernement qui punit sévèrement tous les vices, et qui ne récompense jamais les vertus, il vaut infiniment mieux apprendre à ne pas faire le mal, que de s’attacher à faire le bien. Il n’y a absolument aucun danger à ne point faire le bien, et il en existe à faire le mal avant l’âge de pouvoir sentir la nécessité qu’il y a de cacher celui auquel la nature nous entraîne invinciblement ; je dis plus, c’est que la chose du monde la plus inutile est de faire le bien, et la chose du monde la plus essentielle est de ne pas faire le mal, non pas relativement à soi, car la plus grande de toutes les voluptés ne naît bien souvent que de l’excès du mal, non pas relativement à la religion, parce que rien n’est absurde comme ce qui tient à l’idée d’un dieu, mais uniquement par rapport aux loix dont l’infraction découverte quelque délicieuse qu’elle puisse être, nous entraîne toujours dans l’infortune quand on manque d’expérience.

Il n’y aurait donc aucune espèce de danger à mettre le jeune individu dont nous supposons ici l’éducation, dans une telle situation d’ame, qu’à la vérité, il ne fit jamais une bonne action, mais qu’en récompense il n’en imagina jamais une mauvaise… au moins avant l’âge où son expérience lui ferait une nécessité de l’hypocrisie ; or le procédé à mettre en œuvre en pareil cas, serait d émousser radicalement sa sensibilité, si-tôt que vous vous apercevrez que sa trop grande activité pourrait l’entraîner au vice. Car je suppose même que de l’apathie où vous réduiriez son ame, il puisse naître quelques dangers, ces dangers seront toujours bien moindres que ceux qui naîtraient de sa trop grande sensibilité ; les crimes commis dans le cas de l’endurcissement de la partie sensitive, le seront toujours de sang-froid, et par conséquent l’élève que nous supposons, aura le tems d’en cacher et d’en combiner les suites, au lieu que ceux commis dans l’effervescence, l’entraîneront sans qu’il ait le tems d’y parer, dans les derniers excès de l’infortune. Les premiers seront peut-être plus sombres, mais ils seront aussi plus secrets, parce que le flegme avec lequel ils seront commis, donnera le loisir de les arranger sans devoir en craindre les suites ; les autres au contraire, commis à visage découvert et sans réflexion, meneront leur auteur à l’échafaud ; et ce n’est pas parce que votre élève devenu homme, commette ou ne commette pas de crimes que vous devez vous attacher, parce que dans le fait le crime est un accident de la nature, dont l’homme est l’instrument involontaire, dont il faut qu’il soit le jouet en dépit de lui-même, quand ses organes les contraignent : mais vous devez vous attacher à ce que cet élève commette le délit le moins dangereux eu égard aux loix du pays qu’il habite, en telle sorte que si le plus faible est puni, et que le plus affreux ne le soit pas, c’est pourtant le plus affreux qu’il faut lui laisser faire. Car encore une fois ce n’est pas du crime dont il faut le garantir, c’est du glaive qui frappe l’auteur du crime ; le crime n’a pas le moindre inconvénient, et la punition en a beaucoup ; il est parfaitement égal au bonheur d’un homme qu’il commette, ou ne commette point de crimes ; mais il est très-essentiel à ce même bonheur qu’il ne puisse être puni de ceux qu’il aura fait, de quelque genre, ou de quelqu’atrocité que soient ces crimes. Le premier devoir d’un instituteur serait donc de donner à l’élève dont il est chargé, les dispositions nécessaires à ce qu’il puisse se livrer à celui des deux maux qui est le moins dangereux, puisqu’il est malheureusement trop vrai qu’il faut qu’il incline vers l’un ou vers l’autre ; et l’expérience vous démontrera facilement que les vices qui pourront naître de l’endurcissement de l’ame, seront beaucoup moins dangereux que ceux produits par l’excès de la sensibilité, et cela par la grande raison que le sang froid que l’on met aux uns, donne les moyens de se garantir de la punition, tandis qu’il est démontré impossible qu’elle puisse échapper à celui qui n’ayant le tems de rien arranger, de rien prévenir, se livre aveuglément à l’effervescence de ses sens. Ainsi dans le premier cas, je veux dire en laissant à une jeune personne toute sa sensibilité, elle fera quelques bonnes actions dont l’usage est prouvé inutile ; dans le second, elle n’en fera aucune bonne, ce qui n’a pas le plus petit inconvénient ; et la tournure que vous lui avez donnée ne lui fera commettre que l’espèce d’infraction qui peut être commise sans danger. Mais votre élève deviendra cruel… Eh, quels seront les effets de cette cruauté ? Avec un peu de vigueur, ils consisteront à se refuser constamment à tous les effets d’une pitié que le tour que vous aurez donné à son ame, n’admettra plus ; il y a bien peu de dangers à cela. Ce sont quelques vertus de moins, et c’est la chose du monde la plus inutile que la vertu, puisqu’elle est pénible à celui qui l’exerce, et qu’elle n’obtient dans nos climats aucune récompense ; avec une ame forte et rigoureuse, cette cruauté mise en action, consistera en quelques crimes sourds, dont les rapports aigus, enflammeront par leur frottement les particules électriques du fluide nerval de ses nerfs, et qui coûteront peut-être la vie à quelques êtres obscurs ; qu’importe, l’effervescence de sa passion n’ayant point altéré les facultés de son jugement, il aura procédé à tout avec un tel mystère… avec un tel art, que le flambeau de Thémis n’en pourra jamais pénétrer les détours ; il aura donc été heureux sans rien risquer ; n’est-ce pas là tout ce qu’il faut ? Ce n’est pas le mal qui est dangereux, c’est l’éclat ; et le plus odieux de tous les crimes, bien caché, a infiniment moins d’inconvéniens que la plus légère faiblesse dévoilée. Jettez les yeux maintenant sur l’autre cas ; doué de l’exercice entier de ses facultés sensitives, l’élève que nous supposons voit un objet qui lui convient, les parens le lui refusent ; accoutumé à donner à sa sensibilité toute l’extension possible, il tuera, il empoisonnera, tout ce qui, entourant cet objet, pourra gêner ses vues, et il sera roué ; ce sont, comme on voit, dans les deux cas, toujours les choses au pis que je suppose : je n’offre qu’un exemple des dangers de l’une et l’autre situation, et laisse à l’esprit la combinaison des autres données. Si, lorsque vos calculs seront faits, vous approuvez, comme je ne puis m’empêcher de le croire, l’extinction de toute sensibilité dans un élève, la première branche de l’arbre à élaguer alors, est nécessairement la pitié. Et qu’est-ce en effet que la pitié ? un sentiment purement égoïste qui nous porte à plaindre, dans les autres, le mal que nous craignons pour nous. Donnez-moi un être, dans le monde, qui, par sa nature, puisse être exempt de tous les maux de l’humanité, non-seulement cet être n’aura aucune espèce de pitié, mais il ne la concevra même pas ; une preuve plus grande encore que la pitié n’est qu’une commotion purement passive, imprimée sur le genre nerval, en raison ou en proportion du malheur arrivé à notre semblable, c’est que nous serons toujours plus sensibles à ce malheur s’il est arrivé sous nos yeux, n’intéressa-t-il qu’un inconnu, que celui que pourrait avoir éprouvé à cent lieues de nous le meilleur de nos amis ; et pourquoi cette différence ? s’il n’était prouvé que ce sentiment n’est que le résultat physique de la commotion de l’accident sur nos nerfs ; or, je demande si un tel sentiment peut avoir, par lui-même, quelque chose de respectable, et s’il peut être vu autrement que comme faiblesse ? C’est, de plus, un sentiment fort douloureux, puisqu’il n’arrive à nous que par une comparaison qui nous ramène au malheur. Son extinction, produit, au contraire, une jouissance, puisqu’elle laisse appercevoir, de sang-froid, un état dont nous sommes exempts, et qu’elle nous permet alors une comparaison avantageuse… aussitôt détruite, dès que nous nous amollissons au point de plaindre l’infortune, ce que nous ne faisons que par la cruelle pensée que peut-être demain il peut nous en arriver autant… Bravons cette crainte fâcheuse, sachons affronter, sans peur, ce danger pour nous-même, et nous ne le plaindrons plus dans les autres.

Une autre preuve que ce sentiment n’est que faiblesse et pusillanimité, c’est son attenance plus particulière avec les femmes et les enfans, et l’éloignement dans lequel il est chez ceux dont les organes ont acquis toute la force et toute la vigueur convenables. Par la même raison, le pauvre, plus rapproché de l’infortune que le riche, a naturellement l’ame plus ouverte aux maux, que la main du sort offre à ses regards ; comme ces maux sont plus rapprochés de lui, il y compâtit davantage. Tout cela prouve donc que la pitié, loin d’être une vertu, n’est qu’une faiblesse née de la crainte et du malheur… faiblesse que l’on doit absorber avant tout, lorsque l’on, travaille à émousser la trop grande sensibilité de ses nerfs entièrement incompatible aux maximes de la philosophie.

Voilà, Juliette ; voilà les principes qui m’ont amenée à cette tranquillité… à ce repos des passions… à ce stoïcisme qui me permet maintenant de tout faire, et de tout soutenir sans émotion ; presse-toi donc de t’initier à ces mystères, poursuivit cette femme charmante, qui ne savait pas encore où j’en étais sur ce point. Presse-toi d’anéantir cette stupide commisération, qui te troublerait au moindre spectacle malheureux qui s’offrirait à toi ; arrivée là, mon ange, par des épreuves continuelles qui te convaincront bientôt de l’extrême différence qui existe entre toi et cet objet, sur le triste sort, duquel tu te lamentes, convains-toi que les pleurs que tu répandrais, sur cet individu, ne le soulageraient pas, et t’affligeraient ; que tes secours que tu lui administrerais ne pourraient réellement ajouter qu’un plaisir fade à tes sens, et qu’il en peut naître un très-vif du refus. Persuade-toi, que c’est troubler l’ordre de la nature, que de tirer de la classe de l’indigence ceux qu’elle a voulu y placer ; qu’entièrement sage, et conséquente dans toutes ses opérations, elle a des desseins sur les hommes, qu’il ne nous appartient ni de connaître ni de contrarier ; que ses desseins sur nous, se prouvent par l’inégalité des forces, nécessairement suivie de celles des fortunes et des conditions. Autorise-toi des exemples anciens, Juliette, ton esprit est orné ; rappelle toi tes lectures. Souviens-toi de l’empereur Licinius qui, sous les peines les plus rigoureuses, défendait toute compassion envers les pauvres, et toute espèce de soulagement à l’indigence, Rappelle-toi cette secte de philosophes grecs, qui soutenait qu’il y avait du crime à vouloir déranger les nuances établies par la nature dans les différentes classes d’hommes ; et quand tu en seras au même point que moi, cesse de déplorer alors la perte des vertus produites par la pitié ; car ces vertus, n’ayant que l’égoïsme pour base, ne sauraient avoir rien de respectable ; puisqu’il n’est nullement sûr qu’il y ait du bien à tirer de l’infortune le malheureux que la nature y place, il est bien plus simple d’étouffer le sentiment qui nous rend sensible à ses malheurs que de le laisser germer, dans l’appréhension, peut-être, d’outrager la nature, en dérangeant ses vues si nous y compâtissons ; le mieux, alors, est de nous mettre en un tel état, que nous ne voyons plus ces maux qu’avec indifférence. Ah ! chère amie, si, comme moi, tu avais la force de faire un pas de plus, si tu avais le courage de trouver du plaisir à la contemplation des maux d’autrui, rien que par cette idée satisfaisante de ne les pas éprouver soi-même, idée qui, nécessairement, produit une volupté sure ; si tu pouvais aller jusques-là ; tu aurais beaucoup gagné pour ton bonheur, sans doute, puisque tu serais parvenue à changer en roses une partie des épines de la vie ; ne doute pas un instant, ma bonne, que les Denis, les Nérons, les Louis XI, les Tibères, les Venceslas, les Hérodes, les Andronics, les Héliogabales, les Retz ect.[6], n’ayent été heureux par ces principes, et que s’ils ont pu faire tout ce qu’ils ont fait d’atroce, sans en frémir, ce n’était, bien sûrement, que parce qu’ils étaient parvenus à allumer la volupté au flambeau de leurs crimes. — C’était des monstres, m’objectent les sots ! — Oui, selon nos mœurs et notre façon de penser ; mais relativement aux grandes vues de la nature sur nous, ils n’étaient que les instrumens de ses desseins ; c’était pour accomplir ses loix qu’elle les avait douée de ces caractères féroces et sanguinaires. Ainsi, quoiqu’ils parussent faire beaucoup de mal suivant les loix humaines, dont le but est de conserver l’homme, ils n’en faisaient pourtant aucun selon celles de la nature, dont le but est de détruire, pour le moins, autant qu’elle crée ; au contraire, ils faisaient un bien réel, puisqu’ils remplissaient ses vues ; d’où il résulte que l’individu qui aurait un caractère semblable à celui de ces prétendus tyrans, ou celui qui parviendrait à y monter le sien, non-seulement s’éviterait de grands maux, mais pourrait même trouver, dans l’accomplissement de ses systêmes, la source d’une volupté très-forte à laquelle il pourrait se livrer avec d’autant moins de crainte, qu’il serait bien certain de se rendre aussi utile à la nature, ou par ses cruautés, ou par ses désordres, que le plus honnête des hommes par ses qualités bienfaisantes et par ses vertus. Nourris tout cela par des actions et par des exemples ; vois souvent des infortunés ; accoutume-toi à leur refuser des secours, afin que ton ame s’habitue au spectacle de la douleur abandonnée à elle-même ; ose te rendre coupable, pour ton propre compte, de quelques cruautés plus atroces, et tu verras bientôt qu’entre les maux produits qui ne te touchent point, et la commotion de ces maux, qui a fait éprouver une vibration voluptueuse à tes nerfs, ne fût-ce que par la comparaison du bien au mal que tu en as retiré, et qui a été trouvée toute à ton avantage ; que ne fût-ce, dis-je, qu’à cause de cela, tu ne saurais balancer un instant ; insensiblement alors, ta sensibilité s’émoussera, tu n’auras pas prévenu de grands crimes, puisqu’au contraire tu en auras fait commettre, et que tu en auras commis toi-même ; mais au moins, ce sera avec flegme, avec cette apathie, qui permet aux passions de se voiler, et qui, te mettant en état de combiner leurs suites, te préservent de tous les dangers. — O ! Clairwil, il me paraît qu’avec cette manière de penser, tu ne t’es pas ruinée en bonnes œuvres. Je suis riche, me répondit cette femme extraordinaire…… au point même de ne pas trop savoir ce que j’ai. Eh bien, Juliette, je te le jure, j’aimerais mieux jeter mon argent dans la rivière que de l’employer à ce que les sots appellent aumônes, prières ou charités ; je crois tout cela très-nuisible à l’humanité, fatale aux pauvres, dont de telles mœurs absorbent l’énergie ; et plus dangereux encore au riche, qui croit avoir acquis toutes les vertus quand il a donné quelques écus à des prêtres, ou à des fainéans ; moyen certain de couvrir tous ses vices, en encourageant ceux des autres.

Femme adorable ! dis-je à mon amie, si tu connais mon poste auprès du ministre, tu dois imaginer que ma morale sur tous les objets dont tu viens de me parler n’est pas beaucoup plus pure que la tienne. Assurément, me dit-elle, je sais tous les services que tu rends à Saint-Fond ; son amie depuis long-tems, ainsi que de Noirceuil, comment ne connaîtrais-je pas toutes les débauches où ces deux scélérats se plongent… Tu les sers, je t’en loue ; je les servirais moi-même au besoin ; il me suffit que ces écarts soient criminels pour que je les adore ; mais je sais aussi, Juliette, qu’en travaillant beaucoup pour les autres, tu n’as fait que très peu pour toi-même, et deux ou trois vols ne sont pas des faits assez énergiques pour que tu n’ayes pas encore besoin d’exemples et de leçons ; laisse-moi donc t’encourager et t’exercer à de plus grandes actions, si tu veux réellement être digne de nous. — Ah ! dis-je, que je te dois d’estime et d’amitié pour de tels soins, continue-les moi, et sois sûre que tu ne trouveras nulle part une plus soumise écolière : il n’est rien que je n’entreprenne avec toi, rien que je n’imagine, guidée par tes conseils ; et je vais placer toutes mes prétentions, à l’avenir, dans la ferme ambition, de surpasser ma maîtresse un jour. Mais, ma très-chère bonne, nous oublions nos plaisirs, j’en ai reçu de divins de toi, que tu ne m’as pas encore permis de te rendre ; je brûle de faire passer dans ton ame une portion de cette flamme divine dont tu viens de m’embrâser. — Juliette, tu es délicieuse, mais je suis trop vieille pour toi : songes-tu que j’ai trente ans ; blasée sur les choses ordinaires, j’ai besoin de rafinemens si grossiers… d’épisodes si forts… Tant de préliminaires me sont utiles pour que je bande, tant d’idées monstrueuses, tant d’actions obscènes, pour que je décharge… Mes habitudes t’effrayeront ; mon délire te scandalisera ; mes besoins te fatigueront…… Puis ses beaux yeux se remplissant de flammes, et ses lèvres se couvrant de l’écume de la lubricité, as-tu des femmes ici, me dit-elle ? sont-elles lascives ?… jolies, cela m’est égal ; je ne m’échaufferai que, pour toi : mais je veux au moins que ces créatures soient bien coquines… bien impudiques, patientes, vigoureuses… qu’elles jurent étonnamment, et qu’elles n’arrivent à moi que toutes nues. Combien peux-tu me faire voir de semblables femmes ? Je n’en ai que quatre ici, répondis-je… pour mes besoins les plus pressans. — C’est bien peu : riche comme tu es, vingt femmes au moins devraient être à tes ordres, chaque jour, et toutes les semaines, il faudrait renouveler cela. Ah ! comme tu as besoin que je t’apprenne à dépenser l’argent dont on te couvre. Est-ce que tu es avare ? Il n’y aurait pas grand mal. J’idolâtre, l’or au point de m’être souvent branlée devant l’immensité de louis que j’amasse, et cela dans l’idée que je peux tout faire avec les richesses qui sont sous mes yeux. Je trouve donc tout simple qu’on ait le même goût, mais je ne veux pourtant pas qu’on se refuse rien : il n’y a que les sots qui ne comprennent pas qu’on puisse être à-la-fois avare et prodigue, qu’on puisse aimer à tout jeter par la fenêtre pour ses plaisirs, et à refuser tout à des bonnes œuvres… Allons, fais-moi venir tes quatre femmes, et sur-tout des verges, si tu veux me voir décharger. — Des verges, est-ce que tu fouettes, ma chère ? — Ah ! jusqu’au sang ! ma bonne… Et je le reçois de même. Il n’est point de passion plus délicieuse pour moi ; il n’en est point qui enflamme plus certainement tout mon être. Personne ne doute aujourd’hui que la flagellation passive ne soit du plus grand effet pour rendre la vigueur éteinte par les excès de la volupté. On ne doit donc pas être étonné que tous les gens épuisés de luxure recherchent avidement dans l’opération douloureuse de la flagellation, le souverain remède à l’épuisement… à la faiblesse de leurs reins, et à la perte totale de leurs forces, ou à un physique froid, vicieux, et mal organisé. Cette opération donne nécessairement aux parties relâchées une commotion violente, une irritation voluptueuse qui les embrâse, et fait élancer la semence avec infiniment plus de vigueur : le sentiment aigu de la douleur des parties frappées subtilise et précipité le sang avec plus d’abondance, attire les esprits en fournissant aux parties de la génération une chaleur excessive, procure enfin à l’être libidineux, qui cherche le plaisir, le moyen de consommer l’acte de libertinage, malgré la nature même, et de multiplier ses jouissances impudiques au-delà des bornes de cette nature marâtre. À l’égard de la flagellation active, peut-il être au monde une volupté plus grande pour des êtres endurcis comme nous ; en est-il qui porte mieux l’image de la férocité… qui satisfasse davantage, en un mot, ce penchant à la cruauté que nous avons reçu de la nature… O Juliette ! assouplir à cette dégradation un jeune objet intéressant et doux, et qui le plus qu’il est possible ait quelques affinités avec nous, lui faire durement éprouver cette manière de supplice, dont toutes les attenances ont si bien la volupté pour emblèmes, s’amuser de ses pleurs, bander à ses chagrins, s’irriter de ses bonds, s’enflammer à ses hauts le corps, à ces tordions[7] voluptueux qu’arrache la douleur à la victime molestée… faire couler son sang et ses larmes, s’en repaître, jouir sur son joli visage des contorsions de la douleur et des jeux musculaires imprimés par le désespoir, recueillir de sa langue ces flots pourprés, contrastant aussi bien avec la teinte des lys d’une peau douce et blanche, avoir l’air de se calmer un instant pour effrayer ensuite par de nouvelles menaces, et n’exécuter les menaces qu’avec d’autres recherches plus outrageantes et plus atroces encore, ne rien épargner dans sa colère et parcourir avec la même rage les parties les plus délicates… celles même que la nature semble n’avoir créées que pour l’hommage des sots… telles que la gorge ou l’intérieur du vagin… telles que le visage même, oh Juliette ! quelles délices ! n’est-ce donc point en quelque sorte envahir les droits du bourreau ! N’est-ce pas en jouer le rôle, et cette seule idée ne suffit-elle pas à déterminer invinciblement l’éjaculation du sperme dans des êtres qui blasés comme nous, sur toutes les choses ordinaires et simples, ont besoin de ces savantes recherches pour retrouver ce que les excès leur ont fait perdre ? Que ce goût ne te surprenne pas dans une femme. Ce même Brantome dont nous venons d’emprunter tout à l’heure une expression, nous parle avec candeur et naïveté de différens exemples appuyant ces maximes[8]. Il y avait, dit-il, une dame du grand monde, aussi belle que riche, et veuve depuis plusieurs années, dont rien n’égalait la corruption des mœurs ; entourée de jeunes filles de compagnie, toujours extrêmement belles, elle se plaisait à les faire mettre nues, et à les battre de sa main sur les fesses le plus fort qu’il lui était possible ; elle leur controuvait des torts, afin d’avoir le droit de les punir : alors elle les fouettait avec des verges, et faisait consister toute sa volupté à les voir frétiller sous ses coups ; plus elles remuaient, plus elles se plaignaient, plus elles saignaient, plus elles pleuraient, plus la putain était heureuse. Elle se contentait quelquefois de les trousser, au lieu de les faire mettre nues, trouvant à l’action de relever, et de contenir leurs jupes, plus de plaisir encore que la trop grande facilité offerte par leur complette nudité.

Un grand seigneur, dit-il un peu plus loin, goûte aussi le même plaisir à fustiger étrangement sa femme, ou nue, ou retroussée.

Une mère, ajoute le même, fouettait régulièrement sa fille deux fois le jour, non pour aucune faute qu’elle eût commise, mais pour l’unique plaisir de la contempler dans cette douleur. Quand la jeune personne eut atteint l’âge de quatorze ans, elle enflamma tellement la concupiscence de sa mère, qu’elle n’était pas quatre heures du jour sans la fustiger cruellement.

Mais, poursuivit Clairwil, si nous nous contentions de nos annales, que de modèles plus intéressans nous y trouverions sur cette matière, et ton ami Saint-Fond qui n’est pas un seul jour sans fouetter sa fille, ne pourrait-il pas couronner nos modernes recherches ? J’ai été la victime de ce goût, répondis-je, et malgré cela je le conçois au point de l’adopter peut-être un jour à ton exemple. Oh ! oui Clairwil, j’aurai tous tes goûts, je veux m’identifier dans toi si je puis ; il ne peut plus être au monde de bonheur pour Juliette, que quand elle aura pris tous tes vices.

Les quatre femmes entrèrent ; elles étaient nues, comme l’avait désiré mon amie, et lui offraient assurément un des plus beaux ensembles de lubricité qu’il fût possible de voir ; l’aînée n’avait pas encore dix-huit ans, la plus jeune quinze ; il était difficile de voir de plus beaux corps et de plus agréables figures. Elles sont bien, dit Clairwil, en les examinant légèrement ; et comme elles apportaient chacune une poignée, Clairwil prit les verges, et les remit toutes quatre auprès d’elle ; approchez-vous, dit-elle ensuite à la plus jeune, (ce fut par ordre d’âge qu’elle les visita l’une après l’autre)… Oui, approchez-vous ; et vous prosternant à mes pieds, demandez humblement pardon des sottises que vous avez faites hier. — Eh ! madame, je n’en ai point fait : un vigoureux soufflet est la réponse de Clairwil. — Je vous dit que vous avez fait des sottises, et je vous, ordonne de m’en demander pardon à genoux. — Eh bien, madame, dit la petite fille, en obéissant, je vous le demande de tout mon cœur. — Je ne vous accorderai ce pardon, que quand vous serez punie ; levez-vous, et venez m’offrir humblement vos fesses ; alors Clairwil ayant légèrement frotté ce joli cul du creux de sa main, y applique une claque si vigoureuse, que ses cinq doigts y restèrent empreints, des larmes commencèrent à couler sur les belles joues de cette pauvre petite fille, qui n’ayant point été prévenue, et n’ayant encore rien éprouvé de semblable, se trouvait douloureusement affectée de cette réception ; Clairwil l’examine, et lui suce les yeux, dès qu’elle les lui voit en larmes ; les siens lançaient des flammes, sa respiration devenait pressée, sa belle gorge semblait, en bondissant, suivre les palpitations de son cœur ; elle enfonça sa langue dans la bouche de cette jeune fille, la suça longtems, puis revenant encore plus animée de cette caresse, elle lui appliqua une seconde claque sur le cul, plus forte que la première : vous êtes une petite putain, lui dit-elle, je vous ai surprise hier branlant des vits, et je ne souffrirai pas que vous outragiez les bonnes mœurs à ce point… j’aime les mœurs, moi, je veux de la pudeur dans une jeune fille. — Je vous réponds, madame… Allons, point d’excuse, coquine, interrompit Clairwil, en appliquant un vigoureux coup de poings dans les flancs de la jeune fille ; coupable ou non, il faut que je vous vexe, et que je m’amuse. De petits êtres aussi méprisables que vous, ne sont bons, que pour les plaisirs d’une femme comme moi. Disant cela, Clairwil pince sa victime sur les parties les plus charnues de son joli petit corps… au point de la faire crier, et dès que la malheureuse poussait un cri, notre libertine l’étouffait au passage, en le recueillant dans sa bouche ; sa colère augmenta, les mots les plus sales et les plus crapuleux, les juremens les plus infâmes exhalèrent alors de ses lèvres impures, ils étaient entrecoupés comme ses soupirs ; elle pencha la victime sur le canapé, examina lubriquement son derrière, l’entr’ouvrit, y darda sa langue, puis revenant aux fesses, elle les mordit en quatre différens endroits, ce que la jeune fille n’endura pas, sans des bonds et des hauts-le-corps qui divertissaient fort mon amie, et qui excitaient en elle de ces rires méchans, tenant bien plus à la férocité qu’à la joie : allons, foutue bougresse, tu vas être fouettée, lui dit-elle ; oui, sacré bougre de dieu, je vais t’étriller, en désirant que chacun des coups que tu recevras de ma main, laisse sur ton vilain cul, d’ineffaçables traces ; saisissant alors une poignée, elle fait relever la jeune fille, lui enlace le corps de son bras gauche, et lui poussant un genou dans le ventre, elle lui fait offrir le cul dans la plus belle position ; elle l’examine un moment en cet état, puis commençant à étriller de sa main droite, sans préparation, sans ménagement, elle applique d’abord vingt-cinq coups, qui meurtrirent si bien ce cul frais et couleur de rose, qu’on n’appercevait plus une seule partie qui ne fut couverte de cinglons ; elle appelle alors les trois autres femmes, l’une après l’autre, se fait mettre la langue dans la bouche, par chacune d’elle, en leur ordonnant, à mesure qu’elle s’en faisait baiser, de lui manier fortement les fesses, de lui branler le trou du cul, et de combler d’éloges l’opération qu’elle faisait, en lui dénonçant sur-tout quelques nouveaux torts de la délinquante ; je passai après les trois filles, et la baisai de même, en la socratisant… en approuvant le supplice qu’elle imposait à la victime, et nourrissant sa rage lubrique d’une foule de calomnies sur cette infortunée ; lorsque je la baisai, elle voulut que je lui remplisse la bouche de salive, elle l’avala ; se remettant ensuite à l’ouvrage, elle appliqua, à cette seconde reprise, le double des coups qu’elle avait distribués à l’autre ; puis tout de suite une troisième reprise, qui porta à cent cinquante, le nombre des coups reçus. Le cul de la petite fille était couvert de sang ; elle ordonne aux trois autres femmes de lécher ce sang, et de le lui rapporter dans la bouche ; et moi, elle me baisa, en rendant dans la mienne, tout le sang qu’elle avait reçu. Juliette, me dit-elle, la fièvre du délire s’empare de mes sens ; je te préviens que tes trois autres garces vont être plus vigoureusement fouettées ; elle lâche la petite fille, et se fait légèrement passer, par elle, la langue dans le con et dans le cul. Allons, dit-elle à la seconde, en désignant celle qu’amenait le tour de l’âge ; allons, avance putain ; celle-ci, effrayée de ce qu’on venait de faire à sa camarade, se recule au lieu d’obéïr. Mais Clairwil, qui n’était pas d’humeur à lui faire grace, l’attire fortement vers elle, par un bras, et la soufflette d’importance. La jeune fille se met à pleurer… Bon, dit Clairwil, voilà ce que j’aime ; et comme cette charmante créature, âgée de seize ans, avait déjà la gorge assez joliment formée, elle la lui pressa au point de la faire crier ; puis, la baisant tout de suite après, elle la lui mordit au point d’y laisser les marques. Allons, lui dit-elle en jurant, voyons votre cul ; et comme il lui parut délicieux, elle ne put s’empêcher de dire, avant que de les frapper…… ah ! les belles fesses ! La supériorité même dont elle les trouva, la contraignit à de nouveaux hommages ; elle se courbe, baise le sublime derrière, et gamahuche le trou ; la retourne, en fait autant au clitoris, et revient promptement au cul. Mais ce ne sont point des claques, qu’elle applique cette fois-ci, ce sont de vigoureux coups de poings qu’elle distribue, et qu’elle étend depuis les cuisses jusqu’aux épaules, en telle sorte qu’elle rend à l’instant toutes noires les parties si blanches de ce beau corps. Bougre de dieu ! s’écrie-t-elle, je bande ! cette petite garce a l’un des plus beaux culs que j’aie vus de ma vie. Elle prend les verges, et se met à fustiger d’importance ; mais au bout de quelques coups, elle employe, avec celle-ci, un épisode dont elle n’avait point fait usage, avec l’autre ; de la main gauche, dont elle lui enlace le corps, elle écarte les fesses de la patiente, afin que les coups qu’elle lui allonge, de la main droite, portent sur les parties plus sensibles du trou du cul, et des chairs délicates qui l’environnent ; aussi, tout ce local est-il bientôt ensanglanté. Elle voulut ici que les baisers qu’on lui faisait sur la bouche, et les attouchemens de son derrière, eussent lieu pendant presque toute l’opération. Les trois autres filles, et moi, remplîmes cet objet ; avec moi seule, pourtant, elle observa la circonstance d’avaler, et de me faire avaler sa salive. La troisième fille fut traitée comme la première, et la quatrième comme la seconde ; toutes furent impitoyablement déchirées, toutes furent mises en sang. Sortant de là comme une bacchante, et plus belle que Vénus, Clairwil fit ranger les quatre filles près l’une de l’autre, afin de comparer l’ensemble de leurs culs, et de vérifier si toutes étaient également lacérées ; en trouvant une plus ménagée, elle reprît les verges, et lui appliqua cinquante nouveaux coups, qui lui rendirent bientôt le cul dans un état aussi déplorable que l’étaient ceux de ses compagnes. Juliette, me dit-elle, veux-tu que je t’étrille aussi ? Assurément, répondis-je, comment peux-tu me soupçonner de ne pas desirer avec autant d’ardeur que toi, ce qui paraît augmenter la somme de tes voluptés. Fouette, voilà mon cul, voilà mon corps… voilà toute ma personne à tes ordres. Eh bien, me dit-elle, grimpe sur les épaules de la plus jeune de ces filles, et pendant que je te fouetterai, que les trois autres observent ce que je vais prescrire. Emparez-vous des verges, que la moins forte commence, ensuite les deux autres ; vous, de qui je vais recevoir les premiers cinglons, écoutez bien ce qu’il faut faire ; vous vous agenouillerez devant mon cul, vous en ferez l’eloge, vous le baiserez, vous écarterez mes fesses, vous glisserez votre langue fort avant dans le trou, en passant en dessous un de vos doigts sur le clitoris ; vous vous relèverez, et en m’accablant d’invectives et de menaces, vous m’appliquerez de suite, et sans arrêter, deux cents coups sur le derrière, toujours en doublant de forces… vous, qui devez suivre, vous m’avez entendu, vous imiterez votre compagne ; commençons.

Clairwil tourmentait, par des pinçons et des égratignures, le cul de la petite fille, sur les épaules de laquelle j’étais, et m’étrillait en même-tems de la plus vigoureuse manière ; d’une autre part, on exécutait à merveille ce qu’elle avait recommandé ; et la putain, qui voulait faire usage de tout baisait alternativement les bouches de celles qui ne la fouettaient pas ; à mesure que mon cul recevait les impressions de ses verges, la féroce créature en baisait et léchait les marques avec avidité ; dès qu’elle eut reçu le nombre de coups qu’elle-même s’était fixé, elle varia l’attitude.

La fille de dix-huit ans se mit à genoux

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devant elle ; Clairwil lui appuya le con sur le visage, en frottant, de routes ses forces, les lèvres de son vagin, et son clitoris sur le nez, la bouche et les yeux de cette fille, à qui elle recommanda de le lècher. Une fille postée à droite, l’autre à gauche, étrillaient vigoureusement mon amie qui, tenant une poignée de verges de chaque main, se vengeait sur les deux culs des coups qu’elle recevait ; à cheval sur le crâne de celle qui léchait le con, je lui présentais le mien à sucer ; ici la putain déchargea, mais avec des cris, des convulsions et des blasphêmes, qui caractérisaient l’un des délires les plus lubriques, et les plus luxurieux que j’eusse encore observé de mes jours ; la jolie figure contre laquelle s’était escrimée la tribade, était inondée de foutre. Allons, sacredieu, faisons autre chose, s’écria-t-elle, sans se donner le tems de respirer, jamais je ne me repose quand mon sperme est en train de couler ; travaillez-moi, putains, secouez-moi, sucez-moi, fouettez-moi, branlez-moi de la plus forte manière ; la fille de dix-huit ans se couche sur l’ottomane, je m’assieds sur son visage, Clairwil se campe sur le mien, j’étais sucée, je le rendais ; élevée au-dessus de moi, la plus jeune des filles faisait baiser ses fesses à Clairwil, qu’une autre fille enculait avec un godmiché ; la plus mince des quatre filles, inclinée, branlait, avec ses doigts, le clitoris de Clairwil, presqu’établi sur ma bouche, et présentait, pendant ce tems-là, son con aux mêmes pollutions exercées par la main de mon amie. De cette manière, notre libertine branlait un cul avec sa langue, était gamahuchée, on l’enculait, et on lui branlait le clitoris. Juliette, me dit-elle au bout de quelques minutes, je t’ai dit que je ne bandais que d’imagination ; une des choses qui échauffe le plus la mienne, est d’entendre beaucoup jurer autour de moi, tes putains ne disent mot ; ceci devenait embarassant : ces filles, prises dans la classe de la meilleure bourgeoisie, et n’ayant jamais été libertines qu’avec moi, connaissaient mal le langage qui pouvait convenir à Clairwil ; elles firent ce qu’elles purent ; mais je fus obligé d’y suppléer, et de soutenir, presqu’à moi toute seule, les caustiques injures qu’elle se plaisait d’entendre adresser à l’être suprême, à l’existence duquel la coquine ne croyait pas plus que moi. En conséquence, celle qui lui branlait le clitoris m’avait remplacée dans Remploi de la gamahucher ; et moi, je la chatouillais, en blasphêmant les trois méprisables dieux du christianisme comme ils ne l’avaient été de leur vie.

