Les Batailles de l’Aisne/02

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Les Batailles de l’Aisne
Revue des Deux Mondes6e période, tome 46 (p. 799-846).
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LES
BATAILLES DE L’AISNE

II. [1]
LA BATAILLE DE 1914


I. — DE LA MARNE A L’AISNE

« L’éternel champ de bataille » : ainsi nous avons qualifié cette région de l’Aisne où, à toutes les époques de notre histoire, — les plus reculées et les plus proches, — les armées se sont heurtées. Champ de bataille où, après César, après Clovis, après les petits-fils de Charlemagne, après les Capétiens, après Jeanne d’Arc, après Mazarin, Napoléon était apparu, y jouant sa fortune et la perdant ; champ de bataille encore où, du 10 au 13 septembre 1914, les armées françaises étaient ramenées derrière l’ennemi, battu, en de mémorables journées, sur la Marne et courant vers le Nord. C’était dans ce massif de l’Aisne, c’était dans cette forteresse naturelle dont nous avons dit le formidable caractère, que forcément l’Allemand, en mauvais arroi, devait chercher à se réfugier pour y faire tête à nos armées victorieuses. C’était vers elle qu’il nous entraînait. C’était devant elle que, des mois, des années, nous devions mettre le siège avant de pouvoir en conquérir, au cours de l’année 1917 seulement, la première muraille.

Telle était cependant, dans les journées du 11 et du 12


CARTE POUR SUIVRE LES CARTES DE LA BATAILLE DE 1914


septembre 1914, la situation, que l’on pouvait se demander si les Allemands, battus sur toute la ligne de la Marne, n’allaient pas retraiter vers la frontière et si, partant, il y aurait même bataille de l’Aisne. Le 12 encore, le maréchal French, arrivé cependant en face de la falaise du Sud, admettra comme « établi » que les Allemands « ne tiendraient pas sur la ligne de l’Aisne et allaient dès lors être obligés de reculer jusqu’à la Meuse. » Le général Joffre dont j’ai dit, en essayant de conter la victoire de la Marne, qu’il possédait cette « tête froide » que Napoléon tenait pour « la première qualité d’un général en chef », n’admettait point la chose comme si « établie. » Il était avéré que, devant Maunoury, devant French, devant Franchet d’Esperey, devant Foch, après de durs combats, l’ennemi reculait, qu’il commençait à lâcher pied devant Langle de Cary et Surrail. Mais deux hypothèses s’offraient que, dans sa « tête froide, » Joffre examinait. Ou l’ennemi, battu, désemparé, démoralisé, ayant manqué son coup sur Paris et son attaque brusquée sur la France, allait, sans s’accrocher aux lignes de l’Aisne et de l’Oise, se rabattre sur la Meuse, et il le fallait vigoureusement reconduire. Ou, s’agrippant à ces lignes, il essaierait d’y faire front sérieusement ; et alors il se faudrait garder de s’y briser, mais bien plutôt tenter de tourner le massif soit à l’Est, soit, de préférence, à l’Ouest.

Le massif restait en effet celui qu’avaient, à tous les âges, de César à Napoléon, affronté avec appréhension les armées qui s’y heurtaient. Si l’antique Bibrax des Rémois s’était écroulé, si le Coucy des Enguerrand avait été en partie jeté bas, la forteresse naturelle restait, du massif de Saint-Gobain aux dernières pentes de Craonne, celle que nous avons décrite, et la falaise du Sud en particulier s’élevait, de Soissons à Pontavert, avec le même redoutable aspect qui avait fait repousser à Napoléon cette idée d’un assaut que Blücher lui avait un instant prêtée, l’avait jeté immédiatement vers la plaine champenoise, à l’Est, comme, dix-neuf siècles avant, César vers le Beauvaisis, à l’Ouest. Par surcroit, il était croyable que, s’ils s’arrêtaient là, les Allemands allaient utiliser, avec leur particulier génie de la fortification, la moindre terrasse, le plus mince couloir, la plus petite anfractuosité, que, non contents de relever les défenses existantes, ils sauraient se créer des « Camps de César » et des « châteaux de Coucy » de fortune, et qu’en un mot, ils feraient promptement de ce massif ce que les ennemis de César et de Napoléon eux-mêmes n’auraient su faire : une forteresse inexpugnable.

Sans doute pourrait-on tenter de les suivre d’assez près et de les poursuivre avec assez de vigueur, non seulement pour les rejeter au-delà de la rivière, mais pour les bousculer entre Aisne et Ailette, — et la chose était possible, puisque Maud’huy l’allait précisément faire. Et en ce cas, peut-être, — s’ils n’étaient qu’à moitié résolus à tenir là, ou si, pour quelque raison, ils en étaient empêchés, — arriverait-on à les reconduire au-delà du Chemin des Dames et de l’Ailette ; mais même rejetés de ce double mur d’enceinte, les petits-neveux de Blücher n’avaient-ils pas la ressource du vieux chef de guerre germain : le donjon imprenable de Laon ? Et si, après le redoutable mur, le donjon imprenable lui-même devait être enlevé, de quel prix se paieraient de pareils assauts ?

Puisque le dispositif de la bataille déjà livrée offrait à Joffre des ressources que, ni César, ni Napoléon n’avaient connues, puisque les armées de gauche étaient victorieuses de Nanteuil-le-Haudoin à Fère-Champenoise, puisque Maunoury, en particulier, était en quelque sorte tout porté par sa victoire de l’Ourcq vers l’Oise, et, de là, pouvait gagner la Haute-Somme, pourquoi ne tournerait-on pas simplement le massif par Compiègne, Lassigny, Roye et Péronne, ou tout au moins Noyon et la Fère, tandis que French le tâterait de front, que d’Esperey tenterait de le déborder à l’Est ?

Aucun doute n’est possible sur la pensée du général en chef. S’il ne cesse de presser les armées de son centre d’agir vigoureusement, s’il ne perd pas de vue le plateau de Craonne et la trouée que cette position domine à l’Est, c’est à Maunoury qu’il revient sans cesse ; c’est à lui qu’il a destiné dans la seconde bataille qui s’engage, entre Oise et Meuse, le rôle « décisif » : « Il faut prévoir, lui écrit-il dès le 11, que l’ennemi, faisant tête sur l’Aisne, il vous serait difficile d’attaquer de front et il paraît nécessaire que vous ayez le plus tôt possible des forces remontant la rive droite de l’Oise pour déborder l’aile droite ennemie, » Et nous verrons Joffre insister, à peu près tous les jours, sur la nécessité de tourner la position. Sa pensée s’est précisée dès le 12 très formellement : « Afin de déborder l’ennemi par l’Ouest, la sixième armée, laissant un fort détachement dans l’Ouest du massif de Saint-Gobain pour assurer en tout état de cause la liaison avec l’armée anglaise, portera progressivement ses gros sur la rive droite de l’Oise. » La préoccupation constante est de fortifier, de grossir, d’allonger l’armée Maunoury à l’Ouest du massif. C’est d’elle, finira-t-il par crier, que « dépend actuellement le sort de la bataille engagée. » Quelles causes empêcheront cette manœuvre d’avoir son effet, je le dirai dans la mesure compatible avec la discrétion encore nécessaire. Mais sur la pensée stratégique de Joffre, il ne fallait pas qu’un doute restât : le massif de l’Aisne devait être sans doute abordé au Sud, ne fût-ce que pour « fixer l’ennemi », il devait être plus sûrement tourné à l’Ouest. Ce fut le principe de la bataille de l’Aisne de 1914.

A dire vrai, la tendance des lieutenants de Joffre n’était pas, à cette heure, tout à fait conforme à ses intentions. Ces « généraux de la Marne » qui, de l’Ourcq à l’Ornain, venaient de servir, d’une façon si parfaite, la conception du Haut Commandement, y étaient arrivés, j’ai tenté de le montrer ailleurs[2], par la pratique d’une étroite et heureuse solidarité. Se soutenant et souvent se secourant l’un l’autre spontanément, ils n’avaient cessé de rester liés, dans un relatif contact qu’en aucun point l’ennemi n’avait pu briser.

Les chefs gardaient de cette première expérience une tendance au coude à coude qui d’ailleurs ne leur était point particulière et se manifestait aux échelons inférieurs, puisque, au cours de la bataille, un des lieutenants de Maunoury devait signaler à ses divisionnaires comme un vrai danger « ce souci exagéré de la liaison et de l’alignement », ajoutant que, « chacun marchant carrément et résolument sur son objectif, la liaison se trouverait par-là même réalisée. » Ces fortes paroles eussent pu avec profit s’adresser en haut comme en bas. Plus particulièrement, — nos Alliés l’ont depuis reconnu avec une bonne grâce qui me libère de tout scrupule, — le maréchal French, aussi prudent que vaillant, éprouvait depuis le début de la campagne une constante appréhension de rester, si peu que ce fût, isolé. Il avait comme excuse ce qu’il appelle lui-même « la faiblesse de son armée. » Aussi ne cessait-on de recommander que nos Alliés « fussent toujours très fortement encadrés sur leurs deux flancs. » Le Maréchal se trouvant entre les armées Maunoury, à sa gauche, et d’Esperey à sa droite, le Haut Commandement lui-même prescrivait aux deux généraux français de rester liés d’une façon très étroite avec les Anglais : comme le général d’Esperey, nous le verrons, était amené à appuyer assez fortement à droite vers la région de Reims, le souci qu’avait le Maréchal de rester « lié » l’entraînait à son tour vers l’Est ; mais, par ailleurs, presque insensiblement, le général Maunoury, soucieux de satisfaire aux inquiétudes du Maréchal, serrait sur lui et, prolongeant sa droite vers Soissons, était par elle retenu de telle façon, qu’à peine son extrême gauche pouvait enjamber l’Oise.

Dès l’abord, la tendance à appuyer à droite fut manifeste, et c’est parce que le point de départ de la bataille de l’Aisne est bien au soir de celle de la Marne, qu’il faut en quelques mots revenir sur la poursuite.


A gauche des armées françaises, la 6e armée (Maunoury) restait, depuis le soir du 9 septembre, maîtresse du champ de bataille de l’Ourcq ; Klück, en pleine retraite, se repliait vers le Nord-Est ; la 6e armée, ayant reçu mission de gagner le Nord en appuyant sa droite à l’Ourcq, était déjà amenée à obliquer un peu vers l’Est avec la rivière : « aller vers le Nord, » pour les vainqueurs d’entre Meaux et Senlis, c’était marcher droit sur Compiègne, la gauche sur Clermont, la droite tout au plus sur Vic-sur-Aisne : dès l’abord, le champ de bataille en eût été singulièrement élargi, et Klück débordé sur sa droite. Précédée du corps de cavalerie Bridoux, la 6e armée s’orientait cependant dans la direction Compiègne-Soissons : le 11, elle portait ses avant-gardes sur Pierrefonds-Chaudun ; mais le Haut Commandement, dans la pensée que l’on sait, donnait l’ordre au 13e corps, prélevé sur la 1re armée (des Vosges), de venir renforcer et allonger la gauche de l’armée Maunoury. Le 12, le quartier général de celui-ci était à Villers-Cotterets : ses troupes commençaient à rencontrer une résistance assez sérieuse « appuyée par des obusiers lourds ; » c’étaient, de la gauche à la droite, le 7e corps (Vauthier), le 6e groupe de divisions de réserve (Ebener), le 4e corps (Boelle), le 5e groupe (de Lamaze).

Déjà, la gauche tentant de franchir l’Oise à Verberie, la droite, — le groupe Lamaze, — bordait. l’Aisne, assurant la liaison de l’armée avec les Anglais. Mais les troupes étant fatiguées, Maunoury demandait un jour de repos. D’autre part, le commandant de la 6e armée, se rendant compte qu’il était, pour la mission qui lui était confiée, tiré trop à droite, demandait lui-même à « désaxer » sa direction « pour la porter plus à l’Ouest, de manière à déborder franchement la droite ennemie qui semblait être à Saint-Just. » Il lui semblait que « les Anglais, en confiance avec nous, ne craignaient plus que nous les livrions à eux-mêmes. » A dix-neuf heures, le front atteint par la 6e armée était sur le plateau occidental entre Aisne et Oise, vers Tracy-le-Mont, Moulin-sous-Touvent, Vingré, Nouvion, et sur les bords de l’Aisne, de Fontenoy à Soissons. Le groupe de Lamaze trouvant les ponts détruits, la 55e division s’installait ù Soissons ; la 45e, extrême droite de Maunoury, par une passerelle imparfaitement détruite, jetait cependant quelques éléments de sa 89e brigade sur la rive droite.

Les Anglais étaient arrivés à peu près à la même heure sur la rive gauche de l’Aisne qu’ils comptaient passer entre Soissons et Bucy-le-Long : le 1er corps (Douglas Haig) visant Bourg et Comin, le 2e (Smith-Dorrien) Vailly, et le 3e (Pulteney) Bucy-le-Long ; le 11, la cavalerie (Allenby et Gough) débouchait sur la rive gauche. C’est alors que, trouvant les ponts détruits, et instruits que l’aile droite de la 6e armée rencontrait, à l’Ouest de Soissons, une vive résistance, ils s’étaient arrêtés en face de la rivière. « D’après certains indices, recueillis tout le long de la ligne, écrit French, je me formai l’opinion que l’ennemi avait, pour le moment du moins, suspendu sa retraite et se préparait à disputer le passage de l’Aisne avec quelque vigueur. » Le Maréchal cependant tenait pour momentanée cette résistance ennemie et se préparait à rétablir les ponts, d’accord avec les soldats de Maunoury à sa gauche, avec ceux de Franchet d’Esperey à sa droite.