La tribade s’agitait beaucoup, mais il ne venait rien, il fallut changer encore une fois, et d’attitudes et d’épisodes. Je n’ai jamais rien vu de si beau, de si animé, que cette superbe femme, quand elle sortit de cette scène ; si l’on eut voulu peindre la déesse même de la lubricité, il eut été impossible de chercher d’autre modèle ; elle me saute au col, me langotte près d’un quart-d’heure, me fait voir son cul ; il ressemblait à de l’écarlate, et contrastait, de la manière la plus agréable, avec l’éclatante blancheur de sa peau. Ah ! sacre-bougre de dieu dont je me fouts, me dit-elle embrasée, comme je bande, Juliette, et que j’entreprendrais de choses en l’état où je suis ; il n’y aurait aucune espèce de crime, de quelque nature, de quelque violence que tu voulusses le supposer, que je n’exécutasse à l’instant même. Oh ! mon amour… oh ! ma putain… oh ! ma chère tribade… oh ! toi que j’aime infiniment, et dans les bras de qui je veux perdre du foutre, conviens qu’il n’est rien qui porte aux horreurs comme le calme, l’impunité, les richesses, et la santé dont nous jouissons ; donne-moi donc l’idée de quelques crimes… que je l’exécute sous tes yeux ; faisons quelque chose d’infâme, je t’en supplie… et comme je m’apperçus que la plus jeune des filles l’excitait, et qu’elle lui suçait excessivement tour-à-tour la bouche, le cul et le con, je lui demandai tout bas si elle voulait la molester. Non, me dit-elle, cela ne me satisfairait pas ; je fouette, je tracasse volontiers un moment les femmes, mais pour la dissolution totale de la matière, tu m’entends… ce serait un homme qu’il me faudrait, ce sont eux seuls qui m’excitent à la cruauté ; j’aime à venger mon sexe des horreurs qu’ils lui font éprouver, quand les scélérats se trouvent les plus forts. Tu ne saurais croire avec quelles délices j’assassinerais un homme à présent. Oh dieu ! que de tourmens je lui ferais endurer ; par quelles routes obscures et ténébreuses je le conduirais à la mort… Allons, je vois bien que ton imagination n’ayant point encore été jusques-là, tu ne peux rien m’offrir dans ce genre ; terminons, en ce cas, la scène, par quelques saletés libidineuses, puisque nous ne le pouvons par des crimes. Les saletés exécutées avec toute la précision et tous les épisodes désirés l’épuisent enfin. Elle se précipite dans un bain d’eau de rose ; on l’essuie, on la parfume, on la pare du négligé le plus immodeste, et nous soupons.

Clairwil, aussi capricieuse dans les débauches de table que dans celles de lit, aussi intempérante, aussi bisarre dans les unes que dans les autres, ne se nourrissait que de volailles et de gibiers toujours désossés, et toujours apprêtés sous les formes les plus variées et les mieux déguisées ; elle ne faisait nul usage des nourritures populaires, il fallait que tout ce qu’on lui servait fût recherché ; sa boisson ordinaire était de l’eau sucrée, et à la glace dans toutes les saisons, dans laquelle il entrait, par pinte, vingt goûtes d’essence de citron, et deux cuillerées d’eau de fleur d’orange ; elle ne buvait jamais de vin, mais beaucoup de liqueurs et de café ; d’ailleurs, elle mangeait excessivement, il n’y eut pas un seul plat qu’elle n’attaqua, sur plus de cinquante qui lui furent servis. Prévenue d’avance de ses goûts, tout était accommodé d’après ses desirs, et il est incroyable ce qu’elle engloutit. Cette femme charmante, dont l’usage était de faire adopter ses goûts autant qu’elle le pouvait, les préconisa tellement, qu’elle me fit suivre son régime, mais non pas son abstinence de vin ; j’en fais toujours un très-grand usage, et je l’aimerai vraisemblablement toute ma vie.

J’avouai, en soupant, à Clairwil, que j’étais confondue de son libertinage. Tu ne vois rien, me dit-elle, je ne t’ai donné qu’une très-légère esquisse de mes débauches luxurieuses : je veux que nous fassions ensemble des choses plus extraordinaires ; je te ferai recevoir dans une société dont je suis membre, et où s’exécutent des obscénités d’une bien autre force ; là, chaque époux doit amener sa femme, chaque frère sa sœur, chaque père sa fille, chaque célibataire une amie, chaque amant sa maîtresse ; et réunis dans un grand salon, chacun jouit de tout ce qui lui plaît davantage, n’ayant d’autres règles que ses désirs, d’autre frein que son imagination ; plus les écarts se multiplient, plus nous sommes dignes d’éloges, et des prix fondés se distribuent à ceux qui se sont distingués par le plus d’infamies, ou qui ont inventé de nouvelles manières de goûter le plaisir. Oh ! ma chère amie, m’écriai-je, en me jetant dans les bras de Clairwil, à quel point ces détails échauffent ma tête, et combien je brûle d’être des vôtres. — Oui ; mais seras-tu digne d’être admise ? Les épreuves exigées pour ceux que l’on reçoit sont terribles. — Peux-tu donc douter de moi ; et de quelque nature que soient ces initiations, pourra-t-on craindre de me voir balancer après tout ce que j’ai fait dans les sociétés de Noirceuil et de Saint-Fond. — Eh bien ! tu seras reçue, je te le promets ; puis reprenant avec enthousiasme… Oh ! Juliette, comme ce n’est jamais qu’au dégoût…, qu’à l’impatience… au désespoir de n’avoir trouvé ni rapports, ni convenances avec l’objet auquel l’usage nous lie, que sont dus tous les malheurs de l’himen, il faudrait, pour y remédier, pour parer à l’affreuse contrainte qui lie éternellement deux objets qui ne se conviennent pas, il faudrait, dis-je, que tous les hommes se formassent entre eux de pareils clubs. Là, cent maris, cent pères en société avec leurs femmes ou leurs filles, se procurent tout ce qui leur manque. Je cède en donnant mon époux à Climène, tous les attraits qui manquent au sien, et je retrouve dans celui qu’elle m’abandonne, tous les charmes que ne pouvait me procurer le mien. Les échanges se multiplient, et dans une seule soirée, comme tu vois, une femme jouit de cent hommes, un homme de cent femmes ; là, les caractères se développent ; on s’est étudié, on se connaît ; la plus entière liberté des goûts s’y professe ; l’homme qui méprise les femmes, ne jouit que de ses semblables ; la femme qui n’aime que son sexe se livre également à ses fantaisies ; nulle contrainte, aucune pudeur… le seul désir d’étendre ses jouissances est de mettre en commun toutes ses richesses. De ce moment l’intérêt général soutient le pacte, et l’intérêt particulier, se trouve lié à l’intérêt général, ce qui rend indissoluble les nœuds de la société : depuis quinze ans que la nôtre dure, je n’y ai pas vu une seule tracasserie, pas un seul mouvement d’humeur. De tels arrangements détruisent la jalousie, absorbent à jamais la crainte du cocuage, deux poisons cruels de la vie, et doivent par cela seul mériter la préférence sur ces sociétés monotones, où deux époux languissans toute leur vie en face l’un de l’autre, sont voués ou à l’ennui perpétuel de se déplaire, ou au désespoir de ne réussir à dissoudre leurs liens qu’en se déshonorant tous deux. Puissent nos exemples persuader à tous les hommes de nous imiter. Ce sont, j’en conviens, quelques préjugés à combattre ; mais quand ces sociétés seraient, comme les nôtres, étayées par de la philosophie, le préjugé disparaîtrait bientôt. J’y fus admise la première année de mon mariage ; j’avais à peine seize ans. Eh bien ! en débutant, je rougis, je l’avoue, de l’obligation de me prêter nue aux fantaisies de tous ces hommes… aux caprices de toutes ces femmes, dont tu crois bien que mon âge et ma figure me firent aussitôt entourer,… Mais ce fut l’affaire de trois jours. L’exemple me séduisit, et je n’eus pas plutôt vu mes compagnes lascives se disputer l’honneur du choix et l’invention des lubricités, je ne les eus pas plutôt vues se vautrer ciniquement dans l’ordure et dans l’infamie, que je les surpassai bientôt toutes en théorie comme en pratique.

La peinture de cette délicieuse association me fit tant d’effet que je ne voulus pas quitter Clairwil sans qu’elle m’eut juré de me faire admettre dans son club. Le serment fut scellé du foutre que nous répandîmes encore ensemble, en nous faisant éclairer par trois grands laquais, aux yeux desquels Clairwil prétendit qu’il fallait que nous nous branlassions, sans leur permettre seulement un désir. Voilà, dit-elle, comme on s’accoutume au cinisme, et voilà où il faut que tu sois, pour être digne de notre société ; nous nous séparâmes enchantées l’une de l’autre, et nous promettant bien de nous voir le plutôt qu’il serait possible.

Noirceuil n’eut rien de plus pressé que de me demander des nouvelles de ma liaison avec madame de Clairwil. Mes éloges lui prouvèrent ma reconnaissance. Il voulut des détails ; je lui en donnai ; et comme Clairwil, il me blâma de n’avoir pas chez moi un beaucoup plus grand nombre de femmes. Dès le lendemain j’augmentai ce nombre de huit, ce qui me composa un sérail des douze plus belles créatures de Paris. On me les changeait tous les mois.

Je demandai à Noirceuil s’il allait dans la société de mon amie. Tant que les hommes, me répondit-il, y avaient la prépondérance, j’y étais d’une scrupuleuse exactitude ; j’y ai renoncé depuis que tout y est entre les mains d’un sexe dont je n’aime pas l’autorité, Saint-Fond a suivi mon exemple. N’importe, ajouta Noirceuil, si ces orgies t’amusent, tu peux les suivre avec Clairwil. Il faut essayer de tout ce qui est vice ; je ne connais d’ennuyeux que la vertu. Tu seras là parfaitement branlée, délicieusement foutue ; on ne te nourrira que d’excellens principes ; je te conseille donc de t’y faire admettre au plutôt. Il me demanda ensuite si ma nouvelle amie était entrée dans quelques détails sur ses aventures. Non, dis-je. À quelque point que tu sois philosophe, reprit Noirceuil, elle t’aurait assurément scandalisée. C’est un vrai modèle de luxure, de cruauté, de débauche et d’athéïsme : il n’est aucune horreur, aucune exécration dont elle ne se soit souillée : son crédit et ses grandes richesses lui ont toujours sauvé l’échafaud ; mais elle l’a mérité vingt fois ; c’est, en un mot, par ses actions journalières, qu’on pourrait supputer ses crimes, et le nombre des supplices qu’elle a mérité, s’évaluerait par celui des jours de son existence. Saint-Fond l’aime beaucoup : cependant, je sais qu’il te préfère à plus d’un titre : continue donc, Juliette, de mériter la confiance d’un homme qui a dans ses mains le bonheur et le malheur de ta vie. Je convainquis Noirceuil des efforts que je ferais toujours pour cela, il venait me prendre pour aller souper à sa petite maison, où nous passâmes la nuit avec deux autres jolies personnes : nous y exécutâmes toutes les extravagances qui vinrent dans la tête de ce profès en lubricité.

Ce fut à quelques tems de là, qu’échauffée par tout ce que je voyais… par tout ce que j’entendais, il me devint impossible de tenir à l’extrême besoin que j’avais de commettre un crime pour mon propre compte ; j’étais bien aise, d’ailleurs, de voir si je pouvais réellement faire quelque fond sur l’impunité qui m’était promise. Je me décidai donc à des horreurs dignes des leçons que je recevais chaque jour. Voulant éprouver à-la-fois mon courage et ma férocité, je m’habille en homme, et je vais seule, deux pistolets dans mes poches, attendre, dans une rue détournée, le premier passant qui tombera sous ma main, dans la seule vue de le voler et de l’égorger pour mon plaisir. Appuyée contre le mur, j’étais dans cet espèce de trouble, causée par les grandes passions, et dont le choc sur nos esprits animaux est nécessairement le principe de la première volupté du crime… j’écoutais… Chaque bruit nourrissait mon espoir, J’imaginais, au plus petit mouvement appercevoir enfin ma victime, lorsque des lamentations se font entendre… Je vole au bruit ; je distingue des plaintes ; j’approche : une pauvre femme, couchée en travers d’une porte, poussait les gémissemens qui venaient de frapper mon oreille. — Qui êtes-vous, dis-je, en m’approchant tout-à-fait de cette créature ? La plus infortunée des femmes, me répond en pleurant cette malheureuse, qui ne me parut pas avoir plus de trente ans ; et si vous m’apportez la mort, vous me rendrez un bien grand service. — Mais, de quel genre sont vos revers ?… Affreux, sans doute, répondit cette femme, en se relevant assez pour ne laisser appercevoir à la faible lueur des réverbères, des traits doux et intéressans, oui… oui, ils sont affreux, mes revers ; il y a huit jours que nous manquons d’ouvrage ; nous n’avons pu payer le faible prix de la chambre que nous occupions dans cette maison, ni le mois de nourrice de notre enfant… On a conduit cette misérable créature à l’hôpital, et on a mis mon époux en prison ; la fuite seule m’a préservée de la rage des monstres qui nous traitaient avec tant de rigueur ; vous me voyez étendue sur le seuil de la porte d’une maison qui m’appartint autre fois : je n’ai pas toujours été malheureuse ; plus à mon aise, hélas ! je soulageais les pauvres ; me rendrez-vous ce que j’ai fait pour eux ?

Un feu subtil se glisse à ces mots dans mes veines… Oh sacredieu, me dis-je, quelle occasion d’un crime détestable, et comme il irrite mes sens. Lève-toi, dis-je à cette femme ; tu vois bien que je suis un homme ; je veux m’amuser de ton corps. — Oh ! monsieur, suis-je en état d’exciter des desirs au sein des larmes et de l’infortune. — C’est ce qui enflamme les miens ; presse-toi donc de m’obéir, et la saisissant par un bras je la contrains à se prêter aux recherches que je veux en faire. On ne se doute point de ce que je trouvai sous ces jupons là. Des chairs très-fermes, très-blanches et très-rebondies… Branle-moi, lui dis-je en lui portant la main sur mon con, je suis une femme, mais une femme qui bande pour son sexe, et qui veut se branler avec toi. — Oh ciel ! laissez-moi… laissez-moi, toutes vos horreurs me font frémir ; je suis sage, quoique dans l’infortune ; ne m’humiliez pas à ce point. Elle veut échapper, je la saisis par les cheveux, et lui appliquant le bout de mon pistolet sur la tempe, va bougresse, lui dis-je… va dire aux enfers que voilà le coup d’essai de Juliette : elle tombe noyée dans son sang… et je l’avoue, mes amis, oui, je dois vous rendre compte des effets que j’éprouvai, l’embrâsement du fluide nerval fut telle à cette action, que je me sentis inondée de foutre en la commettant. Eh voilà donc les résultats du crime, me dis-je ? que l’on a eu raison de me le peindre délicieux ! Dieu ! quel est son empire sur une tête comme la mienne, et combien il sert au plaisir !

Quelques fenêtres qui s’ouvrent au bruit de mon arme, me font penser à ma sûreté ; j’entends de toutes parts crier à la garde… À peine était-il minuit, je suis arrêtée, on trouve mes pistolets ; plus de doute : on me demande qui je suis ? Je vous l’apprendrai chez le ministre, réponds-je effrontément ; que l’on me conduise à l’hôtel de Saint-Fond. Le sergent étonné de mon air, n’ose s’opposer à cette demande ; on me lie… on me garotte… et je jouis encore ; ils sont délicieux les fers du crime que l’on aime ; on bande en les portant. Saint-Fond n’était point couché, on l’informe, je suis introduite ; Saint-Fond me reconnaît ; cela suffit, dit-il au sergent, vous étiez pendu si vous n’eussiez pas amenée cette dame dans ma maison ; retournez à vos fonctions ; monsieur, vous avez fait votre devoir. Ce qui vient de se passer est un mystère dans lequel vous ne devez point entrer.

Tête-à-tête avec mon amant, je l’instruisis de tout, je le fis bander ; il me demanda si j’avais pu juger des contorsions de cette femme à terre. Je n’en ai pas eu le tems, répondis-je. Ah ! voilà ce que ces actions-là ont de désagréable, c’est qu’on ne jouit pas de la victime… Oui, monseigneur, mais un crime de rue. — Oui, je le sens, l’esclandre… la rue… le grand chemin… les loix punissent tout cela plus sévèrement ; et cela dédommage… et puis l’état de cette femme, sa misère… Il fallait l’amener chez toi, nous nous serions amusé de cela… Quel nom ce sergent a-t-il donc dit qu’on avait trouvé sur le cadavre ? — Simon, monseigneur, je m’en souviens. — Simon… il y a quatre ou cinq jours que cette affaire-là m’a passé par les mains… je me le rappelle, c’est moi qui ai fait enfermer ce Simon, et fais mettre l’enfant à l’hôpital… Comment, mais c’est que cette femme est très-sage et très jolie. Je réservais cela à tes appareilleuses : linfortunée ne t’a point trompé, ces gens là se sont vus fort à l’aise, une banqueroute les a ruiné ; ah ! Juliette, tu n’as fait qu’achever mon crime, et l’aventure est délicieuse.

Je vous l’ai dit, Saint-Fond bandait, mon travestissement masculin perfectionnait son délire. Il me mena dans le boudoir où il m’avait vu la première fois que je m’étais présentée chez lui. Un valet-de-chambre parut, et Saint-Fond déboutonnant mes culottes avec une sorte de jouissance, fit d’abord manier mes fesses à son valet, il lui branla le vit près du trou ; puis s’introduisant bientôt lui-même à ce trou dont il avait l’air de vouloir faire les honneurs ; le paillard m’encula, en m’obligeant à sucer le vit de son homme, jusqu’à ce qu’il fut assez roide peur qu’il l’introduisit dans son cul. L’opération finie, Saint-Fond me dit qu’il avait bien mieux déchargé depuis qu’il savait que le cul qu’il venait de foutre, avait mérité l’échafaud. Celui qui me foutait et que je t’ai fait sucer, est au même point, me dit le ministre, c’est un scélérat décidé ; voilà six fois au moins que je lui sauve la roue. As-tu vu comme il m’a foutu, et le beau vit dont il est muni… Tiens, Juliette, voilà la somme que je t’ai promise pour les crimes commis par toi seule, une voiture t’attend, retourne chez toi, demain tu partiras pour cette terre au-delà de Sceaux, que je t’achetai le mois passé ; mène peu de monde à cette campagne, quatre de tes femmes ordinaires… les plus jolies… ta cuisine… ton office, et les trois pucelles du prochain souper… Tu attendras constamment mes ordres, c’est tout ce que je peux t’expliquer aujourd’hui. Je sortis très-contente du succès de mon crime… très-chatouillée du plaisir de l’avoir commis ; et ayant tout préparé dès le lendemain, je fus coucher où m’avait ordonné le ministre.

À peine fus-je établie à cette campagne, isolée de toutes parts, et solitaire comme la Thébaïde, qu’un de mes gens vint m’avertir de l’arrivée d’un étranger bien mis, qui demandait à me parler, s’annonçant de la part du ministre ; je me gardai bien de ne pas l’introduire à l’instant ; je décachète ses dépêches : « Que vos domestiques s’emparent aussitôt de l’homme qui vous remettra ceci, me disait la lettre, qu’il soit enfermé dans les cachots que j’ai fait construire dans votre maison ; vous me répondez de ce personnage, sur votre vie ; sa femme et sa fille vont suivre ; vous les traiterez de même ; souvenez-vous d’exécuter mes ordres, avec la ponctualité la plus scrupuleuse ; mettez-y sur-tout toute la fausseté… toute la cruauté dont je sais que vous êtes capable. Adieu. »

Monsieur, dis-je aussitôt au porteur de la lettre, sans laisser lire sur mon visage la plus légère altération, vous êtes sans doute des amis de monseigneur ? — Il y a longtems, madame, qu’il comble de ses bontés, et ma famille et moi. — Je le vois à sa lettre, monsieur… permettez que j’aille donner à mes gens les ordres nécessaires à vous recevoir, comme il me paraît le desirer, et je sortis, après l’avoir invité à se reposer.

Les gens qui me servaient, bien plutôt des esclaves que des domestiques, se munissent aussitôt de cordes, et rentrent avec moi dans l’appartement. Menez monsieur, leur dis-je, dans la chambre que monseigneur lui destine ; et les gaillards se jetant aussitôt sur cet infortuné, l’entraînent, à mes yeux, dans le plus abominable cachot. Oh ! madame, quelle trahison ! quelle horreur ! s’écrie cette malheureuse dupe de la fausseté de Saint-Fond et de la mienne ; mais ferme… mais impassible à ses gémissemens, je porte une l’aveugle obéissance aux ordres du ministre, au point de l’enfermer moi-même, sans vouloir répondre un seul mot à toutes les questions dont il m’accable.

À peine étais-je de retour dans mon salon, qu’une voiture entra dans la cour ; c’étaient la femme et la fille de ces malheureux, m’apportant de bonne-foi, comme lui, des lettres, qui contenaient absolument les mêmes ordres ; Saint-Fond, me dis-je, en voyant ces deux femmes, en admirant la beauté de la mère, à peine âgée de trente-six ans, les grâces et la gentillesse de la fille, atteignant au plus, sa seizième année, ah ! Saint-Fond, ta maudite et scélérate lubricité n’entrerait-elle pas pour beaucoup dans cette exécution ministérielle ? et n’aurais-tu pas ici, comme dans toutes les actions de ta vie, bien plutôt les vices pour guide, que les intérêts de ta patrie ?

Je vous rendrais difficilement les cris et les pleurs de ces deux malheureuses, quand elles, se virent traînées avec ignominie dans les cachots qui leur étaient également destinés ; mais, aussi insensible aux larmes de la femme et de la fille, que je l’avais été à celle du père ; les précautions les plus sévères, n’en furent pas moins prises avec elles, et je ne fus parfaitement tranquille que quand j’eus dans mes poches toutes les clefs de ces importans prisonniers.

Je réfléchissais sur le sort de ces individus, n’imaginant pas qu’il pût s’agir d’autre chose que d’une détention, puisque les exécutions à mort me regardaient, et que je n’étais avertie de rien, lorsqu’on m’annonce un quatrième personnage ; Dieu ! quelle est ma surprise, en reconnaissant ici le même homme par lequel vous vous souvenez que Saint-Fond m’avait fait appliquer trois coups de canne sur les épaules, la première fois que je m’étais présentée chez lui ; comme il était chargé d’une lettre, je la lis aussitôt.

« Recevez à merveille cet homme-ci, me disait Saint-Fond ; vous devez vous souvenir de lui, vous avez porté ses marques quelque tems ; et ce furent ses mains qui vous captivèrent à mes feux la première fois que je m’amusai de vous chez moi. Il va devenir le principal acteur de la scène sanglante qui doit se jouer demain. C’est en un mot, le bourreau de Nantes, venu par mes ordres, pour l’exécution des trois personnes qui sont maintenant sous vos clefs : obligé de porter après-demain ces trois têtes à la reine, sous peine de perdre ma place, vous comprenez que je me serais bien chargé tout seul de l’exécution, si sa majesté n’eût témoigné le plus ardent desir de les recevoir de la main même d’un bourreau. C’est à cause de cela qu’on n’a pas voulu de celui de Paris ; celui-ci ignore le motif qui l’amène dans votre maison. Vous pouvez maintenant l’instruire, mais ne lui faites point voir les victimes, cette clause est essentielle ; j’arriverai demain matin sans faute. Traitez vos prisonniers et les femmes surtout, avec la plus extrême rigueur ; qu’ils n’ayent que du pain… de l’eau et point de jour. »

Monsieur, dis-je à ce personnage, le ministre a raison de dire dans sa lettre que nous nous connaissons, vous m’avez un jour traitée d’une manière… — Oh madame, excusez les ordres… Je ne vous en veux point, interrompis-je, en lui tendant une main qu’il baise avec ardeur… Mais il est tems de dîner ; allons nous mettre à table, nous raisonnerons après.

Delcour était un homme de vingt-huit ans, d’une très-jolie figure, et dont l’air et le métier m’échauffèrent aussitôt la tête. Les prévenances que je lui fis étaient l’ouvrage de mon cœur ; après le dîner je lui fis le plus beau jeu du monde. Delcour me convainquit bientôt du succès de mes avances. Son étroite culotte bombait étonnamment, je n’y pus tenir… Sacredieu, lui dis-je, mon amour, voyons donc ce que tu possèdes là. Ce vit superbe échauffe ma tête, ta profession achève de l’enflammer ; je veux absolument que tu me foutes ; puis ayant aussitôt mis à l’air ce superbe instrument, le premier usage que j’en fais selon ma coutume avec tous les hommes, est de le sucer jusqu’aux couilles ; mais à peine celui-là peut-il tenir dans ma bouche ; dès qu’il y est, Delcour s’empare de mon con, il le gamahuche, en deux secondes nous partons tous les deux ; ce beau jeune homme me voyant avaler son foutre, se jette ardemment sur moi. Ah sacredieu, dit-il, trop de promptitude m’a perdu ; mais je vais réparer ma faute. Le fripon n’avait pas débandé, il me renverse sur une large bergère, imprime ses lèvres sur les miennes encore toutes mouillées de son sperme, et m’enconne avec une roideur bien rare, quand la perle est encore au bout ; de mes jours, je n’avais été si bien foutue ; Delcour me lima trois-quarts d’heures, il se retira par prudence quand il se sentit près de décharger ; et moi, faisant couler une seconde fois dans ma bouche un foutre épais, qui n’était dû qu’à mon con, j’avalai bientôt cette seconde dose, avec les mêmes délices que la première.

Delcour, dis-je, dès qu’un peu revenue à moi, je pus raisonner mon extravagance, vous êtes sans doute très-surpris de la manière leste avec laquelle je vous ai reçu ; une conduite si légère, des avances si promptes, vont me faire prendre par vous, pour une grande putain ; à quelque point pourtant que je méprise ce que les sots appellent réputation, je ne veux pas vous laisser ignorer que c’est bien moins à ma coquetterie, bien moins à mon physique, que vous devez cette bonne fortune, qu’à ma tête. J’ai le malheur d’en avoir une fort singulière ; vous êtes un meurtrier… un bourreau… fort joli d’ailleurs, bandant à merveille… Eh bien, je vous le dis… oui, votre profession, voilà ce qui m’a jetée dans vos bras ; méprisez-moi, détestez-moi, je m’en moque ; vous m’avez foutue, c’est tout ce que je voulais. Ange céleste, me répondit Delcour ! non, je ne vous mépriserai pas ; je vous haïrai encore moins ; vous n’êtes faite ni pour l’un ni pour l’autre de ces sentimens. Je vous adorerai, parce que vous méritez de l’être, et me plaindrai seulement de n’avoir dû votre délire qu’à ce qui me vaut l’avilissement des autres… Qu’importe, dis-je, tout cela tient à l’opinion ; vous voyez comme elle varie, puisque je vous préfère précisément à cause de ce qui vous écarte du reste des hommes ; ne prenez cependant ceci que pour une affaire de débauche. L’attachement que j’ai pour le ministre, la manière dont je vis avec lui, ne me permettent aucune intrigue, et je n’en contracterai certainement jamais. Nous tirerons de la soirée et de la nuit, tout le parti possible, et nous en resterons là. Ah madame, me dit alors ce jeune homme, avec le plus grand respect, je ne vous demande que votre protection et vos bontés, — Vous aurez toujours l’une et l’autre ; mais il faut que vous vous prêtiez jusqu’au bout, à tout le désordre de mon imagination, et je vous préviens qu’avec vous, uniquement à cause du préjugé vaincu, elle ira peut-être un peu loin. Et comme Delcour depuis un instant, s’était remis à manier ma gorge d’une main, en me branlant le clitoris de l’autre, et dardant de tems en tems sa langue dans ma bouche, je l’exhortai à être sage et à répondre avec vérité aux questions que j’allais lui faire. Dites-moi d’abord à quel propos il prit à Saint-Fond, lorsque je vous vis pour la première fois, la bisarre fantaisie de me faire frapper par vous sur les épaules. — Affaire de libertinage, madame, irritation de tête, vous connaissez le ministre. — Il vous emploie donc dans ses scènes de luxure ? — Toutes les fois que je suis à Paris. — Il vous a foutu, — Oui, madame. — Et vous lui avez rendu. — Assurément. — Vous l’avez battu, fouetté. — Souvent. — Ah foutre, comme cela m’excite, branlez, branlez… Et vous a-t-il fait battre ou fouetter d’autres femmes ? — Plusieurs fois. — Avez-vous poussé les choses plus loin ? — Permettez-moi, madame, de respecter les secrets du ministre, en le connaissant aussi bien que vous, il est facile de tout deviner. — Lui avez-vous quelquefois vu des projets contre moi ? — Oh ! jamais, madame, je n’ai reconnu pour vous, dans lui, que de la confiance et de la tendresse ; je vous réponds qu’il vous aime beaucoup. — Je le lui rends bien… Je l’adore, j’espère qu’il en est convaincu. Parions donc d’autre chose, puisque vous voulez que je respecte vos secrets ; dites-moi, je vous prie, comment il vous est possible d’attenter à la vie d’un individu qui ne vous a jamais rien fait ? comment la pitié ne réclame-t-elle pas au fond de votre ame en faveur du malheureux que la loi vous charge d’assassiner de sang-froid ?

Soyez bien certaine, madame, me répondit Delcour, qu’aucun de nous ne parvient à ce degré de férocité réfléchie, sans des principes inconnus peut-être aux autres hommes. — Des principes, eh bien, voilà ce que je veux savoir, quels sont-ils ? — Ils prennent leur source dans la plus complète inhumanité ; on nous accoutume dès l’enfance à il résulte delà que nous égorgeons nos semblables avec la même facilité qu’un boucher tue un veau, et sans y faire plus de réflexions. — Mais ce que vous vous permettez pour l’exécution de la loi, vous vous le permettriez donc également pour la satisfaction de vos penchans ? — Certainement, madame ; dès que le préjugé n’existe plus dans nous, et que nous ne croyons aucun mal au meurtre. — Comment peut-on n’en pas supposer à la destruction de ses semblables. — Je vous demanderai à mon tour, madame, comment il est possible d’en soupçonner à cette action ; si l’une des premières loix de la nature n’était pas la destruction de tous les êtres, assurément je pourrais croire qu’on outrage cette nature inintelligible, en procédant à cette destruction. Mais dès qu’il n’existe pas un seul procédé de la nature qui ne nous prouve que la destruction lui est nécessaire, et qu’elle ne parvient à créer qu’à force de détruire, assurément tout être qui se livrera à la destruction, n’aura fait qu’imiter la nature. Je dis plus, celui qui s’y refuserait, l’offenserait grièvement ; et si comme on n’en peut douter, nous ne lui fournissons des moyens de créer qu’en détruisant, assurément plus nous détruirons, et mieux nous servirons ses vues ; si le meurtre est la base des loix régénératrices de la nature, bien certainement l’homme qui servira le mieux la nature, sera le meurtrier ; et de ce moment plus il multipliera ses meurtres, et mieux il accomplira les loix d’une nature, dont les seuls besoins sont des meurtres[9]. — Voilà des systêmes bien dangereux. — Ils sont vrais, madame… si jamais on vous les étend plus que moi, vous verrez qu’on partira toujours des mêmes bases.

Mon ami, dis-je à Delcour, vous m’en avez dit assez pour me faire beaucoup réfléchir ; une seule idée lancée dans une tête comme la mienne, y produit l’effet de l’étincelle sur le salpêtre ; j’ai de grandes dispositions à penser comme vous… Nous avons ici trois victimes, vous n’êtes dans ce château que pour les sacrifier, je vous réponds que j’aurai grand plaisir à vous voir opérer sur elles ; mais achevez, je vous prie mon cher, de jeter sur-tout ceci la masse de lumière qu’il vous est possible d’y répandre. N’est-il pas vrai que ce n’est qu’avec les secours du libertinage que vous parvenez à vaincre la nature, ou plutôt le préjugé ; car vous venez de me prouver clairement, que la nature était bien plutôt servie qu’outragée par le meurtre. — Que voulez-vous dire madame ? — Je vous demande s’il n’est pas très-certain, ainsi que je l’ai ouï dire, que ce n’est qu’en vous montant la tête au libertinage, que vous parvenez à vous étourdir sur les meurtres que votre métier vous oblige à faire ; en un mot, s’il n’est pas vrai que vous bandez toujours en l’exécutant ? — Il est certain, madame, que le libertinage porte au meurtre ; il est constant qu’un individu blasé, doit retrouver ses forces dans cette manière de commettre, ce que les sots appellent un crime : et cela, parce qu’en doublant sur nos nerfs la somme des commotions produites dans un individu quelconque, au même sens qui nous agite le plus fortement, nous devons nécessairement retrouver les forces que nous ont fait perdre les excès. Le meurtre est donc bien réellement un des plus délicieux véhicules du libertinage ; mais il n’est pas vrai qu’il faille toujours avoir sa tête montée au libertinage pour comettre le meurtre ; la preuve en est fournie par l’extrême sang-froid avec lequel presque tous nos confrères y procèdent… par l’espèce de passion très-différente que celle du libertinage, qui agite ceux qui se livrent à cette même action, soit par ambition, soit par vengeance ou par avarice, ceux mêmes qui s’y livrent par le simple mouvement de la cruauté, sans qu’aucune autre passion les y contraigne, ce qui doit nécessairement établir, comme vous voyez, plusieurs classes de meurtres, parmi lesquelles le libertinage à la sienne, sans que cela nous empêche de conclure qu’aucune de ces sortes de meurtres n’outrage la nature ; et que de quelqu’espèce qu’ils soient, ils rentrent bien plutôt dans ses loix, qu’ils ne les violent. — Tout ce que vous dites est juste, Delcour ; mais je n’en soutiens pas moins qu’il serait à desirer, que pour l’intérêt même de ces meurtres, celui qui les commet, n’alluma sa fureur qu’au flambeau de la lubricité ; car cette passion ne laisse jamais de remords, ses souvenirs sont des jouissances ; au lieu que l’énergie des autres, une fois éteinte, on est souvent dévoré de regrets, lorsque les principes sur-tout ne sont pas bien établis ; et il serait bien facile de ne se jamais porter à cette action, sans y être excité par libertinage. Il me semble qu’on pourrait tuer dans quelque vue que ce puisse être, mais toujours en bandant, et cela pour mieux consolider l’action, pour s’empêcher d’être molesté par le grand remords, qui n’atteint jamais le libertinage… et qui jamais n’est vengé par lui. En ce cas, dit Delcour, vous croyez donc que toutes les passions peuvent s’accroître ou s’alimenter par celle de la luxure ? — Elle est aux passions ce que le fluide nerval est à la vie ; elle les soutient toutes ; elle leur prête de la force à toutes : la preuve en est qu’un homme sans couilles, n’aurait jamais de passions. — Ainsi, vous imaginez qu’on peut être ambitieux, cruel, avare, vindicatif, dans les mêmes motifs que ceux de la luxure. — Oui, je suis persuadée que toutes ces passions font bander, et qu’une tête vive et bien organisée, peut s’échauffer de toutes, comme elle le ferait de la luxure.