Cette armée d’Esperey (la 5e), qui venait de bousculer autour de Montmirail le IIe corps allemand, s’était alors jetée sur les traces de l’ennemi, le 48e corps à gauche, 3e au centre et 1re à droite. Le général de Maud’huy, avec l’allant d’un jeune sous-lieutenant, s’était, à la tête du 18e, lancé à la poursuite et avait atteint, dès le 9 au soir, la Marne à Château-Thierry où, par malheur, il était resté immobilisé, alors qu’il eût pu se jeter, semble-t-il, au-delà de la rivière, contre le flanc de Klück, en retraite devant Maunoury. Peut-être, d’une façon générale, eût-il été préférable que la 5e armée fût alors nettement dirigée vers le Nord, où elle eût encore bousculé, le 10, les arrière-gardes et les convois de la Ire armée allemande. Mais la liaison particulièrement étroite que l’envoi du 10e corps à Foch établissait entre les 5e et 9e armées, tirait le général d’Esperey vers la Champagne. Son armée s’orientait donc non vers le Nord, mais vers le Nord-Est, puisque, le 10, elle donnait comme point de direction au 18e corps (Maud’huy) Vailly, au 4e groupe, (Valabrègue) Brenne, au 3e corps (Hache) Bazoche, au 1er corps (Deligny), Courville, tandis que le 10e corps restait provisoirement lié au sort de la 9e armée qui, ayant bousculé la garde dans l’inoubliable journée de Fère-Champenoise, s’avançait, à travers les marais de Saint-Gond, vers la Marne qu’elle allait franchir dans la région de Châlons, en direction de Vouziers. « Se liant étroitement aux Anglais, » d’Esperey continuait sa marche vers la région de Reims, ne comptant aborder le massif que par le corps Maud’huy, à l’extrémité du plateau de Craonne.

Ce vaillant 18e corps montrait un « cran » qui excitait l’admiration du général d’Esperey. Le général de Maud’huy lui avait fait passer son « diable au corps » et n’ayant pu, selon son gré, foncer sur le flanc de Klück, rêvait d’aller relancer l’ennemi sur le plateau de l’Aisne avant qu’il eût pu s’y installer. Il s’était rapidement engagé dans la vallée de la Vesle et, malgré l’encombrement des routes et la pluie diluvienne, il arrivait, le 11 au soir, dans les environs de Fismes quand il apprit que le corps de cavalerie Conneau s’était heurté, à Fismes même, à une forte résistance et n’avait pu la vaincre. D’Esperey, qui, le 11 au soir, ignorait l’échec de la cavalerie à Fismes, poussait ses corps, le groupe Valabrègue, vers Berry-au-Bac, Guignicourt, Juvincourt, la trouée de Champagne, le 3e corps vers Saint-Thierry et Thillois, en direction de Brimont, le 1er  vers Reims. Cependant « les corps d’aile gauche devraient être prêts à s’orienter, le cas échéant, au Nord de l’Aisne, pour agir contre les forces allemandes signalées vers Soissons. »

Dans la journée du 11, le 3e corps enlevait les hauteurs de Saint-Thierry au Nord-Ouest de Reims, tandis que les 1er  et 10e poussaient leurs avant-gardes jusqu’aux faubourgs de la ville.

Le 18e corps étant arrêté par l’accrochage de la cavalerie à Fismes, ordre lui fut donné d’intervenir : ayant ouvert le passage, il se porterait vers l’Aisne, la franchirait, aborderait le « plateau de Vieux Laon, » — notre Bibrax de César, — et pousserait, de l’autre côté de l’Ailette, jusqu’au château de La Bove, tandis que le groupe Valabrègue jetterait ses avant-gardes vers Amifontaine et Prouvais, dans la trouée. On pensait que la résistance qu’on commençait à rencontrer sur toute la ligne n’ « avait pour but que de gagner du temps » et on espérait partout la vaincre.

Maudh’uy porta, le 12, sa 38e division sur Fismes où l’ennemi continuait à disputer le passage et, à 15 heures, les ponts de Fismes étaient enlevés après un combat court, mais vigoureux, et le 18e corps forçait partout le passage de la petite rivière et marchait enfin vers l’Aisne.

Ainsi, le 12 au soir, les trois armées qui, dans l’esprit du Haut Commandement, devaient livrer bataille entre Oise et Champagne, étaient, de la région de Compiègne à celle de Reims, à pied d’œuvre. L’extrême gauche de Maunoury franchissait l’Oise, extrême gauche que le 13e corps, s’acheminant vers la région, devait prolonger au-delà de la rivière ; les autres éléments de la 6e armée avaient passé l’Aisne, de Choisy-au-Bac à Fontenoy ; son extrême droite était arrêtée, de Fontenoy à Soissons. L’armée anglaise garnissait les plateaux, au Sud de l’Aisne qu’elle comptait passer entre Soissons et Œuilly. L’armée d’Esperey, nettement dirigée vers le Nord-Est, pouvait, par son 48e corps, — après les combats de Fismes, — déboucher entre Pontavert et Berry-au-Bac ; par le groupe Valabrègue, elle était en face de la trouée dominée par La Ville aux Bois, par son 3e corps en face de Brimont, par son 1er dans les faubourgs de Reims, par son 10e, en face de Berru et la Pompelle. Les armées alliées présentaient ainsi entre Oise et Suippes une ligne continue, étroitement liée, presque trop étroitement, puisque la nécessité pour le général d’Esperey d’assurer sa droite vers la Suippes entraînait, grâce, à ce souci de la liaison, la masse de nos forces un peu trop vers l’Est et avait pour lointaine conséquence, en désaxant la direction générale, de retenir Maunoury vers l’Aisne, quand c’était sur la rive droite de l’Oise qu’on attendait qu’il tournât le massif, menacé par les autres.


L’ennemi allait-il résister sur la ligne de l’Aisne ?

Au vrai, il se sentait bien battu et la lecture des carnets de route et lettres saisis postérieurement, montre que, moins que nous encore, les soldats allemands, et leurs officiers surtout, s’y trompaient. Les dépêches échangées entre les grands chefs et le grand quartier impérial accusaient, — en haut, — un désarroi qui allait jusqu’à l’exaspération, puisque entre Bülow et Klück, commandant les IIe et Ire armées, entre Klück et l’état-major de Moltke ; la mésentente avait été jusqu’à la fureur. Mais en bas surtout, la démoralisation était grande. Dès le 9, le bruit avait couru que « la gauche française, ayant rejeté notre aile droite », écrit un aviateur, il allait falloir reculer et ce sergent Schlichting nous permet de revivre l’effarement de cette retraite devant la menace d’un enveloppement de la Ire armée : « Les troupes se retiraient rapidement et essayaient de se rassembler à la hauteur de Reims où elles devaient, disait-on, recevoir du renfort de la VIIe armée. » La nouvelle que « la cavalerie française avait franchi la Marne et serait sur nous en très peu de temps » obligeait les aviateurs eux-mêmes à se jeter sur leurs appareils et « c’est en fuite rapide que nous continuions notre retraite. » « Nous reculons dans une bousculade épouvantable, » écrit, de son côté, un lieutenant saxon du 177e d’infanterie qui, à la vérité, ajoute avec une pointe de doute explicable : « Bien que nous ayons, dit-on, été victorieux. » Pas plus que ce lieutenant saxon, le médecin-major de Stalzahn n’est déjà très persuadé qu’une retraite si précipitée soit la suite logique d’une victoire, quand « le soir arrivent toutes sortes de nouvelles sur la marche en avant des Français et de leur percée entre la Ire et la IIe armée. » Je pourrais multiplier ces citations. C’était bien « le cœur lourd » que, comme l’armée Klück, toutes les armées battaient en retraite et il n’est guère douteux que si toutes n’opéraient point leur « repli » « dans une bousculade épouvantable, » des corps de cavalerie français eussent pu, sur tous les points, du 10 au 12, rendre générale cette « bousculade » et ainsi consommer notre victoire. On abandonnait blessés en masse, obus par millions, parfois voitures et canons. Et, la mort dans l’âme, on lâchait rapidement ces villes déjà tenues pour proies assurées : Château-Thierry, Épernay, Châlons, Compiègne, Beauvais, Soissons, à plus forte raison l’espoir d’entrer à Paris. L’armée allemande, battue, était en partie démoralisée et, par surcroit, Klück aussi irrité contre le haut commandement qu’on l’était contre lui au grand quartier impérial.

Le 11 septembre, l’armée Klück battait en retraite dans la direction Nord-Est, — suivant la voie que cent ans avant, après son échec sur l’Ourcq et sous la menace d’une attaque de flanc de Napoléon, le vieux Blücher avait, on se le rappelle, suivie de fort mauvaise humeur. Elle retraitait entre l’Oise et la ligne Braine-Laon, la IIe armée Bülow opérant sa retraite à l’Ouest de cette dernière ligne sans arriver à recréer tout à fait la liaison rompue au cours de la précédente bataille. Le 12, la Ire armée, composée des IXe, IVe corps, IVe de réserve, IIe et IIIe corps, — la plus formidable, — s’étendait de l’Oise à peu près à la ligne de chemin de fer de Soissons à Laon ; elle reculait devant l’armée Maunoury, qu’elle pouvait attendre, si elle n’était tournée par elle, sur les plateaux entre Oise et Aisne, de Noyon à Soissons. La IIe année occupait les plateaux orientaux, entre Soissons et Corbeny, par ses VIIe corps et Xe de réserve, tandis que son Xe corps et la Garde tenaient la trouée de Champagne, la IIIe armée (Hausen) la prolongeant de la région de Reims à la Suippe par ses XIIe de réserve, XIIe et XIXe corps. Un corps de cavalerie essayait d’assurer la liaison entre l’armée Klück et le groupe de l’Est.

En plaine, l’armée allemande eût été singulièrement en péril. Mais le massif de l’Aisne lui offrait le fort retranchement que l’on sait : des gens que les circonstances obligeaient à transformer la guerre de mouvement en guerre de positions et qui, d’ailleurs, s’y étaient éventuellement préparés, devaient être tentés par une des plus belles « positions » qui se put rêver.

On a beaucoup dit, et jusqu’aujourd’hui, que, tout en jetant sur la Marne, à destination de Paris, leurs armées enivrées d’orgueil, les Allemands avaient, avec soin, préparé, derrière elles, un champ de bataille formidablement organisé grâce à la confection de retranchements auxquels nous nous serions ensuite heurtés et brisés. Certains même ont prétendu que, secrètement reconnues par eux avant la guerre, les creutes, champignonnières, carrières du plateau, avaient été, bien avant, machinées de telle façon que, d’avance, l’état-major allemand avait pu décréter que là se briserait notre effort ide réaction possible. J’ai interrogé depuis 1914 bien de nos combattants, interrogé en 1917 des habitants de la région et il en résulte que « les positions formidables de l’Aisne » doivent être d’ores et déjà classées, — j’entends parler de celles de mi-septembre 1914, — parmi les légendes historiques. La preuve d’ailleurs est que, le 13, nous le verrons, de fortes reconnaissances anglaises et françaises qui purent franchir le Chemin des Dames, non seulement descendirent sur l’Ailette, mais, passant le marécage, parurent sur le plateau septentrional, notamment à Chermizy. Comment nos gens y fussent-ils arrivés s’ils avaient dû passer à travers un système de fortifications même ébauché et s’en revenir sains et saufs ?

En réalité, nous le verrons, notre échec devant les plateaux de l’Aisne va tenir à une tout autre cause, qu’aujourd’hui, il n’y a aucun inconvénient à indiquer puisqu’elle a été proclamée à la tribune même du Parlement : la soudaine paralysie de l’action par l’absence de munitions d’artillerie. En 1914, il était impossible, il eût été criminel, on le comprend, de dire sur ce point la vérité : l’état-major français se trouva donc obligé d’admettre en apparence l’explication de l’état-major adverse dont l’orgueil s’accommodait fort de ces fameuses « positions formidables préparées à l’avance, » car la légende lui permettait de traiter de « combats d’avant-gardes » les batailles de la Marne : les « positions formidables de l’Aisne » prouvaient que là seulement l’« incomparable armée » avait entendu affronter les Français après les y avoir attirés : ainsi était restauré le prestige de son infaillibilité stratégique comme de sa supériorité tactique. Le malheur est qu’il n’y avait pas de positions formidables et même fort peu de positions préparées ; mais la légende, grossie de détails romanesques, plut à tous, y compris la mirifique histoire de Klück venant, dès 1913, explorer, en touriste, les champignonnières de l’Aisne.

Ce qui est vrai, c’est que l’armée allemande, battue et décontenancée du haut en bas, n’eût même pas tenu sur ce massif, si, pressée vivement par une armée à la fois résolue et fraîche, elle n’avait pas eu le temps de s’y asseoir. Mais notre armée arrivait fatiguée, de l’aveu de ses chefs, jusqu’à l’hallucination, privée d’une partie de ses cadres par suite du véritable massacre d’officiers qu’avaient vu les premières semaines de guerre, retardée par ces embarras que signalent la plupart des généraux et par un temps devenu affreux, enfin décontenancée par des barrages d’artillerie lourde que nos 75 ne purent, — et pour cause, — faire cesser.

Les Allemands qui, très probablement, n’excluaient pas de leurs hypothèses l’abandon du massif s’ils y étaient talonnés, eurent quarante-huit heures pour s’y retrancher et, s’il s’agit de certaines parties déjà abandonnées, pour y revenir. Les habitants de Chermizy, — de l’autre côté de l’Ailelle, — ont vu les Allemands en retraite sur Laon le 12, ne refluer vers le Sud que passé le 14 et refranchir la vallée de l’Ailette. C’est que, d’une part, ils voyaient Anglais et Français aborder en général avec hésitation la base même de la falaise ; c’est surtout qu’aux troupes, elles aussi fatiguées par la bataille, quelques-unes très démoralisées par la défaite, arrivait un renfort moins important encore par sa force matérielle intacte que par la confiance qu’un succès récent exaltait en lui : le VIIe corps accourant de Maubeuge.

La place avait capitulé, le 6 et dans de telles conditions que les troupes qui l’investissaient n’avaient pour ainsi dire pas connu de dommages. En outre, ce succès, — assurément important, — avait été grossi de telle façon aux yeux des « assaillants », qu’il devait, grâce à une consigne qui partout fut observée, compenser, — provisoirement, — aux yeux de toute l’armée allemande, la perte de la bataille de la Marne. Comparons aux tristes carnets de marche des battus de la Marne, où parfois passe un souffle de panique, celui d’un des « vainqueurs du Maubeuge » arrivant le 13 dans la région de Laon-Soissons, à la rescousse des frères vaincus. « Maubeuge est à nous », s’est-il écrié le 6 ; et tout de suite il a, dans l’ivresse du triomphe, accepté, le 7, et la nouvelle que l’armée française était battue, « coupée de la route de Paris » et celle que « Verdun était tombé. » Le 10, il marche avec tout son corps vers l’Aisne : s’il apprend avec scandale que des cavaliers anglais ont débouché dans la région, c’est avec une superbe confiance qu’il ajoute : « Il serait temps que nous remettions la main la pâte ! » et, avec plus d’assurance même : « Ce sera la victoire ! » Le 12, il marche sur Soissons, persuadé qu’on va bousculer Anglais et Français et reprendre la route de Paris avant qu’il soit peu, et c’est en effet le 13 que le VIIe corps, frais, alerte, plein d’une confiance et d’un orgueil inentamés, vient prendre sa place entre le IIIe corps et le VIIe de réserve, au Nord de la région de Vailly. La présence d’un corps nouveau, arrivant dans de si favorables dispositions, suffirait à expliquer le relèvement soudain du courage allemand. Que sera-ce quand le 14, la VIIe armée du général de Heeringen sera venue grossir la masse déjà importante des Ie et IIe armées ainsi renforcées ?

Puisque le 13, ils ont pu tenir, les Allemands se seront ressaisis le 14 et c’est plus à l’arrivée de ces renforts qu’aux fameuses « positions organisées » qu’est due la résistance qui va donner à nos ennemis le temps d’en organiser de très réelles sous nos canons, bientôt presque impuissants.


II. — L’0FFENSIVE FRANÇAISE (13-16 SEPTEMBRE)

On connaît au Grand Quartier français, et la marche du VIIe corps allemand vers la région de Soissons, et le caractère singulièrement abrupt des falaises de l’Aisne. Plus que jamais, Joffre estime que, si les Anglais et d’Esperey doivent vigoureusement attaquer au Sud et à l’Est du massif, ne fût-ce que pour y fixer les masses allemandes, « c’est des forces de gauche… que dépend… le sort de la bataille engagée. » Sans doute entend-il que d’Esperey, « orientant sa marche un peu plus vers le Nord, » appuie son 18e corps « pour rompre le dispositif ennemi ; » sans doute insistera-t-il le lendemain pour que, dès qu’il sera maître du massif de Brimont à l’Est, « il dispose ses forces au Nord-Ouest de la route de Reims à Neufchâtel, de manière à les porter sur la rive droite de l’Aisne ; » — et par-là il montre assez que le massif se peut, à son sens, tourner à l’Est comme à l’Ouest ; c’est cependant sur la manœuvre de l’Ouest qu’il fonde ses principaux espoirs. On est maintenant persuadé au Grand Quartier (j’en crois les notes quotidiennes d’un officier) que « l’idée allemande est d’organiser une bataille, défensive sur l’Aisne. » Mais il parait bien que si l’on doit laisser les Anglais tenter d’aborder le Chemin des Dames, ce n’est point là-dessus que l’on compte pour obtenir la décision : si d’Esperey se trouve, du fait des résistances qui, de Brimont à la hauteur de la Pom pelle, retiennent son centre et sa droite, empêché d’engouffrer toute son armée dans la trouée de Juvincourt, le massif, fortement attaqué d’ailleurs de Craonne à Soissons, sera tourné à l’Ouest par Maunoury qui, à tout prix, doit tirer vers la vallée de l’Oise et y engager son gros. Le 13e corps ne lui a été envoyé qu’à cet effet.

Le général Maunoury se trouve à la vérité aux prises avec les plus grandes difficultés : le gros de ses forcés, qui a passé l’Aisne les 12 et 13, est engagé sur l’énorme plateau occidental. Ebener, avec le 6e groupe de divisions de réserve, Vauthier avec son 7e° corps y ont pris pied, mais s’y heurtent à la résistance qu’on pouvait attendre en ce pays accidenté, du moment que l’ennemi faisait front appuyé par sa grosse artillerie. Par surcroît, le groupe Lamaze n’a pu, le 13 encore, franchir l’Aisne entre Fontenoy et Soissons, sauf la 45e division, qui, avec une de ses brigades, occupe la boucle de l’Aisne au Sud de Crouy. Sur le plateau occidental, les corps engagés avancent lentement. Cependant la 31e division a franchi l’Oise à Verberie, et on peut espérer que, toute l’armée appuyant à gauche, on va pouvoir engager dans ce couloir le gros de Maunoury ; le 4e corps cherchant à franchir également la rivière à Plessis-Brion, Pimprez et Ourscamp, s’y engagera derrière la 37e division, menaçant Noyon. Le 13e corps, débarquant dans la région de Creil, viendra grossir l’aile enveloppante.

Mais le 14, le 7e corps continue à piétiner en face de la ligne ferme Puisieux-Vingré-Fontenoy-Nouvron ; Nampcel fortement tenu résiste ; il faut, pour faire tomber cette résistance, que le 4e corps, à la gauche du 7e, renonçant à passer l’Oise, attaque sur le plateau à l’Ouest de Nampcel, sur Puisaleine et Tracy-le-Mont : la 37e division elle-même ramenée sur le plateau, s’éloigne de l’Oise, se portant sur dits. Maunoury pense envelopper l’ennemi, mais sur le plateau même, alors qu’on attend de lui qu’il enveloppe, par la vallée de l’Oise, le plateau lui-même.

L’attaque sur le plateau devait se produire le 15 dès l’aube. Elle échoua, et toute l’armée marquait le pas. Mais on espérait beaucoup du 13e corps, en pleine marche maintenant dans la vallée de l’Oise. S’il faisait tomber Noyon et, derrière la cavalerie du général Bridoux, pouvait se jeter dans la direction de Saint-Quentin, le mouvement enveloppant s’amorçait et il n’était pas téméraire de penser que, sur le plateau même, toute résistance de ce fait allait tomber.

A la vérité, l’ennemi massait ses troupes, résolu à barrer la route à Maunoury. Celui-ci se heurtait au IXe, IIe, IVe corps, au IVe de réserve, au IIIe corps, toute l’armée de Klück et, tandis que l’Allemand organisait ses positions, il bourrait : des colonnes étaient, le 14 au soir, signalées par nos renseignements, se dirigeant, de Tournai et Valencîennes, en toute hâte vers le Sud ; le lendemain, elles débouchaient. Les Allemands étaient à tout prix résolus à résister sur le plateau même. Maison de plus, répondait le Grand Quartier, pour accentuer dans la vallée le mouvement enveloppant. Mais Maunoury espérait encore briser la ligne allemande, faisant, le 15 au soir, pour le lendemain, appel au courage éprouvé des vainqueurs de l’Ourcq pour qui, derechef, « il s’agissait de vaincre ou de se faire tuer. »

Le 16, on se heurta une fois de plus à une résistance acharnée. L’attaque du 7e corps ne put progresser et le 4e corps, ayant fait occuper par une compagnie le village de Carlepont, était obligé de la replier sous la menace d’une contre-attaque. Ce repli mettait en danger la 37e division qui occupait Cuts et se trouvait dès lors en flèche, dans une situation très critique. La brigade marocaine fut lancée sur Carlepont. Quiconque a regardé la carte comprend l’acharnement que mettaient les deux partis à se disputer ce médiocre village ; c’était, au Nord-Ouest du plateau, la dernière position défensive des Allemands. Repoussés de Carlepont, ils étaient rejetés sur la boucle de l’Oise et perdaient pied. Si, sur ces entrefaites, le 13e corps qui opérait dans la vallée avait enlevé Noyon, l’ennemi était pris entre deux feux. Ordre était donné à ce corp3 si attendu d’activer sa marché que ne pouvaient entraver que deux divisions de landwehr jetées à sa rencontre.

Carlepont ayant été repris et une contre-attaque allemande débouchant de Pontoise arrêtée par les Marocains, la 37e division dégagée prenait de l’air, se jetant sur Blérancourt. Les Allemands étaient très menacés. On comptait, le 16 au soir, que le 13e corps enlevant Noyon, pousserait plus avant dans la direction de Guiscard. L’ennemi serait alors tout à fait débordé : déjà les cavaliers de Bridoux patrouillaient dans la direction de Saint-Quentin.


Cependant, en face de l’Aisne, la droite de Maunoury, les Anglais, la gauche de d’Esperey essayaient, — après avoir passé la rivière, -— de tâter les premières terrasses.

Les divisions de Lamaze devaient, le 13, tenter de franchir l’Aisne, la 56e à Pommiers, la 55° au Sud de Paslyj la 45e se jetterait sur Cuffies en liaison avec l’armée anglaise.

Encore que les batteries lourdes allemandes, bien défilées, couvrissent de projectiles Soissons, la route de Paris et la route de Rouen, le génie parvenait à jeter des passerelles devant Soissons, et sur ces passages, la 45e division, puis la 289e brigade de la 55e division atteignaient la rive droite ; l’une devait aussitôt attaquer la croupe 132 au Nord-Est de Cuffies, l’autre la croupe 129 au Sud de Pasly. Ainsi l’entrée du couloir de Soissons serait forcée. Mais les troupes se trouvaient bien hasardées pour tenter une attaque sur des positions qui se révélaient sérieusement défendues. Force fut, après une attaque qui coûta cher, d’y renoncer jusqu’à ce que l’armée anglaise pût, par un mouvement en avant, faciliter notre tâche. Cette aide ne se produisant pas, la 45e division reprit, le 15, ses attaques qui, après avoir lentement progressé, furent arrêtées.

Le général de Lamaze n’était pas homme à rester sur cet échec. Il fallait, lui disait l’armée, forcer le couloir avant que l’ennemi se fût encore renforcé au Nord de Crouy. Sans attendre que les Anglais vinssent à la rescousse, il donna ordre d’ « attaquer avec la plus grande violence. » La brigade marocaine (général Ditte) se jetterait, le 10, avant le lever du jour à l’assaut, de façon que le succès pût être exploité par les autres troupes et fût pour elles le signal d’une attaque générale « qui devra être menée à fond, résolument, sans arrière-pensée, » écrit Lamaze. La brigade s’élança contre la croupe 132 avec un admirable courage : elle enleva une partie des tranchées allemandes, mais fut arrêtée par les barrages à 300 mètres au Sud de la ferme La Perrière. Les 45e et 55e divisions, derrière elle, essayèrent de progresser : elles le firent jusqu’à ce que leurs premiers éléments fussent arrivés à « une zone de mort infranchissable. » Ordre fut donné de se fortifier sur les positions conquises et on se mit à remuer la terre, — en attendant que l’armée anglaise donnât par sa gauche.


L’état-major anglais, suivant ses principes, entendait, avant d’attaquer à fond, que les ponts fussent assez solidement établis pour que l’artillerie pût suivre immédiatement l’infanterie. La résistance qu’il rencontrait lui faisait envisager le 13 que, décidément, c’était une grosse bataille qui s’engageait et l’esprit anglais répugne, on le sait, aux improvisations.

Le 2e corps avait trouvé, le 13, devant lui tous les ponts détruits « à l’exception de celui de Condé que l’ennemi tenait et continua de tenir jusqu’à la fin de la bataille. » Le 1er corps avait pu, par sa 2e division, passer l’eau à Missy : une de ses brigades put établir sa gauche à Sainte-Marguerite, au Nord Est de Bucy-le-Long. Le 3e corps ayant, lui, un beau pont, celui de Venizel, et ayant jeté un pont de bateaux à Soissons, la 12e brigade avait, le 13 au matin, pu franchir la rivière.

Le 1er corps avait, alors pris comme points de direction plus ou moins lointains, Chamouille, Courtecon et Presles. La cavalerie, à sa droite, et la 1re division, ne rencontrant, chose imprévue, qu’une courte résistance, se portèrent en avant, refoulant l’ennemi jusqu’aux pentes ; à l’extrême-gauche, la 4e brigade de la Garde se heurta à une vive résistance dans Chavone, mais força le passage. L’ennemi abandonna la vallée et se retrancha sur les plateaux.

Avant de l’y attaquer, le Maréchal, — toujours prudent, — entendait que le passage de la rivière fût largement assuré. Ce fut, pendant les journées du 14 et du 15, le génie qui travailla. Travail pénible : les obus pleuvaient, mais les sapeurs les voyaient tomber avec ce flegme qui est une des belles formes du courage. Le pis était que, le temps étant depuis plusieurs jours pluvieux, les abords de la rivière devenaient vaseux. Néanmoins, après quarante-huit heures d’un travail acharné, huit ponts de bateaux étaient établis et une passerelle jetée, les trois ponts carrossables de Venizel, Missy et Vailly réparés, le pont du chemin de fer entre Vailly et Chavone rétabli.

Le 15 enfin, French se décida à faire avancer ses troupes. A la vérité, c’était pour sonder l’ennemi plus que pour le bousculer : le Maréchal en était encore à se demander si celui-ci ne marquait pas simplement un arrêt temporaire couvert par de fortes arrière-gardes ; voulant en avoir le cœur net, il donna l’ordre d’attaquer. Le principal acteur de cette attaque devait être le général Douglas Haig, commandant le 1er corps, à qui son grand chef décerne avec raison ce brevet d’opiniâtreté que le futur Maréchal devait si souvent justifier par la suite[3].

Le corps Haig reçut l’ordre d’attaquer le plateau de Chivy, au Nord de Pontarcy. A 3 heures du matin, les Fusiliers du Roi et le Royal Sussex se portaient en avant, tandis que le Northampton Régiment était dirigé à droite sur l’éperon Est de Troyon et le Loyal North Lancashire, un peu plus tard, sur Vendresse, la droite de Haig s’appuyant sur le plateau de Paissy où jadis les cavaliers de Nansouty avaient fait une si belle conduite aux cosaques de Woronzof. Il y eut sur le plateau une suite d’engagements assez âpres ; les contre-attaques succédant aux contre-attaques, les Allemands furent finalement rejetés à la baïonnette.