Je ne vous dis rien ici que je n’aie éprouvé ; je me suis branlée, et j’ai complettement déchargé sur des idées d’ambition, de cruauté, d’avarice et de vengeance. Il n’est pas un seul projet de crime, quelque fût la passion qui l’inspira, qui n’ait fait circuler dans mes veines le feu subtil de la lubricité : le mensonge, l’impiété, la calomnie, la friponnerie, la dureté d’ame, la gourmandise même, ont produit dans moi ces effets ; et il n’est en un mot, aucune manière d’être vicieuse qui n’ait allumé ma luxure. Ou, son flambeau, si vous l’aimez mieux, ayant produit dans moi l’incendie de tous les vices, en jettant sur tous ce feu divin qui n’appartient qu’à elle, leur a communiqué à tous, cette sensation voluptueuse, que les gens mal organisés semblent n’attendre que de sa main. Assurément voilà mon opinion. — Et c’est aussi la mienne, madame, répondit Delcour, je ne saurais vous le dissimuler plus long-tems. — Que je vous sais gré d’être franc avec moi ; allez, mon cher, je crois vous connaître assez maintenant pour être certaine que vous avez besoin de vous monter la tête au libertinage, quand vous commettez les meurtres qui vous sont ordonnés, ce qui vous les fait exécuter avec bien plus de volupté qu’à vos confrères, qui n’y procèdent que machinalement. — Eh bien, madame, vous m’avez deviné… Scélérat, dis-je, en souriant, et reprenant le vit de ce charmant jeune homme que je branlai, pour lui donner un peu d’énergie… Oh libertin insigne, c’est-à-dire qu’aujourd’hui tu bandes pour jouir de mon existence, et que demain tu déchargerais en me l’ôtant… Et voyant ici l’embarras du jeune homme… va, mon ami, lui dis-je, absolument dans tes principes ; je dois te pardonner tout ce qui en résulte : amusons-nous des conséquences, et ne disputons point sur elles ; et ma tête incroyablement embrâsée, allons, dis-je, il faut que vous me fassiez ici des choses fort extraordinaires. — Quoi donc ? — Il faut que vous me battiez, que vous m’outragiez, que vous me fouettiez ; ne faites-vous pas ces choses-là tous les jours avec des filles ; ne sont-ce pas même les voluptés dont vous vous souillez avec elles qui vous électrisent au point de vous rendre capable du reste ? — Souvent. — Eh bien, vous aurez de l’ouvrage demain, disposez vous-y donc aujourd’hui ; voilà mon corps, je vous le livre ; et

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Delcour, par mes ordres, en m’ayant préalablement appliqué une douzaine de soufflets, et autant de coup-de-pieds au cul, s’empara d’une poignée de verges, dont il m’étrilla les fesses un quart-d’heure, pendant qu’une de mes femmes me gamahuchait. Delcour, dis-je, O divin destructeur de l’espèce humaine ! toi que j’adore, et dont je vais jouir, étrille donc ta catin plus fort ; imprime lui les marques de ta main ; tu vois qu’elle brûle de les porter. Je décharge, à l’idée de verser mon sang sous tes doigts ; ne l’épargne pas mon amour… Il coula… Oh mes amis ! comme j’étais transportée ; aucune expression ne rendrait l’égarement produit en moi par cette action ; il faut ma tête pour le concevoir ; il faut les vôtres pour le comprendre. On n’imagine pas ce que je perdis de foutre dans la bouche de ma branleuse. J’étais dans un désordre… dans un trouble… dans une agitation, où je ne m’étais vue de la vie… O Delcour ! poursuivis-je, il te reste un dernier hommage à me rendre ; ménage tes forces pour y procéder. Ce cul que tu viens de déchirer t’appelle, il t’invite à le consoler ; Vénus a tu le sais, plus d’un temple à Cythère ; viens entrouvrir le plus secret, viens m’enculer, Delcour, viens, qu’il n’y ait pas une seule jouissance que nous n’ayons goûtée… pas une horreur que nous n’ayons commise. Ah ? Sacredieu, dit Delcour transporté… je n’osais vous le proposer, madame ; mais voyez comme vos désirs enflâmment les miens ; et en effet, mon fouteur me fait voir un vit plus ferme et plus allongé que je ne l’avais encore apperçu… Aimable libertin, lui dis-je, tu aimes donc le cul ? — Ah ! madame, est-il au monde de plus délicieuse jouissance ? Je le vois bien, mon cher, répondis-je ; quand on s’accoutume à braver sur un point les loix de la nature, on ne jouit plus véritablement, qu’en les transgressant toutes les unes après les autres… et Delcour, en possession de l’autel que je lui abandonnais en entier, le couvrit, quoique tout sanglant, des plus délicieuses caresses. Le fretillement de sa langue au trou m’enflamma. La coquine, à laquelle je m’étais livrée, m’en faisait autant au clitoris ; je n’y tins plus : j’étais épuisée, mais nullement tranquille et ne me souciant plus de Delcour ; autant je l’avais désiré, autant il me fesait horreur. Voilà l’effet des désirs irréguliers, plus ils ont exalté nos têtes, plus ils les laissent dans le vuide : les sots tirent de là des preuves de l’existence de Dieu ; je n’y trouve moi, que les preuves les plus certaines du matérialisme ; plus vous rabaisserez notre existence, et moins je la croirai l’ouvrage d’un Dieu. Delcour, remis dans son appartement, je gardai ma tribade à coucher.

Saint-Fond arriva le lendemain vers midi ; il renvoya ses gens et sa voiture, et vint aussitôt m’embrasser dans le salon ; un peu inquiète de la façon dont il prendrait la petite incartade que je m’étais permise avec Delcour, je lui avouai tout ; Juliette, me dit-il, je vous gronderais, si je ne vous avais pas prévenue que je serais de la plus grande indulgence sur tous les égaremens de votre tête ; ce que vous vous êtes permis est très-simple ; vous n’avez eu d’autre tort, que de vous confier à Delcour, qui pourrait commettre une indiscrétion ; Delcour, qu’il est bon que vous connaissiez, m’a servi deux ans de bardache, quand il avait quatorze et quinze ans ; il était fils du bourreau de Nantes ; cette idée m’échauffa ; j’eus son pucelage, et quand j’en fus las, je le mis dans les mains du bourreau de Paris, dont il a été garçon jusqu’à la mort de son père ; il en exerce aujourd’hui la place ; c’est un garçon qui ne manque pas d’esprit, mais il est excessivement libertin ; et comme je viens de vous le dire, il n’était pas de tournure à inspirer une grande confiance. Il faut maintenant que je vous instruise de l’existence des prisonniers auxquels nous allons donner la mort.

M. de Cloris est un des hommes de France qui a le plus contribué à mon avancement ; l’année que je fus élevé au ministère, quoique fort jeune encore, il couchait avec la duchesse de G***, dont le pouvoir était immense à la cour, et ce fut réellement par les cabales et les intrigues de tous deux, que le roi me donna la place que j’occupe. De ce moment, Cloris devint pour moi un objet d’horreur ; je craignais de le rencontrer ; je le détestai ; tant que sa protectrice vécut, je le ménageai ; elle vient de mourir… par mes soins, peut-être ; de ce moment Cloris fut à la tête de ma liste de proscription ; il avait épousé ma cousine germaine. — Oh ! monseigneur, quoi : cette femme est votre cousine ? — Assurément, Juliette, et ce véhicule de plus n’a pas peu contribué à sa perte ; j’ai désiré cette femme, elle m’a toujours résisté ; peu à peu mes désirs sont descendus sur sa fille ; et la résistance devenant encore plus forte ici, ma rage et mon extrême envie de perdre toute cette famille, n’en sont devenues que plus violentes ; il n’y a sorte de ruses et de noirceurs, de mensonges et de calomnies que je n’aie mis en usage pour les perdre ; j’ai fini par rendre le père et la fille si suspects à la reine, en lui persuadant que Cloris avait vendu sa fille au roi, que je suis parvenu à me faire, vivement solliciter pour les perdre tous. La reine veut absolument leur tête demain ; trois millions par chacune de ces têtes deviennent ma récompense : juge avec quelle joie je vais obéir, et de quels épisodes délicieux je vais entourer ma vengeance. — Oh, monseigneur ! cette complication de crimes est affreuse, et je ne puis vous dire à quel point elle irrite ma tête. — La mienne l’est également, mon ange, et j’arrive aujourd’hui avec d’exécrables intentions ; il y a huit jours que je n’ai déchargé ; personne ne possède, comme moi, l’art d’aiguiser ses passions par une abstinence industrieuse ; je n’en jouis pas moins ; j’ai peut-être été foutu deux cents coups, et vu cent ou cent cinquante individus de tout sexe pendant ce régime, mais sans perdre une goutte de foutre. Il résulte de cette petite fraude à la nature, que je suis dans un état de desir bien funeste, pour les êtres sur qui doit tomber l’orage, et c’est ici que je veux qu’il éclate… Avez-vous donné des ordres pour que nous soyons seuls, et que qui que ce soit, excepté ceux qui sont nécessaires à la scène, ne soit introduit dans cette maison. — Oui, monseigneur ; c’est que je ferais pendre à l’instant celui qui chercherait à y pénétrer malgré moi : un détachement des gardes est à Sceaux, pour me prêter main-forte en cas de besoin, et jamais le crime n’aura si bien été soutenu. Goûtez-le, comme moi, le plaisir de le commettre, environné d’aussi délicieuses circonstances, et d’une sécurité si profonde. — Ah ! vous le voyez à l’état où tout ce que vous me dites me met. — En vérité, je crois que tu décharges ; et le paillard, pour se convaincre d’une crise que je n’éprouvais que trop réellement, me trousse d’une main jusqu’au nombril, introduisant de l’autre un de ses doigts dans mon con, qu’il retire bientôt, inondé des preuves bien certaines de l’agitation luxurieuse dans laquelle je suis. Que j’aime à voir en toi de pareils effets, me dit le ministre, et combien ils me prouvent à quel point tu partages ma façon de penser ! Attends, il faut que je pompe le foutre que je fais couler ; et sa bouche se colant sur mon con, le vilain le suce un quart-d’heure : il me retourne ; ah ! dit-il, voilà celui que j’aime à baiser de préférence… le beau trou… Friponne, je vois bien qu’on t’a sodomisée. Il ne cessait de baiser mon cul pendant tout ce tems ; il se déculotte, il m’expose le sien… je le gamahuche. Ah ! coquine, quel plaisir tu me fais, me dit-il, en vérité je crois que tu aimes mon cul… tiens, voit mon vit, il commence à bander, suce-le ; conseille-moi donc quelques extravagances, je veux en mêler dans ce que nous ferons. C’est aux grelots de la folie à sonner les heures de Vénus, Il fait chaud, lui dis-je, je voudrais que tu t’habillasses en sauvage, que les bras, les cuisses, les fesses et le vit fussent à découvert ; tu te mettrais sur la tête une coëffure de serpent, ton visage serait barbouillé de rouge ; nous t’adapterions des moustaches, un large baudrier soutiendrait toutes les armes nécessaires aux supplices que tu veux faire éprouver à tes victimes. Ce costume effrayerait tout le monde, et c’est la terreur que l’on doit inspirer quand on veut se vautrer dans le crime. — Tu as raison, Juliette ! oui, tu as raison, tu m’arrangeras de cette manière. — Sois sûr que cet appareil en impose ; vois ces baladins de juges, s’ils ne ressemblent pas à des héros de comédie, ou à des charlatans lorsqu’ils sont dans leurs tribunaux. — Je les voudrais plus effrayans et plus sanguinaires mille fois ; assure-toi bien, Juliette, que ce n’est qu’en répandant le sang des hommes, qu’on parvient à les dominer… Le dîner se servit, nous nous mîmes à table tête à tête, et la conversation continua sur le même ton. Oui, certes, reprit le ministre, il faudrait que les loix fussent plus sévères ; il n’y a d’heureusement gouvernés que les pays où règne l’inquisition. Voilà les seuls qui soient réellement soumis à leurs souverains, c’est aux chaînes sacerdotales à resserer celles de la politique, la force du sceptre dépend de celle de l’encensoir, chacune de ces autorités a le plus grand intérêt à se prêter mutuellement des forces, et ce ne sera jamais qu’en les divisant, que les peuples secoueront le joug. Rien n’assouplit le peuple comme les craintes religieuses ; il est bon qu’elles lui fassent redouter d’éternels supplices, s’il se révolte contre son roi ; et voilà d’où vient que les puissances de l’Europe vivent toujours en bonne intelligence avec Rome ; nous autres grands de la terre méprisons et bravons ces foudres fabuleuses du méprisable Vatican. Mais faisons les craindre à nos esclaves ; c’est, encore une fois, l’unique moyen de les maintenir sous le joug. Nourris des principes de Machiavel, je voudrais que la distance des rois aux peuples fût comme celle de l’astre des cieux à la fourmi, qu’il ne fallut qu’un geste à un souverain pour faire ruisseler le sang autour de son trône, et que vu comme un dieu sur la terre, ce ne fut jamais qu’à genoux que ses peuples osassent l’approcher ; quel est donc l’être assez imbécille pour comparer le physique… oui, le physique seul d’un monarque à celui d’un homme du peuple ; je veux croire que la nature leur a donné les mêmes besoins ; et le lion aussi a les mêmes besoins que le vermisseau ; se ressemblent-ils pour cela ? Oh Juliette ! souviens-toi que si les rois commencent à perdre leur crédit en Europe, c’est que leur humanité les a perdus ! s’ils fussent restés sous le voile comme les souverains d’Asie, leur nom seul ferait encore trembler la terre. On se familiarise avec ce qu’on voit tous les jours ; et Tibère à Caprée dut bien plus effrayer les romains que Titus au milieu de Rome, allant consoler les pauvres. Mais ce despotisme qui vous plaît tant, dis-je à Saint-Fond, parce que vous êtes puissant, croyez-vous donc qu’il plaise au plus faible ?

Il plaît à tout le monde, Juliette, me répondit Saint-Fond ; tous les hommes tendent au despotisme ; c’est le premier desir que nous inspire la nature, bien éloignée de cette loi ridicule qu’on lui prête, dont l’esprit est de ne point faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait… De peur de représailles, aurait-on dû ajouter ; car il est bien certain que c’est la seule crainte du retour qui a pu faire prêter à la nature un langage aussi éloigné de ses loix. J’affirme donc que le premier et le plus vif penchant de l’homme est incontestablement d’enchaîner ses semblables et de les tyranniser de tout son pouvoir. L’enfant qui mord le teton de]a nourrice… qui brise à tout instant son hochet, nous fait voir que la destruction, le mal et l’oppression sont les premiers penchans que la nature a gravé dans nos cœurs, et auxquels nous nous livrons avec plus ou moins de violence, en raison du degré de sensibilité dont nous sommes doués ; il est donc bien certain que tous les plaisirs qui peuvent flatter l’homme, toutes les délices qu’il peut goûter, tout ce qui délecte le plus souverainement ses passions se trouvent essentiellement dans le despotisme dont il peut grever les autres. La voluptueuse Asie, en enfermant avec soin les objets de ses jouissances, ne nous démontre-t-elle pas que la luxure gagne à l’oppression et à la tyrannie, et que les passions s’enflâment bien plus fortement de tout ce qui s’obtient par la contrainte, que de ce qui s’accorde de plein gré : dès qu’il est démontré que c’est en raison de la violence de l’action commise, que doit se mesurer la somme du bonheur de celui qui agit, et cela parce que plus cette dose est forte et plus elle ébranle le systême nerval, dès que, dis-je, cela est démontré, la plus grande dose de bonheur possible consistera donc dans le plus grand des effets du despotisme et de la tyrannie, d’où il résultera que l’homme le plus dur, le plus féroce, le plus traître et le plus méchant, sera nécessairement le plus heureux ; car ce n’est, ainsi que te l’as souvent dit Noirceuil, ni dans le vice, ni dans la vertu qu’est le bonheur ; c’est dans la manière dont nous sommes disposés pour sentir l’un ou l’autre, et dans le choix que nous faisons d’après cette organisation : ce n’est pas dans le repas offert qu’est mon appétit ; le besoin n’est qu’en moi, et ce repas affecte très-différemment deux personnes ; il excite de la volupté dans celui qui a faim… de la répugnance dans celui qui vient de se rassasier ; cependant, comme il est certain qu’il doit y avoir de la différence dans les vibrations reçues et que le vice doit en causer de beaucoup plus vives à l’individu disposé pour lui, que n’en peut donner la vertu à l’être dont les organes sont construits de manière à la recevoir ; que quoique l’ame de Vespasien fut bonne, et celle de Néron méchante, et néanmoins toutes deux sensibles, il y avait pourtant une bien grande différence dans la trempe de ces ames, relativement au germe de sensibilité qui les constituait ; car celle de Néron était incontestablement douée d’une faculté sensitive bien, supérieure à celle de Vespasien ; il est certain, dis-je, d’après cela, que Néron a dû être incontestablement plus heureux que Vespasien ; et cela par la raison certaine que ce qui affecte le plus vivement sera toujours ce qui rendra l’homme plus content ; et qu’un être vigoureux, construit par cela seul à recevoir mieux des impressions de vices, que des impressions de vertu, trouvera plutôt le bonheur qu’un individu doux et tranquille dont la faible complexion ne lui rendra possible que la stupide et monotone pratique des bonnes mœurs ; et quel mérite y aurait-il donc dans la vertu, si le vice ne lui était pas préférable ? Ainsi, Vespasien et Néron ont donc été aussi heureux qu’il pouvaient l’être ; mais Néron a dû l’être beaucoup plus, parce que ses jouissances ont été bien plus vives ; et Vespasien, en venant d’accorder une grace à un homme indigent, par la seule raison, disait-il, qu’il fallait bien que les pauvres vécussent, était remué d’une façon infiniment moins vive que Néron en voyant brûler Rome, une lire à la main, sur le haut de la tour Antonia. Mais, dira-t-on, l’un méritait des autels, et l’autre des bûchers. Soit, si vous le voulez ; ce n’est pas de l’effet de leur ame sur les autres que je juge, c’est des sensations intérieures que l’un et l’autre ont dû recevoir, en raison des différens penchans dont l’un et l’autre étaient doués… des différentes vibrations dont ils étaient mus ; et dans ce sens l’homme le la terre le plus heureux incontestablement, sera celui qui, n’importe par quelle action, aura fait passer à son ame les secousses les plus violentes qu’elle puisse recevoir ; et comme les secousses du vice sont plus fortes, plus énergiques que celles de la vertu, inévitablement l’homme le plus heureux de la terre sera celui qui sera le plus adonné aux plus infâmes, aux plus crapuleuses, aux plus criminelles habitudes, et qui les renouvellera le plus souvent… qui, chaque jour, les doublera, les triplera de force.

Le plus grand service qu’on peut rendre à une jeune personne, répondis-je à ce discours, serait donc d’éteindre en elle toutes les semences de vertu que la nature ou l’éducation y aurait fortement fait naître. Assurément, me répondit Saint-Fond ; car à supposer même que l’individu dans lequel vous étoufferiez ces semences de vertu, vous assura qu’il y trouve le bonheur, parfaitement certain de lui en faire trouver un beaucoup plus grand dans le vice, vous ne devriez jamais balancer à étouffer l’un pour éveiller l’autre ; c’est un service réel dont il vous remerciera tôt ou tard ; et voilà pourquoi, bien différent de mon prédécesseur, j’autorise tous les ouvrages libertins ou immoraux… je les crois très-essentiels au bonheur de l’homme, utiles aux progrès de la philosophie, indispensables à l’extinction des préjugés, et faits, sous tous les rapports, pour augmenter la somme des connaissances humaines ; j’étayerai les auteurs assez courageux pour ne pas craindre de dire la vérité ; je payerai, je couronnerai toujours leurs idées ; ce sont des hommes rares… essentiels à l’état, et dont on ne saurait trop encourager les travaux ; mais, dis-je, comment cela s’arrange-t-il, avec la sévérité dont vous voudriez que fût le gouvernement… avec cette inquisition que vous établiriez ? Le mieux du monde, répondit Saint-Fond, c’est pour contenir le peuple que je veux cette sévérité ; ce n’est que pour lui seul que mon imagination desire si souvent à Paris les auto-dafés de Lisbonne. La classe riche, noble ou spirituelle, ne sera jamais atteinte par mes poignards. — Mais ces écrits lus de tous, deviendront funestes à ceux que vous paraissez vouloir épargner… Jamais, dit Saint-Fond : si le faible y trouve le desir de briser ses chaînes… desir dont j’ai besoin pour les river, le fort y rencontre des leçons bien plus énergiques pour faire peser sur le peuple ces mêmes chaînes. L’esclave, en un mot, sera des années à comprendre ce que le chef ne mettra qu’une minute à exécuter. — On vous accuse, objectai-je encore, d’une égale condescendance pour la dépravation des mœurs ; ils ne furent, dit-on, jamais plus corrompus que depuis que vous êtes dans le ministère. Ils s’en faut de beaucoup, me répondit Saint-Fond, qu’ils le soient au point où je voudrais les voir, et je travaille à un réglement de police qui, j’espère, les mettra au degré de dépravation où je les desire. Apprends, Juliette, qu’il est de la politique de tous ceux qui mènent un gouvernement, d’entretenir dans les citoyens le plus extrême degré de corruption ; tant que le sujet se gangrène et s’affaiblit dans les délices de la débauche, il ne sent pas le poids de ses fers ; on peut l’en accabler sans qu’il s’en doute. La véritable politique d’un état, est donc de centupler tous les moyens possibles de la corruption du sujet. Beaucoup de spectacles, un grand luxe, une immensité de cabarets… des bordels, une amnistie générale pour tous les crimes de débauche ; les voilà les moyens qui vous assoupliront les hommes. O vous ! qui voulez régner sur eux, redoutez la vertu dans vos empires, vos peuples s’éclaireront quand elle y régnera ; et vos trônes, qui ne sont étayés que sur le vice, seront bientôt renversés ; le réveil de l’homme libre sera cruel pour les despotes, et quand les vices n’amuseront plus son loisir, il voudra dominer comme vous. — Et quels sont, dis-je, les réglemens que vous vous proposez ? — C’est par les modes que je veux d’abord travailler l’opinion publique ; tu connais l’influence quelles ont sur les français.

1°. J’établis des costumes d’hommes et de femmes, qui laissent presque totalement à découvert toutes les parties de la lubricité, et les fesses sur-tout.

2°. Il y aura des spectacles, à l’instar des jeux de Flore, à Rome, où les jeunes garçons et les jeunes filles danseront nuds.

3°. Les principes de la simple nature remplaceront ceux de la morale et de la religion, dans les écoles publiques ; tout enfant de quinze ans, de l’un ou l’autre sexe, qui ne pourra prouver un amant, sera flétri, déshonoré dans l’opinion publique, et déclaré incapable, si c’est une fille, d’être jamais mariée, si c’est un garçon, d’occuper aucune place, au défaut d’un amant, la jeune personne de l’un ou l’autre sexe sera du moins obligé à fournir un certificat, qui prouve qu’elle s’est prostituée, et qu’elle ne possède plus ses prémices.

4°. La religion chrétienne sera sévèrement bannie du gouvernement ; il n’y sera jamais célébré d’autre fête, que celle du libertinage ; et les chaînes religieuses subsisteront malgré cela ; j’en ai besoin pour contenir le peuple, je viens de te le prouver : qu’importe l’objet des cultes, pourvu qu’il y ait des prêtres ; je placerai aussi-bien le poignard de la superstition dans les mains de ceux de Vénus, que dans celles des adorateurs de Marie.

5°. Le peuple sera tenu dans un esclavage,… dans un asservissement qui le mette hors d’état d’attenter jamais à la domination ni à l’envahissement ou la dégradation des propriétés du riche ; lié à la glèbe comme autrefois, il fera partie de cette propriété du riche, et éprouvera, comme elle, toutes les différentes mutations. Les peines ne porteront que sur lui seul, et s’imposeront pour les plus légères fautes. Son propriétaire aura, sur lui et sa famille, le droit de vie et de mort ; et jamais ses plaintes, ou ses récriminations ne seront écoutées ; il n’y aura jamais d’écoles gratuites pour lui ; on n’a pas besoin de sciences pour labourer la terre ; le bandeau de l’ignorance est fait pour les yeux du cultivateur ; on ne l’en arrachera jamais sans danger ; le premier individu, de telle classe qu’il puisse être, qui chercherait à exalter le peuple, ou à lui conseiller de briser ses fers, sera jeté à des tigres, pour être dévoré tout vivant.

6°. Il sera ouvert dans toutes les villes du gouvernement, un nombre de maisons publiques des deux sexes, proportionné à la population de cette ville, dans la gradation d’une de ces maisons de l’un et de l’autre sexe par mille habitans ; chacune de ces maisons contiendra trois cents sujets, qui y entreront à douze ans, pour n’en sortir qu’à vingt-cinq. Ces établissemens seront soudoyés par le gouvernement ; les seuls individus de classe libre auront le droit d’y entrer, et d’y faire absolument tout ce que bon leur semblera.

7°. Tout ce qui s’appelle crime de libertinage, tel que le meurtre de débauche, l’inceste, le viol, la sodomie, l’adultère, ne seront jamais punis que dans les castes esclaves.

8°. Il sera accordé des prix aux plus célèbres courtisanes des maisons de débauches, de même qu’aux jeunes garçons de ces mêmes établissemens qui se seront fait une réputation dans l’art de donner des plaisirs. On accordera de même, des récompenses à tout inventeur de lubricité nouvelle, à tout auteur de livres ciniques, à tout libertin reconnu pour être profès dans cet ordre.

9°. La classe des hommes dans l’esclavage, existera comme autrefois, celle des Ilotes à Lacédémone. N’y ayant aucune espèce de différence entre l’homme esclave ou la bête, pourquoi punirait-on plutôt le meurtrier de l’un que celui de l’autre ?

Monseigneur, dis-je, ceci mérite, je crois, quelque légère explication. Je voudrais que vous me prouvassiez qu’il n’existe réellement aucune différence entre l’homme esclave et la bête.

Jette les yeux sur les ouvrages de la nature, me répondit ce philosophe, et considère toi-même l’extrême différence que sa main à mis à la formation des hommes nés dans la première classe, ou nés dans la seconde ; sois impartiale, et décide… Ont-ils la même voix, la même peau, les mêmes membres, la même marche, les mêmes goûts, j’ose dire, les mêmes besoins. Inutilement, me dira-t-on, que le luxe ou l’éducation ont établi ces différences, et que l’un et l’autre de ces individus, pris dans l’état de nature, se ressemble absolument dès l’enfance. Je nie le fait, et c’est pour l’avoir remarqué moi-même, pour l’avoir, fait observer par d’habiles anatomistes, que j’affirme qu’il n’est aucune similitude dans les différentes conformations de l’un et de l’autre de ces enfans. Abandonnez-les tous deux, et vous verrez que celui de la première caste manifestera des goûts et des intentions bien autres que tout ce que vous vous démontrera l’enfant de la seconde ; vous reconnaîtrez des sentimens, des dispositions bien différens dans l’un et dans l’autre. Que je fasse la même étude maintenant, sur l’animal qui ressemble le plus à l’homme, tel que le singe des bois ; que je compare, dis-je, cet animal à l’individu pris dans la caste esclave, que de rapprochemens n’y trouverai-je pas ? L’homme du peuple n’est que l’espèce qui forme le premier échelon après le singe des bois ; et la distance de ce singe, à lui, est absolument comme celle de lui, à l’individu de la première caste. Eh pourquoi donc la nature, qui observe toutes ces gradations avec tant de rigueur dans tous ses autres ouvrages, les aurait-elle négligé dans celui-ci ? Toutes les plantes se ressemblent-elles ? Tous les animaux sont-ils de même figure et de même force ? Oserez-vous comparer l’arbuste au majestueux peuplier, le chien roquet au fier danois, le petit cheval des montagnes de Corse au fougueux étalon d’Andalousie ? Voilà donc, dans les mêmes classes, des différences essentielles ; et pourquoi donc ne voudriez-vous pas qu’elles existassent de même dans celle des hommes ? Oserez-vous rapprocher Voltaire de Fréron, et le mâle grenadier prussien du débile hottentot ? Ne doutez donc plus, Juliette, de ces inégalités ; et dès qu’elles existent, ne balançons pas à en profiter, et à nous convaincre que si la nature a bien voulu nous faire naître dans la première de ces classes d’hommes, c’est pour jouir, à notre gré, du plaisir d’enchaîner l’autre, et de la faire despotiquement servir à toutes nos passions et à tous nos besoins.

Embrasse-moi, mon cher ami, dis-je, en me jetant dans les bras d’un homme dont les principes me tournaient la tête ; tu es un Dieu pour moi, et c’est à tes pieds que je veux passer ma vie. À propos, me dit Saint-Fond, en sortant de table, et nous jetant tous deux sur un canapé du salon, j’oubliais de te dire que le roi m’aime plus que jamais, je viens d’en recevoir de nouvelles preuves ; il s’est mis dans la tête que je devais beaucoup, et vient en conséquence de me donner deux millions, pour arranger mes affaires ; il est juste que tu participes à cette faveur, Juliette ; je t’accorde la moitié du don ; continue d’aimer mes systêmes et de me bien servir ; je t’élèverai si haut, que tu n’auras plus de peine à te persuader de ta supériorité sur les autres êtres ; tu ne saurais croire les délices que j’éprouve à te mettre au pinacle, sont la seule clause d’une profonde humiliation, d’une obéissance sans bornes envers moi. Je veux que tu sois, à-la-fois, mon esclave, et l’idole des autres ; rien ne me fait bander comme cette idée… Juliette ; eh bien ! nous ferons des horreurs aujourd’hui… n’est-ce pas, mon ange ?… des atrocités, et il me baisait sur la bouche, en me branlant pendant ce tems-là…, Oh ! mon amour, comme les crimes sont délicieux, lorsque l’impunité les voile, que le crédit les étaye, et que le devoir même les prescrit ! Comme il est divin de nager dans l’or, et de pouvoir dire, en comptant ses richesses, voilà les moyens de tous les forfaits, de tous les plaisirs ; avec cela, toutes mes illusions peuvent se réaliser, toutes mes fantaisies se satisfaire, aucune femme ne me résistera, aucun desir ne demeurera sans effet, les loix mêmes se modifieront par mon or, et je serai despote à mon aise ; je baisai mille et mille fois Saint-Fond et profitant de l’enthousiasme, de l’ivresse dans lesquels il était, et sur-tout de ses bonnes dispositions pour moi, je lui fis signer une lettre-de-cachet pour le père d’Elvire, qui voulait me l’enlever, deux ou trois autres graces qui devaient me valoir cinq ou six cents mille francs chacune ; et les fumées de l’excellent dîner que je venais de lui faire faire, s’étant portées vers le cerveau, l’engourdirent, et lui procurent un sommeil profond, dont je profitai légèrement pour tout disposer.

Saint-Fond s’éveilla sur les cinq heures ; tout par mes soins se trouvait prêt dans le salon ; et voici l’ordre dans lequel les personnages étaient disposés ; nues et simplement parées de guirlandes de roses, s’appercevaient dans la partie droite du tableau, les trois pucelles destinées aux orgies ; je les avais grouppées comme les grâces ; toutes trois étaient : filles de condition, enlevées dans un couvent de Melun, et d’une surprenante beauté.

La première s’appelait Louise, elle avait seize ans, blonde, l’une des figures les plus intéressantes qu’il fût possible de voir.

Hélène était le nom de la seconde ; quinze ans, une taille souple et légère, grande pour son âge, les cheveux châtains, les yeux et la bouche de l’amour même ; elle eut passé pour la plus jolie des trois, certainement, si Fulvie, absolument du même âge, mais beaucoup plus belle, n’eût paru devoir l’emporter.

J’avais placé, pour contraster avec ce grouppe, celui de la famille malheureuse, également nud et drapé d’un crêpe noir ; le père et la mère se tenaient dans les bras l’un de l’autre ; à leurs pieds était la charmante Julie ; des chaînes pesaient sur leurs chairs découvertes, et les froissaient ; la fraise du teton gauche de Julie passait à travers un chaînon, et se trouvait déchirée par lui. Un autre morceau de ces douloureux fers se voyait entre les cuisses de madame de Cloris, et molestait les lèvres du vagin ; Delcour, auquel j’avais fait prendre le costume effrayant d’un démon de l’enfer, armé du glaive dont il devait frapper les victimes, tenait le bout de cette chaîne, et déchirait, en la tirant à lui de tems en tems, toutes les parties sur lesquelles on la voyait appuyer.

Mes quatre femmes, dans l’attitude de la Vénus aux belles fesses, le derrière tourné vers Saint-Fond, drapées d’une simple gaze brune et blanche, qui laissait leurs culs très à découvert, offraient à mon amant :

La première, une femme de vingt-deux ans, belle comme Minerve, et dont toutes les formes étaient admirables. On la nommait Délie ;

Montalme était le nom de la seconde ; vingt ans, la fraîcheur de Flore, et les plus belles chairs qu’il fût possible de voir ;

Palmire avait dix-neuf ans ; blonde, une figure romantique de ces femmes qu’on voudrait toujours faire pleurer ;

Blaisine avait dix-sept ans, l’air lutin, les dents superbes, les yeux les plus fripons qu’eut jamais embrasé l’amour.

Au coin gauche de ce demi-cercle se trouvaient placés deux grands gaillards, de cinq pieds dix pouces, munis de membres énormes, debout dans les bras l’un de l’autre, tous deux se le branlaient, en se baisant voluptueusement sur la bouche. Ils étaient nuds.

Voilà qui est divin, dit Saint-Fond en se réveillant, je reconnais bien à tout ceci, l’esprit et l’imagination de Juliette.

Qu’on m’amène les coupables, poursuivit-il, en voulant m’avoir près de lui, pendant que Montalme viendra sucer son engin, et qu’il maniera le beau cul de Palmire.