A gauche, une nouvelle brigade, la 5e, droite du 2e corps était engagée, à l’Ouest du plateau de Chivy, dans la direction de Courtecon. Enfin, la 6e brigade, franchissant la rivière à Pont-Arcy, remontait le ravin qui, entre les deux plateaux d’Ostel et de Chivy, s’enfonce en coin vers Braye ; mais arrivés à mi-chemin entre la Bovette (sur le flanc du plateau d’Ostel), et le Tilleul (à l’extrémité Sud du plateau de Chivy), nos Alliés furent assaillis par un feu violent d’artillerie lourde et par lui arrêtés. Haig continua à bourrer, appelant à lui, de la rive gauche, la 4e brigade de la Garde ; elle parvint jusqu’à la crête d’Ostel, près de la Cour Soupir. Brusquement, l’ennemi, se jetant entre les deux corps anglais, tenta de les couper. Haig, très sérieusement pressé, se dégagea au cours de combats sanglants : voyant s’affaiblir les attaques ennemies, il ordonna une nouvelle avance et arriva à quelque cent mètres du Chemin des Dames au Nord-Est de Chivy. Il appuyait sa droite au 18e corps français (Maud’huy) qui, nous le verrons, avait enlevé le Chemin des Dames, mais sa gauche, qui s’était avancée jusqu’à Aizy, avait été refoulée à un mille au Nord de Vailly. Le reste de l’armée britannique, — 2e et 3e corps, — avait, en totalité, cependant, franchi l’Aisne, le 2e à Vailly et à Mezy, te 3e à Venezel et L’artillerie des deux corps s’installait au Sud de Montreuil et au Nord de Celles. Le 2e avait, par sa. 5e brigade, on l’a vu, soutenu la gauche du 1er corps sans pouvoir, comme lui, accéder à la crête des plateaux. Le 3e s’était avancer sur Cuivres, Bucy-le-Long et au Nord de Crouy, mais restait au pied des pentes.

La journée avait été fort dure. Les Anglais avaient perdu 5 000 hommes. Le Maréchal était instruit qu’en face de lui, non seulement le corps allemand arrivant de Maubeuge venait apporter à l’armée ennemie renfort et réconfort, mais « qu’une grande partie des pièces de siège évacuées de cette place » renforçaient la position ennemie. Le Maréchal pensait bien pousser vers le Nord le 1er corps dans la journée du 16 ; mais il craignait toujours d’être attaqué de flanc. « De plus, j’appris du général en chef français, ajoute-t-il, qu’il était en train de renforcer considérablement la 6e armée à ma gauche[4] dans l’intention d’amener toute la gauche des alliés à attaquer le flanc droit ennemi et de le contraindre à la retraite. » En conséquence, très éprouvé la veille, un peu effrayé par l’audace de Maud’huy, « qui, débordant le Chemin des Dames, eût entraîné, confiait-il à un officier, sa droite jusqu’à la distendre, et heureux de trouver dans le plan de débordement par la gauche du général Joffre une excellente raison de ne pas s’engager plus avant dans le dangereux dédale de ravins et de plateaux qu’offrait le massif, French se contenta de faire organiser ses positions. Le 1er corps resta au Sud du Chemin des Dames, le 2e au Sud de Chivres, le 3e le long de la rivière. C’est ainsi que Lamaze, attaquant à sa gauche, n’obtint point l’appui qu’il attendait de ce dernier corps et dut s’arrêter, nous l’avons vu, après de vains et héroïques efforts, sur les hauteurs de Cuffies et de Crouy.


Maud’huy, sur la droite des Anglais, avait paru, lui, entamer sérieusement le massif. A la vérité, sa mission était simplement, en s’emparant, d’Hurtebise à Craonne, de la partie orientale des plateaux, de couvrir la gauche du groupe Valabrègue qui, ainsi protégé contre toute surprise sur son flanc, s’engagerait, pensait-on, délibérément dans la trouée entre Corbeny et Prouvais. Encore fallait-il que, sur son flanc droit, d’autre part ; celui-ci ne fût pas inquiété et que, partant, Brimont n’arrêtât pas le 3e corps dans sa marche vers le Nord-Est. Ce corps et le 1er même ne pouvaient continuer à avancer que si, Brimont étant ou réduit ou tourné, Berru, Nogent-l’Abbesse au Sud, et plus au Sud encore, la Pompelle cédaient devant les 1er le 10e corps. L’armée d’Esperey se trouvait en effet devant un coude du front ; il lui fallait faire face au Nord et à l’Est et, tirée sur sa droite par sa liaison avec la 9e armée, elle ne pouvait assurer autant qu’il eût convenu la liberté de sa marche au-delà de l’Aisne où ne cessaient de la pousser les ordres pressants du général en chef. Le général d’Esperey dépensait, pour faire face à une situation si complexe, une activité quelque peu inquiète.

Maud’huy et Valabrègue seuls étaient dans la direction rêvée. Le premier avait d’abord pensé s’engager dans la direction d’Amifontaine, en plaine. Mais l’ennemi paraissant s’installer, — plus ou moins sérieusement, — sur le massif, il eût été téméraire de laisser sur notre flanc gauche une pareille menace, et d’Esperey, le 13 septembre, — parce qu’il était dans la même situation que Napoléon le 5 mars 1814, — devait, comme lui, s’assurer du plateau de Craonne. Le 18e corps, redressé, reçut l’ordre de porter ses gros dans la région de Corbeny-Craonne-Pontavert-Roucy-Beaurieux, le corps de cavalerie étant, à sa droite, lancé vers le camp de Sissonne, et le groupe Valabrègue ayant mission de s’engager dans la région de Juvincourt. En conséquence, la 35e division de Maud’huy s’avançant vers Corbeny, les 36e et 38e prenaient par Beaurieux le chemin de Craonnelle et Craonne. Ainsi rempliraient-elles leur rôle de flanc-garde de la 5e armée. Balayant devant eux les restes des éléments qui, à Fismes, s’étaient opposés à leur marche, les soldats de Maud’huy s’avançaient vers le Nord quand leur général reçut avis par la cavalerie que l’ennemi occupait Corbeny et, au Sud et au Nord de Craonne, les bois de Beaumarais et de Chevreux.

A quatorze heures, la 70e brigade, ayant passé l’Aisne à Pontavert, se disposait à attaquer Corbeny et Craonne ; à dix-neuf heures, Corbeny était enlevé. Par ailleurs, Craonne était, « après une action extrêmement vive, » emporté à son tour. En quelques heures, la première mission du général de Maud’huy était ainsi accomplie et le groupe Valabrègue parfaitement couvert sur sa gauche.

La 36e division, mise en retard, arrivait cependant à son tour ; le 5e chasseurs d’Afrique ayant, devant elle, enlevé d’un coup de main le pont de Maisy avant que l’ennemi eût eu le temps de le détruire, elle put passer l’eau et, à quinze heures, elle abordait les bois de Beaurieux et Craonnelle. Arrivant cinq heures plus tôt, — ce retard que les circonstances excusent n’en fut pas moins un grand malheur, — elle eût trouvé abandonnés l’isthme d’Hurtebise et le plateau de Vauclerc, l’ennemi, pris de panique, s’étant jeté de l’autre côté de l’Ailette ; mais il venait de réoccuper en forces ces positions et, après un violent combat, notre infanterie dut s’arrêter à la lisière Nord du r bois, au Sud d’Oulches et de Craonnelle.

Cependant la gauche de Maud’huy (la 38e division) avait occupé le plateau de Paissy, où les tirailleurs se trouvèrent soudain en présence de troupes anglaises, — preuve d’une liaison étroite qui eût enchanté le maréchal French. En revanche, la 36e division, s’estimant isolée, recula légèrement, à la nuit, sur le même plateau de Paissy. Ce qui permet de penser que les Allemands, dans cette journée du 15, avaient momentanément renoncé à défendre le plateau méridional, c’est que, au témoignage du curé de Chermizy, l’abbé Ambroise, des patrouilles anglaises et françaises arrivèrent à son presbytère, d’où elles fusillèrent deux heures durant les Allemands qui s’étaient jetés au Nord du village. Or, Chermizy est, on le sait, sur le plateau dominant la rive droite de l’Ailette. Tel fait montre de quel esprit étaient animés les soldats de Maud’huy, — comme d’ailleurs ceux de Haig. — Et de cet élan on pouvait attendre de beaux résultats : si, le lendemain, le plateau de Craonne était emporté, on devait espérer que le groupe Valabrègue pourrait s’engager délibérément vers Juvincourt. A sa droite, le reste de la 5e armée avait, en cette journée du 13, vigoureusement attaqué sur le front Brimont-Berru-Nogent-l’Abbesse et on était autorisé à penser qu’enlevant ces positions, les 3e et 1er corps faciliteraient de leur côté à Valabrègue le mouvement qui lui était prescrit vers la route de Laon. Précisément, dans la nuit, parvenait au général d’Esperey l’ordre d’ « orienter sa marche un peu plus vers le Nord : » Maud’huy et Valabrègue lui en ouvriraient le chemin.

Déjà les soldats de Maud’huy s’apprêtaient à donner l’assaut au moulin de Vauclerc et à la ferme d’Hurtebise. Mais, de leur côté, les Allemands, inquiets de leurs échecs de la veille, se préparaient à réagir. A onze heures trente, de fortes colonnes ennemies se dirigeaient sur Corbeny qui, violemment bombardé, dut être abandonné. Mais à gauche, au contraire, nous progressions : la 36e division, jetée à l’assaut, avait enlevé les pentes du plateau de Vauclerc, et, tandis qu’on occupait Craonnelle, avançait au-delà des crêtes ; à la même heure, la brigade Pichon, à travers le plateau de Paissy, parvenait au Chemin des Dames et sautait dessus. Les soldats de Maud’huy entraient dans la ferme Hurlebise où tant de glorieux souvenirs accueillaient ces braves. De si brillants succès faisaient plus que compenser la perle de Corbeny qui, d’ailleurs, l’Ailette franchie, retomberait fatalement entre nos mains.

Malheureusement, Valabrègue avait été beaucoup moins heureux. Fortement attaqué, il n’avait pu que se défendre sur la rive gauche, à l’Est de Berry-au-Bac. Seul, le 287e avait remporté un beau succès, car, ayant enlevé le village après le canal et le pont, il avait, après une lutte sanglante autour de l’église, rejeté l’ennemi au Nord, s’était incontinent jeté sur la ferme du Choléra, avait arraché la position avec 200 prisonniers il l’Allemand. Mais le groupe Valabrègue, n’arrivant pas à déboucher, laissait Maud’huy fort en l’air, et les attaques du 3e corps, chargé de soutenir les divisions de réserve, s’en trouvait empêché, étant lui-même gêné par l’arrêt de la droite de la 6e armée. Pour libérer celle-ci et activer le mouvement, d’Esperey sollicitait l’appui de la 9e armée à sa droite : s’il lui était donné, il pourrait orienter vers le Nord l’attaque de ses gros.

En attendant, il tenta, le 15, un grand effort sur tout son front. Cet effort parut d’abord heureux. Le 1er corps enlevait le château de Brimont à droite. Mais, au centre, Valabrègue, continuant à marquer le pas devant de fortes attaques ennemies, Maud’huy fut appelé à la rescousse : le 1er Corps, par ailleurs, se porterait au sud du 48e pour l’appuyer. Celui-ci devait, le 15, en attendant cet appui, se maintenir sur ses positions d’Hurtebise à la Ville-au-Bois. Maud’huy était inquiet de son flanc droit qui jusqu’à nouvel ordre restait découvert ; les Allemands attaquant sur la Ville-au-Bois, on perdit le village. Ordre fut donné de le reprendre. Au centre, une autre attaque allemande se produisait sur le Nord de Craonne et l’on se devait replier sur le bourg. En revanche, à gauche, la brigade Pichon, descendant du plateau, lançait ses éléments sur Ailles, dans la vallée de l’Ailette.

Mais, sur ces entrefaites, Valabrègue perdait ses positions de la rive gauche même et la situation de Maud’huy devenait, partant, de plus en plus scabreuse. Il reporta de Pontavert sur Roucy son quartier général. C’est de la tour « qui formait un splendide observatoire » que le général surveille dès lors la bataille. La tour de Roucy ! En cette région de l’Aisne, les guerriers coudoient, si j’ose dire, à chaque pas, les ombres des guerriers morts. Voici, ses soldats marchant par ailleurs sur les traces des grognards de l’Empereur, ce vaillant Maud’huy en pleine chevalerie !

La journée du 16 pouvait être décisive de ce côté : d’Esperey s’apprêtait enfin à jeter son gros dans la trouée. Les 3e et 10e corps assurant sa droite vers l’Est, le 18e allait reprendre ses attaques, appuyé par le 1er maintenant à son Sud, et le groupe Valabrègue, ainsi dégagé, pourrait réparer ses échecs et aller de l’avant. Déjà Maud’huy s’apprêtait à agir dans la trouée entre Craonne et Prouvais, lorsque Craonne même, attaqué violemment, défendu avec acharnement par un bataillon du 144e, bientôt écrasé par l’artillerie lourde, dut être abandonné. L’opération sur Prouvais était, de ce fait, derechef compromise. Il fallait pour qu’elle se fît avec succès reprendre auparavant Craonne et Corbeny : la brigade Passaga fut chargée de cette mission. On demanda l’aide des Anglais. Le Maréchal déclina l’invitation ; on sait pour quelles raisons : tandis que Maud’huy préparait, en dépit de ce refus, l’attaque qui permettait d’élargir à l’Est du massif l’action de la 5e armée, French attendait des opérations de Maunoury un résultat qui le dispenserait d’engager ses corps en une action, forcément meurtrière, sur la muraille méridionale de l’énorme forteresse.


III. — LA CONTRE-OFFENSIVE ALLEMANDE (17-21 SEPTEMBRE).

On peut dire sans trop d’exagération que, le 17 au matin, le sort de l’énorme bataille engagée entre Noyon et Reims, sur un front de plus de 25 lieues, par trois armées, tient au succès de son extrême aile gauche, en l’espèce le seul 13e corps ; si celui-ci, délibérément jeté dans la vallée de l’Oise, enlève, le 17, Noyon, et marche hardiment sur Saint-Quentin, l’Allemand sera contraint d’abandonner l’extrême bord du plateau occidental de l’Aisne : car, maîtres de Noyon, à plus forte raison de Saint-Quentin, nous pouvons tourner le plateau occidental par la rive droite, de Noyon à la Fère. À cette époque où il n’y a pas de « ligne Hindenburg », l’abandon du plateau occidental entraine à peu près fatalement pour les Allemands celui du massif de Saint-Gobain ; mais, s’ils abandonnent Saint-Gobain, il leur est bien difficile de se maintenir sans grave danger sur le plateau oriental. Il leur faut se replier sur Laon, et encore Laon même sera-t-il, par la Fère, menacé d’enveloppement et c’est toute la forteresse, — le donjon compris, — qu’il faudra que Bülow, après Klück, abandonne. Dès lors, d’Esperey pourra hardiment jeter ses corps vers le Nord de l’Aisne où il est peu croyable qu’ils rencontrent, même dans le camp de Sissonne et la plaine de Laon, la résistance que, le 16, l’ennemi lui oppose de Corbeny à Guîgnicourt. Ainsi se justifieraient le plan de Joffre et l’expectative de French qui, entre Soissons et Paissy, attend, avant de donner l’assaut, que Maunoury ait largement tourné la position.

Le malheur est qu’on avait perdu trois jours, et trois jours dans de pareilles circonstances valaient trois mois. Ce n’était pas tant parce que, dans ces trois jours, l’ennemi se pouvait fortifier par ses travaux : il n’en était guère dans la vallée de l’Oise ; mais la capitulation de Maubeuge, nous l’avons dit, en libérant un magnifique corps allemand, d’une part, et, de l’autre, l’accalmie sur les fronts lorrains, en permettant à Moltke de prélever une de ses armées de l’Est et de la jeter vers l’Aisne et l’Oise, procuraient aux armées fatiguées de Kluck et Bülow un renfort tel qu’il devait suffire à tout arrêter. L’événement était prévu puisque, dès le 11, en incitant Maunoury à se détourner du plateau « où il lui serait difficile d’attaquer de front » et en lui prescrivant de jeter « le plus tôt possible des forces » sur « la rive droite de l’Oise pour déborder l’aile droite ennemie », Joffre ajoutait « qu’on devait craindre de voir avant peu de nouveaux corps allemands intervenir à l’extrême droite de Klück Le 13e corps serait tout disposé à appuyer votre action contre ces derniers », concluait-il. Sans doute Maunoury avait-il montré de la sagesse en ne voulant pas laisser sur sa droite l’ennemi installé sur le plateau. Balayer celui-ci jusqu’à Carlepont, avant de marcher sur Noyon, lui avait paru aussi nécessaire qu’à d’Esperey de faire saisir le plateau de Craonne par Maud’huy, avant de déboucher dans la plaine à l’Est. Mais il est des heures où, fort immoralement, la sagesse coûte cher. Il fallait de la hardiesse. Aussi le 16 au soir, le général en chef pressait-il plus vivement encore la 6e armée, « de qui dépendait actuellement le sort de la bataille engagée, » de se servir du 13e corps avec vigueur : il fallait qu’il marchât sur Noyon, sur Guiscard, sur Vilquier-Aumont : ainsi tomberaient d’elles-mêmes les positions allemandes de Carlepont-Cuts, largement tournées, et le reste des plateaux. « La présence du 13e corps dans cette région aura sans doute pour la décision de la bataille plus de valeur qu’une intervention immédiate. » Le corps de cavalerie Conneau, alors à la oc armée, était appelé à Compiègne et mis à la disposition de Maunoury. Il fallait donc que, derrière le 13e corps, une partie de l’armée Maunoury s’engageât. Le 7e corps pouvait, dans cet ordre d’idées, être porté sur la rive droite de l’Aisne pour agir avec le 13e. Le 4e l’y suivait et on allait dépêcher vers la région de la Somme un corps de plus (le 20e) prélevé sur les forces de l’Est et, qui, avant peu, prolongerait encore le dispositif à gauche.

Mais en attendant, il fallait que 13e corps agit vigoureusement et rapidement : on savait, dès le 10 au soir, au Grand Quartier, que la VIIe armée (Heeringen) était transportée de l’Est dans la région Aisne-Oise ; détachant simplement un de ses corps en face de d’Esperey, il était probable qu’elle se porterait à la droite de Klück : dès le 18, elle serait déjà en mesure d’agir[5], et si nous n’avions pris les devants, en nous jetant dans la direction de Saint-Quentin, par Noyon, au lieu de déborder l’ennemi, nous étions par lui débordés.


Devant le 13e corps en marche sur Noyon le 17 au matin, il n’y avait, nous le savons, que deux divisions. On les devait à tout prix bousculer. Il eût fallu à la tête de ce corps un Maud’huy, à la tête de ses divisions des Mangin et des Passaga, — des oseurs. Il paraît bien que l’opération fut assez mollement menée. La journée du 17 par surcroit fut effroyable : la pluie ne cessa de tomber de neuf heures du matin à la chute du jour. La boue empêtrait la marche du corps d’armée. Par ailleurs, si les forces d’infanterie qu’il s’agissait de bousculer n’étaient pas supérieures aux nôtres, la terrible artillerie lourde allemande, à laquelle nous ne pouvions guère opposer que nos 75, ravageait les rangs français et terrifiait, — car c’était presque une nouveauté. « Enorme lutte d’artillerie, écrit, sur son carnet, un officier français, le 17 au matin, du poste de commandement du 13e corps. De minute en minute, d’énormes rafales d’artillerie lourde et de canons de campagne. La pluie commence à tomber. » L’officier voyait le général « très hésitant. » Il a, de Clairoix, l’impression que les divisions, engagées dans « le massif boisé au Nord de Compiègne, » — la « Petite Suisse », — mènent « un combat confus, sans ordre et mal conduit. » Loin d’avancer, la 25e division (du 13e corps) a reculé, ce qui, isolant derechef la 37e division sur le plateau de droite, à Cuts, a jeté toute la gauche de la 6e armée dans ce « complet désarroi. » Cependant, on espère encore. Mais le temps continue à être effroyable : « Il n’a pas cessé de pleuvoir sans arrêter. Les chemins sont affreux ; les troupes sont exténuées. Pauvres gens ! On se couche le cœur serré, en pensant à la situation qui paraît très compromise à gauche. »

L’événement était conforme à ces impressions. Nous arrivions décidément trop tard, — d’un jour peut-être. Le 13e corps s’était, dès le matin, heurté à une contre-offensive allemande qui, à la même heure, se développait sur toute la ligne de l’Oise à Reims. Alors que, la veille au soir, il n’était plus qu’à trois lieues de Noyon, il avait, d’avance, le 17, été refoulé d’Elicourt sur Vaudelicourt et Vignemont à sa gauche et ne parvenait pas, sur sa droite, à dépasser Dressincourt et l’Ecouvillon. La marche sur la ligne Lassigny-Noyon était du coup manquée. Et aussitôt, cet échec avait sa répercussion sur le plateau où, attaquée violemment à Cuts et près d’être encerclée, la 37e division s’était repliée. Un désordre général se produisait sur toute cette partie du champ de bataille et les combats continuaient dans la confusion. Ce n’est qu’au soir que le général Ebener remettait de l’ordre dans le combat. « Les troupes étaient épuisées, écrit un témoin, par cinq ou six jours de privations et de combats. Il pleuvait, tout s’acharnait contre nous. » Il y eut cependant un rayon de soleil : le 3e zouaves, attaquant Tracy-le-Val, enlevait un beau « drapeau blanc brodé d’or à l’aigle noir, » saisi entre les mains crispées de l’ober-lieutnant Von der Gotz, brave officier, qui s’était fait tuer sans lâcher son drapeau.

Le général Maunoury n’était pas homme à renoncer. Il prenait ses mesures pour que le 4e corps, retiré du plateau, fût porté à gauche du 13e, et appuyât, le 18, la marche sur Noyon.

Le Haut Commandement était plus que jamais décidé à y faire jaillir la décision. L’échec du 13e corps, loin de le décourager, lui faisait simplement penser que la manœuvre devait prendre, avec des forces bien supérieures, une plus large envergure. D’ailleurs, la marche vers l’Ouest de l’armée Heeringen indiquait assez que, si nous ne débordions point l’ennemi, c’est lui qui nous allait déborder à notre gauche. La manœuvre allait commencer de part et d’autre qui, se prolongeant, de la vallée de l’Oise à celle de la Somme, de celle-ci aux plateaux d’Artois, de ceux-ci aux plaines de Flandre, devait garder dans l’histoire le nom de Course à la Mer. Et cette manœuvre qui devait aboutir à la Bataille des Flandres, allait laisser loin derrière elle la bataille de l’Aisne qui, dès lors, s’affaisserait. Le 18, on décidait le transfert, à gauche de Maunoury, du général de Castelnau à la tête de la 2e armée à laquelle seraient rattachés avant peu les 13e et 4e corps, repris à la 6e[6].

Mais, le 18 au matin, Maunoury espérait encore faire aboutir la manœuvre de débordement. Quoique assombrie, dès le matin, par la mort tragique du général Bridoux, commandant le corps de cavalerie, la journée pouvait encore être la revanche ide celle du 17. Mais il se fallait réorganiser et cela mangeait une journée. Ebener réoccupait sur le plateau, avec ses forces remises d’aplomb, la ligne Bailly-Tracy-le-Val-Bois de la Montagne. Et le 4e corps gagnait, derrière cette ligne bien tenue, la vallée de l’Oise par Compiègne pour prêter main-forte au 13e.

La pluie continuait à tomber, « torrentielle, » le 19. Cette circonstance rendait la marche pénible. L’attaque des forces de la vallée de l’Oise sur la ligne Lassigny-Guiscard ne pourrait se produire que le 20. L’avis du général Maunoury était maintenant que, sur le plateau, « de part et d’autre, on ne pouvait que s’immobiliser. » Les munitions -commençaient à manquer ; faute de nouveaux lots de munitions, le feu pouvait cesser le lendemain…

« S’immobiliser, » c’était, en effet, ce qu’on devait faire sur le plateau, et, quant à la manœuvre de débordement, elle passait au général de Castelnau qui, le 20, arrivait dans la région et déjà jetait des forces du côté de Lassigny. La première bataille de la Somme allait commencer. En attendant, les 4e et 15e corps, éreintés, se reposaient. Mais, sur le plateau, l’ennemi ne semblait pas disposé, lui, à « s’immobiliser. » Le 20, le centre de Maunoury (devenu sa gauche par le passage à Castelnau des 15e et 4e corps) était violemment attaqué. Le plateau fut derechef le théâtre d’engagements divers, le 7e corps avançant, la 62e division reculant ; finalement, on tenait sur le plateau une ligne qui biaisait de Tracy-le-Moni au Nord-Ouest à Fontenoy au Sud-Est. Le 21, ayant repoussé et paralysé, semblait-il, entre Tracy-le-Mont et Moulin-sous-Touvent, la contre-offensive allemande, on s’en tint là ; la consigne courut : « Se retrancher. » Et déjà elle indiquait un tournant de la grande guerre.


La manœuvre de notre gauche avait, somme toute, échoué. Il fallait que Castelnau la reprît, mais il s’éloignait du massif. Au centre et à droite, — chez les Anglais et à la 5e armée, — on en était à défendre difficilement contre l’offensive allemande les quelques positions conquises.

Sur le front anglais, le 1er corps seul était, on le sait, vraiment engagé, puisque, du Nord de Vailly au Chemin des Dames, Haig, par l’extrémité du plateau d’Ostel, le ravin de Brave et le Nord du plateau de Chivy, rejoignait à peu près en plein massif méridional le 18e corps français. Le reste de l’armée anglaise marquant le pas au pied de la falaise de Vailly à Bucy-le-Long, en passant au Sud de la rivière devant Condé, le 1er corps fut seul aux prises avec l’ennemi pendant ces journées du 17 au 21, qui marquèrent l’effort contre-offensif de l’armée allemande.

Il tint bon. Si, dans l’après-midi du 17, le flanc de la 1re division était menacé, une contre-attaque du régiment Northampton déblaya un instant le terrain : se glissant, à la faveur du brouillard, jusqu’à une centaine de mètres des tranchées ennemies, nos alliés, mettant baïonnette au canon, sautèrent sur l’Allemand et le chassèrent, après une lutte qui coûta cher aux deux adversaires. Trois attaques allemandes étaient repoussées avec le même succès ; mais le chef d’état-major du Maréchal, le général Wilson, déclarait que « l’armée maintenait partout ses positions, mais ne serait pas assez forte pour attaquer en masse. »

Des avis qu’il recevait du Grand Quartier Général français au sujet de la manœuvre par l’Oise, le Maréchal continuait à induire que le rôle du centre et de la droite des Alliés se réduisait à tenir bon encore quelques jours ; l’esprit d’entreprise du 18e corps à sa droite, tout en l’édifiant, l’effrayait un peu… « L’essentiel « était maintenant pour lui d’organiser « une guerre de siège » et la relève dans les tranchées. Peut-être verrait-on sous la pression de Maunoury, — ou devant la manœuvre de Castelnau, — l’ennemi abandonner les positions du massif : ce serait l’heure d’agir. Pour cela, il ne fallait que garder le contact, sans plus. Mais l’Allemand ne paraissait guère près de décamper. Pendant la nuit du 19 au 20, il attaquait violemment et d’ailleurs sans succès la droite du 2e corps, et, dans la journée, la gauche du 1er, sans autre résultat d’ailleurs que de se faire repousser avec pertes. A la vérité, celles des Anglais étaient telles, de l’avis du Maréchal, que, devant son 1er corps épuisé, il s’ancrait dans l’idée de ne rien entreprendre jusqu’à ce que la retraite de l’ennemi, « qui ne tarderait guère à commencer, » permît d’utiliser, en de meilleures conditions, ses divisions fraîches. Il se contentait, le 21, d’opposer aux attaques allemandes les ripostes d’un boxeur flegmatique et résolu, rejetant sanglant, après chaque attaque, sur le Nord des plateaux, l’ennemi en mauvais arroi. Quant à avancer avant qu’eût réussi la manœuvre de Maunoury, il n’y consentait point.


A sa droite, le 18e corps français continuait à montrer un esprit offensif beaucoup plus prononcé. On se rappelle que, le 16, en attendant que le 1er corps français, en marche de la région Sud de Reims sur celle de Pontavert, le vint soutenir, Maud’huy devait étendre son action vers la plaine jusqu’à Prouvais ; son entrée en jeu avait été la reprise de la Ville-au-Bois ; mais nous avons vu que la perte de Craonne, s’ajoutant à celle de Corbeny, lui avait paru devoir faire ajourner l’exécution de cette opération après la reprise des deux villes. En dépit du refus qu’opposait l’armée anglaise à ces demandes d’appui, il était résolu à l’entreprise, d’autant que d’Esperey semblait maintenant bien décidé à orienter nettement toute son armée vers le Nord.