Le grouppe s’avance, conduit par Delcour. Vous êtes accusés tous trois de crimes énormes, dit le ministre, et j’ai des ordres secrets de la reine pour vous faire à l’instant périr. Ces ordres sont injustes, répondit Cloris, ma famille et moi nous sommes innocens… Et tu le sais bien scélérat… Ici Saint-Fond ressentit une si vive émotion de plaisir, que je crus qu’il allait décharger… Oui, tu le sais bien, mais si nous sommes coupables qu’on nous juge, sans nous exposer, comme on le fait ici, à la cruelle luxure d’un tigre, qui ne nous sacrifie que pour attiser ses indignes passions. Delcour, dit Saint-Fond, faites sentir la chaîne ; et de la violente secousse que le bourreau donna, le con de madame de Cloris, le sein de sa fille, et l’une des cuisses du mari, furent tellement écorchés, que le sang jaillit sur le fer. Vous avez, dit ensuite Saint-Fond, trop grièvement transgressé les lois que vous implorez aujourd’hui pour qu’elles vous protègent : leur seule rigueur vous est maintenant réservée : il faut vous préparer à la mort. — Tu es, dit fièrement Cloris, le ministre d’un tyran et d’une putain, la postérité me jugera. Ici, Saint-Fond se lève en fureur ; il bandait ; il ne se fait suivre que de moi, s’approchant de cet insolent bien contenu par ses chaînes, il lui donne plusieurs soufflets à tour de bras, l’insulte, lui crache au visage, et se branlant le vit sur les têtons de Julie, toujours à ses pieds, venge-toi si tu peux, lui dit-il, venge-toi. — O lâche ! tu fuirais si j’étais libre. — Cela est vrai ; mais je te tiens, je te défie de te venger, et je t’insulte avec plaisir. — Tu me dois tout. — Je n’aime pas le poids de la reconnaissance. Il lui prit le vit, le secoua ; il m’ordonna de le branler ; mais voyant que rien n’avançait : séparez cet homme de sa famille, dit-il à Delcour ; qu’on l’attache à ce poteau. La reine m’ayant laissé le maître des supplices par lesquels vous méritez d’être punies, et qui doivent précéder votre mort, continue Saint-Fond, en s’adressant aux deux femmes, vous allez l’une et l’autre souffrir, sous les yeux de Cloris, tous les genres de prostitution et de luxure, qu’il me plaira de vous imposer. Et comme il vit que Delcour n’attachait pas assez ferme à son gré l’époux au poteau préparé, il fut aider à le garotter lui-même et renouvella ses soufflets, accompagnés de fortes claques sur les fesses… Je le tuerai de ma main, dit-il à Delcour… Oui, je veux avoir moi-même le plaisir de répandre son sang, de m’en rassasier. Mêlant toujours l’horreur à la luxure, il se courba, suça le vit de cet homme, et lui baisa les fesses. Comme Delcour était tout près, il lui prit de même le vit dans la bouche, et gamahucha le trou de son cul ; il se redressa, et baisa plusieurs minutes de suite le bourreau sur la bouche, en me disant à l’oreille : il n’y a que cela qui me fasse bander…… L’infâme Vénus et sa cour étaient là, il quittait tout pour la crapule et pour l’atrocité. Il revint aux objets de mon sexe… Ah ! monseigneur, lui dirent ces pauvres créatures en le voyant approcher, par où donc avons-nous pu mériter un traitement aussi barbare ? Sois courageuse, ma femme, cria l’époux infortuné, la mort va bientôt laver nos outrages, nous ne ressentirons plus rien ; et le remords déchirera l’ame de ce tigre. Le remords, dit Saint-Fond en ricanant, n’approchera jamais de mon cœur ; je n’en aurais qu’à t’épargner. Madame de Cloris détachée la première, fut amenée vers lui… Ah ! putain, lui dit-il, te souviens-tu de toutes les rigueurs que tu m’as opposées jadis ; chère et tendre cousine, je vais t’obtenir pour rien aujourd’hui. Il bandait extraordinairement ; il manie brutalement les attraits de cette femme ; et la saisissant à brasse-corps, il l’enconne aux yeux de son mari, dont par l’attitude qu’il a prise, il peut suçer le vit pendant ce tems. Dès que je vois par cette action, son cul bien à ma portée, je le fais foutre ; tout ce qui reste d’hommes et de femmes l’environne, excepté Julie et Cloris toujours contenus par Delcour. Je place indistinctement, sous ses mains et sous ses yeux, des cons, des culs, des vits et des tetons ; le démon de la cruauté l’excitant, ses mains crochues ne s’apesantissent nulle part, qu’elles n’y laissent des traces ; mais c’est par préférence… avec délices, qu’il les promène sur les têtons de la malheureuse femme, dont jouit sa rage ; il les égratigne, et les met en sang. Éloigne tout cela, Juliette, me dit-il, en déconnant la mère, pour s’emparer de la fille, je ne veux pas encore décharger : petite putain, dit-il à cette innocente créature, ton père et ta mère savent aussi tout ce que j’ai fait pour te posséder : il faut que je les punisse aujourd’hui des oppositions qu’ils y ont mis. Il fit alors placer le père, de façon à ce qu’en foutant la fille, il eût en perspective le beau fessier de ce cher papa, que Delcour devait étriller d’une main, pendant qu’il molesterait de l’autre, les fesses de la maman, disposées à la même hauteur. C’est moi qui l’aide à dépuceler Julie : il presse, il pousse, il enconne ; huit culs sont autour de lui. On le sodomise ; et le vilain, ne trouvant pas assez violens les supplices que Delcour impose par son ordre, s’arme d’un stilet, et pique à la fois, les tetons de la mère, les épaules de la fille, et les fesses du père. Le sang coule ; ce n’est point encore ici où je déchargerai, dit le vilain faune en déconnant ; voilà, dit-il, en maniant le cul du père, voilà l’autel où je vais sacrifier. Par ses ordres, le malheureux Cloris est étendu sur le funeste sopha, les mains toujours liées. Delcour, dit-il au bourreau, passez lui une corde au col, que vous serrerez s’il résiste, point de lui donner la mort. Toujours directrice de l’opération, je conduis avec art le fougueux coursier au bord de la route qu’il doit parcourir : le malheureux ne disait plus mot. Bien en face de lui sont postés, à droite le sein de la mère, à gauche le joli petit cul de la fille. Il n’est pas plutôt dans le derrière qu’il convoite, que ses mains armées du fatal stilet, commencent à se promener sur les attraits offerts à ses regards, et tellement placés, qu’à mesure qu’il les pique, c’est sur la tête du père que coule le sang de l’épouse et de la fille. Je lui branlais le cul pendant ce tems-là, et deux de mes femmes lui piquaient les fesses. Eh bien ! dit-il, je me suis encore trompé ; j’avais cru répandre ici mon sperme ; mais je veux avant, tâter tous les culs de cette famille, vraiment intéressante. Renchaîne ce vieux bardache, Delcour, il n’a servi qu’à couvrir mon vit de merde. Grande fille, dit-il à Montalme, venez suçer cela ; et comme il s’apperçoit d’un peu de répugnance, il ordonne à Delcour d’appuyer aussi-tôt cent coups de fouet sur les belles fesses de cette charmante fille, pour lui apprendre à désobéir… Ah ! Ah ! putain, disait-il, pendant qu’on l’étrillait, tu ne veux pas sucer mon vit parce qu’il y a de la merde ; que deviendras-tu donc tout à-l’heure quand je t’en ferai manger ? Montalme, bien fouettée, revient décidée à tout ; elle suçe le paillard, lui lèche le cul ; et reprenant tranquillement son ouvrage, le voilà, sodomisant la mère, en molestant d’un côté le cul du père, de l’autre le con de la fille. Au bout d’une course peu longue, il reprend cette fille : oh ! pour le coup, dit-il, j’espère que c’est ici que va s’opérer le sacrifice. Toujours servi par moi, Julie est enculée ; il n’y a rien qu’on ne lui fasse pendant ce tems-là, pour déterminer sa décharge ; mais soit méchanceté, soit impuissance, il quitte encore ce cul, en assurant que ce ne sera, qu’en flagellant toute la famille, qu’il retrouvera ses forces épuisées. Le père, déjà placé au poteau, est fouetté le premier. Dès qu’il est en sang, on lui attache sa femme sur le dos ; et quand par plus de mille coups de fouet, il a entr’ouvert les fesses de celle-ci, la petite fille, placée sur les épaules de la mère, est aussi-tôt traitée de même.

Défaisons tout cela, dit le centaure, je n’ai pas encore été satisfait dans cette jouissance ; je veux refouetter cette petite fille, mais tenue par son père et sa mère ; Juliette et toi, Delcour, tenez-leur à chacun le bout d’un pistolet sur la tempe, et faites-leur voler le crâne s’ils bronchent en tenant leur enfant ; chargée de la mère, je brûlais de lui voir faire quelques résistances ; mais me consolant ensuite par la certitude qu’elle terminerait ses jours dans quelques supplices plus violens que celui-là, je cessai de me plaindre en moi-même de la soumission qui m’avait alarmé d’abord. La pauvre Julie traitée avec une fureur qui n’a pas d’exemple, fouettée premièrement avec des verges, le fut ensuite avec des martinets, dont chaque cinglon faisait jaillir le sang dans la chambre ; cela fait, il tombe sur le père, et ne le frappant qu’avec ce même martinet à pointe de fer, en trois minutes il le couvre de sang. La mère est aussitôt saisie, on la place sur le bord du canapé, les cuisses dans le plus grand écartement possible, et il la cingle de son martinet, en dirigeant les coups dans l’intérieur du vagin. Je le suivais par-tout, tantôt le branlant, tantôt le flagellant, tantôt suçant sa bouche ou son vit ; un mouvement de rage le rapproche de la jeune fille ; il lui applique deux soufflets d’une si terrible force, qu’elle en tombe les quatre fers en l’air ; la mère veut la secourir, il la reçoit avec un coup de pied dans le ventre, qui la renverse de l’autre côté à plus de quinze pieds de sa fille. Cloris écumait sans oser dire un mot ; toujours lié, quelle défense aurait-il pu faire ? on relève la petite fille Saint-Fond ordonne au bourreau de la foutre en con, et lui… sodomise le bourreau, pendant qu’à force de seductions, et ayant rendu la liberté au père, je lui promets la vie et celle de sa famille, s’il vient à bout d’enculer Saint-Fond… ce que c’est que l’espoir dans l’ame d’un malheureux, soigneusement branlé par mes mains, il réussit ; Saint-Fond, aux nues de se sentir un aussi beau vit dans le cul, frétille comme le poisson qu’on rend à l’eau, après l’en avoir retiré quelque tems. Il est divin et sa grace est sûre, dit Saint-Fond, si profitant avec vîtesse de l’état où le voilà dans mon cul, il consent à sodomiser sa fille. Monsieur, dis-je à cet homme, y a t’il à balancer, et ne vaut-il pas cent fois mieux que vous foutiez votre fille, que de l’assassiner. — L’assassiner ! — Oui, monsieur ; votre refus la met au tombeau, elle est morte si vous persistez ; et pendant qu’une de mes femmes tient les fesses de la petite fille bien écartées, et qu’elle humecte le trou, je retire promptement l’engin du cul de Saint-Fond, et le braque à l’entrée de celui de la petite fille : mais Cloris révolté ne poussait pas ; allons, allons, tuons-là, dit Saint-Fond, puisqu’il ne veut pas la foutre : ce cruel arrêt détermine tout ; d’un côté je rapproche du membre les reins de la jeune fille, j’enfonce de l’autre, le terrible engin dans l’anus ; comme tout est bien préparé, le succès couronne mes efforts, et Cloris est incestueux pour ne pas devenir parricide. Délie fustigeait Saint-Fond, pendant ce tems-là il vexait le cul de la mère, et baisait les fesses d’un des laquais ; mais ce laquais le foutit bientôt, et ce furent les fesses de Délie qui furent mises en perspective. L’inconstant Saint-Fond rompit encore ce grouppe ; s’obstinant à résister toujours aux élans de son foutre, il se montre à nous plus furieux qu’une bête féroce ; il criait, il écumait, il jurait ; aussitôt que Delcour eut déchargé dans le con de Julie, il lui fit enculer la mère. Tout enfin se dérange ; Saint-Fond se rasseoit, et m’ordonne de lui faire examiner les attraits des trois petites filles, qui ne se sont encore présentées qu’en gros à ses yeux ; il touche et caresse leurs culs un quart-d’heure ; il les sépare, il les rassemble, il les compare ; je le branlais pendant ce tems-là ; il convient en un mot que jamais mon choix ne fut plus heureux. Fulvie surtout lui paraît adorable ; je l’enculerais, dit le paillard, si je ne craignais pas de décharger ; après cette revue, il desire de faire celle des quatre femmes ; Palmire l’enchante ; il n’a, dit-il, jamais rien vu de si beau, et les superbes fesses de cette belle fille font ses délices pendant plusieurs minutes. Ordonne, me dit-il, à toutes ces putains de se mettre à genoux en demi-cercle autour de moi ; de venir ensuite dans la même posture adorer mon vit, et le sucer l’une après l’autre : l’arrêt s’exécute, et chacune reçoit deux soufflets en tetant son engin. Allons, dit-il, dès que c’est fait, il faut que mon derrière ait son tour, que toutes dans le même ordre viennent le lécher et l’adorer ; il suce des vits pendant ce tems-là sans en excepter comme vous imaginez bien, ceux de Cloris et de Delcour. Il est tems, dit-il, Juliette, de terminer cette première scène ; le scélérat

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encule Julie ; les valets contiennent le père et la mère, pendant qu’il lime le cul de cet enfant ; Delcour, armé d’un rasoir, va lentement détacher la tête : sois long, sois très-long, Delcour, s’écrie-t-il, je veux que ma très-chère nièce se sente mourir, je veux qu’elle souffre aussi long-tems que je foutrai.

À peine Delcour a-t-il fait sentir le taillant du rasoir, que les cris de cette malheureuse retentissent de toutes parts… — Allez, allez, dit Saint-Fond bien introduit dans le cul, mais allez doucement, vous ne concevez pas le plaisir qui me transporte ; penche-toi, Delcour, que je puisse te branler le vit, pendant que tu travailles ; Juliette, adorez les fesses de Delcour. Il est un Dieu maintenant à mes regards ; qu’on approche le cul de la mère, je veux le baiser pendant que je fais assassiner sa fille ; mais quels baisers ! grand Dieu ! ce sont des morsures si cruelles, que le sang jaillit à chacune de celles qu’il fait. Un valet l’encule… L’infâme est dans une extase indicible… Comme je savoure le crime, s’écrie-t-il en jurant ; comme il est enchanteur pour moi ! Delcour fais durer le plaisir… Le malheureux père abbatu, est prêt à perdre connaissance ; ses yeux se détournent avec horreur ; la belle tête de Julie tombe enfin comme celle d’une jolie rose aux efforts redoublés de l’aquilon ; rien n’est voluptueux comme ce que je viens de faire, dit Saint-Fond, déculant le cadavre ; on n’imagine pas le resserement qui résulte dans l’anus, de la lente incision opérée sur les vertèbres du col ; c’est délicieux. Allons, madame, dit-il à la mère, préparez-vous à me donner le même plaisir ; la même scène recommence ; Saint-Fond qui trouve que l’on va trop vite, suspend l’opération. Vous ne savez pas, dit-il, combien il est divin de couper ainsi en détail le col d’une femme qu’on eut la faiblesse d’aimer autrefois. Oh ! comme je me venge bien des rigueurs de la chère cousine. Il continue de branler lui-même le vit du bourreau, mais il veut baiser mes fesses pendant l’opération ; les deux valets enculent Delcour et lui ; le père est attaché de manière à ce qu’armée d’une poignée de verges, je puisse lui fouetter le vit, pendant ce tems-là ; mon féroce amant est dans l’ivresse, il se délecte aux douleurs retardées de sa triste parente, dont la tête tombe enfin au bout d’un quart-d’heure. C’est le tour de Cloris ; ce n’est qu’en l’attachant, qu’on parvient à le placer dans l’attitude essentielle à l’opération. Saint-Fond sodomise, le bourreau travaille, les valets continuent d’enculer l’ordonnateur et l’exécuteur ; ce sont les superbes fesses de Montalme que Saint-Fond veut baiser cette fois. Les autres femmes l’entourent, en lui montrant des culs ; la bombe éclate à la fin. Oh ciel ! si Lucifer se mêlait de décharger, il ferait, je crois, moins de bruit ; il écumerait moins, il adresserait aux Dieux des blasphêmes et des imprécations moins épouvantables. Saint-Fond se repose un instant, et l’on passe dans une autre salle, où j’ai fait réunir les sept femmes et les deux valets. Le ministre nous y joint promptement, mais semblable à Venceslas, son bourreau ne le quitte point ; quelques voluptés plus douces vont pourtant précéder les orgies cannibales de ce nouveau Néron, et le foutre va, s’il est possible, couler du moins avant le sang.

Comme il était néanmoins nécessaire de conserver avec un tel homme ce qui portait le caractère de ses plaisirs de choix, c’était dans des niches ornées de tous les attributs de la parque funèbre que je lui présentais des grouppes voluptueux. La salle entière était tendue de noir ; des ossemens, des têtes de cadavres, des larmes d’argent, des faisceaux de verges, des poignards et des martinets, ornaient cette lugubre tapisserie ; dans chaque niche était une des vierges branlée par une tribade, toutes deux nues, appuyées sur des coussins noirs, ayant les attributs de la mort perpendiculaires à leur front. Dans le fond de chaque niche, se voyait l’une des têtes qui venaient d’être coupées, et près des niches, à droite, était un cercueil ouvert, à gauche une petite table ronde sur laquelle reposaient un pistolet, une coupe de poison et un poignard : par un rafinement d’incroyable barbarie (fait, j’en étais bien sûre, pour plaire à mon amant) j’avais fait scier les trois troncs des victimes qui venaient d’être sacrifiées ; on n’en avait conservé que la partie des fesses, prise depuis la chute des reins jusqu’au bas des cuisses, et ces morceaux de chairs étaient suspendus par des rubans noirs, à hauteur de la bouche, dans chaque entre-collonnemens des niches ; ce furent les premiers objets qui frappèrent Saint-Fond… Ah ! ah ! dit-il, en venant les baisers, je suis fort aise de retrouver des culs qui viennent de me donner tant de plaisir ; une lampe lugubre pendait au milieu de la salle, dont les voûtes étaient également revêtues d’attributs funèbres ; différens instrument de supplices étaient distribués çà et là, on y voyait entr’autres une roue fort extraordinaire ; la victime, liée circulairement sur cette roue, enfermée dans une autre garnie de pointes d’acier, devait, en tournant contre ces pointes fixes, s’écorcher en détail, et dans tous les sens ; un ressort rapprochait la roue fixe, de l’individu lié sur la tournante, afin qu’à mesure que les pointes diminuaient la masse de chair, elles pussent trouver, toujours à mordre en se resserrant. Ce supplice était d’autant plus horrible, qu’il était fort long, et qu’une victime pouvait vivre dix heures dans les lentes et rigoureuses angoisses de ce tourment. Il ne s’agissait, pour presser ou rallentir le supplice, que de rapprocher plus ou moins la tournante ; cette machine, de l’invention de Delcour, n’avait point encore été essayée par Saint-Fond ; il s’enthousiasma, en la voyant, et donna sur-le-champ cinquante mille francs de gratification à l’auteur. De ce moment, les yeux perfides de ce monstre ne s’attachèrent plus qu’au choix de celle des trois victimes qui serait immolée de cette manière. Dieux ! la malheureuse Fulvie, comme la plus belle, fut tacitement condamnée au fond du cœur de ce tyran. Un baiser, qu’il appliqua au trou du cul de cette belle fille, en venant considérer la terrible machine, m’en convainquit bientôt ; mais voyons ce qui précéda.

Entre Delcour et moi, Saint-Fond s’établit d’abord un moment sur le fauteuil qui se trouvait en face de chaque niche ; Palmire, celle de mes femmes qui n’était pas employée dans ces niches, debout, derrière le fauteuil, le polluait, en baisant sa bouche ; il branlait Delcour, et maniait mes fesses ; il examine : les tribades ont soin de lui offrir le corps de l’enfant, qu’elles branlent dans toutes les attitudes possibles ; souvent même elles l’approchent de lui, pour lui en faire baiser les différentes parties ; il se lève ; il parcourt les niches ; Delcour le fouette pendant ce tems-là ; quelquefois il se fait foutre, et je le suce ; je m’apperçois que son engin commence à reprendre quelqu’énergie ; il m’encule à la

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dernière situation ; elle se fesait devant la niche où Blaisine branlait Fulvie ; et ce fut là où il me dit, à l’oreille, en baisant le cul de cette charmante fille : c’est elle qui va nous étrenner la roue ; comme ces jolies petites fesses seront délicieusement chatouillées là. Ce premier examen fait, il va se coucher sur une espèce de banc étroit et rembouré ; là, les hommes et les femmes viennent tour-à-tour se placer, à califourchon, sur son visage, et lui chier dans la bouche ; Palmire passe la première, et vient ensuite le sucer pendant toute l’opération. Montalme et moi, nous avions passé ensuite, afin qu’il pût, d’après son desir, nous manier de même les fesses tout le tems qu’il serait là. Des saletés, le libertin passe promptement aux horreurs ; Delcour, par ses ordres, fouette les sept femmes devant lui, et je le branle sur les têtes qu’il m’a fait détacher dans cette intention.

Trois tableaux s’arrangent ensuite sous ses yeux ; mes deux fouteurs enculent deux de mes tribades ; au milieu, Delcour fouette la troisième ; au pied de chaque grouppe est une jeune fille que Saint-Fond s’apprête à dépuceler ; Palmire et moi le disposons, l’une en le socratisant, l’autre en lui branlant le vit ; le libertin, bien préparé, fait sauter les trois pucelages, retourne, encule et décharge en sodomisant Fulvie. Je le suce pour lui rendre ses forces ; il veut que le bourreau lui tienne toutes les femmes sans m’excepter, et il nous applique, à chacune, deux cents coups de verges ; il tient ensuite les femmes, et contraint Delcour à les enculer toutes. Il les baisait sur la bouche pendant cette scène, où je parus comme les autres.

Alors Saint-Fond prend chaque pucelle l’une après l’autre, et passe tête-à-tête avec elle dans un cabinet reculé. Nous ignorâmes ce qu’il leur dit ou ce qu’il leur fit ; à leur retour, nous n’osâmes même pas les interroger. Ce fut vraisemblablement dans cette entrevue qu’il leur annonça la mort ; car toutes rentrèrent en larmes. Delcour me dit, pendant qu’il procédait à cette opération, qu’une lubricité secrète suivait ordinairement cette annonce ; que, depuis qu’il connaissait Saint-Fond, il lui avait toujours vu mêler cet épisode aux sentences que dictait sa férocité, Nécessairement, cela l’excitait beaucoup, car il sortait de-là bandant toujours à outrance[10]. Allons, dit-il, en écumant de luxure, voyons maintenant par quel supplice nous les ferons périr. Je veux qu’ils soient effroyables ; il faut, Delcour, que ton imagination se surpasse ici ; il faut que ces malheureuses souffrent tout ce que les tourmens de l’enfer pourraient leur rapporter de douleur en détail ; et il baisait Fulvie en disant cela ; il était facile de voir que c’était celle qui l’échauffait le plus. Delcour, dit-il, je te la recommande, cette jolie petite créature ; comme elle sera belle sur ta roue, comme ces fesses blanches et potelées se déchireront voluptueusement ; et en disant ces mots, il la mordit jusqu’au sang, en cinq ou six endroits de son corps ; une de ces morsures lui emporta la fraise du teton gauche, le coquin l’avala ; il lui met un instant le vit dans le cul ; s’emparant ensuite de l’engin de Delcour, il l’introduit lui-même dans le trou qu’il quitte : il faut, dit-il, que le bourreau foute sa victime, cela est indispensable, Pendant ce tems, avec ses ongles, il égratignait les fesses, les reins, les cuisses, les tetons de cet enfant. et suçait le sang à mesure qu’il sortait : il fit approcher Palmire, qui paraissait l’échauffer aussi, prodigieusement, et il lui dit : voilà comme je traite les filles qui me font bander. À peine eut-il prononcé ces mots, qu’il lui introduisit le vit dans le cul : après quelques allées et venues, il la fit monter sur une chaise, afin d’avoir toujours ses fesses en perspective ; et parallellement à elle, il fit mettre Délie dans la même attitude ; les trois petites filles ensuite se rangèrent en demi-cercle autour de lui ; elles se mirent à genoux, et il leur molesta la gorge pendant que Blaisine lui branlait le vit. Il piqua les seins à peine épanouis de ces trois infortunées, les coupa d’un canif, puis cautérisa sur-le-champ la plaie avec la pointe d’un fer chaud. Je l’excitais pendant ce tems-là, ayant, par ses ordres, le vit de Delcour dans le cul, et branlant un valet de chaque main : ainsi à genoux, il les fit lier toutes trois dos à dos, et les fouetta sur les mamelles avec un martinet à pointes d’acier tranchantes ; le cul de Palmire le suivait dans toutes ces scènes ; il se rejettait toujours dessus, et le gamahuchait dans les intervalles. Allons, dit-il, encore un peu de fouet. Les sept femmes (je fus exceptée) furent liées à des colones exprès placées dans cette salle ; de leurs mains élevées en l’air elles tenaient un crucifix ; les pieds des quatre tribades portaient également sur des crucifix qu’elles avaient l’air de fouler aux pieds : ceux des trois victimes s’appuyaient sur des boules garnies de pointes de toutes parts, de manière que le propre poids de leur corps les contraignait à être lacérées ; les tetons de celles-ci furent fortement liés avec un cordon de boyau qui leur entrait dans les chairs, une pointe d’acier très aiguë pendait sur leur tête et y pénétrait à la volonté de Saint-Fond, qui, par le moyen d’un ressort, dont il était maître, pouvait faire entrer cette pointe dans le crâne de la fille aussi avant qu’il le voulait ; d’autres pointes dirigées de même par Saint-Fond, se trouvaient en face de leurs yeux ; une autre pointe leur menaçait le nombril, si, pressées par les coups de fouet, elles se remettaient, par hasard, en avant : chacune des victimes arrangée de cette manière entrelaçait les tribades, heureusement dégagées de tous ces poignans attirails. Saint-Fond employe d’abord des verges, que Delcour et moi lui fournissons ; il donne cent coups aux victimes et cinquante aux tribades ; la seconde reprise se donne avec des martinets à pointes d’acier, deux cents coups aux victimes, dix aux tribades. Alors, Saint-Fond fait jouer les pointes : les malheureuses, piquées de toutes parts, poussent des cris qui eussent attendri tout autre que des scélérats tels que nous. Saint-Fond, se sentant pressé par le foutre dont son vit écume déjà, se fait amener Louise, celle des filles, âgée de seize ans, qu’il veut exécuter la première ; il la baise beaucoup, lèche et manie son cul tout sanglant, s’en fait sucer le vit et le trou du cul, puis la livre à Delcour, qui, après lui avoir passé son vit dans les deux trous, l’applique à ce supplice chinois, qui consiste à être hachée toute vivante en vingt-quatre mille morceaux, sur une longue table. Saint-Fond, élevé dans une estrade, assis sur les genoux d’un laquais qui le fout, examine le spectacle, en tenant, dans ses jambes, Hélène, qui doit suivre, dont il moleste le cul, pendant que je le branle et qu’il baise Palmire sur la bouche. Le supplice de cette seconde consiste à avoir les yeux crevés, étendue ensuite sur une croix de Saint-André, pour y être rompue vive. Saint-Fond opère lui-même pendant que je le fouette ; la victime ainsi disloquée lui est réofferte ; il l’encule, et pendant qu’il instrumente l’anus, Delcour achève la victime par un coup de massue sur la tête, qui fait voler la cervelle au nez de Saint-Fond ; il en a le visage couvert.

La charmante Fulvie reste seule, entourée des restes sanglans de ses deux compagnes, pourrait-elle douter de son sort ? Saint-Fond lui montre la roue, voilà ce qui t’attend, lui dit-il, je t’ai réservé le meilleur, et le traître ne manque pas de la bien caresser, de la bien baiser sur la bouche ; il l’encule encore une fois avant que de la livrer au bourreau : Delcour la saisit enfin ; elle pousse des cris affreux ; il la place ; la roue commence à tourner ; Saint-Fond, foutu par les deux valets, tour-à-tour, enculait Delcour, en baisant alternativement les fesses de Palmire et les miennes, et maniant indistinctement les trois culs qui restaient vacans ; bientôt le redoublement des cris de la victime nous fait juger de ses douleurs. Je vous laisse à penser de quelle violence elles devaient être : le sang élancé de par-tout, jaillissait comme ces pluies fines, éparpillées par de grands vents ; Saint-Fond, qui veut faire durer le supplice, varie ses tableaux ainsi que ses jouissances, il encule mes quatre tribades, pendant qu’avec Delcour nous lui composons des grouppes : la roue se resserrant toujours commence à piquer jusqu’aux nerfs, et la victime évanouie par l’excès des douleurs, n’a plus la force de se faire entendre, quand Saint-Fond, épuisé d’horreurs et de cruautés, perd à la fin son foutre dans le superbe cul de Palmire, en gamahuchant celui de Delcour, maniant le mien d’un côté, celui de Montalme de l’autre, et considérant, sous la fatale roue, un des valets enculant Blaisine, et fustigé par Délie, qui lui suce la bouche, pour hâter sa décharge.

Les cris, le désordre, les blasphêmes de Saint-Fond, tout fut affreux ; nous le portâmes, presque sans connaissance au lit, où il voulut encore que je passasse la nuit à ses côtés.

Cet insigne libertin, aussi calme que s’il fut venu de faire l’action la plus méritoire, dormit dix heures sans s’éveiller, et sans la plus légère marque d’agitation. Ce fut alors que je me convainquis bien qu’il est facile de se créer une conscience analogue à ses opinions, et qu’après ce premier effort, il est permis d’arriver à tout. Oh, mes amis ! n’en doutons pas, celui qui a su éteindre, dans son cœur, toute idée de Dieu et de religion… que son or ou son crédit mettent au-dessus des loix, qui a su racornir sa conscience, la plier à ses opinions, en banir à jamais le remords, celui-là, dis-je, soyez-en bien sûrs, fera toujours tout ce qu’il voudra sans rien craindre.

Le ministre, en s’éveillant, me demanda s’il n’était pas vrai qu’il fût le plus grand scélérat de la terre : connaissant le plaisir que je lui ferais en répondant un oui, que je ne pensais que trop, je me gardai bien de le contredire. Que veux-tu, mon ange, me dit-il, est-ce ma faute si je suis ainsi, et si la nature m’a donné pour le vice le goût le plus irrésistible, et pas un seul penchant pour la vertu ? n’est-il donc pas certain que je la sers aussi bien ainsi, que celui auquel sa main imprimât l’amour des bonnes actions ? ce serai la plus grande de toutes les extravagances, que de résister aux intentions de la nature sur nous ; je suis la plante venimeuse qu’elle fait naître aux pieds du baume ; je ne suis pas plus fâché de mon existence, que je ne serais flatté de celle de l’homme vertueux ; et dès qu’il faut que tout soit mélangé sur la terre, ne devient-il pas égal d’être dans une classe ou dans l’autre ? Imite-moi, Juliette[11], tes penchans t’y portent ; qu’aucune action criminelle ne t’effarouche ; la plus atroce est celle qui plaît le mieux à la nature, le seul coupable est celui qui résiste, ne le sois jamais de cette manière ; laisse, ma fille, laisse dire aux gens froids qu’il faut que l’honnêteté et la pudeur accompagnent les plaisirs de la jouissance ; malheur à qui voudra les goûter de cette manière, il ne les connaîtra jamais. Ces espèces de plaisirs ne peuvent être délicieux qu’autant qu’on franchit tout quand on les goûte ; la preuve en est, qu’ils ne commencent à devenir tels que par la rupture d’un certain frein ; qu’on en brise un de plus, l’irritation deviendra plus violente, et nécessairement ainsi, de gradation en gradation, on ne parviendra réellement au véritable but de ces espèces de plaisirs, qu’en portant l’égarement des sens jusqu’aux dernières bornes des facultés de notre être, en telle sorte que l’irritation de nos nerfs éprouve un degré de violence si prodigieux qu’ils en soient comme renversés, comme crispés dans toute leur étendue ; celui qui veut connaître toute la force, toute la magie des plaisirs de la lubricité, doit se bien convaincre que ce n’est qu’en recevant ou produisant sur le systême nerval le plus grand ébranlement possible, qu’il réussira à se procurer une ivresse telle qu’il la lui faut pour bien jouir ; car le plaisir n’est que le choc des atômes voluptueux, ou émanés d’objets voluptueux, embrâsant les particules électriques qui circulent dans la concavité de nos nerfs ; il faut donc, pour que le plaisir soit complet, que le choc soit le plus violent possible ; mais la nature de cette sensation est si délicate, qu’un rien la dérange ou la détruit ; il faut donc que l’esprit soit préparé, qu’il soit tranquille, que par nos systêmes ou notre position il se trouve dans une assiette calme et heureuse, que ce soit alors au feu de l’imagination que s’allume le foyer des sens. De ce moment, donnez pleine carrière à cette imagination, ne lui refusez aucun écart, et travaillez, non-seulement à lui tout accorder, mais à la mettre en état, par votre philosophie, et sur-tout par l’endurcissement de votre cœur et de votre conscience, de pouvoir se forger… se créer de nouvelles chimères qui, nourrissant les atômes voluptueux, les fassent heurter avec plus de forces sur les mollécules qu’ils doivent ébranler, et préparent ainsi à vos sens un genre de volupté pour chacun d’eux. Tu vois par-là, Juliette, combien d’obstacles apporterait à ton délire, un esprit contenu dans les bornes de l’honnêteté ou de la vertu ; ce serait comme autant de glaçons jetés dans l’embrâsement, comme autant de chaînes autant d’entraves dont on accablerait un jeune coursier qui ne demande qu’à s’élancer dans la carrière, La religion est, sans doute, le premier de tous les freins à rompre dans un pareil cas, comme étant, pour celui qui l’adopte, une source perpétuelle de remords ; mais il n’y a que la moitié de la besogne de faite, tant qu’on n’a culbuté que les autels d’un Dieu fantastique ; cette opération est la plus facile, il ne faut ni beaucoup d’esprit ni beaucoup de force pour anéantir les dégoûtantes chimères de la religion, puisqu’il n’en est aucune qui puisse tenir à l’examen ; mais encore une fois, Juliette, ce n’est pas tout, il est une infinité d’autres devoirs, d’autres conventions sociales, d’autres barrières qui te gêneront bientôt autant que l’avait fait la religion, si ton esprit, aussi fougueux qu’indépendant, ne se fait pas une loi de tout enfreindre ; également retenue par ces méprisables digues, tu éprouverais bientôt une contrainte dans tes plaisirs, égale à celle que ressent le dévot ; si, au contraire, tu as tout foulé aux pieds pour l’atteindre, et que ta conscience, bien en repos sur tous les points, ne vienne plus te présenter les tristes aiguillons du remords, sans doute, en ce cas, ta jouissance sera des plus vives et des plus complètes que puisse accorder la nature, et ton égarement sera tel, qu’à peine tes facultés physiques auront assez de rigueur pour en soutenir l’excès ; ne t’attends pas, néanmoins, à être aussi heureuse en commençant que tu peux la devenir un jour ; des préjugés, quoique tu puisses faire, viendront te troubler encore, en raison de l’épaisseur des freins que tu auras rompu. Fatals effets de l’éducation, auxquels une profonde réflexion, une persévérance soutenue, et sur-tout des habitudes enracinées, peuvent seules remédier ! Mais peu-à-peu ton esprit se fortifiera ; l’habitude, cette seconde nature, qui devient souvent plus puissante que la première, qui parvient à anéantir ceux mêmes des principes naturels qui paraissent les plus sacrés, cette habitude essentielle au vice, que je ne cesse de recommander, et de laquelle tout dépend pour ton bonheur dans la carrière que tu adoptes ; cette habitude, dis-je, émoussera le remords, fera taire la conscience, se jouera de la voix du cœur, et tu verras alors comme tous les objets te paraîtront différens ; surprise toi-même de la fragilité des liens qui t’avaient contenue, tu regretteras les jours où sottement enchaînée par ces nœuds, tu as pu résister aux plaisirs ; et quelques vains obstacles, dussent-ils troubler ta félicité, le charme de l’avoir connue, et les divins souvenirs qu’elle te donnera changeront à jamais en fleurs les épines dont on aurait voulu les semer. Or, dans la position où je te place, avec la sécurité que je te donne, quelles épines pourrais-tu redouter ? réfléchis un instant à ta délicieuse situation ; et si la certitude de l’impunité prête au crime ses plus divins attraits, qui, plus que toi dans le monde, pourra jouir avec délices ; jette les yeux sur tes autres jouissances. Dix-huit ans, la meilleure santé, la plus jolie figure, la taille la plus noble, de l’esprit comme un ange, un tempérament de messaline, nageant dans l’or et dans l’opulence, un crédit sûr, nuls freins, nulles chaînes, aucuns parens, des amis qui t’adorent… et tu pourrais redouter les lois ?… Ah ! cesse de craindre que leur glaive ose jamais t’atteindre ; s’il s’élevait un jour sur ta tête, oppose-lui tes charmes, Juliette ; remplace cette langueur qui te captive au sein des voluptés, par ces toilettes pleines d’art qui, fixant auprès de toi les grâces, enchaînent à tes pieds tous les cœurs ; développes-toi, et l’univers à genoux détournerait à l’instant tout ce qui pourrait déplacer ou flétrir sa plus chère idole ; l’amour lui-même alors, te servirait d’égide, il enflâmerait tous les cœurs, et tu ne trouverais que des amans où d’autres auraient à redouter des juges ; c’est à l’être isolé… sans fortune… sans soutien… sans considération, à frémir sous ces freins populaires, ils ne sont faits que pour lui seul. Mais toi, Juliette, ah ! bouleverse la nature entière… trouble, détruis, arrache ; le monde adorera sa divinité dans toi, quand tu laisseras découler sur lui quelques bienfaits ; il te craindra si tu l’écrase, mais tu seras toujours son Dieu.