Mais le 17, au matin, le 18e corps, loin de pouvoir attaquer, se trouva aux prises avec une attaque des plus violentes de l’ennemi : celui-ci débouchait, à l’aube, de Juvincourt sur la Ville-au-Bois. Déjà Maud’huy avait jeté la brigade Passaga, — à sa gauche, — sur Craonne ; mais déclenchée à la fin de la nuit, l’attaque s’égara ; des bataillons errèrent ; un seul, du 34e, parvint en face de Craonne et l’assaillit ; mais c’était peu pour une position que l’ennemi avait hâtivement, mais activement fortifiée ; bientôt on vit refluer les troupes jusqu’à la lisière Nord du bois de Beau-Marais. A l’autre extrémité de la ligne, on n’était pas plus heureux : la brigade Brulard attaquait sur la croupe qui de la ferme du Choléra au Campule César, dominait l’Aisne au Nord-Est de Berry-au-Bac ; projetée pour le petit jour, l’attaque tarda et par-là s’éventa ; les troupes escaladaient la pente, où, on s’en souvient, les Gaulois avaient jadis présenté en vain la bataille à César, lorsque soudain elles furent prises de flanc par des feux d’artillerie et de mitrailleuses partant des lisières Sud du bois de la Ville-au-Bois ; c’est que nous venions de perdre le petit massif, et tel événement détraquait toute ; la bataille Maud’huy.

La 35e division avait d’abord ténu bon, mais, vers dix heures soumises à un bombardement des plus violents et assaillies de deux côtés, ses troupes avaient abandonné le village, le bois, tout le massif. L’événement était grave : Pontavert était menacé et nous pouvions y être attaqués alors que notre gauche était encore en ligne du Chemin des Dames à l’Ouest d’Hurtebise au bois de Beau-Marais. Il fallait utiliser à reprendre le petit massif les troupes destinées à la prise de la croupe du Choléra qui, par la perte de la Ville-au-Bois, devenait sans utilité. Tandis que la brigade Brulard, redressée, s’orientait sur les bois, un régiment de zouaves était jeté sur la position : le bois était repris, mais l’ennemi tenait bon dans le village.

Sur ces entrefaites, la gauche de Maud’huy était à son tour violemment attaquée. La ferme d’Hurtebise était l’objectif visé par l’Allemand, et, avant même qu’il ne l’assaillit, ses obus y mettaient le feu. C’est donc à la lueur des flammes et dans un nuage de fumée, -— comme jadis, le 7 mars 1814, les Marie-Louise de Boyer de Rebeval, derrière la ferme incendiée par les Cosaques, — que les soldats de la 36e division tenaient, et, comme en 1814, ce n’était pas sans pertes cruelles ; mais à la fin de la journée, elles n’avaient pas reculé d’un pas du moulin de Vauclerc à Hurtebise, tandis que la 38e division, de la Creute au poteau d’Aillés, restait toujours à cheval sur le Chemin des Dames et dominait la vallée de l’Ailette. Cette situation était des plus scabreuses si, à gauche, les Anglais ne se décidaient pas à leur tour à enjamber le célèbre chemin au Sud de Cerny, si, surtout à droite, la Ville-au-Bois restait au pouvoir de l’ennemi. Mais on ne désespérait pas de décider French à pousser le corps Haig et d’une façon plus certaine, on attendait l’intervention, entre Pontavert et Berry-au-Bac, du 1er corps français, rappelé du Sud. Aussitôt que celui-ci serait entré en ligne, le corps Maud’huy attaquerait hardiment sur le plateau Nord, vers Chermizy et Bouconville ; cependant le 1er corps français essaierait d’enlever Craonne et Corbeny. Le 10e corps qui, dans la nuit, emportait la Pompelle à l’extrême droite du front de d’Esperey, serait à son tour porté vers le Nord et il, semblait qu’un effort sérieux allait être enfin tenté pour déborder par l’Est le plateau que la 6e armée n’arrivait pas à déborder vers l’Ouest.

Malheureusement, dans la nuit du 17 au 18, le 3e corps perdit le château de Brimont : violemment attaqué sur la rive Ouest du canal de l’Aisne à la Marne, il s’y maintenait difficilement dans la matinée du 18, puis était en partie refoulé jusqu’à la route nationale. Cet incident paraissait grave parce qu’il posait derechef devant le commandant de la 5e armée un problème qui lui paraissait décidément insoluble. Comment livrer bataille sur deux fronts qui, à Berry-au-Bac, se coudaient au point de faire presque angle droit ? Dès qu’il porterait ses corps vers le front de l’Aisne et la direction de Laon, son flanc droit, dégarni, serait attaqué, entamé, comme il venait de l’être, peut-être refoulé et toute la droite de l’armée alliée serait ainsi tournée. Quant à en finir par une seule opération avec les hauteurs fortifies « bastionnées » de Brimont-Nogent-l’Abbesse, dont la seule possession assurerait sa droite, il n’y fallait pas songer : outre l’importance de ses travaux, l’ennemi avait l’avantage d’une artillerie lourde que nous ne pouvions contre-battre. Sans doute, la 9e armée, étendant vers le Sud de Reims son secteur de bataille, pourrait-elle prendre à son compte la défense d’une partie du front d’Esperey. Mais la perte du château de Brimont et du canal obligeait le 10e corps, en marche vers le Nord, à s’arrêter dans cette région pour appuyer le 3e.

Les ordres d’attaque hardie donnés aux 18e et 1er corps devenaient donc presque imprudents si, par surcroit, les Anglais ne collaboraient point avec notre gauche. En fait, ces corps n’attaquèrent pas. Les éléments avancés du 18e corps parvenus sur l’Ailette furent refoulés : les troupes étaient fatiguées par cinq jours de bombardement et de combats ; il fallait opérer des relèves. En face des deux corps, des forces allemandes considérables s’accumulaient ; au XIIe corps qui tenait en face de Craonne, le XVe s’était joint qui venait de Lorraine, et, de Berry à Reims, on avait en face de soi, avec la Garde, le Xe de réserve et le Xe corps. Enfin, de toutes parts, nos gens se plaignaient d’être, sans qu’on pût étendre son feu faute de pièces à longue portée, décimés par l’artillerie lourde ennemie. Le 1er corps, « coincé » entre l’éperon de Craonne et la crête organisée du Choléra, allait par surcroît se trouver en face de forces imposantes. Tout ce que pourraient faire les 18e et 1er corps serait de résister à des attaques imminentes : les Anglais prévenaient que de fortes colonnes allemandes étaient en marche entre Chamouille et Vendresse et, à leur tour, demandaient l’appui de Maud’huy.

L’attaque se produisit, en effet, extrêmement violente, le 19, de dix heures à onze heures trente, sur le front de la Creute-Hurtebise. Le général de Maud’huy, de la tour de Paissy, dirigea la résistance qui fut magnifique et rejeta les Allemands sur l’Ailette. « Nos troupes, écrit ce jour-là un officier allemand, souffrent énormément de la faim, du climat et du combat. Il ne reste plus d’officiers. » C’est sans doute ce sanglant échec qui, provoquant la colère de l’ennemi déçu, condamnait Reims au plus violent bombardement que la noble cité eût encore subi. Tandis que les soldats de Maud’huy continuaient à bivouaquer sur le Chemin des Dames, ils pouvaient voir derrière eux, dans la plaine, s’élever une énorme lueur : la cathédrale sciemment incendiée flambait, rançon de leur succès. Mais dans ce ciel rougi, les ombres des héros qui y avaient paru, de Clovis à Jeanne d’Arc, criaient à tous de tenir bon.

Le conseil était écouté. La journée du 20 fut une de celles qui honorèrent la 5e armée, et le vaillant 18e entre tous.

Il ne fallait plus maintenant que tenir, tenir à tout prix, pour que la manœuvre de l’Ouest fût possible. Mais le 20, Maud’huy était attaqué avec une violence sans précédent, de l’aube au soir. Contre lui, deux corps allemands se déchaînèrent. Sous la poussée, trois fois notre ligne recula, trois fois elle se reforma sur l’isthme d’Hurtebise. A seize heures, les Allemands reprirent encore pied sur le Chemin des Dames ; les nôtres se replièrent jusqu’à l’arbre de Paissy où jadis s’était adossé Napoléon ; mais, relancés à l’assaut, ils reprirent les positions, l’isthme, la ferme en ruines, le monument écroulé.

A droite de Craonnelle, tenu par le 249e, c’était une lutte non moins acharnée : les Allemands reçus, reconduits à la baïonnette. Seul le plateau du Moulin de Vauclerc, chaudement disputé, restait, en fin de journée, dans leurs mains. De son côté, le 1er corps avait résisté à trois assauts.

A dix-huit heures, sur le front du 18e corps, se lisait le message du grand Chef : « Le Général en chef félicite les 1er et 18e corps pour l’énergie dont ils ont fait preuve en repoussant brillamment toutes les attaques ennemies depuis plusieurs jours et spécialement au cours de la journée d’aujourd’hui. » Dès le 11, d’Esperey avait écrit : « Maud’huy est hors de pair. »

Mais il était clair que tels assauts ne pourraient être longtemps supportés par un corps en flèche, hasardé en plein massif de l’Aisne, alors qu’à sa gauche le front anglais, encore que très opiniâtrement tenu par le corps Haig, restait pour sa plus grande partie sur les bords du fleuve, et qu’à sa droite, le 1ercorps français ne parvenait pas à déboucher vers Corbeny et Juvincourt. Le 21, la ferme Hurtebise, déjà à moitié détruite, était derechef attaquée : incendiée pour la seconde fois, croulant sous les obus, elle était évacuée par nous et le 18e corps s’enterrait dans les tranchées voisines, accroché maintenant au sol de l’isthme et résolu à y tenir. Du côté allemand, un officier écrit : « Les pertes sont lourdes. » Mais de jour en jour, il apparaissait que ce front de bataille perdait de son intérêt et que le massif de l’Aisne n’ayant pu être qu’à moitié assailli, n’ayant pas été tourné par la droite et ne l’ayant été que fort imparfaitement par la gauche, était en quelque sorte abandonné par la bataille qui se portait en d’autres régions.


IV. — FIN DE BATAILLE (22-30 SEPTEMBRE)

« L’impression unanime, écrivait, dès le 20, un chef de corps, — l’un des plus vaillants, — à son commandant d’armée, est que nous sommes dominés par l’artillerie de gros calibre adverse. Cette impression se transforme depuis les derniers engagements en un sentiment d’impuissance et de découragement. »

Dès le début de la bataille, c’avait été le souci constant de ces soldats, des plus grands aux plus petits. La disproportion de nos moyens d’artillerie avec ceux de l’ennemi devenait éclatante depuis qu’amenées sous des positions que notre artillerie de campagne ne pouvait que difficilement battre, nos troupes essuyaient, pour la première fois, d’une façon continue et intense, le feu de l’énorme artillerie lourde. Plusieurs fois déjà, les chefs avaient, devant un admirable assaut d’infanterie, littéralement étouffé ou brisé par le feu des grosses pièces, esquissé un geste de colère et parfois, suivant l’expression d’un très brave soldat, de « découragement. » Nos pièces restaient « impuissantes, » faute de longue portée, à détruire les batteries et à éteindre le feu de l’ennemi. Dès lors, quel que fût l’héroïsme des troupes d’assaut, les chefs les plus optimistes ne pouvaient jamais répondre du succès. Notre 75, nos trop rares batteries lourdes étaient incapables de l’assurer. L’Allemand s’en rendait compte, et que son salut était dans son artillerie. Avec quel soupir de soulagement un officier du 173e Saxon a écrit le 12 : «…Les mortiers sont arrivés ! »

Or, le 24 septembre, après plusieurs avertissements discrets, le Général en Chef était contraint d’avertir ses lieutenants que cette artillerie, déjà si insuffisante en face des gros canons allemands, allait, — situation tragique, — manquer, si on ne ménageait pas les munitions. « Si la consommation continue au même taux, il sera impossible de continuer la guerre, faute de munitions, dans quinze jours. »

Nul n’ignore aujourd’hui quelle fut la gravité de cette « crise des munitions » et de quelle angoisse furent étreints au cœur ceux qui connurent la vérité. Depuis, le ministre de la Guerre de septembre 1914 a dit les affres par lesquelles on passa : « Le problème des munitions est tous les jours plus graves, devait écrire sur son carnet, le 3 octobre, un officier du Grand Quartier, nous avions à peine trois cents coups par pièce. »

Sans doute, nous le savons aujourd’hui, l’Allemand connaissait la même crise et éprouvait les mêmes angoisses. Le fait ne nous fut révélé qu’au cours de la bataille des Flandres ; nous l’ignorions alors, mais ce que nous savions, c’est que l’ennemi allait, n’ayant pu prendre sur l’Aisne sa revanche de la Marne, faire un effort nouveau pour tourner nos armées sur leur gauche, tandis qu’en Woëvre il essayait de nous percer sur notre flanc droit.

L’attaque sur la Meuse était promptement et heureusement arrêtée sur Chauvoncourt ; mais il fallait s’attendre à une grande bataille dans le Nord, si ; entre l’Oise et la mer, essayant de se déborder l’une l’autre, les deux armées en venaient derechef aux mains. L’armée Castelnau s’engageait déjà en d’âpres combats sur la Somme ; l’incendie allait gonfler l’Artois ; il atteindrait en Flandre, de la Lys à la mer, sa plus grande violence. Il fallait prévoir cette bataille d’un mois et, sur loué les fronts où l’offensive paraissait paralysée ; s’enterrer, se fortifier, se stabiliser, sauf, où nécessité serait, à rectifier auparavant un front trop aléatoire par des attaques locales.