Livre-toi Juliette, livre-toi sans crainte à l’impétuosité de tes goûts, à la savante irrégularité de tes caprices, à la fougue ardente de tes desirs ; échauffe-moi de leurs écarts, enivre moi de tes plaisirs ; n’ais jamais qu’eux seuls pour guide et pour loix ; que ta voluptueuse imagination varie nos désordres ; ce n’est qu’en les multipliant que nous atteindrons le bonheur. Naturellement inconstant et léger, il ne comble jamais de ses dons que celui qui sait l’enchaîner ; ne perdons-jamais de vue que tout celui de l’homme est dans son imagination, et qu’il ne peut prétendre à la félicité, qu’en en servant tous les caprices. Le plus fortuné des êtres, est celui qui a le plus de moyens de satisfaire à tous les égaremens qu’elle inspire ; aie des filles, des hommes, des enfans ; fais refluer sur tout ce qui t’environne, la molle lasciveté de ton ame de feu ; tout ce qui délecte est bon ; tout ce qui échauffe est dans la nature. Ne vois-tu pas l’astre qui nous éclaire, dessécher et vivifier tour-à-tour ; imite-le dans ses écarts, comme tu le peins dans tes beaux yeux. Modèle-toi sur Messaline et sur Théodora ; aie, comme ces célèbres putains de l’antiquité, des sérails de tout sexe où tu puisses aller te plonger à l’aise, dans un océan d’impuretés : vautre-toi dans l’ordure et dans l’infamie ; que tout ce qu’il y a de plus sale et de plus exécrable, de plus honteux et de plus criminel, de plus cinique et de plus révoltant, de plus contre la nature, contre les loix et contre la religion, devienne par cela seul ce qui te plaise le mieux ; souille à loisir toutes les parties de ton beau corps ; souviens-toi qu’il n’en est pas une seule où la lubricité ne puisse avoir un temple, et que ses plus divins seront toujours ceux dont tu croiras que la nature s’irrite. Quand les plus odieux excès de la débauche, quand ses turpitudes les plus dépravées, quand ses actes les plus dégoûtans, commenceront à glisser sur tes nerfs, ranime-toi par des cruautés ; que les forfaits les plus effrayans, que les atrocités les plus révoltantes, que les crimes les moins supposables, que les horreurs les plus gratuites, que les écarts les plus monstrueux, sortent ton ame de la létargie où t’aura laissé le libertinage ; souviens-toi que toute la nature t’appartient ; que tout ce qu’elle nous laisse faire, est permis, et qu’elle a été assez adroite en nous créant, pour nous ôter les moyens de la troubler ; tu sentiras alors que l’Amour change quelquefois ses flèches en poignards, et que les invectives du malheureux que nous tourmentons, valent souvent mieux, pour faire bander, que tous les propos galans de Cythère.

Singulièrement flattée de ces discours, j’osai faire entendre à Saint-Fond que tout ce que je craignais, était de perdre ses bontés. Juliette, me dit-il, cela ne serait pas long, si je n’étais que ton amant, parce que les faveurs d’une femme, telle belle qu’elle puisse être, ne sauraient m’attacher longtems. Celui qui a pour principe, que l’instant où l’on vient de foutre une femme, est celui où il est le plus essentiel de s’en séparer, doit certes, s’il n’est qu’amant, faire envisager ce que tu crains ; mais Juliette, tu le sais, je suis loin de ce plat personnage ; tous deux liés par des ressemblances de goûts, d’esprit et d’intérêt, je ne vois nos chaînes que comme celles de l’égoïsme ; et celles-là captivent toujours. Te conseillerais-je de foutre si j’étais ton amant ? non, non, Juliette, je ne le suis pas, je ne le serai jamais. Ne redoute donc rien de mon inconstance ; si je viens jamais à t’abandonner, toi seule en seras devenue la cause ; continue de te bien conduire, sers toujours mes plaisirs avec activité ; que chaque instant me développe en toi de nouveaux vices ; porte avec moi, dans l’intérieur, ta soumission jusqu’à la bassesse ; plus tu ramperas à mes pieds et plus par orgueil je te ferai régner sur les autres ; qu’aucune faiblesse sur-tout, qu’aucun remords, quelque soit la chose que j’exige de toi, ne se montre jamais à mes yeux, et je te rendrai la plus heureuse des femmes, comme tu m’auras rendu le plus fortuné des hommes. — Oh ! mon maître, lui dis-je, souvenez-vous que je ne veux régner sur l’univers, que pour en apporter l’hommage à vos genoux.

Nous entrâmes ensuite dans quelques détails. Il était désolé de n’avoir pas fait subir à sa nièce le supplice de la roue ; sans la nécessité d’emporter la tête, il l’eut fait infailliblement. Ceci l’amena à vanter extrêmement Delcour. Il est plein d’imagination, me dit-il, jeune et vigoureux d’ailleurs, et je te sais le meilleur gré d’avoir désiré son vit ; pour moi, continua Saint-Fond, je le fouts toujours avec délices. J’ai déjà remarqué que quand on avait foutu un homme très-jeune, on le foutrait encore à quarante ans avec plaisir ; tu vois comme nous nous ressemblons, Juliette, le métier qu’il fait sut irriter ta tête comme la mienne ; et sans sa profession, nous n’y aurions jamais pensé ni l’un ni l’autre. Avez-vous eu beaucoup de ces gens-là, demandai-je à Saint-Fond ? J’eus cinq à six ans cette manie, me répondit-il, j’ai couru les provinces pour en avoir ; leurs valets sur-tout m’échauffaient infiniment l’imagination. On ne se figure pas ce que c’est que d’avoir le vit d’un valet de bourreau dans le cul ; je les remplaçai par des garçons bouchers, et j’aimais, lorsque pleins de sang, ils venaient m’enculer deux heures. Je conçois tous ces goûts, dis-je à Saint-Fond. — Ah ! sois-en sûre, ma chère, il faut de l’infamie et de la dépravation dans tout cela ; et la luxure n’est rien, si la crâpule n’en fait l’ame. Mais à propos, continua le ministre, il y a une de tes tribades qui m’agace étonnamment les nerfs… cette jolie blonde, celle qui je crois obtint mon dernier foutre. — Palmire. — Oui, c’est ainsi que je te l’entendis nommer… elle a le plus beau cul… le plus étroit… le plus chaud… Comment t’es-tu procuré cette fille ? — Elle travaillait chez une marchande de modes, à peine avait-elle dix-huit ans quand je l’ai prise… et neuve comme l’enfant qui sort du sein de sa mère ; elle est orpheline, sa naissance est bonne, elle ne dépend que d’une vieille tante, qui me l’a fort recommandée. — L’aimez-vous, Juliette ? — Je n’aime rien, Saint-Fond, je n’ai que des caprices. — Il me semble que cette jolie créature aurait absolument tout ce qu’il faut pour faire une délicieuse victime ; fort belle, intéressante dans les pleurs, un joli son de voix, les plus beaux cheveux du monde… un cul sublime et d’une étonnante fraîcheur… Tiens, Juliette, vois comme je bande à l’idée de la martyriser… Et je n’avais effectivement jamais vu son vit si fort en colère ; je m’en emparai, je le branlai très-légèrement… Mais si je la prends, continua-t-il, je te la payerai… mieux qu’une autre, puisque je la desire. — Ce seul mot n’est-il pas un ordre pour moi… Voulez-vous qu’elle entre sur-le-champ ? — Oui, car c’est uniquement pour elle que je bande. Au moment que Palmire parut, Saint-Fond sautant à bas du lit, s’entortille dans une robe-de-chambre, et saisissant brusquement cette fille, il passe avec elle dans un cabinet séparé. La séance fut longue, j’entendis les cris de Palmire, au bout d’une heure, tous deux rentrèrent. Comme il lui avait fait quitter ses habits avant de la mener dans ce lieu secret, il me fut facile en la voyant rentrer nue, de reconnaître à quel point elle avait été maltraitée ; n’eussé-je même pas vu le reste, ses larmes qui coulaient encore, me l’auraient prouvé. Mais sa gorge et ses fesses portaient des emblèmes si récens des vexations que venait de lui faire éprouver Saint-Fond, qu’il était impossible de douter. Juliette, me dit-il, en paraissant fort échauffé de ce qu’il venait de faire, il est très-malheureux pour moi d’être si pressé que je le suis ; il faut que ces têtes soient dans le cabinet de la reine à cinq heures, et je ne peux pas me livrer aujourd’hui au desir que j’aurais de m’amuser de cette fille. Écoutez bien ce que je vais vous dire : Vous me la présenterez après-demain au souper des trois pucelles ; qu’elle soit jusqu’à cette époque enfermée dans le plus sombre et le plus sûr de vos cachots ; je vous défends de lui rien porter pour se nourrir, et vous ordonne de la faire enchaîner si fortement au mur, qu’elle ne puisse ni se remuer, ni s’asseoir. Ne lui faites aucune question sur ce qui vient de se passer ; j’ai des raisons, sans doute, pour que vous l’ignoriez, dès que je vous le cache ; je vous la payerai le double de ce que je vous donne pour les autres, adieu ; il s’élance à ces mots dans sa voiture avec Delcour et la boëte aux trois têtes, me laissant dans une agitation que je vous rendrais difficilement.

J’aimais Palmire ; la livrer à cet anthropophage me coûtait beaucoup ; mais comment désobéir ? Sans oser même lui dire un seul mot, je la fais plonger où Saint-Fond veut qu’elle soit ; et à peine y fut-elle, que deux sentimens vinrent me combattre. Le premier fut l’envie de sauver cette fille, dont il s’en fallait bien que je fusse encore rassasiée ; le second avait pour principe la curiosité la plus extrême de savoir qu’elle était cette fantaisie singulière à laquelle se livrait Saint-Fond, avec les femmes auxquelles il prononçait le dernier arrêt. Cédant à ce second desir, j’allais, pour la questionner, descendre à la porte de sa prison, lorsqu’on m’annonça madame de Clairwil. Instruite par le ministre, qu’il ne serait plus à la campagne à l’heure du dîner, elle venait m’en demander et me prendre pour retourner ensemble voir un ballet charmant à l’opéra. J’embrassai vivement mon amie ; je lui racontai tout ce que nous venions de faire ; je ne lui déguisai point les folies où je m’étais livrée avant l’arrivée du ministre, ni toutes celles qui les avaient suivies : l’aimable créature trouva tout délicieux, et me félicita des progrès que je commençais à faire dans le crime ; quand j’en fus à l’aventure de Palmire : Juliette, me dit-elle, garde-toi de la soustraire au ministre, et plus encore d’approfondir sa mystérieuse passion ; songe que ton sort dépend de cet homme, et que le plaisir que tu aurais, soit à découvrir son secret, soit à conserver les jours de ta tribade, ne te consolerait jamais des chagrins qui en résulteraient infailliblement. Tu trouveras deux cents filles qui vaudront mieux que celle-là ; et quand au secret de Saint-Fond, une infamie de plus ou de moins dans ta tête, ne te rendra pas plus heureuse. Dînons, mon cœur, et sauvons-nous bien vîte, cela te distraira.

Nous étions en voiture, à six heures, Clairwil, Elvire, Montalme et moi ; six chevaux anglais fendaient l’air, et nous fussions certainement arrivées avant l’ouverture du ballet, lorsqu’à la hauteur du village d’Arcueil, nous sommes arrêtées par quatre hommes à cheval, le pistolet à la main ; il faisait nuit ; nos laquais, efféminés, mous et poltrons, s’enfuirent, tant qu’ils eurent de force, et nous restâmes seules avec les deux conducteurs, de nos chevaux, en proie aux quatre hommes masqués qui nous arrêtaient.

Clairwil, que rien au monde n’effrayait, demanda impérieusement à celui de ces hommes qui paraissait avoir le plus de prépondérance, en vertu de quoi il agissait ainsi : pour toute réponse, nos inconnus, détournant la voiture, obligent nos gens à descendre du côté d’Arcueil, et à remonter ensuite sur les hauteurs de Cachant, où ils enfilèrent une route étroite qui nous mena dans un château fort solitaire : la voiture entre ; les portes se ferment ; nous entendons même qu’on les barricade en dedans ; un de nos conducteurs ouvre alors la portière, et sans dire un seul mot, il nous offre la main pour descendre.

Singulièrement effrayée de cette mystérieuse aventure, j’avoue que mes genoux fléchirent en descendant de carrosse ; peu s’en fallut que je ne m’évanouisse ; mes femmes n’étaient guère plus rassurées que moi ; la seule Clairwil, toujours effrontée, marchait à notre tête et nous encourageait. Trois de nos ravisseurs disparurent un moment ; le chef seul nous introduisit dans un salon assez bien éclairé : le premier objet qui frappa nos yeux, fut un vieillard en pleurs, entouré de deux jeunes personnes très-jolies, qui cherchaient à le consoler. Vous voyez devant vous, mesdames, nous dit notre conducteur, les restes malheureux de la famille de Cloris. Ce vieillard est le pere du mari ; ces deux jeunes personnes sont les sœurs de l’épouse ; et nous sommes les frères de l’époux. Le chef de cette maison, sa femme et sa fille, ayant injustement encouru la disgrace de la reine, et plus malheureusement encore celle d’un ministre, qui cependant leur doit tout, ces trois respectables personnes, dis-je, ayant disparu avant-hier, la célérité de nos perquisitions nous a convaincu que ces victimes sont détenues ou mortes dans la maison de campagne de laquelle vous venez de sortir. Vous appartenez au ministre ; l’une de vous est sa maîtresse, nous le savons : il faut, ou nous faire rendre les objets que nous réclamons, ou nous convaincre de leur mort. Jusqu’à ces éclaircissemens, vous resterez en otage ici : si vous nous faites rendre nos parens, vous serez libres : s’ils sont sacrifiés vos mânes appaiseront les leurs, et vous les suivrez de près au tombeau. C’est tout ce que nous avons à vous dire ; instruisez-nous et agissez.

Messieurs, dit la courageuse Clairwil, il me semble que votre procédé est profondément illégal, sous tous les rapports. Est-il vraisemblable, premièrement, que deux femmes, madame et moi (celles-ci nous servent), que deux femmes, dis-je, soient assez initiées des secrets du ministre, pour être instruites d’un événement semblable à celui dont vous nous parlez ? Croyez-vous que si les personnes que vous réclamez avaient encouru les disgraces de la cour, et que la justice ou le ministère eussent été contraints de sévir, croyez-vous, de bonne foi, que l’on nous eût rendu les témoins d’une semblable exécution ? et le tems qu’il y a que nous sommes à la maison du ministre, ne vous prouve-t-il pas qu’assurément ce ne peut être pendant ces jours-ci, que s’est passé là l’événement dont vous parlez ; au surplus, messieurs, nous n’avons que nos paroles d’honneur à vous donner, mais nous vous les offrons, pour gages de la profonde ignorance où nous sommes du sort de ceux dont il s’agit. Non, messieurs, nous vous le protestons, nous n’avons jamais rien ouï dire d’eux, et si vous êtes justes, et que vous n’ayez pas autre chose à nous dire, vous nous rendrez à l’instant une liberté, que vous n’avez pas le droit de nous ravir.

Nous ne nous amuserons pas à vous réfuter, madame, répondit notre conducteur ; il y a quatre jours que l’une de vous est à cette campagne ; l’autre y est arrivée pour dîner, aujourd’hui : il y a également quatre jours que la famille Cloris est dans la même maison ; l’une de vous deux est donc bien en état de répondre aux questions qui vous sont faites, et vous ne sortirez pas que nous ne soyons parfaitement éclaircis. Alors les trois autres cavaliers reparurent et dirent que, puisque nous ne voulions pas parler de bonne grace, il y avait des moyens de nous faire expliquer de force. Je m’y oppose, mes enfans, dit le vieillard, il ne sera fait ici nulle violence ; détestons les moyens que nos ennemis ont pour faire le mal, et ne les imitons jamais. Nous prierons seulement ces dames de vouloir bien écrire au ministre de se rendre dans cette maison ; et leur billet sera seulement construit de manière à lui laisser croire qu’il n’y a qu’elles qui l’en sollicitent, pour des affaires de la plus grande importance. Il viendra ; nous l’interrogerons ; il faudra bien qu’il dise où est mon fils, où est ma fille : cette main, sans cela, toute tremblante ; qu’elle est, saura trouver l’énergie nécessaire à lui plonger un poignard dans le cœur… Abus perfides de la tyrannie !… Funestes dangers du despotisme ! ô peuple français, quand seras-tu révolté de ces horreurs ? quand, las de l’esclavage et pénétré, de ta propre force, lèveras-tu ta tête au-dessus des chaînes dont des scélérats couronnés t’environnent, et sauras-tu te rendre à la liberté que t’a destiné la nature ?…… Qu’on donne du papier à ces dames, et qu’elles écrivent.

Amuse-les, dis-je bas à Clairwil, et laisse-moi rédiger ce billet :

« Une affaire de la plus extrême importance vous appelle ici ; (mandai-je au ministre) suivez le guide que nous vous envoyons, et ne perdez pas une minute. »

Je montre la lettre, on la trouve bien ; alors, avec un crayon caché dans ma main, j’ai le tems, en faisant l’enveloppe, d’insérer promptement les mots suivans… « Nous sommes perdues, si vous n’accourez pas en force ; et c’est par force que nous écrivons ce qui précède. »

Le paquet, se ferme, un de nos conducteurs part, et l’on nous fait passer dans une chambre haute, ou l’on nous enferme avec soin, ayant toujours un garde à notre porte.

À peine fus-je seule avec Clairwil, que je lui fis part de ce que j’avais ajouté au billet ; cela ne suffit pas à me tranquilliser, me dit-elle : s’il arrive en force ici, nous sommes égorgées au moment où ces gens-ci verront arriver cette force, j’aimerais mieux travailler à séduire notre garde. Cela est impossible, répondis-je, ce ne sont point ici des coquins soudoyés ; tous liés par le sentiment de l’honneur, attendu qu’ils le sont par le sang, tu comprends bien que rien au monde ne les fera renoncer au fatal projet d’une vengeance. Ah ! Clairwil, il faut que je ne sois pas encore assez ferme dans nos principes, car je crains bien qu’une fatalité quelconque à laquelle tu donneras le nom que tu voudras, ne fasse à la fin triompher la vertu. — Jamais ! jamais ! le triomphe appartient toujours à la force, et rien n’en possède autant que le crime ; je ne te pardonne pas cette faiblesse. — C’est que voilà le premier revers que j’éprouve. — C’est le second, Juliette ; rappelle-toi mieux les circonstances de ta vie, et souviens-toi que la fortune ne te couvrit de ses faveurs, qu’au sortir d’une prison qui devait te conduire à la potence. — Cela est vrai ; cette anecdote oubliée me rend mon courage ; patientons.

Rien au monde ne pouvait éteindre dans cette femme singulière, les feux du libertinage dont elle était dévorée. Le croiriez-vous, il n’y avait qu’un lit dans la chambre où l’on nous avait réléguées ; elle me proposa de nous y jeter toutes quatre, et de nous branler jusqu’à l’arrivée de Saint-Fond ; mais ne trouvant, ni dans mes femmes, ni dans moi, des dispositions assez tranquilles pour accepter ses extravagances, nous attendîmes, en causant, le résultat de cette funeste aventure.

M. de Saint-Fond sentit, comme Clairwil, l’inconvénient de faire attaquer le château de force, pendant que nous y étions ; la ruse lui parut préférable ; et voici celle qu’il employa, avant que d’en venir à des moyens violens.

L’exprès que nous avions envoyé, revint avec deux jeunes gens inconnus de nous, et tel était le contenu du billet qu’ils apportaient au vieillard.

« Un galant homme ne doit pas retenir des femmes pour une affaire qui ne regarde que des hommes. Délivrez celles que vous détenez injustement ; je vous envoie mon cousin-germain et mon neveu pour ôtages ; croyez que j’ai plus d’intérêt à les sortir de vos mains, que les femmes qui sont en dépôt chez vous ; soyez d’ailleurs parfaitement tranquille sur le sort des personnes qui vous intéressent ; elles sont, à la vérité détenues, mais chez moi ; et c’est moi qui vous en réponds ; elles seront dans vos bras sous trois jours : encore une fois, gardez mes parens, et renvoyez les femmes ; je serai moi-même chez vous dans quatre heures. »

La plus grande présence d’esprit nous servit ici ; le billet n’avait point été lu devant nous, et nous devinâmes : connaissez-vous ces messieurs, nous demande le vieillard ! Assurément, répondis-je, ce sont les parens du ministre ; s’ils s’offrent à rester pour nous, ces ôtages, ce me semble, doivent vous suffire. On délibérait sur notre liberté, lorsqu’un de nos ravisseurs prenant la parole ; ceci peut être un piège, s’écria-t-il ! je m’oppose au départ des femmes : gardons-les tous, ce seront deux ôtages de plus. On revint à cet avis, et les imbécilles, car il est dit qu’il faut que la vertu fasse toujours des sottises, les stupides animaux nous mirent tous dans la même chambre.

Rassurez-vous, mesdames, nous dit aussitôt un des prétendus parens du ministre, vous voyez quel a été l’esprit de la ruse de M. de Saint-Fond. Il s’est bien douté qu’elle ne réussirait peut-être pas ; n’importe, a-t-il dit, ce sont toujours des défenseurs que je leur envoie, et qui leur diront ainsi que nous pouvons vous l’affirmer, mesdames, que toute la police de Paris dont nous sommes membres, assiège le château dans deux heures. Soyez tranquilles, nous sommes bien armés, et si ces bonnes gens veulent, se voyant trompés, entreprendre quelque chose sur nous, soyez assurées que nous vous défendrons. Toute ma crainte, dit Clairwil, c’est que ces animaux, sentant la bêtise qu’ils ont faite de nous réunir, ne viennent, en nous séparant, nous enlever toutes nos ressources ; il n’y a, dis-je, infiniment plus tranquille, qu’à s’unir de manière que nous soyons inséparables. Comment, dit Clairwil, toi qui frémissais tout-à-l’heure d’une distraction à-peu-près pareille, tu oses maintenant en ouvrir l’idée. C’est que je suis maline, répliquai-je, et qu’en vérité, ces deux jeunes gens sont bien jolis l’un et l’autre.

L’un d’eux nommé Pauli, n’avait effectivement que vingt-trois ans, et la figure la plus douce… la plus délicate qu’il fût possible de voir ; l’autre avait deux ans de plus, l’air moins efféminé, mais fait à peindre, et le plus beau vit possible. Allons, dit Clairwil, ces messieurs permettront que nous disposions d’eux, avant que de savoir ce qu’ils pensent. Voici, ce me semble, comment il faut que tout ceci s’arrange ; à ces mots nous baisons simultanément nos gardiens avec tant d’ardeur, que la réponse qu’ils avaient à nous faire, fut bientôt peinte dans leurs yeux… Oui, reprit Clairwil, puisque leur consentement est aussi formel, voici comme il faut que tout ceci se passe ; Pauli va te foutre, Juliette ; je vais, moi, m’en faire donner par Laroche, dès que nous serons toutes deux enconnées, Elvire me branlera le clitoris d’une main, le trou du cul de l’autre ; Montalme t’en fera autant ; toutes deux à portée d’être maniées par nos fauteurs, elles leur présenteront tout ce qu’elles portent ; tu verras que limées plus roide, nous gagnerons à cette petite infidélité ; toutes les femmes voluptueuses devraient en permettre de semblables, elles s’apperçevraient bientôt du profit qu’elles y feraient. Cependant toujours attentives l’une et l’autre aux sensations éprouvées par nos jeunes fouteurs, dès qu’elles les verront prêts de décharger, elles saisiront leurs vits, et nous les enfonceront aussitôt dans le cul, afin que le foutre ne se perde que là ; dès que tous deux auront déchargé, nous changerons et d’hommes et de femmes. Mais toutes deux placées l’une auprès de l’autre, ce ne sera que de nous seuls dont nous nous occuperons ; nous nous baiserons, nous nous langoterons, mon amour, et regarderons, m’ajouta-t-elle tout bas, ces êtres vils qui travaillent à nous donner du plaisir, comme des esclaves payés pour nos passions, et que nous assouplit la nature. C’est cela, dis-je, je n’entends pas qu’on bande avec une autre idée ; et dans l’instant nous voilà toutes deux sur le lit, les jupes retroussées jusqu’au dessus du ventre ; nos tribades d’abord s’emparent des engins, nous les préparent, nous les montrent et les engloutissent bientôt dans nos cons haletans. Si Clairwil était nerveusement foutue par Laroche, certes, je n’avais pas à me plaindre de Pauli ; son membre n’était pas

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tout-à-fait aussi gros que celui de son camarade ; mais il était fort long, et je le ressentais au fond de ma matrice ; divinement branlée d’ailleurs par Montalme, voluptueusement baisée par mon amie, nous avions déjà l’une et l’autre déchargé deux fois, lorsque le changement de main exécuté par Montalme avec toute la légéreté possible, m’avertit de la crise de mon jeune amant, dont des ruisseaux de foutre m’inondent le cul de la plus délicieuse manière. L’adroite Montalme, pendant ce tems, remplaçait par trois doigts réunis ce que mon con venait de perdre, et continuait de me chatouiller le clitoris. Un foutre-dieu, bien appuyé par mon amie, me prévint qu’elle éprouvait la même chose ; et ce ne fût pas sans une troisième éjaculation, que des jets de sperme aussi abondans, nous inondèrent les entrailles. Changeons, dit Clairwil, essaye de Laroche, je vais prendre Pauli ; jeunes et vigoureux tous deux, nos athlètes ne nous demandent même pas de respirer, et me voilà foutue par l’un des plus beaux vits possibles.

Ce fut pendant cette seconde course, que Clairwil, toujours penchée sur moi, toujours me langottant, et ne s’occupant que de moi, convint que son abominable tête lui conseillait une infamie… Oh foutre, lui dis-je, pressons-nous de l’exécuter ; car j’aime infiniment les horreurs… Non, je veux te surprendre, dit Clairwil… Contente-toi de savoir seulement que cette idée bisarre est la seule cause du foutre que je perds dans tes bras ; et la coquine partit avec des convulsions et des hauts-le-corps, dont assurément son fouteur ne se serait pas échauffé comme il le fit, s’il en avait démêlé la cause. Revenue à elle et toujours foutue par Pauli, écoute, me dit-elle tout bas, je vois qu’il est pourtant nécessaire que je t’instruise ; tu ne pourrais sans cela partager mes projets. Il va y avoir un combat ; on nous attaquera, nous nous défendrons ; demandons des armes à ces jeunes, gens, et pour les remercier de tous les services qu’ils nous rendent, brûlons-leur la cervelle pendant la bataille ; ce meurtre passera sur le compte de nos ennemis, et Saint-Fond, mieux pénétré des dangers que tu auras couru, t’accordera sans doute une bien plus grande récompense. Oh ! foutue garce, dis-je à Clairwil, en déchargeant moi-même comme une putain à cette idée, oh sacredieu, combien ton projet m’enflamme ; et j’inondais pendant ce tems-là, le vit de Laroche, qui se voyant prêt de m’imiter, fit son changement de main au même instant de ma décharge, ce qui me plongea dans un délire qu’il me serait impossible de vous peindre ; rien, je l’affirme, n’étant aussi délicieux pour une femme, comme de sentir un vit pénétrer dans son cul, au même instant où elle décharge. Le bruit que nous entendîmes au même instant, nous fit aussitôt sauter à bas du lit ; les voilà, dit Clairwil ; donnez-nous des pistolets, mes enfans, afin que nous puissions nous défendre. En voilà, dit Laroche ; il y a trois bales dans chaque ; bon, dit Clairwil, soyez sûrs qu’elles seront bientôt dans le cœur de quelqu’un. Le bruit augmente et se fait à-la-fois entendre dans toutes les parties du château ; aux armes, s’écrie-t-on. Allons, dit Laroche, amorçons de frais ; que ces dames se placent en grouppe derrière nous, nous leur servirons de rempart. Il était tems, nos ravisseurs déjà forcés dans le bas du château par le détachement envoyé de Paris, se jetaient où nous étions, à dessein de nous égorger, avant que de se rendre ; mais malheureusement suivis de trop près, ils ne purent entrer que pêle-mêle avec nos libérateurs ; il se fit un feu terrible en forçant notre chambre ; placées derrière ceux qui nous défendent, tel est l’instant que nous choisissons pour nous délivrer du poids de la reconaissance. Ils tombent en sang à nos pieds, et nos cons étaient encore tout barbouillés du foutre de ceux à qui notre inique méchanceté arrachait si cruellement la vie. Vous imaginez facilement que cette action fut bientôt mise sur le compte de nos ennemis, que les officiers du détachement poignardèrent aussitôt pour venger leurs camarades. Le vieillard et les jeunes femmes restés seuls, furent emballés dans un fiacre, et sous bonne garde conduits à la Bastille ; le reste du détachement ayant fait atteler notre voiture, nous escorta jusques chez moi, où j’exigeai de Clairwil de vouloir bien ne me quitter qu’après souper.

À peine étions nous arrivées, qu’on annonça Saint-Fond ; lui avouerons-nous notre petite horreur, dis-je promptement à mon amie ? Non ne répondit-elle ; il faut tout faire et ne jamais tout dire. Le ministre entra, nous le remerciâmes infiniment des soins qu’il avait pris : il nous fit à son tour des excuses, de ce qu’une affaire personnelle à lui, nous avait compromis à ce point… Il y a eu huit ou dix hommes de tués, nous dit-il, entr’autres les deux jeunes gens que je vous avais envoyé, les seuls que je regrette… Ah ! Ah ! dit Clairwil, il y a sans doute quelque raison pour cela. — Oui, je les foutais tous deux depuis assez longtems. — Et c’est Saint-Fond, dit Clairwil, qui regrette un objet foutu ? — Non, ils étaient lestes, ils me servaient à merveille dans toutes mes opérations mystérieuses. Oh ! vous les remplacerez, dis-je à Saint-Fond, en le faisant mettre à table ; laissons les morts, et ne parlons que de vos succès. Pendant le repas, la conversation roula comme à l’ordinaire, sur des matières de philosophie, et comme le ministre avait affaire, que d’ailleurs nous étions extrêmement fatigué, l’on se sépara. Au souper du lendemain, ma malheureuse Palmire, que l’on envoya chercher quelques heures avant, dans son cachot, fut impitoyablement sacrifiée, après mille supplices plus barbares, et plus variés les uns que les autres. Saint-Fond me contraignit à l’étrangler pendant qu’il la foutait en cul. Il me la paya vingt-cinq mille francs ; et sur les représentations que je lui fis, de tous les dangers que j’avais couru la veille, il me completta le double.

Deux mois se passèrent sans aucun événement qui puisse ajouter quelqu’intérêt à mes récits ; et je venais d’atteindre ma dix-huitième année, lorsque Saint-Fond arrivant un matin chez moi, me dit qu’il avait été voir les deux sœurs de madame de Cloris, à la Bastille ; qu’il les avait trouvées toutes deux beaucoup plus jolies que celle que nous avions sacrifiée ; mais que la cadette, sur-tout, qui était de mon âge, était une des plus belles filles qu’il fût possible de voir. Eh bien ! dis-je, c’est une partie de campagne : assurément, me répondit-il. — Et le vieillard ? — Un bouillon. — Oui, mais, voilà tout d’un coup trois prisonniers de moins, et le gouverneur qui ne vit que de cela. — Oh ! les remplacemens sont faciles. Je vous demande d’abord, la première place pour une parente de Clairwil, qui veut jouer la prude avec elle, et ne la point voir à cause du libertinage de cette chère amie. À l’égard des deux autres, je les retiens, et vous promets de vous les faire signer sous huit jours. Allons, dit le ministre, en prenant une note sur ses tablettes, — le déjeûner de l’homme, et la sortie des femmes. Pars demain, Juliette, emmène avec toi Clairwil, elle est charmante, pleine d’imagination, nous ferons une scène délicieuse. — Vous faudra-t-il des hommes et des tribades ? — Non, les scènes particulières valent quelquefois mieux que les orgies ; plus recueillis, on fait plus d’horreurs ; et comme on est là, bien ensemble, on se livre infiniment davantage, — Il faut au moins deux femmes pour aider. — Oui, deux bien vieilles ; tu me les chercheras de soixante ans au moins, c’est un caprice ; il y a long-tems que l’on m’assure, que rien ne fait bander comme la décrépitude de la nature ; je veux l’essayer.

Il manque quelque chose à tout cela, dit Clairwil, à qui je fus faire part sur le champ des intentions du ministre ; ces jeunes filles doivent avoir des amans ; il faut les découvrir, les faire enlever, et les immoler avec elles : il y a un million de détails très-voluptueux à tirer de ces situations. Je vole chez le ministre, je lui rends compte des idées de Clairwil ; il les approuve ; la partie est remise à huitaine et les amans se cherchent.

Les horreurs nécessaires, pour découvrir ces nouveaux sujets, devinrent des voluptés pour Saint-Fond. Il se rend à la bastille, fait mettre au cachot chacune de ces filles, va lui-même les y interroger ; et ce n’est qu’en mêlant adroitement l’espoir et la crainte, en les employant tour-à-tour, qu’il parvient à découvrir que mademoiselle Faustine, la cadette des sœurs de madame de Cloris, avait pour amant un jeune homme nommé Dormon, absolument du même âge qu’elle ; et que sa sœur, mademoiselle Félicité, âgée de vingt-ans, avait également donné son cœur au jeune Delnos, l’un des plus beaux garçons de Paris, et qui pouvait avoir deux ans plus qu’elle. Quatre jours suffirent pour controuver des torts à ces jeunes gens ; on n’y regardait pas de si près, dans un siècle où l’abus du crédit était tel, que les valets des gens en place, fesaient eux même enfermer qui bon leur semblait. Ces nouvelles victimes ne couchèrent qu’une nuit à la bastille ; elles furent transférées, celle d’après, à ma campagne, où les demoiselles étaient arrivées la veille. Clairwil et moi nous avions tout reçu, tout enfermé, mais séparément ; et nul de ces prisonniers, quoiqu’assez près l’un de l’autre, ne soupçonnait à quel point son voisin devait l’intéresser.

Après un énorme dîner, on passa dans un salon où tout était prêt pour les exécrations projettées, Les deux vieilles mises en matrones romaines attendaient, en faisant des verges, les ordres qui leur seraient donnés. Avant que de rien entreprendre, attiré par la supériorité du cul de Clairwil, Saint-Fond, voulut fui rendre hommage. Courbée sur un sopha, la coquine le lui présente en femme de l’art ; et pendant que je lui suce le clitoris, Saint-Fond lui darde au moins six pouces de langue dans le cul.

Saint-Fond bandait ; il encule Clairwil, en baisant mon cul ; il me sodomise un instant après, en caressant le voluptueux cul de Clairwil. Allons, à l’ouvrage, dit St-Fond ; je déchargerais si nous tardions ; vous avez l’une et l’autre des culs auxquels je ne tiens pas. Saint-Fond, dit Clairwil, j’ai deux graces à te demander ; la première c’est de te montrer bien cruel ; tu ne t’imagines pas mon cher à quel point je suis en train de l’être : la seconde, c’est de m’abandonner le meurtre des deux jeunes gens. Supplicier des hommes, est, tu le sais, ma passion favorite ; autant tu te plais à tourmenter mon sexe, autant j’aime à vexer le tien : et je vais jouir à martyriser ces deux jolis garçons, bien plus, peut-être, que tu ne te délecteras à massacrer leurs deux maîtresses. — Clairwil, vous êtes un monstre. — Je le sais, mon cher ; et ce qui m’humilie, est d’être chaque jour surpassé par toi.

Saint-Fond ayant désiré de voir d’abord seul chacun de ces quatre amans, une des vieilles amena Dormon, dont Faustine, la cadette des sœurs de madame de Cloris, était la maîtresse.