Sur le front des trois armées de l’Aisne, on ne pouvait cependant rompre brusquement le combat. Ces armées, qui de l’Oise à la Champagne venaient de traverser de si rudes combats, devaient, avant de s’enterrer, recevoir une dernière, mission, toute d’abnégation. L’ennemi, pour nous déborder, essayait d’enlever du front de l’Aisne des forces importantes : un glissement était constaté des Allemands vers l’Ouest. Il fallait, par une série d’offensives intermittentes et d’attaques partielles, laisser suspendue sur sa tête la menace d’une reprise de bataillé et, eh le menaçant, « fixer l’ennemi. »

Ce fut donc une offensive d’un caractère tout nouveau, qui du 22 au 25, fut ordonnée aux armées de l’Aisne : « Renoncer à des attaques générales qui usent les troupes sans résultat sérieux, procéder par attaques locales exécutées on accumulant les moyens d’diction sur les points choisis : » telle fut la consigné » L’ennemi devait opposer à ces attaques une opiniâtre résistance. Sans doute, lui aussi, devait renoncer, de son côté, aux grands espoirs. Lorsque, le 14, on avait vu, après une retraite assez précipitée, les Allemands reparaître dans les villages du plateau septentrional, à Bouconville, Chermizy, Chamouille, Chevrigny, ils affichaient hautement l’intention de reprendre la marche sur Paris. Et tout n’était pas désir d’en imposer dans ces propos[7]. Les plateaux de l’Aisne pouvaient être le tremplin, d’où solidement installés, et reconstitués, les Allemands pourraient reprendre leur élan vers l’Ile-de-France. Ils l’avaient tenté lors de leur contre-offensive du 20-22. Elle s’était brisée contre un mur et il semble qu’un vent de découragement ait soufflé aussi chez l’ennemi : « Ce pays sera notre tombeau, » écrit le 22 un des soldats. Un autre soupire : « Bataille dure ; notre 3e compagnie n’a plus que 70 hommes au lieu de 250. » Et un troisième conclura, le 27 : « On ne peut les déraciner. » C’était sans doute l’avis des chefs.

Ils y renonçaient, mais momentanément, pour essayer, en nous abordant par le Nord, de réaliser un nouveau plan. Seulement, ils n’entendaient pour rien au monde nous laisser prendre, fût-ce par des attaques locales, de nouvelles positions sur les plateaux ; ils ne pouvaient même souffrir que le Chemin des Dames restât sur un point quelconque entre nos mains, s’il s’agissait de leur droite, qu’à leur gauche la bordure septentrionale du massif, entre Aisne et Oise, leur fut arrachée ; au centre enfin, ils devaient apporter un soin jaloux à maintenir les Alliés au pied de la falaise de Vailly à Fontenoy, adossés à l’Aisne, et placés jour et nuit sous leur feu. Le massif de l’Aisne restait pour eux, au début du mouvement, vers le Nord, la charnière qui, cédant, détraquerait tout le mouvement. Klück et Bülow ayant à réparer de grandes fautes — le premier surtout — veilleraient au moins à ce que la Marne n’eût pas de lendemain. On maintenait donc, en face de nous, en hommes, des forces imposantes qui, le 29 encore, de Noyon à Reims, représentaient plus de onze corps d’armée. Les canons restaient en position, aussi nombreux, aussi redoutables. Avec méthode et rapidité, l’ennemi, utilisant cette merveilleuse position naturelle des plateaux à creutes, la rendait, par ses travaux, presque inabordable. Il fortifiait villages, fermes, buttes et terrasses. Il opposait donc tous les jours un front plus inexpugnable à des attaques qui, par ailleurs, nous le savons, ne pouvaient être ni assez constantes, ni assez fortes pour rompre ce front.


Le général Maunoury essaya encore cependant, le 22, d’une attaque pour nettoyer le plateau oriental qui restait son seul champ de bataille. Il demanda l’appui de Castelnau qui effectivement lança ses troupes sur Lassigny, et French qui fit savoir qu’il était disposé à attaquer en liaison avec la Ge armée, mais seulement si l’offensive était générale. C’eût été recommencer la grande bataille et telle chose n’était pas, on le sait, dans les idées de Joffre.

Maunoury se maintint néanmoins dans sa résolution : Vautier attaquerait sur Nampcel et Vingré, Ebener sur Moulin-sous-Touvent, Puiseleine, Tracy-le-Val, Lamaze sur les collines au Nord de Soissons. Ce furent, les 23 et 24, dans la boue et le brouillard, d’âpres assauts. Quelques succès (sur Tracy-le-Val et le bois Saint-Mard) démontraient une fois de plus l’opiniâtre héroïsme de nos troupes, mais, presque partout, elles furent arrêtées devant l’objectif principal. A droite, les Anglais, qui avaient promis d’attaquer sur le plateau de Vregny pour appuyer Lamaze, ne purent sortir de leurs tranchées. Non seulement, le 3e corps anglais ne bougea pas, mais, à sa droite le Maréchal attendit, pour actionner le 1er corps Haig sur les bois à l’Ouest d’Aillés, que le 18e corps « eût progressé suffisamment. »

D’Esperey avait en effet tenté, de son côté, sinon un assaut général, du moins une avance de ses corps qui, on se le rappelle, semblaient maintenant en position d’opérer des deux côtés de l’Aisne : le 18e corps sur Craonne, le 1er sur Ville-au-Bois et la croupe du Choléra, le groupe Valabrègue sur les hauteurs Est de Berry-au-Bac, tandis que le 3e corps opérerait encore sur Brimont. Fortement combattue par l’artillerie lourde ennemie, cette attaque ne fit dans la journée « que des progrès insignifiants » dont « le brouillard intense » gêna le développement. Le 18e corps continua à tenir, de la ferme d’Hurtebise aux lisières Sud de Craonne, les positions conquises sans les porter sensiblement plus au Nord. Le 1er corps entama le bois de Ville-au-Bois, et prit la ferme du Choléra. Le groupe Valabrègue réoccupa Berry et une des hauteurs. Le 3e corps subissait entre la ferme du Godât et Courcy une effroyable canonnade, tandis que faisaient défaut les munitions de 75. Le 24, le général d’Esperey constatait que « le résultat cherché, en fixant l’ennemi, était obtenu, mais que la 5e armée, se trouvant actuellement en pointe par rapport aux armées voisines, devait se borner à se consolider. »

De son côté, le général Maunoury constatant, après une tournée sur ses lignes, que la poussée vers le Nord était « en ce moment une espérance vaine », estimait que, « sauf renforcement, une attaque nouvelle ne conduirait pas à des résultats appréciables. »


La bataille eût donc pris fin dès le 25, si le Haut Commandement, instruit que Castelnau attaquait à gauche, n’avait de nouveau ordonné à la 6e armée de soutenir par son action le mouvement de la 2e ; si, d’autre part, l’ennemi n’avait, au centre et à droite, tenté un suprême effort pour rompre notre front.

Maunoury donna l’ordre de pousser les attaques, un instant abandonnées, « avec la dernière énergie, » du rebord Nord-Ouest du plateau occidental à la région de Crouy. Elles furent sans résultat : partout, on constatait les progrès énormes que faisaient les travaux défensifs allemands. Et c’est contre des positrons maintenant sérieuses et par surcroît hérissées de mitrailleuses, qu’une dernière fois se brisa l’héroïsme des vainqueurs de l’Ourcq. Le 29, le général en chef lui-même faisait connaître qu’autorisant des attaques partielles, il estimait que « l’offensive ne devait être poursuivie que si elle paraissait devoir donner des résultats importants. »

Sur le front anglais, c’était, au contraire, l’ennemi qui, pour couvrir sans doute le glissement vers l’Ouest de certains de ses éléments, parut prendre l’offensive. Un « bombardement continuel et vigoureux, écrit le Maréchal, persista toute la journée du 25. » Les Allemands poussaient leurs sapes vers les lignes de la première division de Haig et celui-ci dut, par une vive attaque, arrêter ces travaux d’approche. L’ennemi contre-attaqua, très vivement aussi, mais sans succès, et de violentes attaques se produisirent les 27, 28 et 29 sur le front de Haig qui les repoussa toutes avec sa coutumière énergie. « Il est certain que l’ennemi fit alors son dernier et suprême effort pour établir son ascendant. » Et sir John French concluait crue, cette tentative ayant échoué, la bataille se terminait. Le Maréchal commençait à se désintéresser du front de l’Aisne : il aspirait, il demandait à être reporté sur la gauche de l’armée française et j’ai dit dans une autre étude[8] combien « cette requête, en principe accueillie, se justifiait. Le général Joffre cependant faisait sagement d’ajourner d’exécution de ce considérable remaniement dans le dispositif allié. Devant des forces allemandes qui ne paraissaient pas encore sensiblement diminuées, il eût été souverainement imprudent de diminuer de trois corps l’importance des effectifs qu’on leur opposait.

Comme sur le front anglais, les Allemands avaient, en effet, sur le front d’Esperey, tenté une assez vigoureuse réaction.

Dans la nuit du 25 au 26, leur effort se porta sur le flanc droit de la oc armée : le 3° corps attaqué avec la plus grande violence entre le Godat et Loivre, à l’Ouest de Brimont, se défendit avec une magnifique énergie. Sous le général Hache, deux divisionnaires, qui devaient s’illustrer à des titres et des degrés divers, étaient résolus à tenir et au besoin à réagir. A gauche, c’était le général Pétain, commandant la 6e division, à droite le général Mangin, commandant la 5e. Avec la froide opiniâtreté et la calme énergie qui l’ont toujours caractérisé, le premier repoussait les attaques, reprenait le terrain un instant perdu et progressait par sa gauche, encore que les forces dont il disposait s’épuisassent, régiments réduits au tiers de leur effectif, officiers fauchés à la tête de leurs unités, le seul 5e de ligne perdant trois fois en trois jours son chef de corps. Quant au général Mangin, impatient devant les attaques, il « insistait pour avoir deux bataillons sénégalais avec lesquels il se faisait fort de nettoyer les pentes orientales du massif de Saint-Thierry. » Ainsi, en ces semaines de 1914, s’affirmaient le caractère et je dirai le tempérament, différemment mais admirablement énergique, de deux futurs chefs de nos armées. Le résultat était que, les Allemands ayant un instant passé le canal, ils étaient vigoureusement ramenés sur l’autre rive.

Gardé sur son flanc droit par l’héroïsme du 3e corps, d’Esperey pouvait supporter sur le front Nord le suprême effort de réaction allemande. Le 18e corps était assailli, dès le 26, avec une particulière âpreté. A tout prix, l’ennemi voulait reprendre l’entrée du Chemin des Dames. Attaqué à quatre heures surtout son front, le corps Maud’huy se battit avec son habituelle ardeur. Tandis que la 38e division repoussait, au prix de fortes pertes, sur le plateau du Moulin de Vauclerc, l’assaut de forces supérieures, la 36° ne fléchissait un instant au Sud d’Hurtebise que pour se rejeter sur les tranchées perdues et les reprendre : le 41e de ligne y cueillit dans le sang un magnifique succès. La 35e division cependant opposait un front de bronze aux attaques sur les lisières Nord du bois de Beau Marais.

C’était sur toute la ligne un sursaut d’héroïsme. On n’avait pu rejeter l’ennemi sur l’Ailette ; du moins, ne passerait-il pas l’Aisne. C’est ce soir-là qu’un soldat allemand du 100e d’infanterie écrit de la Ville-au-Bois : « Il n’y a pas moyen de les déraciner. Ils ont de grosses pertes, mais nous aussi… Tous ici, nous en avons pardessus la tête de la guerre. » Dans la nuit du 26 au 27, toute la journée du 27, les Allemands, infatigablement, déferlaient sur l’isthme d’Hurtebise : chacune de leurs attaques était, ou clouée sur place par nos feux, ou repoussée violemment à la baïonnette. Sous un bombardement sans précédent, les soldats de Maud’huy barraient la route, superbes de résolution et d’entrain guerriers, tandis qu’à la droite de d’Esperey, le général Hache maintenait imperturbablement son front. Les attaques furieuses de l’ennemi continuaient le 28, le 29, sans plus de succès. Et le 30, nos soldats, après ces journées effroyables, n’hésitaient pas à se jeter en avant ; de hardies reconnaissances se portaient vers le Nord : c’était d’ailleurs pour « constater que l’ennemi était toujours en force devant nous. » Dans ces conditions, d’Esperey jugeait « inutile de continuer l’offensive. » « Le 1er octobre, lit-on dans l’historique du corps, le 18e corps reprit sa mission antérieure : tenir et durer jusqu’à la reprise de l’offensive générale. Il devait la conserver plus de quatre mois. »

Le vaillant corps pouvait prendre sa large part des félicitations que, dès le 28, le général Joffre adressait aux troupes du général d’Esperey : « Depuis deux semaines, écrivait le général en chef, les troupes de la 5e armée, placées dans des conditions difficiles, repoussent victorieusement les attaques d’un ennemi supérieur en nombre dans des combats continuels de jour comme de nuit. Elles ont montré, sous la conduite de chefs intrépides, une bravoure et un entrain qui ne se sont pas un instant démentis. »

Cet ordre du jour fermait la première bataille de l’Aisne de la grande guerre, au cours de laquelle nos soldats avaient montré, dans les plus défavorables conditions, un héroïsme, sinon fécond en très grands résultats, du moins gros de promesses pour l’avenir du pays. Lorsque, en 1917, ce plateau, déjà témoin, depuis des siècles, de tant de valeureuses actions, les reverra monter à l’assaut, ce seront les mêmes soldats, — car les mêmes régiments devaient reparaître aux mêmes lieux, — mais la longue guerre aura transformé en guerriers expérimentés ces bouillants soldats. Et ce n’est pas seulement sur un point que le plateau sera enlevé, mais sur tous, au cours de cette deuxième et célèbre bataille de l’Aisne.


LES CONCLUSIONS

Celle de 1914 n’avait point donné les résultats qu’on en avait un instant attendus. Elle ne les pouvait donner que dans le très court laps de temps où l’ennemi, désemparé par sa défaite de la Marne, cherchait dans le massif un abri que, contrairement à la légende, il n’avait pu, à cette heure, que très sommairement fortifier.

Pourquoi cette poursuite ne put-elle avoir lieu, telle que celle qui transforma, en octobre 1806, pour l’armée prussienne, la défaite d’Iéna en un effroyable désastre ? Il faut songer au tour de force qu’avait été le rétablissement de la Marne : il était sans précédent qu’une armée déjà cruellement éprouvée, retraitant depuis douze jours, eût, faisant un simple demi-tour, combattu, vaincu et refoulé l’ennemi en quatre jours de deux combats. L’effort demandé à nos troupes pendant ces dix-sept jours, du 25 août au 10 septembre, sans parler des marches et combats qui, pour la plupart d’entre elles, avaient précédé le 25, excédait les forces humaines, physiques et morales. L’armée de Maunoury, elle, avait, — du 5 au 9, — supporté la poussée d’une armée numériquement deux fois supérieure et était, de l’avis de son chef, grand soldat qu’on ne peut soupçonner de sensiblerie, exténuée au point de ne pouvoir marcher. Quant à la cavalerie, à qui assurément revenait plus qu’à l’infanterie le soin de la poursuite, on sait que l’emploi assez peu prévoyant qu’on en avait fait depuis un mois avait crevé ses chevaux et éreinté ses hommes. Soudain, quand son rôle commençait, elle se trouvait incapable de remplir sa tâche. Ainsi l’ennemi ne fut-il pas poursuivi l’épée dans les reins, put-il passer l’Aisne et s’établir sur le plateau sans être talonné. Peut-être cependant eût-on pu encore l’en couper en dirigeant les troupes droit vers le Nord. Au lieu d’aller droit au Nord, les Anglais et d’Esperey appuyèrent vers le Nord-Est et en quelque sorte longèrent l’ennemi au lieu de l’assaillir. Et il faut ajouter qu’appuyant à droite, le bloc des futures armées de l’Aisne entraînait Maunoury hors de la voie où l’orientaient les instructions du Grand Quartier.

J’ai dit quelle avait été la conception de Joffre dès le 10. S’il tenait pour nécessaire de s’attacher à l’ennemi en retraite, s’il lui paraissait bon que les plateaux de l’Aisne fussent ensuite menacés de front, il entendait que le massif fût, non point pris d’assaut, mais tourné. Pendant que d’Esperey le tournerait à l’Est, comme Napoléon l’avait tenté, Maunoury, par un mouvement plus large et dont on pouvait plus attendre, l’envelopperait vers l’Ouest, ainsi que César y avait réussi. Ainsi la forteresse formidable dont Laon est l’imposant donjon serait-elle investie et tomberait-elle sans assaut. Mais un tel plan impliquait que, l’armée anglaise se chargeant de fixer l’ennemi sur les plateaux, on ne se lierait à elle que très largement, que dans chaque armée même, les corps, les divisions, les régiments renonceraient au coude à coude, « à ce souci exagéré de la liaison et de l’alignement » qu’un commandant de corps reprochait à ses divisionnaires. À la vérité, j’ai dit, — et je n’y reviendrai pas, « — ce qui excusait ce souci simplement excessif de la liaison, comment les lieutenants de Joffre pouvaient attribuer à ce « souci » le gain de la Marne, « t comment d’autre part le maréchal French, sans cesse « hanté de la crainte d’être découvert sur ses flancs, » recherchant la liaison à sa droite vers d’Esperey, tirait à son tour Maunoury et, insensiblement, le détournait de la voie normale.

Maunoury pouvait-il s’engager dès le 13 dans la vallée de l’Oise, sans qu’à sa droite le plateau fût occupé par ses troupes ? J’hésiterais à l’affirmer. Mais lorsque, le 15, il recevait le 13e corps, il était encore temps de tenter la manœuvre de débordement du massif : Maunoury le comprit et poussa ce corps vers Noyon. Il est possible que le sort de la bataille ait tenu à la conduite de ce corps d’armée. On sait qu’il se laissa arrêter et qu’ayant perdu deux jours, il fit dès lors échouer toute la manœuvre ;

C’est que chaque heure perdue, à plus forte raison, chaque jour perdu, diminuait à un point difficilement appréciable nos chances de succès. Le massif ne pouvait être tourné ou enlevé que par la surprise et, si j’ose dire, à l’esbroufe. La surprise ne fut guère possible que deux ou trois jours, quatre au plus. L’arrivée du VIIe corps, survenant dans toute l’ivresse de son triomphe de Maubeuge, celle de l’Armée Heeringen, jetée au secours de Bülow et de Kluck allaient augmenter d’un tiers les forces de l’ennemi. Par surcroît, quatre jours, dans un pays aussi accidenté, suffisaient pour rendre, même par une fortification hâtive, le massif difficile à enlever, alors que, la traversée du plateau oriental à son extrémité est par Maud’huy, la marche rapide des corps de Maunoury presque jusqu’au rebord Nord-Ouest du plateau occidental, montraient que, les pentes enlevées, on n’eût, dans les trois premiers jours, trouvé aucune fortification capable d’arrêter nos soldats.

L’extrême prudence du maréchal anglais, placé au centre du dispositif, parfaitement excusable lorsqu’on songe aux pertes qu’il avait faites et à l’impossibilité où il était de les combler, gênait par ailleurs le mouvement en avant. En vain, à maintes reprises, Lamaze à sa gauche, Maud’huy à sa droite firent appel à son appui. Persuadé, comme Joffre, que la falaise de l’Aisne ne « s’enlevait pas, » il affirmait avoir confiance dans le mouvement tournant de l’Ouest, estimant, peut-être avec raison, qu’il était dès lors inutile de sacrifier des hommes pour escalader une formidable position qui, tournée, tomberait d’elle-même : il était là pour fixer l’ennemi, sonder ses intentions de résistance ou de retraite, sauter sur ses derrières quand, se sentant tourné, il tenterait de se retirer. Cette attitude empêchait Lamaze, en assaillant avec succès les hauteurs au Nord de Cuffies et Crouy, de forcer le fameux couloir qui, de Soissons, par Laffaux, Vauxaillon et La Malmaison, mène à Laon, et, d’autre part, ne permettait guère à Maud’huy de pousser au-delà de l’Ailette ses heureux assauts.

Lorsque, pour diverses raisons, on eut perdu du temps, laissant l’ennemi grossir, son armée et organiser sa position, on se trouva par surcroit impuissant à l’y forcer parce que, pourvu d’une artillerie à longue portée, l’Allemand n’en trouvait pas une en face de lui, capable d’atteindre ses batteries et d’éteindre son feu. De l’Oise à Reims, ce sera constamment la même lamentation : l’artillerie écrasante des Allemands semait, avec la mort, nous le savons par l’aveu d’un vaillant chef, « le découragement. » Que fût-ce quand, à notre artillerie de campagne elle-même, les munitions menacèrent de manquer ?

Elles menaçaient de manquer quand déjà on pouvait prévoir qu’une autre bataille s’allait engager au Nord-Ouest et plutôt trois qu’une. Du jour où la Course à la Mer commençait, la Bataille de l’Aisne devait s’affaisser.

Elle s’affaissa. Pendant les derniers jours, elle ne fut plus qu’une bataille de fixation, une bataille d’accrochage, retenant l’ennemi et permettant ainsi à nos armées de gauche, en formation, de ne pas être débordées et peut-être de déborder. Pleines d’abnégation, les armées de l’Aisne assumèrent ce rôle ingrat. Puis, comme les autres, elles s’enterrèrent. Enterrées, elles continuèrent bien après le 1er octobre d’alerter l’ennemi. De la rive gauche de l’Oise à la plaine de Reims, cette guerre de siège ne fut plus, après le 15, menée que par les 6e et 5e armées. Elles devaient, — non sans de très vifs incidents dont les plus célèbres sont les surprises qui nous firent perdre Vailly, le 8 novembre, et toute la rive droite devant Soissons le 13 janvier, — garder sur ce front stabilisé le fossé que les tranchées allaient creuser entre la France sauvée et l’envahisseur. La bataille, en réalité terminée le 30 septembre 1914, ne se devait réveiller tout à fait que 928 jours après, le 16 avril 1917, où elle sera reprise à peu près sur les positions qu’occupaient nos troupes à la fin de cette bataille si essentiellement indécise et décevante.

Décevante, elle le fut pour les deux partis. Il y a peu de doute que l’Allemand n’y ait connu un nouveau mécompte, car, du massif si âprement défendu il avait entendu faire un tremplin pour une réaction qui, nous rejetant au-delà de l’Aisne, nous eût refoulés vers Paris. Maunoury constatait, dès le 23, la « réciprocité » des situations : les attaques allemandes étaient aussi vaines en résultats que les nôtres ; on se pouvait prendre ou reprendre un bois, un village, une ferme, une butte, mais l’inviolabilité des deux fronts, se créait. Nous avons entendu d’ailleurs la plainte d’un officier ennemi : « On ne peut les déraciner. » Aucun des deux partis ne put « déraciner l’autre. » C’est au cours de la bataille de l’Aisne que la guerre de mouvement se mua, — au grand dépit des deux partis, — en guerre de siège.

Plus peut-être que sur la Marne, nos soldats y avaient déployé une incomparable valeur. Entrer dans le détail de leurs héroïques faits d’armes eût été, — on devine avec quelle peine j’ai résisté à la tentation, — allonger singulièrement cette simple étude des grands ; traits de la bataille. C’est précisément parce que, des combats de Carlepont, à l’extrême Ouest du massif, aux combats des soldats de d’Esperey à l’extrême Est, cinquante régiments et bataillons se distinguèrent, que cette étude sommaire s’en fût trouvé alourdie, — alourdie de gloire, à la vérité. Notre dessein devait nous rendre sobre : il ne nous permet pas d’être injuste. En face de positions naturelles formidables, qu’après quatre jours de combat l’ennemi commençait à rendre plus formidables encore, placés sous le feu d’une artillerie lourde indestructible, fatigués par vingt jours et plus de marches et de combats incessants, démunis de ce qui devenait nécessaire à cette guerre de positions (« seules, ai-je lu dans une notice de régiment, des tranchées ébauchées avaient été creusées, au cours de la lutte, avec les outils portatifs »), très souvent inférieurs en nombre, nos soldats ne le furent pas une heure en valeur, arrachant par leur héroïsme et leur « maîtrise » à l’ennemi des cris d’admiration : « Les Français sont maîtres dans les combats de la rue comme dans les combats où ils peuvent s’appuyer sur un obstacle, » écrit de La Ville-au-Bois un officier saxon. Il eût fallu se pouvoir appuyer partout sur un obstacle et avoir, pour le créer au besoin, d’autres instruments que « des outils portatifs. » Il fut toujours un outil portatif dont nos hommes se servirent merveilleusement : leur baïonnette. À plusieurs reprises, le découragement constaté de l’ennemi au lendemain d’un de nos assauts heureux était leur plus belle justification. Et conscients de la force que donne un « moral » que les chefs, même à la fin de la bataille, déclaraient « excellent, » ils s’étaient, à la voix de ceux-ci, jetés aux assauts les plus périlleux avec un courage vraiment prodigieux.

Il était ainsi avéré que le soldat français restait ce que le pays de l’Aisne l’avait toujours vu. Fils tout à la fois de ces légionnaires latins qui avaient vaincu, par la stricte observance de la discipline, du camp de César aux rives de l’Oise, de ces Gaulois qui intrépidement venaient, devant la Miette, provoquer au combat ces soldats invaincus, et de ces Francs de Clovis qui avaient, devant Soissons, vaincu ces mêmes Romains dont ils allaient retremper la race dégénérée ; fils des soldats que s’opposaient, jusqu’à balancer un siècle entier la fortune, ducs de France et « rois de Laon ; » fils-des soldats que les Capétiens jetaient contre les donjons de l’Aisne et fils de ceux qui, si âprement, les défendaient ; fils des gens d’armes qui, derrière Jeanne d’Arc, cheminaient un jouir de Corbeny à Compiègne ; fils plus proches des guerriers de l’Empereur qui, le 7 mars, vainquirent sur le plateau de Craonne, ils s’étaient montrais dignes des plus grands ancêtres. Les mêmes dieux avaient revu les mêmes hommes. Que dira-t-on de tous ceux qu’ils reverront en 1917 ? A travers les siècles, l’histoire ainsi se recommence. Un général de Maud’huy s’accoude le 15 septembre sur la tour de Roucy pour suivre sa bataille, au centre de cette ferté d’où, bardés de fer, des gens d’armes partaient pour battre le plateau ; il s’adosse, le 20, à l’arbre de Paissy où Napoléon s’était adossé ; il regarde nos hommes tenter l’assaut du camp de César. Un général de Lamaze se bat sur un terrain où se sont, — depuis ceux de Clovis, — livrés vingt combats. Mais il se faut élever au-dessus de ces détails et regarder la masse. La masse, c’est l’énorme forteresse de l’Aisne : vingt siècles ont passé depuis que César la contemplait, barrant en apparence la route a sa fortune ; elle a barré la route à bien d’autres fortunes qui, les unes en ont triomphé, les autres s’y sont brisées. Et, comme l’histoire est serve des lieux, les grands chefs de guerre avaient tous devant l’obstacle eu la même pensée : tourner le massif. Lorsque, fixant simplement l’ennemi, César lançait ses troupes alliées vers l’Oise, lorsque Napoléon, les yeux fixés sur le massif, essayait de jeter son armée dans la trouée de Corbeny, ils pensaient de même avec d’autres procédés : lorsque Joffre poussait Maunoury vers l’Oise, d’Esperey vers Juvincourt, il réunissait les deux plans. Il était donné à l’héroïsme de nos troupes d’en faire réussir trois ans plus tard un troisième, celui que tant de grands chefs n’avaient osé imposer à leurs soldats, cependant braves entre les braves : forcer de front la forteresse. Ce sera la bataille de 1917. L’héroïsme de l’éternel soldat des Gaules fait le lien des dix batailles de l’Aisne.


Louis MADELIN.

  1. Voyez la Revue du 1er août.
  2. Voir, dans la Revue du 15 septembre 1916, notre article sur la Victoire de la Marne.
  3. Voir ce que je dis du général Haig et de son rôle devant Ypves. — La Bataille des Flandres, dans la Revue des 15 juillet et 1er août 1917.
  4. L’envoi à Maunoury du 13e Corps.
  5. Le 18, le général von Heeringen était déjà à Château-Porcien, entre Bethel et Laon, poussant vivement ses corps vers l’Ouest.
  6. L’armée Castelnau avait en outre les 14e et 20e corps.
  7. L’abbé Ambroise, curé de Chermizy, revenu après deux ans de captivité en Allemagne, nie contait qu’il hospitalisait un général de brigade allemand, le général Von G. qui, le 14, annonça qu’il ne resterait qu’un jour, la marche sur Paris allant reprendre. Chaque soir, du 14 au 21, il fit la même déclaration. Le 22, l’abbé Ambroise, ne voyant point se produire la déclaration quotidienne, dit, non sans malice, à son hôte forcé : « Partez-vous demain, général ? » — ce qui lui attira un regard inquiétant. En fait, le général resta des mois — en secteur — et quand il partit, ce ne fut certainement pas « pour Paris. »
  8. Voir notre Bataille des Flandres, Revue des 15 juillet et 1er août 1917.