Jeune homme, lui dit Clairwil, vous paraissez ici devant votre maître, songez que la soumission la plus entière, et la vérité la plus scrupuleuse, doivent diriger votre conduite et vos réponses ; c’est dans ses mains qu’est votre vie. Hélas ! répondit humblement ce malheureux, je n’ai rien à dire, madame ; j’ignore absolument la cause de ma détention, et ne puis comprendre par quelle fatalité je me trouve aujourd’hui la victime du sort. N’étiez-vous pas destiné, lui demanda Clairwil, qui le dévorait des yeux, à épouser Faustine ? — Cette union devait faire mon bonheur. — Ignoriez-vous la cruelle affaire dans laquelle tous ses parens étaient compliqués ? — Hélas ! madame, je ne leur connaissais que des vertus, le vice pouvait-il exister où Faustine avait pris le jour ? — Ah ! dis-je, c’est un héros de roman. — Je serai toujours l’ami de la vertu… L’enthousiasme que l’on conçoit pour elle à votre âge, dit Clairwil, a souvent perdu bien des hommes ; au reste, ce n’est pas de tout cela dont il s’agit ici ; nous vous avons fait venir, pour vous apprendre que votre Faustine est dans ces lieux, et que si vous voulez en abandonner la jouissance au ministre, et sa grace et la votre récompenseront ce sacrifice. Je n’ai point mérité de grace, puisque je n’ai point commis de crimes, répondit fièrement ce jeune homme ; mais y eût-il là mille morts, je vous déclare que je n’achèterai jamais la vie au prix de l’atrocité que vous avez osez me faire entrevoir. Allons, madame, du cul, du cul, s’écria Saint-Fond, qui bandait, vous voyez bien que ce petit poliçon est un entêté, dont nous n’aurons raison que par violence ; et à ces mots Clairwil et les deux vieilles s’étant élancées sur le jeune homme, il fut nud et garoté dans un clin-d’œil ; on le conduit à Saint-Fond, qui détaille quelques minutes le plus joli cul d’homme qu’il soit possible de voir ; et vous savez, messieurs les connaisseurs, que relativement à cette partie, vous l’emportez bien souvent sur nous. Ah ! dit le malheureux Dormon, dès qu’il voit les infamies auxquelles on le destine, on m’a trompé, je suis chez des monstres. Monsieur, lui dit Clairwil, nous allons bientôt vous le prouver ; et après quelques horreurs préliminaires, on me chargea d’introduire Faustine ; il était difficile d’être plus belle, mieux faite, plus intéressante et plus douce ; que de nouveaux attraits lui prêta la pudeur, quand elle eût pu voir l’état dans lequel on la recevait ! elle pensa s’évanouir en appercevant son amant, objet des caresses de Clairwil et de Saint-Fond. Rassurez-vous, bel ange, lui dis-je aussitôt, nous foutons, mon cœur, nous nous plongeons dans l’impudicité ; vous allez montrer votre beau cul comme nous offrons les nôtres, et vous ne vous en trouverez pas mal. — Mais que tout ceci veut-il dire… de grace… où suis-je… expliquez-moi ? — Vous êtes chez le ministre, votre oncle, votre ami ; c’est dans ses mains qu’est votre affaire, et vous savez à quel point est grave celle qui vous compromet ; soyez soumise et complaisante, monseigneur peut tout arranger. — Et Dormon a pu se soumettre… — Ah ! répondit le malheureux jeune homme, je suis, comme toi, victime de la force ; mais si le jour du déshonneur luit aujourd’hui pour nous, celui de la vengeance nous consolera peut-être bientôt. Laissons là l’héroïsme, jeune homme, dit Saint-Fond, en appuyant une vigoureuse claque sur les fesses découvertes de ce beau parleur, et que cette éloquence incendiaire s’employe plutôt à déterminer votre maîtresse à tous mes caprices… et ils seront violens vis-à-vis d’elle… je la mènerai mal. Ici deux ruisseaux de larmes jaillissent des superbes yeux de Faustine, de profonds gémissemens se font entendre ; le cruel Saint-Fond, son vit à la main, vient la regarder sous le nez. Oh ! foutre, s’écria-t-il, voilà comme j’aime les femmes… que ne puis-je d’un mot les réduire toutes en cet état ! Pleurez, mignone, pleurez… tenez, pleurez sur mon vit ; mais ne perdez pourtant pas toutes vos larmes, vous en aurez bientôt besoin pour des choses qui seront d’une plus haute importance. En vérité, je n’ose dire à quel point il porta l’outrage, il semblait que son plus grand plaisir fut d’insulter l’innocence, et d’injurier la beauté malheureuse ; les faibles lueurs de plaisirs que nous parvînmes à faire éprouver à cet enfant, se rechangèrent bientôt en chagrins. Ce fut avec son vit que Saint-Fond essuya ces nouvelles larmes.

La passion principale de Clairwil n’était pas, comme je vous l’ai dit, de tracasser les femmes, c’était sur les hommes qu’elle aimait à donner à la nature l’essort de ses penchans à la cruauté, mais quoiqu’elle n’exerçât pas, elle voyait avec plaisir ; et près de Dormon, qu’elle branlait elle-même, elle observait, avec une curiosité méchante tous les outrages exercés sur Faustine, elle en conseillait même. Allons, dit Saint-Fond, il faut réunir ce que devait bientôt resserrer l’hymen ; je ne suis pas assez cruel, ajouta-t-il ironiquement, pour ne pas céder à monsieur un des deux pucelages de sa jolie maîtresse ; Clairwil, dispose le mâle, je vais, moi, préparer la femelle.

Je n’aurais jamais cru, je l’avoue, que cette entreprise fût possible ; la terreur, le chagrin, l’inquiétude, les larmes, l’état affreux enfin de ces deux amans, pouvait-il leur permettre l’amour ? Ici s’opéra, sans doute, un des plus grands miracles de la nature, et son énergie triompha de tous les maux de l’imagination. Dormon, emporté, foutit sa maîtresse, il n’y eut qu’elle que nous eûmes besoin de contenir, dans elle seule la douleur supérieure à tout, ne laissa plus d’accès au plaisir ; nous eûmes beau faire, beau l’exciter, la gronder ou la caresser, son ame ne sortit plus de l’horrible situation où cette scène affreuse la plongeait, et nous n’obtînmes d’elle que du désespoir et des larmes. Je l’aime autant comme cela, dit Saint-Fond, je ne me soucie pas trop de voir les impressions du plaisir sur le visage d’une femme, elles sont si douteuses ; je préfère celles de la douleur, on s’y trompe moins.

Cependant le sang coule déjà, les prémices sont cueillies ; par l’attitude qu’avait arrangée Clairwil, Dormon tenait Faustine dans ses bras, absolument penchée sur lui, de manière qu’au moyen de cette posture, la jolie petite fille exposait les plus belles fesses qu’il fut possible de voir ; contenez-la dans cette posture, dit Saint-Fond à l’une des vieilles, je vais la sodomiser, pendant qu’on l’enconne ; il faut qu’elle perde ses deux pucelages à-la-fois ; l’opération réussit au mieux, non pas cependant sans faire jeter les hauts cris à la jeune fille, qu’un tel dard n’avait jamais perforée ; hélas ! c’était pour elle le funeste jour des douleurs ; en foutant, le paillard maniait les vieilles, pendant que je gamahuchais Clairwil ; le prudent Saint-Fond, avare de son foutre, en retient encore les écluses, et l’on passe à d’autres luxures.

Jeune homme, dit Saint-Fond, je vais exiger de vous quelque chose de fort extraordinaire, et que vous allez sans doute trouver bien barbare ; mais quoiqu’il en puisse être, soyez certain que c’est l’unique façon de sauver votre maîtresse ; je vais la faire lier à cette colonne, vous vous armerez de cette poignée de verges, et vous lui en déchirerez les fesses. — Monstre ! peux-tu me proposer ? — Vaut-il mieux pour vous qu’on la tue ; elle est morte, si vous n’obéissez. — Eh ! d’où vient donc ; faut-il qu’il n’y ait point de milieu pour moi, entre cette infamie, et la douleur de perdre ce que j’aime ? — Parce que tu es ici le plus faible, dis-je, et que tu dois par conséquent tout céder ; exécute donc ce qu’on te propose, ou ta maîtresse est poignardée sous tes yeux. Le grand art de Saint-Fond était de placer toujours les victimes dans une telle situation, qu’elles n’eussent jamais d’autre parti à prendre que de choisir celui des deux malheurs qui convenait le mieux à son perfide libertinage ; Dormon tremblant, n’accepte ni ne refuse ; son silence parle. Faustine est attachée par moi, je prends le plus extrême plaisir à meurtrir les parties délicates de ce beau corps, par les liens dont je la garotte ; j’aime à présenter ainsi l’innocence à toutes les tentatives du crime ; la méchante Clairwil lui suçait la bouche, pendant ce tems-là… Quels attraits à martyriser : ah ! quand le ciel ne s’arme point pour défendre ceux-là, c’est qu’il veut convaincre les hommes du mépris qu’il fait de la vertu.

Ce sera de cette manière qu’il faudra vous y prendre, dit Saint-Fond, en appliquant dix coups à tour de bras sur les fesses blanches et dodues qui lui sont offertes… Oui, de cette manière, continua-t-il, en en cinglant dix autres, dont les meurtrissures violettes, contrastent déjà merveilleusement avec la blancheur de cette peau fine et délicate. — Oh ! monsieur, je ne pourrai jamais… et cependant, comme les menaces redoublent, que Clairwil en fureur s’écrie, qu’il n’y a qu’à l’écorcher lui-même s’il résiste, et qu’il faut ici, ou se résoudre à ce léger outrage, ou consentir à perdre ce qu’on aime, Dormon entreprend : mais quelle faiblesse ! il faut que Saint-Fond soutienne son bras ; il faut qu’il le dirige. Mon amant s’impatiente, un poignard s’élève sur le sein palpitant de Faustine ; Dormon redouble… il s’évanouit… Ah ! foutre, dit Saint-Fond, qui bande comme un carme, je vois bien qu’il faut que la scélératesse s’en mêle ; l’amour ne vaut rien dans tout cela, et se déchaînant sur les belles fesses qui lui sont offertes, en moins d’un demi quart-d’heure il inonde de sang le cul de la victime ; une autre horreur se faisait près de là : Clairwil, loin de secourir Dormon, exécute sur lui, tout ce que sa férocité lui suggère. Je venge mon sexe, s’écrie-t-elle, et ses mains barbares rendaient à Dormon, attaché par les vieilles, tout ce que Saint-Fond appliquait à Faustine, les deux malheureux amans furent bientôt dans le plus effroyable état. Point encore à même de juger Clairwil, j’avoue que sa cruauté me surprit ; mais quand je la vis s’emporter à des exécrations d’un bien autre genre, quand je la vis se barbouiller les joues du sang de sa victime, le sucer, l’avaler, arracher avec ses dents des morceaux de chair… s’en repaître avec lubricité, quand je la vis frotter son clitoris sur les blessures sanglantes qu’elle faisait à ce malheureux, quand je l’entendis me crier : imite-moi donc, Juliette,… entraînée par l’affreux exemple de cette sauvage, et plus encore peut-être, par ma maudite imagination… faut-il vous l’avouer, mes amis, je fis comme elle… que dis-je ; je la surpassai peut-être… peut-être allumai-je son imagination, par des forfaits auxquels elle ne pensait pas, mais tout m’échauffait également ; aucune restriction dans mon ame perverse, et la commotion reçue dans moi, aux douleurs que j’opérais, y parvenait aussi bien en cannibalisant un homme, qu’en martyrisant une femme.

Saint-Fond ne voulut pas procéder aux grandes expéditions avant que l’autre couple n’eût paru ; on attacha celui-ci ; l’autre vînt ; Delnos et Félicité éprouvèrent les mêmes traitemens, à l’exception que les choses furent prises en sens inverses, et qu’au lieu de persuader à l’amant de quitter sa maîtresse, sous les plus terribles menaces, ce fut à la maîtresse (mais avec aussi peu de fruit) que l’on persuada de quitter l’amant. Félicité était une fort jolie fille de vingt ans, un peu moins blanche que sa sœur, mais des formes aussi agréables, et les yeux les plus expressifs ; elle montra plus d’énergie que sa sœur ; et Delnos, beaucoup moins que Dormon. Cependant, notre anthropophage, venant d’enculer cette seconde fille, perdit son foutre malgré lui dans le beau cul de Delnos, pendant qu’il martyrisait les charmans tetons de Félicité. Tranquillement assis maintenant entre Clairwil qui le socratisait, et moi qui le branlais, en face des deux couples attachés sous ses yeux, il nous consultait sur le sort des victimes.

Je suis le boureau de toute cette famille, nous disait-il en se branlant, trois ont perdu la tête ici, j’en ai fait tuer deux dans leur campagne, j’en ai fait empoisonner, un à la bastille, et j’espère ne pas manquer ces quatre-ci ; je ne connais rien de délicieux comme ce calcul. Tibère, dit-on, s’y livrait tous les soirs ; le crime ne serait rien sans ses doux souvenirs. O Clairwil ! où nous entraînent les passions ! Dis, mon ange, aurais-tu la tête assez calme… aurais-tu, par hasard assez déchargé, pour me faire, sur cela, quelques beaux discours ? Non, foutre, non, non, sacredieu, répondit Clairwil, rouge comme une bacchante, j’ai plus d’envie d’agir que de parler ; un feu dévorant coule dans mes veines, il me faut des horreurs, je suis hors de moi… Commettre infiniment d’atrocités est assurément mon avis, dit Saint-Fond ; ces deux couples m’excitent ; il est inoui les tourmens que je leur souhaite et que je voudrais leur voir endurer… Et les malheureux entendaient tout ce que nous disions ; ils nous voyaient comploter contre eux… et ils ne mouraient pas.

La fatale roue inventée par Delcour, était sous nos regards ; Saint-Fond la considérait méchamment, et l’idée d’y placer quelques victimes élança bientôt son vit vers le ciel : alors le scélérat, après avoir expliqué bien haut les propriétés de cette infernale machine, dit qu’il fallait : que les deux femmes tirassent au sort pour savoir qui d’entr’elles y serait attachée. Clairwil combattit ce projet, en assurant que, puisque Saint-Fond y avait déjà vu une fille, il fallait qu’il se procurât le plaisir d’y voir un garçon ; elle demanda la préférence pour Dormon, qui lui échauffait prodigieusement la tête ; mais Saint-Fond dit qu’il ne voulait aucune préférence ; que l’honneur de périr le premier, et par un tel supplice, en était une assez grande, et qu’il n’en fallait point d’autres ; des billets s’écrivent ; les jeunes gens tirent ; Dormon a le billet noir. Il y a long-tems que le ciel accomplit tous mes vœux, dit Clairwil ; je n’ai jamais conçu de crime, que cette exécrable chimère, que vous nommez l’être-suprême, ne l’ait favorisé sur l’heure. Embrassez votre prétendue, dit mon amant, en détachant Dormon, auquel on laisse pourtant des liens aux jambes et aux bras ; baisez-la, mon enfant, elle ne vous perdra point de vue pendant votre exécution. Je vous jure que je vais l’enculer sous vos yeux.

Entraînant alors suivant son usage, le jeune homme, bien sûrement lié, il s’enferme près d’une heure avec lui ; il semblait qu’en ce moment le libertin confiât à la victime un secret impénétrable, et qu’elle était comme chargée de porter en l’autre monde.

Que fait-il donc là, dit Clairwil, ennuyée d’attendre, et s’approchant de la porte du cabinet ? Je n’en sais rien répondis-je, mais je desire le savoir avec tant d’ardeur que j’ai presqu’envie de lui dire de me sacrifier pour l’apprendre. Dormon sort ; ses chairs portaient des traces de plusieurs vexations cruelles ; ses fesses et ses cuisses, sur-tout, étaient violemment meurtries ; la honte, la rage, la crainte et la douleur se combattaient sur son front altéré ; du sang coulait de son vit et de ses couilles ; et ses joues, vivement colorées, portaient l’empreinte de plusieurs soufflets. Pour Saint-Fond, il bandait considérablement ; la barbarie la plus atroce se peignait sur chacun de ses traits ; il avait encore une main sur le cul de la victime, lorsque tous deux rentrèrent. Allons, foutu gueux, lui dit Clairwil, en se réjouissant de le voir reparaître ainsi, allons, allons, il faut y passer… St.-Fond poursuivit cette Mégère, il n’y a pas assez d’hommes ici, je voudrais être prodigieusement foutue voyant expirer ce gredin : sa maîtresse te branlera, dit Saint-Fond, et je l’enculerai pendant ce tems-là. — Et le sang coulera-t-il sur nous ? — Sans doute… — Allons, dit Clairwil, baise-moi, jean-foutre, avant que d’aller au supplice ; et comme il faisait quelques résistances ; la garce lui frotta le nez de son cul ; ensuite on lui permit d’aller embrasser sa maîtresse qui fondait en larmes ; Clairwil le branlait, et Saint-Fond chatouillait le clitoris de la jeune fille ; les vieilles le saisissent à la fin et le fixent dans la fatale roue ; Faustine, étendue sur Clairwil, est obligée de la branler ; mon amie me baise… me chatouille pendant ce tems-là ; St-Fond encule Faustine, et bientôt le sang nous couvre tous les quatre : la jeune fille ne soutient pas cet affreux spectacle jusqu’au bout… Suffoquée par la douleur, elle expire… Un moment, un moment, s’écria Saint-Fond, je crois que la garce veut mourir sans que j’en soit cause ; et le vilain décharge, en disant cela, dans une masse qui n’existait déjà plus. Clairwil, dont les mains scélérates pétrissent les couilles de Delnos, pendant que je piquais à grands coups d’aiguilles les fesses de ce jeune homme, ne tint pas au spectacle de Dormon dans la

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roue, et la putain décharge trois fois en jetant des heurlemens semblables à ceux d’une bête féroce.

Il ne restait plus que Félicité et son jeune amant : ah, foutre ! dit St-Fond, il faut que le supplice de cette garce-là me dédommage de l’autre ; et puisque c’est la maîtresse qui vient de voir mourir l’amant, je veux ici que ce soit l’amant qui voie expirer la maîtresse ; on la conduit au cabinet secret ; et après une bonne demi-heure de tête-à-tête, il la ramène dans un état affreux ; elle est condamnée à être empalée vive ; Saint-Fond, lui-même, lui enfonce dans le cul un pieu, qui lui ressort par la bouche ; et ce pieu redressé, reste avec la victime en parade, au salon, tout le jour.

Mon ami, dit Clairwil, je te demande avec instance de me laisser le choix du supplice de cette dernière victime ; je trouve que ce bougre-là ressemble à Jésus-Christ, et je veux le traiter de même. L’idée fait beaucoup rire ; tout se dispose pendant le tête-à-tête ; rien n’est oublié, l’histoire de la passion du bâtard de Marie se place sur les reins découverts d’une des vieilles. Je suis chargée de lire et de diriger ; le jeune homme rentre déjà fort maltraité ; Clairwil, Saint-Fond et l’autre vieille l’exécutent ; on l’attache à la croix ; et il y souffre exactement tout ce que les sages romains firent endurer au plat coquin de Galilée ; on lui perce le flanc ; on le couronne d’épines ; on lui donne à boire avec une éponge : voyant enfin qu’il ne meurt pas, on veut enchérir sur le supplice de l’imbécille bateleur de Judée ; on retourne le patient, et il n’est sorte d’horreurs que nous n’exécutions sur ses fesses ; nous les piquons, nous les brûlons, nous les déchirons ; Delnos expire enfin enragé. Clairwil et Saint-Fond, que je branlais chacun d’une main, déchargent amplement ; et comme tout ceci nous avait mené plus de douze heures, les plaisirs désirés de la table succédèrent à ces infamies.

Clairwil, qui voulait savoir le secret de Saint-Fond, l’étourdit à force de vin, de caresses et de louanges ; et quand elle crut l’avoir amené au point où elle le desirait : que fais-tu donc, lui dit-elle, avec tes victimes, un moment avant que de les livrer au supplice ? — Je leur annonce la mort. — Il y a autre chose, nous en sommes certaines. — Non. — Nous le savons. — C’est une faiblesse, pourquoi me contraindre à la révéler ? — Dois-tu donc avoir des secrets pour nous, dis-je à mon amant ? — En vérité, ce n’en est pas un. — Cependant, tu nous le caches, et nous te conjurons de nous le dire. — À quoi cela vous servira-t-il ! — À nous satisfaire, à contenter les deux meilleures amies que tu aies au monde. — Vous êtes de cruelles femmes !… Mais songez-vous donc que je ne puis vous faire cet aveu sans convenir d’une petitesse affreuse de ma part. — C’est précisément, ce que nous voulons apprendre.

Alors, redoublant toutes deux de sollicitations, de louanges, de caresses et de séductions, notre homme vaincu nous parle de la manière suivante.

« À quelque point que j’aie secoué le joug honteux de la religion, mes amies, il ne m’a jamais été possible de me défendre de l’espoir d’une autre vie. S’il est vrai, me dis-je, qu’il y ait des peines, et des récompenses dans un autre monde, les victimes de ma scélératesse triompheront, elles seront heureuses ; cette idée me désespère ; mon extrême barbarie m’en fait un tourment. Quand j’immole un objet, soit à mon ambition, soit à ma lubricité, je voudrais prolonger ses maux au-delà de l’immensité des siècles. J’ai consulté sur cela un célèbre libertin, avec lequel j’étais fort lié jadis, et qui avait les mêmes goûts que moi. Cet homme rempli de connaissance, grand alchimiste, très-versé dans l’astrologie, m’a toujours assuré que rien n’était plus vrai que ces peines et ces récompenses à venir ; et que pour empêcher la victime de participer aux joies célestes, il fallait, avec du sang tiré près de son cœur, lui faire signer qu’elle donnait son ame au diable : lui enfoncer ensuite ce billet dans le trou du cul avec le vit, et lui imposer pendant ce tems, la plus forte douleur qu’il soit en notre pouvoir de lui faire endurer. Jamais avec ce moyen, m’assura mon ami, l’individu que vous détruisez n’entrera dans le ciel. Ses souffrances de la même nature que celle que vous lui aurez fait endurer, en lui enfonçant le billet, seront éternelles ; et l’on jouira du plaisir délicieux de les avoir prolongées au-delà même des bornes de l’éternité, si l’éternité pouvait en avoir. »

Et voilà donc ce que tu fais avec tes victimes, dit Clairwil. — Vous avez voulu que je vous l’avouasse… C’est une faiblesse, — C’est une bêtise, qui prouve que tu es loin de la philosophie que je te supposais ; peut-on avec de l’esprit, adopter un moment le dogme absurde de l’immortalité de l’âme ; car, sans l’adoption de cette chimère religieuse et dégoûtante, tu m’avoueras qu’il seroit impossible de croire aux peines et aux récompenses d’une autre vie ; j’aime ton principe, il est délicieux, poursuivit Clairwil ; il est bien dans ma manière de penser. Vouloir prolonger à l’infini les supplices de l’être qu’on dévoue à la mort, est digne de ta tête ; mais appuyer cela sur des extravagances, voilà ce qui n’est nullement pardonnable. Eh ! dit Saint-Fond, mon divin espoir s’évanouit, si je ne l’étaye sur cette opinion. Il vaut mieux savoir y renoncer, dit Clairwil, que de le baser sur des fables, parce que l’adoption de la fable te ferait un jour plus de tort, qu’elle ne t’aurait fait de plaisir. Va contente-toi des maux que tu peux imposer en ce monde, et renonce au vain projet de les perpétuer.

Il n’y a point d’autre vie, Saint-Fond, dis-je alors, me ressouvenant des principes de philosophie que j’avais reçus dans mon enfance ; cette chimère n’a pour garant que l’imagination des hommes, qui, en la supposant, n’ont fait que réaliser le desir qu’ils ont de se survivre à eux-mêmes, afin de jouir par la suite d’un bonheur plus durable et plus pur que celui qu’ils goûtent à présent. Quelle pitoyable absurdité, d’abord de croire un Dieu, d’imaginer ensuite que ce Dieu réserve des tourmens infinis au plus grand nombre des hommes ? Ainsi, après avoir rendu les mortels très-malheureux en ce monde, la religion leur fait entrevoir, que ce Dieu, bisarre, fruit de leur crédulité ou de leur fourberie, pourra bien, encore les rendre très à plaindre dans une autre vie. Je sais bien qu’on s’en tire, en disant que pour lors, la bonté de ce Dieu fera place à sa justice ; mais une bonté qui fait place à la cruauté la plus terrible, n’est pas une bonté infinie ; d’ailleurs, un Dieu qui, après avoir été infiniment bon, devient infiniment méchant, peut-il être regardé comme un être immuable ? Un Dieu, rempli de fureur, est-il un être dans lequel on puisse retrouver l’ombre de la clémence ou de la bonté. D’après les notions de la théologie, il paraît évident que Dieu n’a créé le plus grand nombre des hommes, que dans la vue de les mettre à portée d’encourir des supplices éternels. N’eût-il donc pas été plus conforme à la bonté, à la raison, à l’équité, de ne créer que des pierres et des plantes, que de former des hommes, dont la conduite pourrait attirer sur eux des châtimens sans fin. Un Dieu assez perfide, assez méchant, pour créer un seul homme, et pour le laisser exposé ensuite au péril de se damner, ne peut être regardé comme un être parfait ; il ne doit l’être que comme un monstre de déraison, d’injustice, de malice et d’atrocités. Bien loin de composer un Dieu parfait, les théologiens n’ont donc formé que la plus dégoûtante chimère ; et ils ont achevé de dégrader leur ouvrage, en prêtant à cet abominable Dieu, l’invention de l’éternité des peines. La cruauté, qui fait nos plaisirs, a des motifs au moins ; ces motifs s’expliquent, et nous les connaissons ; mais Dieu n’en avait aucun, en tourmentant les victimes de sa colère, car il ne saurait punir des êtres qui n’ont pu réellement, ni mettre en danger son pouvoir, ni troubler sa félicité : d’un autre côté, les supplices de l’autre vie, seraient inutiles aux vivans, qui n’en peuvent être les témoins ; ils seraient inutiles aux damnés, puisqu’en enfer on ne se convertit pas, et que le tems de la prétendue miséricorde de ce Dieu n’existe plus ; d’où il suit, que Dieu, dans l’exercice de sa vengeance éternelle, n’aurait d’autre but que de s’amuser, et que d’insulter à la faiblesse de ses créatures ; et votre infâme Dieu, agissant plus cruellement qu’aucun homme, et sans aucun motifs, comme les hommes, devient donc, par cela seul, infiniment plus traître, plus fourbe et plus scélérat qu’eux.

Allons plus loin, dit Clairwil, je vais analiser, si l’on veut, avec plus de détail, ce dogme effroyable de l’enfer ; je suis en état de le combattre assez victorieusement, pour qu’il ne reste plus la moindre trace de son adoption dans l’esprit crédule de notre ami. Voulez-vous m’entendre…… Assurément, répondîmes-nous ; et voici comme cette femme, pleine d’esprit et d’érudition, s’expliqua sur cette importante matière.

Il est des dogmes qu’on est quelquefois obligé, non d’admettre, mais de supposer, afin d’être en état d’en combattre d’autres. Pour anéantir à vos yeux le dogme imbécille de l’enfer, il faut que vous me permettiez de rétablir un instant ici la chimère déïfique. Obligée de m’en servir comme de point d’appui dans cette importante dissertation, il faut que je lui rende absolument une existence momentanée ; vous me le pardonnerez, j’espère, d’autant plus, qu’assurément vous ne me soupçonnez-pas de croire à cet abominable fantôme.

Le dogme de l’enfer est par lui-même, je l’avoue, si destitué de vraisemblance ; tous les argumens que l’on prétend établir pour l’étayer sont si faibles ; ils contredisent si manifestement la raison, qu’on rougit presque de l’obligation de les combattre : n’importe ; arrachons impitoyablement aux chrétiens, jusqu’à l’espoir de nous renchaîner de nouveau aux pieds de leur religion atroce, et faisons-leur voir que le dogme sur lequel ils se fondent le plus impérieusement pour nous effrayer, se dissipe, comme toutes leurs autres chimères, à la plus faible étincelle du flambeau de la philosophie.

Les premiers argumens dont on se sert pour établir cette pernicieuse fable, sont :

1°. Que le péché étant infini eu égard à l’être qu’on offense, mérite par conséquent des châtimens infinis ; que Dieu ayant dicté des loix, il est de sa grandeur de punir ceux qui les transgressent.

2°. L’universalité de cette doctrine, et la manière dont elle est annoncée dans l’écriture.

3°. La nécessité de ce dogme, pour contenir les pécheurs et les incrédules : voilà les bases qu’il faut anéantir.

Vous conviendrez, je me flatte, que la première se détruit naturellement, par l’inégalité des délits. Selon cette doctrine, la plus légère faute se trouverait donc punie comme la plus grave ; or, je vous demande si dans l’admission d’un Dieu juste, il devient possible de supposer une iniquité de cette espèce ? Qui d’ailleurs a créé l’homme ? qui lui a donné les passions que doivent punir en lui les tourmens de l’enfer ? N’est-ce pas votre Dieu ? Ainsi donc, imbécilles chrétiens, vous admettez que d’une part ce Dieu ridicule prête à l’homme des penchans qu’il se trouve obligé de punir d’un autre côté ? Mais il ignorait donc que ces penchans devaient l’outrager ? s’il le savait, d’où vient qu’il les lui donne de ce genre ? et s’il ne le savait pas, pourquoi le punit-il d’un tort qu’il a tout seul ?

D’après les conditions que l’on prétend nécessaires au salut, il paraît évident que nous serons bien plus certainement damnés que sauvés ; or, je demande encore s’il est de la justice si vantée de votre Dieu, d’avoir placé son malheureux et chétif ouvrage dans une aussi cruelle position ; et d’après ce systême, comment vos docteurs osent-ils dire, que le bonheur et le malheur éternels, sont également présentés à l’homme, et dépendent uniquement de son choix ? Si la plus grande portion du genre humain est destinée à être éternellement malheureuse, un Dieu qui sait tout, a dû le savoir ; pourquoi donc d’après cela, le monstre nous a-t-il créé ? y était-il forcé ? il n’est donc plus libre. L’a-t-il fait sciemment ? c’est donc un barbare ; non, Dieu n’était point forcé de créer l’homme ; et s’il la fait uniquement pour le soumettre à un tel destin, la propagation de notre espèce devient dès-lors le plus grand des crimes, et rien ne serait plus desirable que l’extinction totale du genre humain.

Si cependant ce dogme vous paraît un instant nécessaire à la grandeur de Dieu, je vous demande pourquoi ce Dieu si grand et si bon n’a pas donné à l’homme la force nécessaire à se garantir du supplice ? N’est-il pas cruel à Dieu de laisser à l’homme la facilité de se perdre éternellement ? et trouverez-vous jamais un moyen de laver votre Dieu du reproche fondé d’ignorance ou de méchanceté ?

Si tous les hommes sont des ouvrages égaux de la divinité, pourquoi tous ne s’accordent-ils pas sur le genre de crimes, qui doit valoir à l’homme cette éternité de supplices ? Pourquoi l’hottentot damne-t-il pour ce qui mérite le paradis au chinois, et d’où vient que celui-ci assure le ciel à ce qui mérite l’enfer au chrétien ? On ne finirait pas si l’on voulait rapporter les opinions variées des payens, des juifs, des mahométans, des chrétiens, au sujet des moyens que l’on doit employer pour échapper aux supplices éternels, et pour obtenir la félicité, si l’on voulait d’écrire les inventions puériles et ridicules que l’on a imaginé pour y parvenir.

La seconde des bases de cette ridicule doctrine, est la manière dont elle est annoncée dans les écritures, et l’universalité dont elle est.

Gardons-nous bien de croire, 1°. que l’universalité d’une doctrine puisse jamais devenir un titre en sa faveur ; il n’y a point de folie, point d’extravagance qui n’ait été généralement adoptée dans le monde ; il n’en est point qui n’ait eu ses admirateurs et ses croyans ; tant qu’il y aura des hommes, il y aura des fous, et tant qu’il y aura des fous, il y aura des Dieux, des cultes, un paradis, un enfer, etc. ; mais, 2°. les écritures l’annoncent. Admettons pour un moment que les livres ainsi nommés ayent quelqu’authenticité, et que vraiment il leur soit dû quelque respect ; je l’ai dit, il est des chimères qu’il faut quelquefois réédifier pour être à même d’en combattre d’autres. Eh bien ! je répondrai d’abord à cela, qu’il est très-douteux que les écritures en parlent. À supposer pourtant que cela soit, ce qu’elles en disent ne peut s’adresser qu’à ceux qui ont connaissance de ces écritures, et qui les admettent comme infaillibles ; ceux qui ne les connaissent pas, ou qui refusent de les croire, ne peuvent être convaincus par leur autorité ; cependant, ne dit-on pas que ceux qui n’ont aucune connaissance de ces écritures, ou ceux qui ne les croyent pas, sont exposés aux châtimens éternels comme ceux qui les connaissent ou qui y croyent ; or, je vous demande s’il est au monde une plus grande injustice que celle-là ?

Vous me direz, peut-être, que des peuples auxquels vos absurdes écritures étaient totalement inconnues, n’ont pas laissé de croire des châtimens éternels dans une vie future ; cela peut-être vrai de quelques peuples, tandis que beaucoup d’autres n’ont eu aucune connaissance de ces dogmes ; mais comment un peuple, à qui la Bible était inconnue, a-t-il pu parvenir à prendre cette opinion ? on ne dira pas, j’espère, que ce soit une idée innée ; si cela était, elle serait commune à tous les hommes. On ne soutiendra point, je le pense, qu’elle est l’ouvrage de la raison ; car, certes, la raison n’apprendrait pas à l’homme que pour des fautes finies, il souffrira des peines infinies ; ce n’est point la révélation, puisque le peuple que nous supposons ne la connaît pas. Ce dogme, on en conviendra, n’est donc arrivé au peuple que nous venons d’admettre, que par l’instigation de ses prêtres, ou par son imagination. Je vous demande, d’après cela, ce qu’il peut avoir de solide ?

Si quelqu’un imaginait que la croyance des châtimens éternels ait été transmise, par tradition, à des peuples qui ne la tenaient point de l’écriture, oh pourra demander d’où ceux qui, dans l’origine, ont répandu cette opinion, la tenaient eux-même ? et si l’on ne peut prouver qu’ils l’eussent reçue par une révélation divine, on sera obligé de convenir que cette opinion gigantesque n’a que le dérèglement de l’imagination, ou la fourberie pour base.

En supposant que l’écriture, prétendue sainte, annonce aux hommes des châtimens dans une vie future, et en admettant ce fait comme une vérité incontestable, ne pourrait-on pas demander comment les auteurs de l’écriture ont pu savoir qu’il existait de tels châtimens ; on ne manquera pas de répondre que c’est par inspiration ; voilà qui va à merveille : mais ceux qui n’ont point été favorisés de cette illumination particulière, ont donc été contraints de s’en rapporter à d’autres ; or, je vous prie de me dire quelle confiance on doit avoir à des gens qui vous disent sur un fait de telle importance, je le crois, parce qu’un tel m’a dit qu’il l’avait rêvé ; et voilà donc ce qui absorbe… ce qui rend farouche et timide la moitié des hommes ; voilà donc ce qui les empêche de se livrer aux plus douces inspirations de la nature ! Peut-on porter plus loin l’égarement et l’absurdité ! Mais vos inspirés n’ont pas parlé à tout le monde ; la plus grande partie du genre humain ignore leurs rêves. Cependant tous les hommes ne sont-ils pas aussi intéressés à s’assurer de la réalité de ce dogme, que peuvent l’être les écrivains de la Bible ou leurs adhérens ? Comment se fait-il donc que tous ne puissent en avoir la même certitude ; ils étaient tous intéressés à savoir à quoi s’en tenir sur les châtimens éternels ; pourquoi donc Dieu n’a-t-il pas donné cette sublime connaissance à tous directement et immédiatement, sans le secours et la participation de gens que l’on peut soupçonner de fraude ou d’erreur ? Avoir positivement fait tout le contraire, caractérise-t-il, je vous le demande, la conduite d’un être que vous me peignez comme infiniment bon et sage ? cette conduite, bien loin de-là, ne porte-t-elle pas tous les attributs de la bêtise et de la méchanceté ? Dans tous les gouvernemens, lorsque l’on fait des loix qui décernent des peines contre les infracteurs, ne prend-on pas tous les moyens possibles pour faire connaître et ces loix et ces châtimens ? Peut-on raisonnablement châtier un homme de l’infraction faite à une loi qui lui est inconnue ? Que devons-nous conclure de cette série de vérités, c’est que jamais le systême de l’enfer ne fût autre chose que le résultat de la méchanceté de quelques hommes, et de l’extravagance de beaucoup d’autres[12].

La troisième base de ce dogme épouvantable, est sa nécessité pour contenir les pêcheurs et les incrédules.

Si la justice et la gloire de Dieu exigeaient qu’il punit les pêcheurs et les incrédules par des tourmens éternels, il n’est pas douteux que la justice et la raison exigeraient aussi qu’il fût au pouvoir des uns de ne point pêcher, et au pouvoir des autres de n’être point incrédules ; or, quel est l’être assez absurde pour supposer que l’homme soit libre ; quel est celui qui s’aveugle au point de ne pas voir, qu’entraîné dans toutes nos actions, nous ne sommes les maîtres d’aucune, et que le Dieu dont nous tenons ces chaines, serait, à supposer son existence, ce que je ne fais ; comme vous le voyez, qu’avec dégoût ; serait, dis-je, le plus injuste et le plus barbare des êtres, s’il nous punissait de devenir malgré nous victimes des travers dans lesquels sa main inconséquente nous plonge avec plaisir. N’est-il donc pas clair que c’est le tempérament que la nature donne aux hommes, que ce sont les différentes circonstances de sa vie, son éducation, ses sociétés, qui déterminent ses actions, et sa direction vers le bien ou le mal ? Mais si cela est, nous objectera-t-on peut-être, les punitions que l’on leur inflige en ce monde, en raison de leur mauvaise conduite, sont donc également injustes ! Assurément elles le sont ; mais ici l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt particulier ; il est du devoir des sociétés de retrancher de leur sein les méchans capables de leur nuire ; et voilà qui justifie les loix qui, seulement vues d’après l’intérêt particulier, seraient monstrueusement injustes ; mais votre Dieu a-t-il les mêmes raisons pour punir le méchant ? Non, sans doute ; il n’a rien à souffrir de ses méchancetés, et s’il est ainsi, c’est qu’il a plu à ce Dieu de le créer de cette manière ; il serait donc atroce de lui infliger des tourmens, pour être devenu sur la terre ce que cet exécrable Dieu savait bien qu’il deviendrait, et ce qu’il lui est fort égal qu’il devienne.

Prouvons maintenant que les circonstances qui déterminent la croyance religieuse des hommes ne sont nullement en leur pouvoir.

Je demande d’abord si nous sommes les maîtres de recevoir le jour sous tel ou tel climat ; et si une fois nés dans un culte quelconque, il dépend de nous d’y asservir notre foi. Est-il une seule religion qui tienne au flambeau des passions ; et les passions qui nous viennent de Dieu, ne sont-elles pas préférables aux religions qui nous viennent des hommes ! Quel serait-il donc ce Dieu barbare qui nous punirait éternellement d’avoir douté de la vérité d’un culte dont il anéantit l’admission dans nous par le moyen des passions qui le détruisent à tout moment. Quelle extravagance ! quelle absurdité ! Et comment ne pas regretter le tems qu’on perd à dissiper de telles ténèbres ?

Mais allons plus loin, et ne laissons, s’il est possible, aucun retranchement aux imbécilles partisans du plus ridicule des dogmes.

S’il dépendait de tous les hommes d’être vertueux, et de croire tous les articles de leur religion, il faudrait encore examiner s’il serait équitable que des hommes fussent éternellement punis, soit à cause de leur faiblesse, soit à cause de leur incrédulité, quand il demeurera constant qu’il ne peut résulter aucun bien de ces supplices gratuits. Écartons le préjugé pour décider cette question, et réfléchissons sur-tout à l’équité que nous admettons dans Dieu. N’est-ce pas déraisonner que de dire que la justice de ce Dieu demande l’éternelle punition des pécheurs et des incrédules ; l’action de punir avec une sévérité disproportionnée à la faute, ne tient-elle donc pas bien plutôt de la vengeance et de la cruauté que de la justice : ainsi, prétendre que Dieu punit de cette manière, c’est évidemment le blasphêmer. Comment ce Dieu que vous peignez si bon, pourra-t-il placer sa gloire à punir ainsi les faibles ouvrages de ses mains ; assurément, ceux qui prétendent que la gloire de Dieu l’exige, ne sentent pas toute l’énormité de cette doctrine. Ils parlent de la gloire de Dieu, et ne sauraient s’en faire une idée ; s’ils étaient capables de juger de la nature de cette gloire, s’ils pouvaient s’en former des notions raisonnables, ils sentiraient que si cet être existe, il ne pourrait établir sa gloire que dans sa bonté, sa sagesse et le pouvoir illimité de communiquer le bonheur aux hommes ; on ajoute, en second lieu, pour confirmer la doctrine odieuse de l’éternité des peines, qu’elle a été adoptée par un grand nombre d’hommes profonds et de savans théologiens ; premièrement je nie le fait ; la plus grande partie d’entr’eux a douté de ce dogme ; et si l’autre a paru y ajouter foi, il est aisé de voir dans quel motif. Le dogme de l’enfer était un joug, un lien de plus dont les prêtres voulaient surcharger les hommes ; on connaît l’empire de sa terreur sur les ames faibles, et on sait que la politique a toujours besoin de la terreur dès qu’il s’agit de subjuguer.

Mais ces livres prétendus saints que vous me citez, nous viennent-ils d’une source assez pure, pour ne pouvoir rejeter ce qu’ils nous offrent ? Le plus simple examen suffit à nous convaincre que bien loin d’être, comme on ose nous le dire, l’ouvrage d’un Dieu chimérique qui n’a jamais écrit ni parlé, ils ne sont, au contraire, que celui d’hommes faibles et ignorans, et que, sous ce rapport, nous ne lui devons que de la méfiance et du mépris ; mais à supposer que ces écrivains eussent quelque bon sens, quel serait, je vous prie, l’homme assez niais pour se passionner en faveur de telle ou telle opinion, seulement parce qu’il l’aurait trouvée dans un livre ? Sans doute il peut l’adopter ; mais y sacrifier le bonheur et la tranquillité de sa vie, je le répète, il n’y a qu’un fou capable de ce procédé[13]. D’ailleurs si vous m’objectez le contenu de vos prétendus livres saints en faveur de cette opinion, ce sera dans ces mêmes livres que je prouverai l’opinion contraire.

J’ouvre l’Ecclésiaste, et j’y vois : « L’état de l’homme est le même que celui des bêtes. Ce qui arrive aux hommes et ce qui arrive aux bêtes est la même chose, Telle est la mort des uns, telle est la mort des autres ; ils ont tous un même souffle, et l’homme n’a point d’avantage sur la bête ; car tout est vanité, tout va dans le même lieu, tout a été fait de poussière, et tout retourne dans la poussière. (Eccles. Cap. 3, vers. 18 ; 19 et 20).

Est-il rien de plus décisif contre l’existence d’une autre vie que ce passage ! Est-il rien de plus propre à soutenir l’opinion contraire à celle de l’immortalité de l’ame et du dogme ridicule de l’enfer.

Quelles réflexions viennent donc à l’homme sensé, en examinant cette fable absurde de l’éternelle condamnation de l’homme dans le paradis terrestre, pour avoir mangé d’un fruit défendu ? Quelque minutieuse que soit cette fable, quelque dégoûtante que l’on la trouve, qu’on me permette de m’arrêter un moment sur elle, puisque c’est d’elle que l’on part pour l’admission des peines éternelles de l’enfer. Faut-il autre chose que l’examen impartial de cette absurdité, pour en reconnaître le néant ? O mes amis ! je vous le demande, un homme rempli de bonté planterait-il dans son jardin un arbre qui produirait des fruits délicieux, mais empoisonnés ; ou se contenterait-il de défendre à ses enfans d’en manger, en leur disant qu’ils mourront s’ils osent y toucher ? S’il savait qu’il y eut un tel arbre dans son jardin, cet homme prudent et sage, n’aurait-il pas bien plutôt l’attention de le faire abbatre, sur-tout sachant très-bien que sans cette précaution ses enfans ne manqueraient pas de se faire périr en mangeant de son fruit, et d’entraîner leur postérité dans la misère. Cependant, Dieu sait que l’homme sera perdu lui et sa race, s’il mange de ce fruit, et non-seulement il place en lui le pouvoir de céder, mais il porte la méchanceté au point de le faire séduire ; il succombe, et il est perdu ; il fait ce que Dieu permet qu’il fasse, ce que Dieu l’engage à faire, et le voilà éternellement malheureux. Peut-on rien au monde de plus absurde et de plus cruel ! Sans doute, et je le répète, je ne prendrais pas la peine de combattre une telle absurdité, si le dogme de l’enfer dont je veux anéantir à vos yeux jusqu’à la plus légère trace, n’en était une suite affreuse.

Ne voyons dans tout cela que des allégories dont il est possible de s’amuser un instant, mais qu’il serait odieux de croire, et dont il ne devrait même être permis de parler, que comme on le fait des fables d’Esope et des chimères de Milton, à la différence que celles-ci sont de peu d’importance, au lieu que celles-là en cherchant à captiver notre foi, à troubler nos plaisirs, deviennent du danger le plus évident ; et qu’il faudrait tâcher de les anéantir au point qu’on ne dût s’en occuper jamais.

Convaincons-nous donc bien que tant ces faits, que ceux qui sont consignés dans le plat roman connu sous le nom d’Écriture sainte, ne sont que des mensonges abominables, dignes du plus profond mépris, et desquels nous ne devons tirer aucune conséquence pour le bonheur ou le malheur de notre vie ; persuadons-nous, que le dogme de l’immortalité de l’ame qu’il a fallu admettre, avant que de destiner cette ame à des peines ou à des récompenses éternelles, est le plus plat, le plus grossier et le plus indigne des mensonges qu’il soit possible de faire… que tout périt en nous comme dans les animaux, et que d’après cela, telle conduite que nous ayons pu garder en ce monde, nous n’en serons ni plus heureux ni plus malheureux, après y avoir séjourné le tems qu’il plaît à la nature de nous y laisser.

On a dit que la croyance des châtimens éternels était absolument nécessaire pour contenir les hommes, et qu’il faut, d’après cela, se bien garder de la détruire. Mais s’il est évident qu’elle soit fausse cette doctrine, s’il est impossible qu’elle tienne à l’examen, ne sera-t-il pas infiniment plus dangereux qu’utile d’étayer la morale sur elle ; et n’y a-t-il pas à parier qu’elle nuira plus qu’elle ne fera de bien, dès que l’homme après l’avoir appréciée, se livrera au mal, parce qu’il l’aura reconnue fausse ; ne vaudrait-il pas cent fois mieux qu’il n’eut pas du tout de freins que d’en avoir un qu’il rompt avec tant de facilité ; dans le premier cas, l’idée du mal ne lui serait peut-être pas venue, elle lui viendra dans celui du brisement de frein, parce qu’il existe alors un plaisir de plus, et que la perversité de l’homme est telle, qu’il ne chérit et ne se livre jamais plus volontiers au mal que quand il croit trouver un obstacle à s’y abandonner ;

Ceux qui ont attentivement réfléchi sur la nature de l’homme, seront forcés de convenir que tous les dangers… tous les maux, quelques grands qu’ils puissent être, perdent beaucoup de leur pouvoir, lorsqu’ils sont éloignés, et paraissent moins à craindre que les petits, lorsqu’ils sont sous nos yeux. Il est évident que les châtimens prochains sont bien plus efficaces et bien plus propres à détourner du crime, que les châtimens à venir. À l’égard des fautes sur lesquelles les loix n’ont point de prise, les hommes n’en sont-ils pas bien plus efficacement détournés, par les motifs de santé, de décence, de réputation, et par d’autres considérations temporelles et présentes qu’ils ont sous les yeux, que par la crainte des malheurs futurs et sans fin, qui rarement se présentent à leur esprit, ou qui n’y viennent jamais que comme vagues, incertaines et faciles à éviter.

Pour juger si la crainte des châtimens éternels et rigoureux de l’autre monde est plus propre à détourner les hommes du mal, que celle des châtimens temporels et présens du monde actuel, admettons pour un moment que la première de ces craintes subsistant universellement, la dernière fût entièrement écartée ; dans cette hypothèse, l’univers ne serait-il pas aussitôt inondé de crimes ? Admettons le contraire, supposons que la crainte des châtimens éternels fût anéantie, tandis que celle des châtimens visibles demeurerait dans toute sa rigueur ; et tandis que l’on verrait ces châtimens s’exécuter immanquablement et universellement, ne reconnaîtrait-on pas pour lors, que ces derniers agiraient avec bien plus de force sur l’esprit des hommes, et influeraient bien davantage sur leur conduite, que les châtimens éloignés de l’avenir, que l’on perd de vue dès que les passions parlent ?

L’expérience journalière ne nous fournit-elle pas des preuves convaincantes du peu d’effet que la crainte des châtimens de l’autre vie, produit sur beaucoup de ceux qui en sont le plus persuadés ; il n’est point de peuples plus convaincus du dogme de l’éternité des peines que les espagnols, les portugais et les italiens ; en est-il de plus dissolus ? Se commet-il enfin plus de crimes secrets que parmi les prêtres et parmi les moines, c’est-à-dire parmi ceux qui paraissent le plus convaincus des vérités religieuses ; et cela ne prouve-t-il pas évidemment que les bons effets produits par le dogme des châtimens éternels, sont très-rares et très-incertains. Nous allons voir que ses mauvais effets sont innombrables et sûrs : en effet, une pareille doctrine en remplissant l’ame d’amertume, y jette de la divinité, les notions les plus révoltantes : elle endurcit le cœur, et le plonge dans un désespoir désavantageux à cette divinité, dont vous prétendez par ce dogme étayer le systême. Ce dogme affreux porte au contraire à l’athéïsme, à l’impiété ; tous les gens raisonnables trouvant bien plus simple de ne point croire en Dieu, que d’en admettre un assez cruel, assez inconséquent, assez barbare, pour n’avoir créé les hommes qu’à dessein de les plonger éternellement dans le malheur.

Si vous voulez qu’un Dieu soit la base de votre religion, tâchez au moins que ce Dieu soit sans défaut ; s’il en est rempli, comme est le vôtre, on détestera bientôt la religion qu’il étaie ; et par votre mauvaise combinaison, vous aurez nécessairement nui à tous les deux.

— Est-il possible qu’une religion puisse être long-tems crue, long-tems respectée, quand elle est fondée sur la croyance d’un Dieu qui doit punir éternellement un nombre infini de ses créatures, pour des penchans inspirés par lui-même ? Tout homme persuadé de ces affreux principes doit vivre dans la crainte continuelle d’un être qui peut le rendre éternellement misérable : cela posé, comment pourra-t-il jamais aimer ou respecter cet être ? Si un fils s’imaginait que son père fût capable de le condamner à des tourmens cruels, ou ne voulut pas l’exempter de les souffrir, s’il en était le maître, aurait-il pour lui du respect ou de l’amour ? Les créatures formées par Dieu ne sont-elles pas en droit d’attendre bien plus de sa bonté, que des enfans, de celle d’un père, même le plus indulgent ; n’est-ce pas la croyance où sont les hommes, que c’est de la bonté de leur Dieu qu’ils reçoivent tous les biens dont ils jouissent ; que ce Dieu les conserve et les protège ; que c’est lui qui leur procurera par la suite le bien-être qu’ils attendent ; ne sont-ce pas, dis-je, toutes ces idées qui servent de fondement à la religion ? Si vous les absorbez, il n’existe plus de religion : d’où vous voyez que votre dogme imbécille de l’enfer détruit au lieu de consolider, qu’il ébranle les bases du culte, au lieu de les affermir, et qu’il n’y eût, par conséquent, que des sots qui purent le croire, et des fripons qui peuvent l’inventer.

N’en doutons pas, cet être dont on ose nous parler sans cesse est vraiment flétri, déshonoré par les couleurs ridicules dont les hommes se servent pour nous le peindre ; s’ils ne se formaient pas des idées absurdes et déraisonnables de la divinité, ils ne la supposeraient pas cruelle ; et s’ils ne la croyaient pas cruelle, ils n’imagineraient pas qu’elle fût capable de les punir par des tourmens infinis, ou même qu’elle put consentir que les ouvrages de ses mains fussent éternellement privés du bonheur.

Pour éluder la force de cet argument, les partisans du dogme de la damnation éternelle, disent que le malheur des réprouvés n’est point un châtiment arbitraire de la part de Dieu, mais une conséquence du péché et de l’ordre immuable des choses. Et d’où le savez-vous, leur demandai-je à cela ? Si vous prétendez que l’écriture vous en instruit, vous vous trouverez bien embarrassés quand il s’agira de le prouver ; et si vous parveniez à y rencontrer un seul passage qui en parle, que de choses ne vous demanderais-je pas à mon tour pour me convaincre de l’authenticité, de la sainteté, de la véracité du prétendu passage que vous aurez trouvé en votre faveur. Est-ce la raison qui vous a suggéré ce dogme atroce ? Dites-moi, dans ce cas, comment vous réussissez à l’allier avec l’injustice d’un Dieu qui forme une créature, quoique bien certain que les décrets immuables des choses doivent éternellement l’envelopper dans un océan de malheurs. S’il est vrai que l’univers soit créé et gouverné par un être infiniment puissant, infiniment sage, il faut absolument que tout concoure à ses vues, et tourne au plus grand bien. Or, quel bien peut-il résulter, pour le plus grand avantage de l’univers, qu’une créature faible et malheureuse soit éternellement tourmentée pour des fautes qui n’ont jamais dépendu d’elle.

Si la multitude des pécheurs, des infidèles, des incrédules, était réellement destinée à souffrir des tourmens cruels et sans fin, quelle horrible scène de misère pour la race humaine ! des milliards d’hommes seraient donc impitoyablement sacrifiés à des supplices infinis ; ce serait en effet pour lors que le sort d’un être sensible et raisonnable tel que l’homme, serait vraiment horrible : quoi ! ce n’est point assez des chagrins auxquels il est condamné dans cette vie, il lui faudrait redouter encore des peines et des tourmens affreux, quand il aurait fini sa carrière ; quelle horreur ! quelle exécration ! Comment de telles idées peuvent-elles entrer dans l’esprit humain, et comment ne pas se convaincre qu’elles n’y sont le fruit que de l’imposture, du mensonge et de la plus barbare politique ? Ah ! ne cessons de nous convaincre que cette doctrine ni utile, ni nécessaire, ni efficace à détourner les hommes du mal, ne peut absolument servir de base qu’à une religion dont l’unique but serait d’assouplir des esclaves ; pénétrons-nous bien de l’idée que ce dogme exécrable a les conséquences les plus fâcheuses, vu qu’il n’est propre qu’à remplir la vie d’amertume, de terreurs et d’alarmes… à faire concevoir des idées telles, de la divinité, qu’il n’est plus possible de n’en pas renverser le culte, après avoir eu le malheur d’adopter ce qui le dégrade si formellement[14].

Certes, si nous croyons que l’univers ait été créé et soit gouverné par un être dont la puissance, la sagesse et la bonté soient infinies, nous devons en conclure que tout mal absolu doit être nécessairement exclu de cet univers ; or, il n’est pas douteux que le malheur éternel de la plus grande partie des individus de l’espèce humaine, serait un mal absolu. Quel rôle infâme vous faites jouer à cet abominable Dieu, en le supposant coupable d’une telle barbarie ; en un mot, des supplices éternels répugnent à la bonté infinie du Dieu que vous supposez : ou cessez donc de m’y faire croire, ou supprimez votre dogme sauvage des peines éternelles, si vous voulez que je puisse adopter un instant votre Dieu. N’ajoutons pas plus de foi au dogme du paradis, qu’à celui de l’enfer ; l’un et l’autre sont les atroces inventions des tyrans religieux qui prétendaient enchaîner l’opinion des hommes et la tenir courbée sous le joug despotique des souverains ; persuadons-nous que nous ne sommes que matière, qu’il n’existe absolument rien hors de nous ; que tout ce que nous attribuons, à l’ame, n’est qu’un effet tout simple de la matière ; et cela, en dépit de l’orgueil des hommes, qui nous distingue de la bête, tandis que comme elle, rendant à la matière les élémens qui nous animent, nous ne serons ni plus punis des mauvaises actions où nous auront entraîné les différens genres d’organisation que nous avons reçus de la nature, ni plus récompensés des bonnes dont nous n’aurons dû l’exercice qu’à un genre d’organisation contraire ; il est donc égal de se bien ou de se mal conduire, eu égard au sort qui nous attend après cette vie ; et si nous sommes parvenus à en passer tous les instans au centre des plaisirs, bien que cette manière d’exister ait pu troubler tous les hommes, toutes les conventions sociales ; assurément, si nous nous sommes mis à l’abri des loix, ce qui est la seule chose essentielle, alors, très-certainement, nous serons infiniment plus heureux, que l’imbécille qui, dans la crainte des châtimens d’une autre vie, se serait interdit rigoureusement dans celle-ci, tout ce qui pouvait lui plaire et le délecter ; car il est infiniment plus essentiel d’être heureux dans cette vie, dont nous sommes sûrs, que de renoncer au bonheur certain qui s’offre à nous, dans l’espoir d’en obtenir un imaginaire dont nous n’avons et ne pouvons avoir la plus légère idée. Eh ! quel a pu être l’individu assez extravagant pour essayer de persuader aux hommes qu’ils peuvent devenir plus malheureux après cette vie, qu’ils l’étaient avant que de l’avoir reçue ? sont-ce donc eux qui ont demandé à y venir ? sont-ce eux qui se sont donné les passions, qui, selon votre affreux systême, les précipitent dans des tourmens éternels ? Eh ! non, non ; ils n’étaient les maîtres de rien, et il est impossible qu’ils puissent jamais être punis de ce qui ne dépendait pas d’eux.

Mais, ne suffit-il pas de jeter un coup-d’œil sur notre misérable espèce humaine, pour se bien convaincre qu’il n’est rien dans elle qui annonce l’immortalité. Quoi, cette qualité divine, disons mieux, cette qualité impossible à la matière, pourrait appartenir à cet animal, que l’on appelle un, homme. Celui qui boit, mange, se perpétue comme les bêtes, qui n’a pour tout bienfait qu’un instinct un peu plus raffiné, pourrait prétendre à un sort si différent, que celui de ces mêmes bêtes ; cela peut-il s’admettre une minute ? Mais l’homme, dit-on, est arrivé à la sublime connaissance de son Dieu ; par cela seul, il annonce être digne de l’immortalité qu’il se suppose. Et qu’a-t-elle donc de sublime cette connaissance d’une chimère, si ce n’est que vous vouliez prétendre, que parce que l’homme est venu à bout de déraisonner sur un objet, il faut absolument qu’il déraisonne sur tous. Ah ! si le malheureux a quelqu’avantage sur les animaux, combien ceux-ci n’en ont-ils pas à leur tour sur lui ? À quel plus grand nombre d’infirmités et de maladies n’est-il pas sujet ? De quelle plus grande quantité de passions n’est-il pas victime ? Tout combiné, a-t-il donc bien réellement quelqu’avantage de plus ? Et ce peu d’avantage peut-il lui donner assez d’orgueil, pour croire qu’il doive éternellement survivre à ses frères ? O ! malheureuse humanité, à quel degré d’extravagance ton amour-propre t’a-t-il fait parvenir ? Et quand, dégagé de toutes ces chimères, ne verras-tu, dans toi-même, qu’une bête, dans ton Dieu, que le nec plus ultra de l’extravagance humaine, et dans le cours de cette vie, qu’un passage qu’il t’est permis de parcourir, au sein du vice, comme dans celui de la vertu.

Mais, permettez-moi d’entrer dans une discussion plus profonde et plus épineuse.

Quelques docteurs de l’église ont prétendu que Jésus descendit aux enfers. Combien de réfutation n’a pas souffert ce passage : nous n’entrerons pas dans les différentes dissertations qui ont eu lieu à ce sujet, elles seraient insoutenables, sans doute, à la philosophie, et c’est à elle seule que nous parlons. Il est de fait, que ni l’écriture, ni aucun de ses commentateurs, ne décide positivement, ni sur la place de l’enfer, ni sur les tourmens qu’on y éprouve : cela posé, la parole de Dieu ne nous éclaircit rien, vu que ce que l’écriture nous apprend, doit être positif et distinctement énoncé, sur-tout quand il s’agit d’un objet de la plus grande importance. Or, il est bien certain, qu’il n’y a pas, ni dans le texte hébreu, ni dans les versions grecques et latines, un seul mot qui désigne l’enfer, dans le sens que nous y attachons ; c’est-à-dire, un lieu de tourmens destiné aux pécheurs. Ce témoignage n’est-il pas bien fort, contre l’opinion de ceux qui soutiennent la réalité de ces tourmens ? S’il n’est point question de l’enfer dans l’écriture, de quel droit je vous prie, prétend-on admettre une pareille notion ? Sommes-nous forcés en religion, d’admettre autre chose que ce qui est écrit : or, si cette opinion ne l’est pas, si elle ne se trouve nulle part, en vertu de quoi l’adopterions-nous ? Nous ne devons point nous occuper l’esprit de ce qui n’a point été révélé ; et tout ce qui n’est pas dans ce cas, ne peut légitimement être regardé par nous, que comme des fables, des suppositions vagues, des traditions humaines, des inventions de l’imposture. À force de rechercher, on trouve néanmoins qu’il y avait un lieu près de Jérusalem, nommé la vallée de la Gehenne, dans laquelle on exécutait les criminels, et dans laquelle aussi se jetaient les cadavres des animaux. C’est de ce lieu dont veut parler Jésus dans ses allégories, lorsqu’il dit : illic erit fletus et stridor dentium. Cette vallée était un lieu de gêne, un lieu de supplice ; et c’est incontestablement d’elle dont il parle dans ses paraboles, dans ses inintelligibles discours. Cette idée est d’autant plus vraisemblable, que le supplice du feu s’employait dans cette vallée. On y brûlait les coupables tout vifs, d’autres fois on les enfonçait jusqu’aux genoux dans le fumier. On leur mettait autour du cou une pièce d’étoffe, que deux hommes tiraient chacun de leur côté, afin de les étrangler, et de leur faire ouvrir la bouche, dans laquelle on leur versai du plomb fondu, qui leur brûlait les entrailles ; et voilà le feu, voilà le suplice, dont parlait le galiléen. Ce péché, (dit-il souvent), mérite d’être puni par la gêne du feu ; c’est-à-dire l’infracteur doit être brûlé dans la vallée de la Gehenne, ou être jeté à la voirie, et brûlé avec les cadavres des animaux que l’on déposait en ce lieu. Mais le mot éternel, dont Jésus se sert souvent en parlant de ce feu, ne ramène-t-il pas à l’opinion de ceux qui croyent que les flammes de l’enfer, n’auront point de fin ? Non sans doute. Ce mot éternel, souvent employé dans l’écriture, ne nous a néanmoins jamais donné l’idée que des choses finies. Dieu avait fait avec son peuple une alliance éternelle ; et cependant cette alliance a cessé. Les villes de Sodome et de Gomorhe devaient brûler éternellement ; et cependant il y a bien long-tems que cet incendie a cessé[15]. D’ailleurs, il est de notoriété publique, que le feu qui existait dans la vallée de la Géhenne, près, de Jérusalem, brûlait nuit et jour. Nous savons aussi que l’écriture se sert souvent d’hiperboles, et qu’on ne doit jamais prendre ce qu’elle dit à la lettre. Faut-il, d’après ces exagérations, corrompre, comme on le fait, le véritable sens des choses ; et ne sont-ce pas véritablement de tels amplificateurs qui doivent être regardés comme les plus certains ennemis du bon sens et de la raison.

Mais de quelle nature est-il donc ce feu dont on nous menace ? 1°. Il ne peut être corporel, puisqu’on nous dit que notre feu n’en est qu’une faible image ; 2°. un feu corporel éclaire le lieu où il se trouve, et l’on nous assure que l’enfer est un lieu de ténèbres ; 3°. le feu corporel consume promptement toutes les matières combustibles, et finit par se consumer lui-même, au lieu que le feu de l’enfer doit durer toujours et consumer éternellement ; 4°. le feu de l’enfer est invisible, il n’est donc point corporel, puisqu’il est invisible ; 5°. le feu corporel s’éteint faute d’alimens, et le feu de l’enfer, selon notre absurde religion, ne s’éteindra jamais ; 6°. le feu de l’enfer est éternel, et le feu corporel n’est que momentané : 7°. on dit que la privation de Dieu sera le plus grand des supplices pour les damnés ; cependant nous éprouvons dans cette vie que le feu corporel est pour nous un beaucoup plus grand supplice que l’absence de Dieu.

8°. Enfin un feu corporel ne saurait agir sur les esprits ; or les démons sont des esprits, donc le feu de l’enfer ne saurait agir sur eux ; dire que Dieu peut faire en sorte qu’un feu matériel agisse sur des esprits ; qu’il fera vivre et subsister ces esprits sans alimens, et qu’il fera durer le feu sans matières combustibles, c’est recourir à des suppositions merveilleuses qui n’ont pour garant que les sottes rêveries des théologiens ; et qui, par conséquent, ne prouvent que leur bêtise ou leur méchanceté.

Conclure de ce que tout est possible à Dieu, que Dieu fera tout ce qui est possible, est sans doute une étrange façon de raisonner. Les hommes devraient bien se garder de fonder leurs rêveries sur la toute-puissance de Dieu, quand ils ne savent pas même ce que c’est que Dieu ; pour éluder ces difficultés, d’autres théologiens nous assurent que le feu de l’enfer n’est pas corporel, mais spirituel. Qu’est-ce, je vous prie, qu’un feu spirituel ; qu’est-ce qu’un feu qui n’est point matière ; quelles idées peuvent s’en former ceux qui nous en parlent ; dans quel endroit, Dieu leur a-t-il déclaré qu’elle était la nature de ce feu ? Cependant quelques docteurs, pour concilier les choses, ont dit qu’il était en partie spirituel et en partie matériel ; ainsi, voilà deux feux de différentes espèces en enfer ? quelle absurdité ! Où la superstition n’est-elle pas obligée d’avoir recours, quand elle veut établir ses mensonges.

Il est inoui le fatras d’opinions ridicules qu’il a fallu de même inventer, quand on a voulu statuer quelque chose de vraisemblable sur le local de ce fabuleux enfer ; le sentiment le plus général avait été qu’il se trouvait dans les régions les plus basses de la terre ; mais où sont, je vous prie, ces régions dans un globe qui tourne sur lui-même ; d’autres ont dit qu’il était au centre de la terre ; c’est-à-dire, à quinze cents lieues de nous ; mais si l’écriture a raison, la terre sera détruite : et si elle l’est, où se trouvera l’enfer ; Alors vous voyez dans quel déraisonnement l’on est entraîné, lorsqu’on s’en rapporte aux écarts de l’esprit des autres ; des raisonneurs moins extravagans prétendent, comme je viens de vous le dire, que l’enfer consistait dans la privation de la vue de Dieu ; en ce cas l’enfer commence déjà dans ce monde. Car nous n’y voyons point ce Dieu dont il s’agit ; nous n’en sommes pourtant pas très-affligés ; et si vraiment ce Dieu bisarre existait, comme on nous le dépeint, ne doutons pas que ce ne fut à le voir que l’enfer consisterait alors pour les hommes.

Toutes ces incertitudes et le peu d’accord qui subsiste entre les théologiens, nous font voir qu’ils errent dans les ténèbres, et que comme les gens ivres, ils ne peuvent trouver de point d’appui ; et n’est-il pas néanmoins bien surprenant qu’ils ne puissent s’accorder sur un dogme aussi essentiel, et qu’ils trouvent, disent-ils, si clairement expliqué dans la parole de Dieu.

Convenez donc, canaille tonsurée, que ce dogme si redoutable est destitué de fondement, qu’il est le produit de votre avarice, de votre ambition, et l’enfant des égaremens de votre esprit, qu’il n’a pour point d’appui que les craintes du vulgaire imbécille, à qui vous enseignez à recevoir, sans examen, tout ce qu’il vous plaît de lui dire ; reconnaissez donc enfin que cet enfer n’existe que dans votre cerveau, et que les tourmens que l’on y endure sont les inquiétudes dont vous vous plaisez à accabler les mortels, qui se laissent guider par vous ; pénétrés de ces principes, renonçons donc pour jamais à une doctrine effrayante pour les hommes, injurieuse pour la divinité, et que rien, en un mot, ne peut raisonnablement prouver à l’esprit.

Différens argumens s’offrent encore, je me crois obligé de les combattre. 1°. La crainte, dit-on, que tout homme éprouve au-dedans de lui-même de quelque châtiment à venir, est une preuve indubitable de la réalité de ce châtiment. Mais cette crainte n’est point innée, elle ne vient que de l’éducation, elle n’est pas la même dans tous les pays, ni chez tous les hommes ; elle n’existe pas chez ceux dans qui les passions anéantissent tous les préjugés ; la conscience, en un mot, n’est jamais modifiée que par l’instruction, que par les passions et par l’habitude.

2°. Les payens ont admis le dogme de l’enfer… Non comme nous certainement ; et à supposer qu’ils l’ayent admis, puisque nous rejetons leur religion, ne devons-nous rejeter de même leurs dogmes ; mais, certes, jamais les payens n’ont cru à l’éternité des peines de l’autre vie ; ils n’ont jamais admis la fable pitoyable de la résurrection des corps, et voilà pourquoi ils les brûlaient, et conservaient leurs cendres dans des urnes ; ils croyaient à la métempsycose, à la transmigration des corps, opinion très-vraisemblable, et dans laquelle nous confirment toutes les études de la nature ; mais jamais les payens ne crurent à la résurrection ; cette idée absurde appartient toute entière au christianisme, et certes elle était bien digne de lui ; il paraît constant que c’est dans Platon et dans Virgile que nos docteurs ont puisé les notions des enfers, du paradis et du purgatoire, qu’ils ont ensuite arrangées à leur manière : avec le tems, les rêveries informes de l’imagination des poëtes se sont changées en article de foi.

3°. La saine raison prouve le dogme de l’enfer et de l’éternité des peines. Dieu est juste, il doit donc punir les crimes des hommes… Eh ! non, non, jamais la saine raison ne put admettre un dogme qui l’outrage aussi sensiblement.

4°. Mais la justice de Dieu y est compromise… Autre atrocité : le mal est nécessaire sur la terre ; il est donc de la justice de votre Dieu, s’il existe, de ne pas punir ce que lui-même a prescrit ; s’il est tout-puissant, votre Dieu, avait-il besoin de punir le mal pour l’empêcher ? ne pouvait-il pas l’extirper totalement de chez les hommes ? s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il l’a cru essentiel au maintien de l’équilibre ; et d’après cela, comment, vils blasphémateurs ! pouvez-vous dire que Dieu puisse punir un mode essentiel aux loix de l’univers ?

5°. Tous les théologiens s’accordent à croire et à prêcher les peines de l’enfer… Cela prouve-t-il autre chose, si non que les prêtres, si désunis entr’eux, s’entendent cependant toutes les fois qu’il s’agit de tromper les hommes. Et d’ailleurs, les rêveries ambitieuses et intéressées des prêtres romains doivent-elles fixer les opinions des autres sectes ? Est-il raisonnable d’exiger que tous les hommes croyent à ce qu’il a plu au plus méprisable et au plus petit nombre d’entre eux d’inventer ; faut-il donc plutôt s’en rapporter à ces fourbes qu’à la raison, au bon bons sens et à la vérité ? c’est la vérité qu’il faut suivre, et non la multitude ; il faudrait bien plutôt s’en rapporter à un seul homme qui dit vrai, qu’aux hommes de tous les âges, qui débitent des mensonges.

Les autres argumens qui se présentent portent tous un tel caractère de faiblesse, que c’est perdre du tems qu’essayer de les réfuter ; tous ces argumens n’étant appuyés ni sur l’écriture ni sur la tradition, doivent nécessairement tomber d’eux-mêmes ; on nous allègue le consentement unanime ; le peut-on quand il ne se trouve pas deux hommes qui raisonnent de la même manière sur l’une des choses qui paraît pourtant la plus importante de la vie ?

Au défaut de bonnes raisons, tous ces Croque-Dieu vous menacent ; mais il y a long-tems que l’on sait que la menace est l’arme du faible et de la stupidité. Ce sont des raisons qu’il nous faut, imbécilles enfans de Jésus, oui, ce sont des raisons et non pas des menaces : nous ne voulons pas que vous nous disiez ; vous sentirez ces tourmens, puisque vous ne voulez pas les croire ; nous voulons, et c’est ce dont vous ne pouvez venir à bout, que vous nous démontriez en vertu de quoi, vous prétendez nous les faire croire.

La crainte de l’enfer, en un mot, n’est point un préservatif contre le péché… Elle n’est véritablement indiquée nulle part… elle n’est visiblement que le fruit de l’imagination déréglée des prêtres, c’est-à-dire, des individus qui forment la classe la plus vile et la plus méchante de la société… À quoi sert-elle donc ? je défie qu’on puisse me le dire. On nous assure que le péché est une offense infinie, et doit être par conséquent infiniment puni ; cependant Dieu lui-même, n’y a voulu attacher qu’un châtiment fini, et ce châtiment est la mort.

Concluons d’après tout cela, que le dogme puéril de l’enfer, est une invention des prêtres, une supposition cruelle, hasardée par des coquins à rabats, qui ont commencé par ériger un Dieu aussi plat, aussi méprisable qu’eux, pour avoir le droit de faire dire à cette dégoûtante idole, tout ce qui pouvait le mieux flatter leurs passions, et leur procurer sur-tout des files ou de l’argent, seuls objets de l’ambition d’un tas de fainéans, vil rebut de la société, et dont ce qu’elle devrait faire de plus sage, serait de se purger radicalement[16]. Bannissez donc à jamais de vos cœurs une doctrine qui contredit également et votre Dieu et votre raison. Tel est incontestablement le dogme qui a produit le plus d’athées sur la terre, n’y ayant pas un seul homme qui n’aime mieux ne rien croire que d’adopter un fatras de mensonges aussi dangereux ; voilà pourquoi tant d’ames honnêtes et sensibles se croyent forcées de chercher dans l’irréligion absolue, des consolations et des ressources contre les terreurs dont l’infâme doctrine chrétienne s’efforce de les accabler. Dégageons-nous donc de ces vaines frayeurs ; foulons à jamais aux pieds, les dogmes, les cérémonies, les mystères de cette abominable religion. L’athéïsme le plus enraciné vaut mieux qu’un culte dont on vient de voir les dangers. Je ne sais quel inconvénient il peut y avoir à ne rien croire du tout ; mais certes, je sens bien tous ceux qui peuvent naître de l’adoption de ces dangereux systêmes.

Voilà, mon cher Saint-Fond, ce que j’avais à te dire sur ce dogme infâme de l’enfer, qu’il cesse de t’effrayer et de glacer tes plaisirs. Il n’y a d’autre enfer pour l’homme que la sottise et la méchanceté de ses semblables ; mais dès qu’il a fini de vivre, tout est dit ; son anéantissement est éternel. Et rien de lui ne survit ; qu’il serait dupe d’après cela, de refuser quelque chose à ses passions ! qu’il songe qu’il n’est créé que pour elles, et pour les satisfaire à quelqu’excès quelles puissent l’entraîner, et que tous les effets de ces passions de quelque genre qu’on les ait reçu, sont des moyens par lesquels on sert la nature dont nous sommes perpétuellement les agens sans nous en douter, et sans que nous puissions nous en défendre. Je vous rends maintenant l’idée d’un Dieu dont je ne me suis un moment servie, que pour combattre le systême des peines éternelles ; mais il n’est pas plus de Dieu que de Diable, pas plus de paradis que d’enfer ; et les seuls devoirs que nous ayons à remplir dans le monde, sont ceux de nos plaisirs, abstraction faite de tous intérêts sociaux, parce qu’il n’en est aucun que nous ne devions immoler à l’instant aux plus légers de nos désirs.

En voilà, j’espère, suffisamment pour te prouver l’absurdité du principe sur lequel tu fondes ton inutile cruauté ; examinerai-je ses moyens, non en honneur ils n’en valent pas la peine ; comment as-tu pu croire qu’une signature avec du sang eut d’abord plus d’effet qu’une autre, qu’en suite ce papier fouré dans le cul, c’est-à-dire un peu de matière sur de la matière, put devenir un passe-port auprès de Dieu ou du diable, c’est-à-dire, auprès d’un être qui n’existe pas. C’est un enchaînement de préjugés si singuliers, que cela ne mérite pas en vérité l’honneur d’une réfutation : remplace l’idée voluptueuse qui t’échauffe la tête, cette idée d’une prolongation de supplice sur le même objet, remplace là par une plus grande abondance de meurtres ; ne tue pas plus long-tems un même individu, ce qui est impossible, mais assassines-en beaucoup d’autres, ce qui est très-faisable. Est-il rien de si mesquin que de te borner à six victimes par semaine ; rapporte-t’en aux soins et à l’intelligence de Juliette, pour doubler et tripler ce nombre, donne-lui l’argent nécessaire ; rien ne te manquera, et tes passions seront satisfaites.

À merveille, répondit Saint-Fond, cette dernière conclusion je l’adopte, et de ce moment-ci, Juliette, je vous préviens qu’au lieu de trois victimes par souper, j’en veux six, et qu’au lieu de deux soupers dans le même intervalle, j’en ferai quatre, ce qui portera le nombre des victimes à vingt-quatre par semaine, dont un tiers d’hommes, et les deux tiers de femmes. Vous serez payée en conséquence ; mais je ne me rends pas, mesdames, aussi facilement à votre profonde dissertation sur la nullité des peines de l’enfer, je rends justice à l’érudition, que l’on y voit régner… à son but… à quelques-unes de ses conséquences : l’admettre, c’est ce que je ne puis, et voici ce que je lui oppose.

Il paraît d’abord que d’un bout à l’autre de votre raisonnement, vous ne cherchez qu’à disculper Dieu de la barbarie du dogme de l’enfer ; si Dieu existe, dites-vous presqu’à chaque phrase, les qualités dont il doit être doué, sont toutes incompatibles avec cet exécrable dogme ; mais voilà précisément où vous tombez, selon moi, dans la plus lourde erreur, et cela, faute d’une philosophie assez profonde, assez lumineuse pour vous faire voir juste sur cette matière. Le dogme de l’enfer gêne vos plaisirs, et vous partez delà pour soutenir qu’il n’y a point d’enfer ; quelle foi voulez-vous qu’on ait dans une opinion si pleine d’égoïsme : afin de combattre le dogme certain des peines éternelles, vous commencez gratuitement par détruire tout ce qui l’étaye ; il n’y a point de Dieu, nous n’avons point d’ame, donc il ne peut y avoir de supplices à craindre dans une autre vie ; il me semble que vous commencez ici par la plus grande faute que l’on puisse commettre en logique, qui est de supposer ce qui est en question ; bien éloigné de penser comme vous, j’admets un être-suprême, et bien plus constamment encore l’immortalité de nos ames ; mais que vos dévots enchantés de ce début, n’aillent point partir de là, pour s’imaginer avoir fait un prosélite de moi, je doute que mes systêmes leur plaisent, et de quelqu’extravagance que vous puissiez les taxer, je vais néanmoins vous les offrir.

Je lève les yeux sur l’univers, je vois le mal, le désordre et le crime, y régner partout en despotes ; je rabaisse mes regards sur l’être le plus intéressant de cet univers. Je le vois également paîtri de vices, de contradictions, d’infâmies ; quelles idées résultent de cet examen ? que ce que nous appelons improprement le mal, ne l’est réellement point, et que ce mode est d’une telle nécessité aux vues de l’être qui nous a créés, qu’il cesserait d’être le maître de son propre ouvrage, si le mal n’existait pas universellement sur la terre ; bien convaincu de ce systême, je me dis : il existe un Dieu : une main quelconque, a nécessairement créé tout ce que je vois, mais elle ne l’a créé que pour le mal, elle ne se plaît que dans le mal ; le mal est son essence, et tout celui qu’elle nous fait commettre, est indispensable à ses plans ; que lui importe que je souffre de ce mal, pourvu qu’il lui soit nécessaire. Ne semble-t-il pas que je sois son enfant chéri ? Si les malheurs dont je suis accablé depuis le jour de ma naissance jusqu’à celui de ma mort, prouvent son insouciance envers moi, je puis très-bien me tromper sur ce que j’appelle mal. Ce que je caractérise ainsi relativement à moi, est vraisemblablement un très-grand bien relativement à l’être qui m’a mis au monde ; et si je reçois du mal des autres, je jouis du droit de leur rendre, de la facilité même de leur en faire le premier ; voilà dès-lors le mal un bien pour moi, comme il l’est pour l’auteur de mes jours relativement à mon existence ; je suis heureux du mal que je fais aux autres comme Dieu est heureux de celui qu’il me fait ; il n’y a plus erreur que dans l’idée attribuée au mot ; mais dans le fait, voilà et le mal nécessaire, et le mal un plaisir, pourquoi dès-lors ne l’appelerai-je pas un bien ?

N’en doutons pas, le mal, ou du moins ce que nous nommons ainsi, est absolument utile à l’organisation vicieuse de ce triste univers. Le Dieu qui l’a formé est un être très-vindicatif, très-barbare, très-méchant, très-injuste, très-cruel ; et cela, parce que la vengeance, la barbarie, la méchanceté, l’iniquité, la scélératesse, sont des modes nécessaires aux ressorts de ce vaste ouvrage, et dont nous ne nous plaignons que quand ils nous nuisent : patiens, le crime a tort, agens, il a raison. Or, si le mal, ou du moins ce que nous nommons tel, est l’essence, et de Dieu qui a tout créé, et des individus formés à son image, comment ne pas être certain que les suites du mal doivent être éternelles. C’est dans ; le mal qu’il a créé le monde, c’est par le mal qu’il le soutient ; c’est pour le mal qu’il le perpétue ; c’est imprégnée de mal que la créature doit exister ; c’est dans le sein du mal qu’elle retourne après son existence. L’ame de l’homme n’est que l’action du mal sur une matière déliée, et qui n’est susceptible d’être organisée que par lui : or, ce mode étant l’ame du créateur, comme il est celle de la créature, ainsi qu’il existait avant cette créature qui en est paîtrie, il existera de même après elle. Tout doit être méchant, barbare, inhumain comme votre Dieu, voilà les vices que doit adopter celui qui veut lui plaire, sans néanmoins aucun espoir d’y réussir ; car le mal qui nuit toujours, le mal qui est l’essence de Dieu, ne saurait être susceptible d’amour ni de reconnaissance. Si ce Dieu centre du mal et de la férocité, tourmente et fait tourmenter l’homme par la nature et par d’autres hommes pendant tout le tems de son existence, comment douter qu’il n’agisse de même, et peut-être involontairement sur ce souffle qui lui survit, et qui, comme je viens de vous le dire, n’est autre chose que le mal lui-même ; mais comment, allez-vous m’objecter, le mal peut-il être tourmenté par le mal ? parce qu’il s’augmente en retombant sur lui-même, et que la partie admise doit nécessairement être écrasée par la partie qui admet ; cela, par la raison qui soumet toujours la faiblesse à la force. Ce qui survit de l’être naturellement mauvais, et ce qui doit lui survivre, puisque c’est l’essence de sa constitution, existante avant lui, et qui existera nécessairement après, en retombant dans le sein du mal, et n’ayant plus la force de se défendre, parce qu’il deviendra le plus faible, sera donc éternellement tourmenté par l’essence entière du mal, à laquelle il sera réuni ; et ce sont ces mollécules malfaisantes qui dans l’opération d’englober celles, que ce que nous appelons la mort réunit à elles, composent ce que les poëtes et les imaginations ardentes ont nommé démons. Aucun homme, comme vous le voyez, quelque soit sa conduite en ce monde, ne peut échapper à ce sort affreux, parce qu’il faut que tout ce qui est émané du sein de la nature, c’est-à-dire de celui du mal, y rentre ; telle est la loi de l’univers. Ainsi, les détestables élémens de l’homme mauvais, s’absorbent dans le centre de la méchanceté, qui est Dieu, pour retourner animer encore d’autres êtres, qui naîtront d’autant plus corrompus, qu’ils seront le fruit de la corruption.

Que deviendra, me direz-vous, l’être bon ? mais il n’existe point d’être bon ; celui que vous nommez vertueux, n’est point bon ; où s’il l’est vis-à-vis de vous, il ne l’est sûrement pas vis-à-vis de Dieu, qui n’est que le mal, qui ne veut que le mal, et qui n’exige que le mal. L’homme dont vous parlez n’est que faible, et la faiblesse est un mal. Cet homme, comme plus faible que l’être absolument et entièrement vicieux, et par conséquent comme plutôt englobé par les mollécules malfaisantes, auxquelles sa dissolution élémentaire le réunira, souffrira beaucoup davantage : et voilà ce qui doit engager tous les hommes à se rendre en ce monde les plus vicieux, les plus méchans possibles ; afin que plus semblables aux mollécules où ils doivent se rejoindre un jour, ils aient dans cet acte de réunion, infiniment moins à souffrir de leur poids sur eux. La fourmi tombant dans un tourbillon d’animaux, qui de son énergie écraserait tout ce qui se joindrait à lui, aurait, par le peu de défense qu’elle opposerait, infiniment plus à souffrir de cette réunion, que ne le ferait un gros animal, qui pouvant opposer plus de prise, ne serait entraîné qu’avec plus de mollesse. Plus l’homme aura manifesté de vices et de forfaits en ce monde, plus il se sera rapproché de son invariable fin, qui est la méchanceté ; moins il aura par conséquent à souffrir, en s’unissant au foyer de la méchanceté, que je regarde comme la matière première de la composition du monde. Que l’homme se garde donc bien de la vertu, s’il ne veut pas être exposé à des maux affreux ; car, la vertu étant le mode opposé au systême du monde, tous ceux qui l’auront admise, sont sûrs d’endurer, après cette vie, d’incroyables supplices, par la peine qu’ils auront à rentrer dans le sein du mal… auteur et régénérateur de tout ce que nous voyons.

Quand vous avez vu que tout était vicieux et criminel sur la terre, leur dira l’Être suprême en méchanceté, pourquoi vous êtes-vous égaré dans les sentiers de la vertu ; vous annonçai-je par quelque chose, que ce mode fût fait pour m’être agréable. Et les malheurs perpétuels dont je couvrais l’univers ne devaient-ils pas vous convaincre que je n’aimais que le désordre, et qu’il fallait m’imiter pour me plaire. Ne vous donnai-je pas chaque jour l’exemple de la destruction ; pourquoi ne détruisiez-vous pas ? Les fléaux dont j’écrasais le monde, en vous prouvant que le mal était toute ma joie, ne devaient-ils pas vous engager à servir mes plans par le mal. On vous disait que l’humanité devait me satisfaire ; et quel est-il donc l’acte de ma conduite où vous m’ayez vu bienfaisant ? Est-ce en vous envoyant des pestes, des guerres civiles, des maladies, des tremblemens de terre, des orages ; est-ce en secouant perpétuellement sur vos têtes tous les serpens de la discorde, que je vous persuadais que le bien était mon essence ? Imbécille ! que ne m’imitais-tu ? Pourquoi résistais-tu à ces passions, que je n’avais placé dans toi que pour te prouver combien le mal m’était nécessaire ? Il fallait suivre leur organe, dépouiller comme moi sans pitié la veuve et l’orphelin, envahir l’héritage du pauvre, faire en un mot servir l’homme à tous tes besoins… tous tes caprices comme je le fais. Que te revient-il d’avoir pris comme un sot une route contraire, et comment les élemens moëlleux, émanés de ta dissolution, vont-ils sans se briser, t’occasionner les plus vives douleurs, rentrer maintenant dans le sein de la malfaisance et du crime ?

Plus philosophe que vous, Clairwil, vous le voyez, je n’ai pas recours comme vous, ni à ce polisson de Jésus, ni à ce plat roman de l’écriture sainte, pour vous démontrer mon systême ; c’est dans la seule étude de l’univers que je cherche des armes pour vous combattre, et c’est, par la seule manière dont il est gouverné, que je vois comme indispensable, la nécessité du mal éternel et universel dans le monde. L’auteur de l’univers est le plus méchant, le plus féroce, le plus épouvantable de tous les êtres. Ses œuvres ne peuvent être autre chose, ou que le résultat, ou que le mouvement de la scélératesse. Sans la plus extrême période de la méchanceté, rien ne se soutiendrait dans l’univers ; le mal est cependant un être moral, et non pas un être créé ; un être éternel et non périssable : il existait avant le monde ; il constituait l’être monstrueux… exécrable qui put créer un monde aussi bisarre. Il existera donc après les créatures qui peuplent ce monde ; et c’est dans lui qu’elles rentreront toutes, pour recréer d’autres êtres plus méchans encore, et voilà pourquoi l’on dit que tout se dégrade, que tout se corrompt en vieillissant ; cela ne vient que de la rentrée et de la sortie perpétuelle des élémens méchans dans le sein des mollécules malfaisantes.

Vous allez me demander, peut-être maintenant, comment même dans cette hypothèse, j’arrange la possibilité de faire souffrir un être plus long-tems, au moyen d’un billet introduit dans l’anus ! C’est la chose du monde la plus simple, et j’ose même dire la plus sûre et la moins réfutable ; si j’ai bien voulu la nommer faiblesse, c’est que je ne croyais pas que vous me missiez au point de vous dévoiler mes systêmes. Je défends ma méthode maintenant, et j’en prouve la bonté.

Mes victimes arrivées au sein du mal, avec les preuves qu’elles ont souffert dans mes mains, tout ce qu’il était possible d’endurer, rentrent alors dans la classe des êtres vertueux ; je les bonifie par mon opération ; elle rend leur adjonction aux mollécules malfaisantes d’une difficulté assez grande, pour que les douleurs soient énormes ; et par des loix d’attraction essentielles à la nature, elles doivent être de la même espèce que celles que je leur aurai fait souffrir en ce monde. Ainsi que l’aimant attire le fer ; ainsi que la beauté aiguise les appétits charnels ; de même les douleurs A, les douleurs C, les douleurs B, s’appellent, s’enchaînent. L’être exterminé de ma main par la douleur B, je suppose, ne rentrera au sein des mollécules malfaisantes que par la douleur B ; et si cette douleur B est la plus affreuse possible, je suis sûr que ma victime en endurera de semblables en se réunissant au sein du mal qui attend nécessairement tous les hommes, et qui, par les loix d’attraction dont je viens de vous parler, ne les adopte que dans le même sens où elles sont sorties de l’univers ; — mais le billet : — n’est qu’une formalité, j’y consens… inutile peut-être, mais qui satisfait mon esprit, et qui ne peut avoir rien de contraire au véritable sens… au succès assuré de mon opération.

Voilà, reprit Clairwil, le plus étonnant, le plus singulier, j’oserai dire le plus bisarre de tous les systêmes qui se soit encore présenté, sans doute, à l’esprit de l’homme. Il est moins extravagant que celui que vous venez de mettre au jour, dit Saint-Fond ; vous êtes obligé, pour soutenir le vôtre, ou de laver Dieu de ses torts, ou de le nier ; moi je l’admets avec tous ses vices ; et certes, aux yeux de ceux qui connaîtront bien tous les crimes, toutes les horreurs de cet être bisarre, que les hommes ne prient, et n’appellent bon que par crainte ; aux yeux de ces gens-là, dis-je, mes idées paraîtront moins irrégulières que celles que vous avez exposées. Ton systême, dit Clairwil, ne prend sa source que dans la profonde horreur que tu as pour Dieu. — Cela est vrai, je l’abhorre ; mais la haîne que j’ai pour lui, n’a point enfanté mon systême ; il n’est le fruit que de ma sagesse et de mes réflexions. J’aime mieux, dit Clairwil, ne pas croire en Dieu que m’en forger un pour le haïr. Qu’en pense Juliette ? Profondément athée, répondis-je, ennemie capitale du dogme de l’immortalité de l’ame, je préférerai toujours ton systême à celui de Saint-Fond ; et j’aime mieux la certitude du néant que la crainte d’une éternité de douleurs. Et voilà, dit Saint-Fond, toujours ce perfide égoïsme, qui devient la cause de toutes les erreurs des hommes. On arrange ses plans, d’après ses goûts, ses caprices, et toujours en s’éloignant de la vérité. Il faut laisser là les passions quand on examine un systême de philosophie. Ah ? Saint-Fond, dit Clairwil, comme il serait aisé de faire voir que le tien n’est le fruit que de ces passions auxquelles tu veux que l’on renonce, en étudiant. Avec moins de cruauté dans le cœur, tes dogmes seraient moins sanguinaires ; et tu aimes mieux encourir toi-même l’éternelle damnation dont tu parles, que de renoncer à la délicieuse jouissance d’en effrayer les autres. Va, Clairwil, interrompis-je, tel est son seul but en développant ce systême ; ce n’est qu’une méchanceté de sa part, mais il n’y croit pas. — Vous vous trompez, j’y crois ; et vous voyez bien que mes actions sont en tout point conformes à ma manière de penser : persuadé que le supplice de la réunion aux mollécules malfaisantes, sera très-médiocre pour l’être aussi malfaisant qu’elles, je me couvre de crimes en ce monde pour avoir moins à souffrir dans l’autre. Quant à moi, dit Clairwil, je m’en souille parce qu’ils me plaisent, parce que je les crois une des manières de servir la nature ; et que rien ne survivant de moi, il importe bien peu comme je me serai conduit dans ce monde.

Nous en étions là, lorsque nous entendîmes une voiture entrer dans la cour ; on annonça Noirceuil ; il parut, conduisant un jeune homme de seize ans, plus beau que l’amour même. Qu’est-ce ceci, dit le ministre ? en venant d’analyser l’enfer, veux-tu me donner l’occasion de le mériter un peu ? Il ne tiendra qu’à toi, dit Noirceuil, et tu peux te damner à merveille avec ce bel enfant, je ne l’amène ici que pour cela ; il est le fils de la marquise de Rose, que tu fis mettre, il y a huit jours, à la Bastille, sous un vain prétexte de conspiration, qui n’avait, à ce que j’imagine, pour but, que de te procurer de l’argent et la jouissance de ce bel enfant ; la marquise sachant nos liaisons, m’a fait implorer ; je me suis fait donner un ordre, par tes premiers commis, pour la voir, et nous avons jasé ce, matin ; voici le résultat, de ma négociation, dit Noirceuil, en poussant le jeune Rose dans les bras du ministre, fouts et signe ; j’ai de plus, cent mille écus à te remettre… Il est joli dit Saint-Fond, en baisant le jeune homme…, extrêmement joli ; mais il arrive dans un bien mauvais moment… nous avons fait des horreurs ; je suis excédé… Je suis tranquille sur cela, dit Noirceuil, et tu trouveras dans les charmes de cet enfant, tout ce qu’il faudra, pour te rendre à la vie. Rose et Noirceuil qui n’avaient point soupé, se mirent à table dès qu’ils eurent fini ; Saint-Fond dit qu’il voulait que je fusse en tiers dans les plaisirs qu’il se promettait avec ce jeune homme, et que Noirceuil coucherait avec Clairwil ; cet arrangement, parut plaire à tous deux, et l’on se retira.

Il me faudra beaucoup de choses, dit Saint-Fond, dès que nous fûmes tous trois seuls, et quelque joli que soit ce bel enfant, je sens que j’aurai beaucoup de peine à bander ; déculotte le moi, Juliette, releve sa chemise sur ses reins, en laissant agréablement tomber sa culotte au bas des cuisses ; j’aime à la folie, cette manière d’offrir un cul ; et comme celui que je présentais était vraiment délicieux, Saint-Fond pollué par moi, le baise fort long-tems, en branlant le vit du jeune homme, que nous vîmes bientôt dans le plus brillant état ; suce-le, me dit mon amant ; moi je vais le gamahucher ; pendant ce tems-là il faut le faire décharger entre nous deux ; ensuite Saint-Fond, jaloux du foutre que j’allais pomper, voulût changer de place avec moi, ce qui s’exécuta si bien, qu’à peine eût-il le vit du jeune homme dans la bouche, qu’il se la sentit remplir de la plus abondante éjaculation ; il l’avala. Oh ! Juliette, me dit-il, que j’aime à me substanter de cette agréable nourriture !… c’est de la crême ; puis ayant dit à l’enfant de se mettre au lit, et de ne pas s’endormir sur-tout, que nous ne l’eussions rejoint, il me fit passer dans son boudoir.

Juliette, me dit-il, il faut que je t’instruise des particularités d’une affaire dont Noirceuil lui-même n’est pas très au fait. La marquise de Rose, l’une des plus belles femmes de la cour, fut autrefois ma maîtresse, et l’enfant que tu vois ici m’appartient : il y a deux ans que je suis amoureux de ce jeune homme, sans que jamais la comtesse ait voulu consentir à me le livrer ; mon crédit n’étant pas encore bien assis, je ne voulus rien risquer ; mais voyant dernièrement ma faveur s’élever sur les débris de la sienne, je n’ai plus balancé à la rendre suspecte pour me venger, et d’avoir joui d’elle, et de s’être opposé à ce que je jouisse de son fils ; tu vois qu’elle a peur maintenant, elle me l’envoye, en vérité, dans un moment où, après avoir beaucoup déchargé pour lui depuis dix-huit mois, je ne m’en soucie plus que très-médiocrement ; cependant, comme il y a d’assez jolies branches de crimes dans toute cette aventure, je vais les cueillir et m’amuser. Premièrement, je veux bien prendre les cent mille écus de la comtesse, je veux bien foutre son fils ; mais pour sa sortie de la bastille, elle ne se fera jamais que dans un coffre. — Que veux-tu dire par cette expression ? — Elle est claire ; la comtesse ignore que si elle perdait son fils, quoique son parent de fort loin, je serais pourtant son seul héritier ; dans un mois la putain n’existera plus, et quand j’aurai bien foutu monsieur son cher fils cette nuit, nous lui ferons prendre une tasse de chocolat demain matin, qui detournera bientôt en ma faveur, l’héritage qu’il aurait pu faire. — Quelle complication de crimes ! — Tu vois qu’il y a de quoi me faire rentrer là bien mollement dans le sein des mollécules malfaisantes. — Oh ! vous êtes un homme étonnant, et la chose en vaut-elle au moins la peine. — Cinq cent mille livres de rente, Juliette, et je les gagne avec vingt sols d’arsenic. Allons, foutre ; tu vois, poursuivit-il, en me mettant à la main son vit très-dur et très-ferme, tu vois l’empire d’une idée criminelle sur mes sens, je n’aurais jamais raté de femme si j’avais été bien sûr de la tuer après.

Le jeune Rose nous attendait ; nous nous couchâmes près de lui. Saint-Fond le couvrit des caresses les plus luxurieuses ; nous le branlâmes, nous le suçâmes, nous le gamahuchâmes, et comme l’imagination agissait fortement, Saint-Fond eut bientôt foutu le bardache ; je lui branlais le trou du cul avec la langue, et tout énervé qu’il était, sa décharge fut pourtant des plus longues et des plus copieuses. Il exigea de moi de me la faire rendre dans la bouche ; ce libertinage me plaisait excessivement, je souscrivis à tout : il fallut ensuite que le jeune Rose m’encula, pendant qu’il le foutait une seconde fois, et puis Saint-Fond me traita de même, en gamahuchant le cul du jeune homme, que nous finîmes par épuiser, à force de le faire décharger ou dans nos ou dans nos culs. Vers la pointe du jour, Saint-Fond, dégoûté sans être satisfait, m’ordonna de lui tenir l’enfant, et il lui déchira les fesses à coups de martinets, ensuite il le battit, et le molesta cruellement. Sur les onze heures le chocolat se servit ; j’eus soin, par les ordres du ministre, de jeter ce qui devait assurer l’héritage à mon amant ; et lui par un insigne rafinement de cruauté, voulut pendant que je préparais le poison du fils, donner l’ordre au commandant de la bastille, d’administrer celui de la mère.

Allons, me dit Saint-Fond, dès qu’au moyen de nos fourberies, la mort se fut introduite dans les veines de ce malheureux enfant, allons, voilà ce que j’appelle une bonne matinée ; que l’être suprême des malfaisances daigne m’en envoyer seulement quatre comme celle-là par semaine, et je te remercierai de tout mon cœur.

Noirceuil déjeûnait toujours avec Clairwil, en nous attendant ; aucun de nos secrets ne fût révélé, et le ministre repartit pour Paris, avec l’enfant et son ami ; Clairwil me ramena seule.

Pour ne plus revenir sur cette aventure, Vous saurez, mes amis, que ce crime, comme tous ceux de Saint-Fond, fut couronné du plus grand succès ; peu de tems après, il fut en possession d’un héritage, du revenu duquel il voulut bien me compter deux années d’avance, pour avoir partagé son crime.

Chemin faisant, Clairwil me fit quelques questions, que j’eus l’art d’éluder, sans la satisfaire ; déguiser les actes luxurieux, fut devenu inutile ; elle ne m’aurait pas cru ; mais je dissimulai, le reste, et Saint-Fond m’en sut gré ; je profitai de cette route, pour rappeler à mon amie la promesse qu’elle m’avait faite de m’admettre dans son club libertin ; elle me promit que cette réception aurait lieu à la première assemblée, et nous nous quittâmes.


Fin du sixième Volume.

fouré: fourré cîme: cime surs: sûrs cotté: coté déifique: déïfique enconeras: enconneras fîs: fis lens: lents goutes: gouttes soudoye: soudoie entre collonnemens: entre-colonnements

  1. Cela est aisé à comprendre, on fait ce que personne ne fait ; on est donc unique dans son genre. Voilà la pâture de l’orgueil.
  2. Les voilà, les voilà, ces monstres de l’ancien régime ; nous ne les avons pas promis beaux, mais vrais ; nous tenons parole.
  3. Ce systême d’ailleurs se trouve amplement développé plus loin.
  4. Voyez les mémoires de la marquise de Frène. Le dictionaire des hommes illustres, etc. etc.
  5. On sait que Saint-Croix, amant de la Brinvilliers, mourut en composant un poison violent, dont la recette se trouvera plus loin. Il avait mis un masque de verre, pour éviter de respirer les exhalaisons ; la violence du venin, brisa le masque, et le chimiste expira, L’imprudente Brinvilliers réclama sur-le-champ la cassette où son amant renfermait ses autres poisons, voilà ce qui la trahit. Cette cassette fut ensuite portée à la Bastille, et ce qu’elle renfermait, a servi a tous les meurtres de la famille de Louis XV.
    Cette femme célèbre fut convaincue d’avoir également empoisonné ses deux frères et sa sœur, et eut la conséquence la tête tranchée en 1679.
  6. C’est du Maréchal dont on parle ici.
  7. Expression de Brantome, au même article que l’on va citer de lui tout, à l’heure.
  8. Tome I des vices des Dames galantes de son tems, édition de Londres, 1666, in-1 2 ; peut-être aurions-nous dû copier littéralement l’auteur cité ? deux raisons nous en ont empêché ; la première est que ces citations forment toujours des bigarrures désagréables ; La seconde, que Brantôme n’a fait qu’esquisser ce que nous avons voulu peindre avec plus d’énergie, sans toutefois nous écarter de la vérité.
  9. Tout ceci n’est qu’un faible apperçu de ce que le lecteur trouvera sur cette importante matière, dans les volumes suivans.
  10. On saura bientôt ce que c’était.
  11. Femmes lubriques et emportées, lisez avec attention ces conseils, ils s’adressent à vous comme à Juliette, et vous devez, si vous avez de l’esprit, en tirer comme elle le plus grand parti ; le plus ardent desir de votre bonheur nous les suggère ; vous n’atteindrez jamais à ce bonheur pour lequel nous travaillons en vous adressant ceci ; non, jamais vous l’atteindrez, si ces sages avis ne deviennent la seule base de votre conduite.
  12. L’enfer, dit un homme d’esprit, est le foyer de la cuisine qui fait bouillir en ce monde la marmite sacerdotale ; elle fut fondée en faveur des prêtres ; c’est pour qu’ils fassent bonne chère que le Père éternel, qui est leur premier cuisinier, met en broche ceux de ses enfans qui n’auront point eu pour leurs leçons la déférence qui leur est due ; aux festins de l’agneau, les élus mangeront des incrédules grillés, des riches en fricassés, des financiers à la sauce robert, etc. etc. Voyez la Théologie portative, page 106.
  13. Eusèbe, dans son histoire, lib. 3, cap. 25, dit que l’épître de Jacques, celle de Juda, la 2e de S. Pierre, la 2e et la 3e de S. Jean, les actes de S. Paul, la révélation de S. Pierre, l’épître de Barnabé, les institutions apostoliques et les livres de l’apocalypse n’étaient nullement reconnus de son tems.
  14. O toi ! qui, dit-on, a créé tout ce qui existe dans le monde ; toi, dont je n’ai pas la moindre idée ; toi que je ne connais que sur parole et sur ce que des hommes, qui se trompent tous les jours, peuvent m’avoir dit ; être bisarre et fantastique que l’on appelle Dieu, je déclare formellement, authentiquement, publiquement, que je n’ai pas dans toi la plus légère, croyance, et cela par l’excellente raison que je ne trouve rien, ni dans mon cœur, ni dans mon esprit qui puisse me persuader une existence absurde, dont rien au monde n’atteste la solidité : si je me trompe, et que lorsque je n’existerai plus, tu viennes à me prouver mon erreur, et qu’alors, ce qui est contre toutes les loix de la vraisemblance et de la raison, tu viennes à me convaincre de cette existence si fortement niée par moi maintenant, qu’arrivera-t-il ? tu me rendras heureux ou malheureux. Dans le premier cas, je t’admettrai, je te chérirai ; dans le second, je t’abhorrerai : Or, s’il est clair qu’aucun homme raisonnable ne puisse faire un autre calcul que celui-là, comment avec la puissance qui doit composer le premier de tes attributs, si tu existes, comment, dis-je, laisse-tu l’homme dans une alternative aussi injurieuse à ta gloire !
  15. Le lac Asphalite existe actuellement sur l’emplacement de Sodôme et de Gomorhe ; donc l’incendie n’existe plus ; les flammes qui s’apperçoivent quelquefois en ce lieu y proviennent des volcans dont il est environné ; c’est ainsi que l’Etna et le Vésuve brûlent toujours ; jamais les villes dont il s’agit, ne brûlèrent d’une autre façon.
  16. Quels sont les seuls et les vrais perturbateurs de la société ? — Les prêtres. Qui sont ceux qui débauchent journellement nos femmes et nos enfans ? — Les prêtres. Quels sont les plus dangereux ennemis d’un gouvernement quelconque ? — Les prêtres. Quels sont les fauteurs et instigateurs des guerres civiles ? — Les prêtres. Qui nous empoisonne perpétuellement de mensonges et d’impostures ? — Les prêtres. Qui nous vole, jusqu’à notre dernier soupir ? — Les prêtres. Qui abuse de notre bonne-foi et de notre crédulité dans le monde ? — Les prêtres. Qui travaille le plus constamment à l’extinction totale du genre humain ? — Les prêtres. Qui se souille le plus de crimes et d’infamies. — Les prêtres. Quels sont les hommes de la terre les plus dangereux, les plus vindicatifs et les plus cruels ? — Les prêtres ; et nous balançons à extirper totalement cette vermine pestilentielle de dessus la surface du globe… Nous méritons donc tous nos maux.